» La pensée qui une fois déjà s’était présentée à mon esprit revint de nouveau l’assiéger et ne me quitta plus.
» Il n’y avait de délivrance que dans la mort.
» Sa mort ou la mienne.
» Cette pensée me poursuivait nuit et jour, dans la chapelle.
» Je relus l’histoire de Jahel et de Sisara si souvent, que ma bible s’ouvrait d’elle-même à cette place.
» Les lois de mon pays, qui auraient dû me protéger, comme toute honnête femme, me laissaient sans appui.
» En l’absence de protection, je n’avais pas d’amis à qui ouvrir mon cœur.
» J’étais renfermée en moi-même, et j’étais mariée à cet homme !…
» Considérez-moi comme une faible créature humaine et dites-moi : n’était-ce pas une épreuve trop rude pour les forces humaines ?
» J’écrivis au bon Mr Bapchild. Sans entrer dans aucune particularité, je me contentai de lui dire que j’étais en proie à la tentation, et le priai de venir à mon aide.
» Il était retenu au lit par la maladie ; il ne put que m’écrire une lettre pleine de bons conseils.
» Pour profiter de bons conseils, il faut à une créature humaine la perspective d’une récompense à ses efforts.
» La religion elle-même est obligée de nous présenter cette récompense et de nous dire : “Soyez bons et vous irez au ciel.”
» Je n’avais pas de perspective semblable : je fus reconnaissante envers ce bon Mr Bapchild, et rien de plus.
» Jadis un mot de mon pasteur m’aurait remise dans la bonne voie, mais j’étais endurcie.
» Si les premiers mauvais traitements que j’aurais à endurer de Joël Dethridge ne me trouvaient pas changée, je sentais que je me délivrerais de lui, de mes propres mains.
» Sous l’empire de cette crainte, je m’humiliai devant mes parents, pour la première fois.
» J’écrivis pour demander leur pardon, pour avouer qu’ils avaient eu raison dans leur opinion sur mon mari, et pour les prier de me rendre leur amitié et de me permettre de les aller voir de temps en temps.
» Ma pensée était que cela adoucirait mon cœur de revoir l’ancienne maison et de parler de l’ancien temps à ceux dont les visages étaient toujours présents à mon souvenir.
» Je suis presque honteuse de l’avouer : si j’avais eu quelque chose à donner, j’en aurais fait l’abandon volontiers pour me retrouver dans la cuisine de ma mère, à faire le dîner du dimanche pour toute la famille.
» Mais cela ne devait pas être.
» Peu de temps avant la réception de ma lettre, ma mère mourut.
» Tous rejetèrent la faute de cette mort sur moi.
» Elle était souffrante depuis des années et avait été abandonnée par les médecins, dès les premières atteintes de la maladie, mais ils ne me déclarèrent pas moins la cause de sa mort.
» L’une de mes sœurs m’écrivit, en aussi peu de mots qu’il eu fallu pour m’exprimer l’opinion de toute la famille.
» Mon père ne répondit pas à ma lettre.