SCÈNE VII

LES MÊMES, ALICE

MURRAY. – Nous allons voir si oui ou non, vous êtes décidée à nous obéir.

Alice se tient debout, sans bouger, l'œil fixe.

MURRAY, à Madge. – Dis-lui ce que nous attendons d'elle.

ALICE, froidement. – Inutile de prendre cette peine. Je suis fixée.

MADGE, se rapproche d'Alice avec un sourire, et, d'une voix cauteleuse. – Non, ma chérie, vous ne l'êtes pas. Il ne s'agit pas cette fois, de clefs, de serrures, ou de combinaisons. Elle désigne le coffre-fort. Nous voulons savoir simplement ce que vous avez fait des papiers qui étaient contenus dans ce coffre. Alice regarde Madge avec calme et ne répond pas. Celle-ci se rapproche encore, et les dents serrées : Vous avez entendu ? Où avez-vous mis les lettres que vous avez reprises là ?

ALICE, d'une voix calme. – Je ne vous le dirai pas.

MURRAY, violemment, mais sans élever la voix pour ne pas mettre les domestiques au courant de ce qui se passe. – Si, ma petite, vous nous le direz, et ça ne traînera pas !

MADGE, l'apaisant. – Du calme, Jim !

MURRAY, même jeu. – Ces lettres sont sûrement cachées quelque part, dans quelque recoin de ce salon ou de la maison, et je saurai lui faire avouer où elle les a fourrées.

MADGE, l'arrêtant. – Laisse-moi lui parler…Pendant qu'elle parle, Murray va et vient, arpentant le théâtre. Ma chère enfant, le moment n'est-il pas venu de vous rappeler que vous avez contracté une dette envers nous ? Lorsque nous vous avons trouvée, sans soutien, sans amis, sans un sou, avec votre mère malade, à Ostende, nous avons été bons pour vous.

ALICE. – Oui… Vous aviez votre plan.

MADGE. – Nous vous avons emmenées, vous et votre chère maman, en Angleterre. Nous vous avons donné l'hospitalité dans notre propre maison. Nous vous y avons nourrie, entretenue, soignée.

ALICE. – Pour me voler !

MADGE. – Ma pauvre petite, on ne vole que les riches ! Vous ne possédez pas une demi-couronne et ce paquet de lettres ne vaut pas six pence !

ALICE. – Alors, pourquoi en avez-vous tant envie ? Pourquoi me persécutez-vous ? Pourquoi me séquestrez-vous ? Pourquoi me faites-vous mourir de faim afin que je vous le livre ? … Tous vos bons traitements pour ma mère et pour moi n'étaient qu'un prétexte et une feinte ! … Vous vouliez m'inspirer confiance afin de m'arracher plus aisément ce que vous convoitiez.

MADGE. – Comment pouvez-vous nous supposer une pareille pensée ?

ALICE. – Pas d'hypocrisie ! Je ne vous crois plus ! Et maintenant que je sais qui vous êtes, malgré mon dénuement, malgré l'état de ma mère, je veux partir d'ici…

MURRAY, il a du mal à se dominer. – Avant de vous en aller, avant même de quitter ce salon, vous direz ce que vous avez fait de ces lettres.

ALICE, craintive, mais calme quand même. – Tuez-moi, si vous voulez… vous ne le saurez pas.

MURRAY, la saisissant par le bras. – Il ne s'agit pas de vous tuer ! J'ai d’autres moyens d'arriver à mes fins.

Il ramène violemment les deux poignets de la jeune fille derrière le dos de celle-ci et les tord. Alice jette un cri de douleur. Madge vient à elle comme pour étouffer ces gémissements. Bribb regarde ce qui se passe en homme qui n'aime pas les scènes de ce genre.

BRIBB, à Madge. – Aïe ! Aïe ! Voilà que ça tourne au vilain.

MADGE, d'une voix sourde. – Dites où sont les lettres, dites-le ! Et je l'arrête !

MURRAY. – Elle ne veut pas parler… Il tord à nouveau les bras de la jeune fille.

ALICE, réprimant un cri de douleur. – Ah ! vous me faites mal.

MADGE. – Où sont les lettres ?

MURRAY. – Dites-le tout de suite. Je vous forcerai bien à parler. MADGE, à voix basse. – Prends garde, Jim !

MURRAY, furieux. – Il est trop tard pour prendre garde ! Je veux son secret… et je le lui arracherai ! Il tord les bras d'Alice. Voulez-vous parler ?…

Sonnerie. Le timbre de la porte d'entrée résonne brusquement à la cantonade.

BRIBB. – Méfie-toi.

Les trois personnages ont l'oreille tendue. Alice est défaillante. La douleur qu'elle vient d'éprouver l'a rendue insensible à ce qui se passe autour d'elle.

MURRAY, à Madge d'une voix rogue. -Regarde qui c'est par les carreaux.

Madge marche rapidement vers la fenêtre de l'escalier.

MADGE, parlant à mi-voix. – C'est un homme grand, mince, de trente à trente-cinq ans, avec un long pardessus, un chapeau mou, un visage rasé et pâle. Il tient une canne à la main.

BRIBB, frappé d'une idée. – Si c'était… Il monte à côté de Madge, et regarde par le carreau. Sherlock Holmes ! … Il redescend rapidement et enferme ses outils dans son sac qu'il cache derrière le coffre-fort dont il referme la porte.

Entre Benjamin.

MURRAY. – Attendez Benjamin. Je vous appellerai…

Le maître d'hôtel ressort.

MURRAY. – Éteins les lampes, Bribb !

BRIBB. – A quoi bon ? Te figures-tu qu'il n'a pas déjà vu la lumière à travers la fenêtre ?…

MURRAY. – Tu as raison. Il vaut mieux le recevoir.

BRIBB. – Mais, la demoiselle ?

MURRAY. – Madge va la remonter là-haut. Vite !

Alice commence à reprendre ses sens et à se rendre compte de ce qui se passe.

Madge va à elle et l'entraîne.

MURRAY. – Enferme-la, et garde la porte. Madge et Alice sortent rapidement par l'escalier. Murray sonne Benjamin qui rentre. Benjamin, ouvrez à la personne qui vient de sonner et faites-la entrer. Benjamin sort. Murray ouvre un coffre à côté de la cheminée et en tire un casse-tête qu'il met dans la main de Bribb. Toi, sors par cette fenêtre qui donne sur la terrasse. Quand Sherlock Holmes sera ici, rentre doucement dans l'antichambre par la porte du jardin.

BRIBB. – Par la porte du jardin ! Et puis ?

MURRAY. – Cache-toi derrière les rideaux. Dans le cas où cet individu aurait pu s'emparer des lettres, je sifflerai deux fois. Si tu n'entends rien, laisse-le filer tranquillement.

BRIBB. – Et… si j'entends ?

MURRAY, lui tendant le casse-tête. -Alors, prouve que tu es un homme qui sait se servir des outils qu'on lui confie.

BRIBB. – Diable ! diable ! diable ! … Fiche commission pour un jeune homme tranquille… Enfin !

Bribb sort rapidement par la fenêtre. Murray a pris un livre sur le piano et s'efforce de se donner une attitude calme et désintéressée. On entend la porte de la maison se refermer.

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