LES MÊMES, ALICE BRENT, puis FLETCHER, FITTON, et JARVIS
HOLMES. – Expliquez-moi donc la présence ici de cette jeune fille !
ORLEBAR. – Puisque vous voulez des explications, vous allez en avoir ! Il siffle dans le petit sifflet d'argent qui pend à sa montre.
HOLMES, déliant rapidement Alice. – Vous n'êtes pas blessée, miss Brent ?
Entrent Fletcher et Fitton. Ils s'arrêtent un moment près de la porte, surveillant Holmes.
ALICE. – Non, monsieur Holmes, rassurez-vous !… Mais prenez garde… Elle lui désigne du geste les hommes qui viennent d'entrer.
HOLMES, se tournant seulement vers eux. – Ah ! bonsoir, Fitton !… Enchanté de vous rencontrer… Vous aussi, Fletcher ! … Je vois que ce n'est pas à M. Orlebar seul que j'ai affaire !
ORLEBAR. – Vous êtes dans le vrai, monsieur Holmes !
HOLMES. – Mais je devine aisément quel est le véritable chef et l'instigateur de cette petite conspiration ! Se tournant vers Alice. J'espère que vous vous sentez un peu plus à votre aise, miss Brent, car il va nous falloir sortir d'ici.
ALICE. – Oh ! oui, oui ! Partons !
FLETCHER, qui est descendu devant la table. – Désolé de vous retenir encore, monsieur Holmes… mais j'ai, moi aussi, une affaire dont je désirerais causer avec vous.
Jarvis vient d'entrer à son tour, et descend du côté droit près d'Holmes. Alice est appuyée contre la table.
HOLMES. – Je serai toujours heureux de m'entretenir avec vous, Fletcher. Et je ne manquerai pas de venir vous voir demain matin, dans votre cellule, à la prison où je vais vous envoyer.
FLETCHER. – Je regrette, mais il m'est impossible d'attendre jusque-là. L'affaire en question doit être réglée ce soir.
HOLMES. – C'est bien, Fletcher ! Réglons-la donc !
À ce moment Alice voit Jarvis qui approche à pas de loup derrière Holmes auquel elle désigne le bandit. Holmes se retourne, mais Jarvis l'a déjà saisi par les bras. Un très court corps à corps à la suite duquel Holmes repousse violemment son agresseur qui tombe. Mais il a eu le temps de saisir le revolver de Holmes dans la poche de ce dernier. Orlebar est descendu d'un pas avec les autres hommes, pour aider leur associé.
FLETCHER, à voix basse à Jarvis, pendant que celui-ci se relève. – Tu as son revolver ?
JARVIS. – Le voici.
HOLMES, reconnaissant son adversaire dans l'obscurité. – Mais c'est ce bon Jarvis ! … Vous manquiez en effet à cette petite fête ! … Il repousse la lampe, prend son cigare qu'il a laissé sur la table, et se remet à fumer tranquillement. Je ne regrette qu'une chose, c'est que l'organisateur de cette agréable réunion n'ait pas jugé à propos de l'honorer de sa présence… Mais je suis tranquille ! À lui aussi, demain, au même endroit, je pourrai en faire mes compliments !
FLETCHER. – Malgré son absence, monsieur Holmes, il m'a justement chargé de le rappeler à votre souvenir, en vous souhaitant toutes sortes d'agréments dans le voyage qu'il va avoir le plaisir de vous faciliter !
HOLMES, tout en fumant. – En vérité, c'est tout à fait aimable de sa part !
FLETCHER. – Pour ne rien vous cacher, monsieur Holmes, notre mission consiste à vous attacher tout d'abord à cette poutre que vous voyez.
HOLMES. – Pas possible ! … Eh bien, Fletcher, je n'ai pas dans l'idée que vous y parveniez aussi facilement que vous semblez le supposer.
FLETCHER. – Nous sommes quatre et vous êtes seul !… Réfléchissez que votre résistance ne servira qu'à vous faire casser quelque chose !
ALICE, effrayée. – Oh ! monsieur Holmes…
ORLEBAR, durement à Alice. – Éloignez-vous de cet homme, si vous ne voulez pas être blessée aussi !
HOLMES, saisissant la main d'Alice. – Miss Brent, ne bougez pas.
Alice se rapproche d'Holmes.
ORLEBAR, à Alice. – Vous ne voulez pas venir ?
ALICE. – Non !
