« Une agitation énorme régnait dans la Grande Rue quand nous y arrivâmes.
« Le parti des Américains avait l’air d’avoir perdu la tête.
« Alabama Joe avait disparu. On n’en retrouvait pas miette.
« Depuis qu’il était allé au ravin, personne ne l’avait revu.
« Lorsque nous mîmes pied à terre, il y avait un nombreux rassemblement devant le Bar à Simpson, et je vous réponds qu’on regardait de travers Tom Scott.
« On entendit armer des pistolets et je vis Scott mettre lui aussi la main à sa ceinture.
« Il n’y avait pas l’ombre d’un Anglais en cet endroit.
« – Écartez-vous, Jeff Adams, fait Zebb Humphrey, le plus grand coquin qui ait existé, vous n’avez rien à voir dans cette affaire. Dites donc, les amis, est-ce que de libres Américains vont se laisser assassiner par un maudit Anglais ?
« Ce fut la chose la plus prompte que j’aie jamais vu.
« Il y eut une mêlée et un coup de feu.
« Zebb était par terre, avec une balle de Scott dans la cuisse, et Scott lui aussi était par terre, maintenu par une douzaine d’hommes.
« Ça ne lui aurait servi à rien de se débattre. Aussi ne bougeait-il pas.
« Ils parurent ne pas savoir ce qu’ils feraient de lui, puis un des amis intimes d’Alabama les décida.
« – Joe a disparu, qu’il dit. C’est tout ce qu’il y a de plus certain, et voici l’homme qui l’a tué. Quelqu’un de vous sait qu’il est allé au ravin cette nuit pour affaire ; il n’est pas revenu. Cet Anglais que voilà y est allé de son côté après lui. Ils se sont battus. On a entendu des cris du côté des grands Pièges à mouche. Il aura joué au pauvre Joe un de ses tours de sournois et l’aura jeté dans le marais. Ça n’est pas étonnant que le corps ait disparu. Est-ce que nous allons rester comme ça et laisser tuer nos camarades par les Anglais ? Non, n’est-ce-pas. Qu’il comparaisse devant le Juge Lynch, voilà mon avis.
« – Lynchons-le, crièrent cent voix furieuses, car à ce moment toute la colonie était accourue jusqu’au dernier gredin.
« – Allons, les enfants, qu’on apporte une corde et hissons-le. Pendons-le à la porte de Simpson.
« – Attendez un moment, dit un autre en s’avançant. Pendons-le à côté du grand Piège à mouche dans le ravin. Que Joe voie qu’il est vengé, puisque c’est par là qu’il est enterré.
« On applaudit à grands cris, et ils partirent, emmenant au milieu d’eux Scott ficelé sur un mustang, et entouré d’une garde à cheval, le révolver prêt à tirer, car nous savions qu’il y avait par là une vingtaine d’Anglais, qui n’avaient pas l’air de reconnaître le Juge Lynch, et qui n’attendaient que le moment de livrer bataille.
« Je partis avec eux, le cœur bien ému de pitié pour ce pauvre Scott, qui pourtant n’avait pas l’air ému pour un sou, non, pas du tout.
« C’était un homme rudement trempé.
« Ça vous paraît comme qui dirait bizarre, de pendre un homme à un Piège à mouche, mais le nôtre était bel et bien un arbre.
« Les feuilles étaient comme des bateaux accouplés, avec une charnière entre les deux et les épines au fond.