ORLEBAR, SHERLOCK HOLMES
HOLMES, il entre de son pas ordinaire comme s'il se trouvait dans l'endroit le plus paisible du monde. Il regarde autour de lui, et avec le petit rire sec qui lui est coutumier. – C'est étrange que tous les bandits choisissent le même endroit pour s'y livrer à leurs petites opérations !… J'espérais pourtant, après cette longue promenade en voiture, que vous alliez me faire voir quelque chose de nouveau !
ORLEBAR. – Vous êtes déjà venu ici, monsieur Holmes ?…
HOLMES. – Plusieurs fois !… Tenez ! À la place où vous êtes, j'ai poignardé un de vos confrères au moment où il essayait de s'évader par cette fenêtre ! … Corbett, le faussaire…
ORLEBAR. – Corbett ?… Connais pas !
HOLMES. – Tant pis, car il est trop tard pour faire sa connaissance ! …
ORLEBAR. – Ce que vous me racontez est tout à fait intéressant, mais les temps ont changé depuis lors…
HOLMES. – De vous à moi, monsieur Orlebar, il ne court pas des bruits bien rassurants sur cette demeure… On dit qu'il s'y fait parfois une vilaine besogne… À ma connaissance, plusieurs meurtres d'un caractère assez étrange y auraient été commis… Et j'ai toujours eu le soupçon… Il s'arrête et renifle doucement. Parfaitement !… Ça sent le gaz ! Il va à la fenêtre et passe la main le long des rainures. Allons ! mon flair ne me trompait pas !… C'est bien ce que je pensais !
ORLEBAR. – Quoi donc ? …
HOLMES. – On a peur des courants d'air ici !
ORLEBAR. – Qu'est-ce que vous voulez dire ?…
HOLMES. – Oh ! Rien qui puisse vous intéresser vous et moi, cher monsieur…
ORLEBAR. – Ma foi, monsieur Holmes, puisque vos remarques ne nous concernent pas, si nous nous occupions de l'affaire qui nous réunit… Mon temps est limité.
HOLMES. – Vous avez raison !
Orlebar tire de sa poche le paquet de lettres qu'il jette entre eux, sur la table. Holmes examine le sol, à la lueur de l'allumette, avec laquelle il est en train d'allumer un cigare, sans que ce mouvement soit remarqué par Orlebar.
ORLEBAR. – Eh bien ! Dans ce cas, voici le paquet qui fait l'objet de notre rendez-vous… Je ne l'ai pas encore ouvert, mais miss Brent m'a dit qu'il contenait tout ce que vous désiriez…
HOLMES. – Dans ce cas, il est inutile de l'ouvrir.
ORLEBAR. – Pardon ! Je tiens à vous donner toute garantie !…
HOLMES. – L'affirmation de miss Brent me satisfait complètement. C'est une jeune fille à qui l'on peut se fier.
ORLEBAR. – Venons-en donc au fait. Et voyons quelle somme vous êtes prêt à me donner en échange de ces papiers ?
HOLMES. – Mille livres sterling.
ORLEBAR. – Oh ! … Nous sommes loin du compte !
HOLMES. – Que demandez-vous donc ?
ORLEBAR. – Cinq mille livres.
HOLMES. – Alors, vous avez raison, monsieur Orlebar, nous sommes loin du compte !
ORLEBAR. – Je regrette vivement de vous avoir occasionné ce dérangement.
HOLMES. – Ne regrettez rien !…
ORLEBAR. – Vous savez que la famille a offert quatre mille livres rien que pour les lettres ?
HOLMES. – Pourquoi n'avez-vous pas accepté ?
ORLEBAR. – Parce que je suis sûr d'obtenir davantage. Vous pensez bien que ceux qui offrent quatre mille livres en donneront cinq !
HOLMES. – Vous vous trompez. Ils ne vous donneront rien du tout.
ORLEBAR. – Comment le savez-vous ?…
HOLMES. – Parce que ceux que ces documents intéressent ont remis entre mes mains le soin de cette négociation.
ORLEBAR. – Voyons ! Triplez votre offre et c'est fait.
HOLMES. – Monsieur Orlebar, mon temps est limité comme le vôtre… J'ai apporté sur moi la somme de mille livres qui est le maximum de ce que je peux vous offrir… Si vous êtes disposé à accepter ce chiffre, ayez la complaisance de le dire… Sinon, permettez-moi de vous souhaiter le bonsoir !
ORLEBAR, après un temps. – Eh bien, soit. Jetant le paquet sur la table. J'en passe par où vous voulez !…
Holmes se rassied et sort de sa poche un large portefeuille d'où il tire une forte liasse de bank-notes. Il en extrait tranquillement dix billets de cent livres qu'il compte, et laisse le reste de la liasse sur la table en y appuyant simplement son coude, tandis qu'il compte de nouveau les premières. Orlebar le regarde avec des yeux brillants de convoitise.
ORLEBAR. – Je croyais que vous disiez avoir apporté juste mille livres !… Je vois que vous avez un peu plus.
HOLMES. – Il faut toujours prendre ses précautions, vous savez…
Il tend le paquet de bank-notes qu'il vient de compter à Orlebar qui les prend, tout en continuant à avoir les yeux fixés ardemment sur la liasse restée à côté de Holmes. Celui-ci dépose sur le rebord de la table le cigare qu'il est en train de fumer et prend le paquet de lettres qu'il met, de la main droite, dans sa poche, en même temps qu'il fait un geste de la main gauche pour atteindre les autres billets. Orlebar, d'un mouvement rapide, les saisit avant lui, et, dès qu'il les tient, fait un bond en arrière. Holmes se relève vivement.
HOLMES. – Enfin ! Je vous tiens… Et je vous ai amené au point où je voulais ! … Vous avez été, pendant des années, si avisé et si malin qu'il était impossible de vous mettre la main au collet ! … Mais cette petite défaillance d'aujourd'hui vous coûtera cher ! … Demain, vous serez emprisonné comme voleur !
ORLEBAR, ricanant. -Emprisonné ?… Et c'est vous, sans doute, qui vous chargerez de ce soin ?… Mais êtes-vous sûr de pouvoir vous en aller si aisément d'ici vous-même, monsieur Holmes ?
HOLMES. – Oui, j'en suis sûr.
ORLEBAR. – Vous changerez peut-être d'idée tout à l'heure.
HOLMES. – Aisément ou malaisément, j'en sortirai, et mon premier soin sera de vous faire arrêter.
ORLEBAR. – Me faire arrêter ? … Ah ! Ah ! … Et pour vol !… En tous cas il vous faudrait un témoin de ce vol… Et vous n'en avez pas !
HOLMES. – À votre tour en êtes-vous sûr ?… Mais dites-moi donc ? … Est-il dans vos habitudes de fermer les portes de vos appartements avec un couteau comme celui-ci ?
Il désigne du geste la porte du placard de droite. Un léger gémissement se fait entendre de ce côté. Holmes l'écoute avec attention, puis se dirige rapidement vers la porte, arrache le couteau de la planche, et le jette sur le parquet. Orlebar suit son mouvement, et veut l'empêcher d'ouvrir.
ORLEBAR. – Éloignez-vous de cette porte !
Mais Holmes a eu le temps d'ouvrir, et Alice Brent paraît.