FLETCHER. – Vous avez tort, miss ! Dans la bagarre, on ne mesure pas ses coups… Cet homme peut être tué…
ALICE. – Eh bien ! Vous me tuerez aussi !
À ce moment, Holmes se retourne brusquement vers elle et la regarde un instant, les yeux dans les yeux.
HOLMES, d'une voix basse et profonde, le regard de nouveau fixé sur le groupe des quatre hommes. – Vous ne pensez pas ce que vous venez de dire, miss Brent !
ALICE. – Si fait ! Je le pense !
HOLMES, secouant la tête. – Non, non ! Ce n'est pas possible ! À un autre moment, ailleurs qu'ici, vous ne vous risqueriez pas à le répéter ?…
ALICE. – Je le répéterai partout, et toujours !
FLETCHER, s'avançant. – Ainsi, vous supposez avoir raison de nous ?
HOLMES. – Avec une facilité enfantine, mon bon Fletcher ! Vraiment, messieurs, vous m'étonnez en vous croyant si sûrs de vous ! … Alors que vous n'avez même pas pris la peine de jeter un coup d'œil à cette fenêtre !… Avant d'être certains que je ne m'en servirais pas pour vous échapper, il fallait d'abord remplacer les barreaux qui y manquent.
ORLEBAR. – Qu'ils soient au complet ou non, je voudrais voir comment vous ferez pour sortir par là !
HOLMES. – Il y a tant de moyens, que je n'ai que l'embarras du choix !
FLETCHER, s'avançant. – Eh bien ! Je n'ai qu'un mot à vous dire ! Faites-le vite.
HOLMES, s'avançant derrière la table. – Mon choix est fait, Fletcher ! Et le voici !
En disant ce mot, il saisit la lourde chaise de chêne, sur laquelle il était assis, et la laisse retomber de tout son haut sur la lampe qui se brise en mille miettes. L'obscurité se fait instantanément sur toute la scène. Toute lumière doit être supprimée à la rampe, sur le théâtre, aux lustres, dans la salle. C'est la nuit complète, absolue. Seule, l'extrémité incandescente du cigare de Holmes demeure visible derrière la table contre laquelle il s'appuie. On voit ce bout rouge virer, remuer, volter, en se dirigeant vers la fenêtre de gauche.
FLETCHER, d'une voix sourde. – Attendez !… Son cigare nous le livre !
JARVIS. – Voyez sa lueur rouge !
FLETCHER. – Guidons-nous sur elle.
ORLEBAR. – Attention ! Il va du côté de la fenêtre !
Jarvis se dirige vivement vers la fenêtre. On entend dans l'obscurité le bruit de plusieurs carreaux qui se brisent. Fletcher et Fitton pousseur un cri de rage.
ORLEBAR. – Ne le laissez pas filer ! Chacun parlant en même temps. Sautez-lui dessus ! … Dépêchez-vous donc !
Ils se dirigent tous du côté de la fenêtre où sont immobilisés Sherlock Holmes et son cigare.
FLETCHER. – Où as-tu mis ta lampe, Fitton ? … Ta lampe de sûreté ?
JARVIS. – Dans la caisse contre le mur…
FITTON. – Attends ! Je vais la prendre.
Fitton se dirige vers la caisse derrière laquelle est cachée la lampe de sûreté, la renverse d'un coup de pied, et, la lampe en main, revient vivement retrouver ses compagnons groupés autour de la fenêtre. Lumière à la rampe. Holmes et Alice Brent sont à la porte du fond qu'ils ont ouverte, Alice est déjà dans le corridor et Sherlock Holmes à côté d'elle, la main droite sur la porte.
HOLMES, désignant la fenêtre. – Vous trouverez mon cigare dans une des fentes de cette fenêtre… Messieurs, je vous souhaite le bonsoir !
En effet, le cigare, dont la pointe rouge continue à briller, est fiché dans une des crevasses de la fenêtre. Les quatre hommes se précipitent du côté de Sherlock Holmes en jurant. Celui-ci sort rapidement et ferme la porte derrière lui. On entend le bruit des verrous et des barres de sûreté qui se referment vivement, comme dans la scène où Fletcher les a fait manœuvrer devant Moriarty. Fletcher, Jarvis et Fitton se ruent sur la porte, et font de vains efforts pour l'ouvrir.
ORLEBAR, le poing tendu avec un cri de rage. – Il nous échappe !
RIDEAU