SCÈNE VIII

MURRAY, SHERLOCK HOLMES

Holmes tient dans sa main gauche gantée son chapeau et sa canne. Il est vêtu comme l'a dépeint Madge. Il s'arrête un instant près de la porte, semblant ne pas voir Murray et commence à ôter lentement ses gants. Puis, il se dirige vers le siège le plus rapproché et s'assied comme un visiteur qui attend une réponse. Après un moment, Murray jette son livre sur le piano et se retourne.

MURRAY, feignant l'étonnement. – Eh !… C'est monsieur- Sherlock Holmes !…

HOLMES, se levant comme si l'apparition de Murray l'avait quelque peu surpris. – Oui, monsieur.

MURRAY. – Vous désirez, monsieur Holmes ?

HOLMES, parlant très lentement. – Je vous remercie, j'ai fait passer ma carte par le maître d'hôtel à la personne que je désire voir.

MURRAY. – Ah ! très bien.

Rentre Benjamin par l'escalier. Murray est retourné du côté du piano, mais tend l'oreille pour écouter la réponse du maître d'hôtel.

BENJAMIN, à voix haute. – Miss Brent prie monsieur Holmes de l’excuser. Elle ne se sent pas assez bien portante ce soir pour recevoir une visite.

HOLMES, il tire de sa poche un carnet et un crayon et écrit quelques mots sur une des feuilles qu'il déchire. Il tire sa montre de son gousset et tend le billet qu'il vient d'écrire à Benjamin. – Veuillez porter ceci à miss Brent et lui dire que j'attends sa réponse.

MURRAY, l'interrompant. – Je vous demande pardon, monsieur Holmes, mais je vous assure que vous prenez une peine bien inutile.

HOLMES, se tourne tranquillement vers Murray. – Vraiment ?… Pourquoi donc ?

MURRAY. – Miss Brent, j'ai le regret de vous l'apprendre, est tout à fait souffrante et dans l'impossibilité de voir qui que ce soit.

HOLMES. – Ne pensez-vous pas que ce mauvais état de santé pourrait tenir à ce qu'elle reste trop enfermée dans cette maison ? Les deux hommes se regardent un instant. Se tournant vers Benjamin. Du reste la question n'est pas là… allez mon ami, allez remettre ma carte.

Benjamin sort par l’escalier.

MURRAY, rire affecté. – Comme vous voudrez, cher monsieur… Naturellement, ce maître d'hôtel est tout prêt à remettre votre carte, votre billet, et tout ce que vous souhaiterez !… Ce que j'en disais était tout simplement pour vous éviter une peine inutile.

HOLMES. – Je vous remercie, mais c'est une toute petite peine, vous savez, que d'envoyer une carte de visite.Il se rassied très calme. Très naturellement il prend un journal illustré sur le meuble qui est à droite de lui et le parcourt.

MURRAY, s'efforçant de paraître à son aise. – Savez-vous, monsieur Holmes, que vous m'intéressez beaucoup ?

HOLMES. – J'en suis bien aise…

MURRAY. – L'Angleterre tout entière connaît aujourd'hui votre nom, et ne parle que de votre admirable méthode d'investigations, de votre surprenante clairvoyance, de votre ingéniosité à découvrir les mystères les plus cachés… Il paraît que vous savez tirer un merveilleux parti du détail le plus futile, le plus insignifiant en apparence… Et tenez, pardonnez-moi mon indiscrétion, mais je suis certain que depuis quelques secondes, vous avez déjà fait sur mon compte, un nombre incalculable de découvertes !

HOLMES. – Oh ! pas tant que cela, monsieur Murray ! Je me suis simplement demandé la raison qui vous avait si brusquement précipité dehors, tout à l'heure, pour envoyer ce télégramme, une raison qui vous a altéré au point de vous faire entrer en revenant dans ce bar, et y vider d'un seul trait cet énorme verre d'eau-de-vie… Je cherche aussi pourquoi l'ami qui était avec vous s'est subitement envolé à mon arrivée, par cette fenêtre… et ce que peut renfermer ce meuble, pour attirer si nerveusement votre attention.

MURRAY, éclatant d'un rire forcé. – Excellent ! Bravo ! … Savez-vous, cher monsieur, que si tout cela était vrai, il y aurait presque là de quoi m'impressionner.

Entre Benjamin descendant l'escalier. Il va vers Murray portant un billet sur un plateau. Holmes le regarde nonchalamment.

MURRAY. – Excusez-moi ! C'est la réponse de miss Brent… Il lit. Comment ! vraiment ? Relevant la tête, l'air très surpris. Elle consent à vous voir, monsieur Holmes. Elle désire même un entretien avec vous. Holmes reste calme comme si les paroles de Murray ne l'intéressaient que médiocrement. Benjamin, priez miss Brent de descendre au salon et dites-lui que monsieur Holmes l'y attend. Benjamin s'incline et sort. S'efforçant de prendre un air enjoué. En vérité, puis-je vous demander, si ce n'est pas indiscret, ce que vous avez pu écrire à miss Brent, pour qu'elle se décide si brusquement à venir à vous.

HOLMES. – Simplement que, si elle n'était pas descendue dans cinq minutes, c'est moi qui monterais jusque chez elle.

MURRAY, légèrement interloqué. – Ah ! vraiment… c'était cela ?

HOLMES. – Mot pour mot.

MURRAY. – Mais si je ne me trompe, j'entends son pas dans l’escalier.

HOLMES, regardant sa montre. – Elle est en avance d'une minute et demie. Il se promène le long du salon en examinant sans en avoir l'air, les choses qui l'entourent.

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