LES MÊMES, ALICE BRENT
Alice descend lentement l'escalier. Son apparence est plus frêle encore que tout à l'heure. Holmes à sa vue se lève et pose sur un meuble le livre dans la lecture duquel il semblait absorbé.
HOLMES, à Orlebar, avant l'entrée d'Alice. – Il y a quelques instants, vous avez manifesté le désir de quitter ce salon, monsieur Orlebar. Que ma présence ne vous retienne pas, vous ni votre femme. Ni Orlebar ni Madge ne bougent. Après un temps, Holmes reprend. Vous préférez rester ?… À votre guise ! Il se dirige vers Alice.
ALICE. – Vous êtes monsieur Sherlock Holmes ?
HOLMES. – Oui, miss Brent !
ALICE. – Vous avez désiré me voir ?
HOLMES. – En effet, miss Brent, j'en avais le profond désir. Mais je regrette de constater que votre santé est loin d'être satisfaisante.
Alice fait un pas en avant, Orlebar derrière elle, sans être vu d'Holmes lui fait un geste de menace.
ALICE. – C'est vrai, je… Elle s'arrête devant le geste d'Orlebar.
HOLMES, allant à elle et lui prenant délicatement la main. – Excusez-moi, mais puis-je me permettre de vous demander d'où viennent ces marques que vous avez là ?
ALICE, regardant Orlebar. – Ce n'est rien !
HOLMES. – Vous croyez ?
ALICE. – Rien du tout, je vous assure.
HOLMES. – Ah ! Un temps. Et là, sur le cou… On dirait la marque des doigts d'un homme… Est-ce que cela non plus ne signifie rien ? Un silence. Je serais pourtant très désireux, miss Brent, d'avoir de vous l’explication de ces singulières empreintes… À moins que peut-être monsieur Orlebar ne puisse me la donner à votre place ?
ORLEBAR. – Moi ? Et comment le pourrais-je ?
HOLMES. – Mais parce que ce fait étrange a eu lieu dans votre maison, et qu'un observateur aussi attentif que vous, ne doit rien ignorer de ce qui se passe chez lui.
ORLEBAR. – C'est possible… Mais je vous ferai remarquer de nouveau que vous avez tort de vous mêler de ce qui me regarde.
HOLMES. – Ah ! Ah ! Vous avouez donc que ceci vous regarde !… Je ne suis pas fâché de vous l'avoir fait dire ! Geste de colère d'Orlebar Holmes avance un siège. Alice hésite un instant et se décide à rester debout. Orlebar se rapproche de Madge et tous les deux s'assoient bien résolus à assister à l'entretien qui va avoir lieu. Miss Brent, asseyez-vous, je vous prie…
ALICE. – Je n'ai pas l'honneur de vous connaître, monsieur Holmes, et j'ignore encore pour quel motif vous êtes ici.
HOLMES. – Je vais me faire un plaisir de vous l'expliquer. D'ailleurs, la carte que vous tenez, vous a déjà appris avec mon nom, mon adresse et aussi ma profession.
ALICE. – Oui ! vous êtes un détective ! Un détective exerçant le métier pour votre propre compte et en dehors de la police officielle.
HOLMES. – Précisément. C'est en cette qualité que certaines personnes ont eu recours à moi, dernièrement, dans le but d'obtenir de vous des lettres et quelques autres objets que l'on suppose en votre possession et qui sont d'une grande importance pour ceux dont je représente les intérêts.
ALICE, dont les manières changent tout de suite et qui perd toute timidité et toute hésitation. – Vous ne vous trompez pas, monsieur, les lettres auxquelles vous faites allusion sont bien entre mes mains… Mais elles n'en sortiront pas ! … D'autres que vous déjà ont essayé de s'en emparer et n'y ont pas réussi.
HOLMES. – Ce que d'autres ont, ou n'ont pas fait, ne peut en aucune façon influencer sur ma manière d'agir, bien que ce renseignement ne soit pas pour moi sans utilité !… Je viens à vous en toute franchise, en toute loyauté, pour faire appel à votre générosité… Miss Brent, pourquoi ne pardonnez-vous pas ?
ALICE. – Il y a des crimes au-dessus du pardon !
HOLMES. – Je voudrais pouvoir vous persuader, miss Brent, du sincère repentir, du regret profond, du remords qu'éprouve le coupable, et surtout de son ardent désir de réparer sa faute, autant que cela est aujourd'hui en son pouvoir.
ALICE. – Son repentir ressuscitera-t-il celle qu'il a tuée ?
HOLMES, avec une compassion très sincère. – Malheureusement non ! … Mais quelle que soit votre façon de frapper le coupable, la victime n'en peut plus recevoir aucune satisfaction… Vous pourrez faire beaucoup de mal au vivant, soit, ferez-vous du bien à la morte ?… Cette revanche ne sera pas sa revanche, miss Brent, mais la vôtre ! … Et ce n'est pas elle qui se vengera, c'est vous !
ALICE, après un moment. – Je sais, et vous ne me démentirez pas, qu'il est question d'un mariage pour l'homme en faveur duquel vous plaidez si chaleureusement.
HOLMES. – Je ne le nie pas !
ALICE, avec une amertume indignée. – Un mariage ! … Ah ! il ne la trahira pas, cette fiancée là, comme il a trahi l'autre… C'est une femme de son rang, n'est-ce pas ? Riche ? D'une famille princière aussi puissante que la sienne ?… Ma pauvre Édith ne lui apportait que son amour… Son amour et sa beauté !… Avec une amertume qui ne désarme pas. Et penser que c'est lui, lui qui nous l'a tuée !
HOLMES. – Miss Brent, ce mariage ne pouvait pas se faire… Songez-y !
ALICE. – Pourquoi le lui a-t-il fait croire ? Pourquoi a-t-il menti, lui à qui son rang aurait dû interdire cette vilenie ?… Non ! Non ! pas de pardon ! … En agissant comme j'agis, j'obéis à celle qui n'est plus… C'est elle qui a exigé de moi le serment de la venger…
HOLMES. – Miss Brent !…
ALICE. – Inutile d'insister !… Holmes s'est approché de la fenêtre et a donné sans être vu des assistants un signal. Je vous salue, monsieur Holmes ! Elle se dirige vers l'escalier.
HOLMES, essayant de l'arrêter. – Miss Brent ! Je vous en supplie, encore un mot ! …
ALICE, avec autorité. – C'est inutile, je vous le répète, ma décision est irrévocable.
HOLMES. – Est-il possible que vous ne consentiez pas à…
Des murmures indistincts, un bruit confus de voix, puis des cris de terreur montent de l'extérieur. On entend les pas précipités de personnes qui vont et viennent en se bousculant.
HOLMES, s’arrêtant.- Qu’est-ce que cela ?
Alice en entendant ce bruit s'est arrêtée, elle aussi, sur l'escalier. Tout le monde prête l'oreille. Le bruit augmente.