CHAPITRE XXXII.

Qui mesura la terre, décrivit les astres du ciel, et retraça les longues phases des années lunaires.

POPE.

Richard ne revint à Templeton que pendant la nuit du dimanche au lundi. Indépendamment de la convocation des jurés, il avait à arrêter quelques malfaiteurs qui, dès cette époque, s’étaient enfoncés dans les bois pour fabriquer de la fausse monnaie qu’ils répandaient ensuite dans tous les États-Unis. Il avait complètement réussi dans cette expédition ; il ramenait quatre faux monnayeurs bien garrottés, et, les ayant fait placer dans la prison, il se rendit chez le juge, fort satisfait de lui-même.

Il était minuit passé quand il y arriva, et la porte de la maison était fermée. – Holà ! Aggy ! s’écria-t-il ; Aggy moricaud, comptez-vous me faire passer toute la nuit à la porte ? Brave, aboie, mon garçon, aboie pour le réveiller. Eh bien ! Brave, es-tu endormi comme les autres ? C’est singulier ; c’est la première fois qu’il laisse approcher quelqu’un de la porte, à la nuit tombée, sans venir le flairer pour voir s’il est de sa connaissance. Brave ! ici, Brave ! Ah ! le voilà enfin !

Il voyait effectivement en ce moment quelque chose sortir en rampant de la niche du chien ; mais, à son grand étonnement, il vit ce qu’il prenait pour Brave diminuer de longueur, augmenter de hauteur, prendre la forme humaine, et, au peu de clarté que donnaient les étoiles, il reconnut Aggy.

– Que diable fais-tu donc là, noiraud ? dit-il ; la maison n’est-elle pas assez chaude pour toi ? Faut-il que tu chasses Brave de sa niche pour t’enterrer dans sa paille ?

– Oh ! massa Jones ! s’écria le nègre, bien terrible chose ! oui, bien terrible ! Être mort. Oh ! oui, bien mort, mais pas enterré ; avoir creusé la fosse, mais avoir gardé le corps jusqu’au retour de massa.

– Mort ! Enterré ! Fosse ! s’écria Richard d’une voix altérée ; est-ce qu’il est arrivé malheur à Benjamin ? Je sais qu’il a eu une attaque de bile, mais ce que je lui ai fait prendre vendredi dernier a dû le guérir.

– Être bien pire, massa, répondit le nègre ; beaucoup bien pire. Miss Lizzy et miss Grant se promener sur la montagne. – Pauvre Brave ! Et Natty Bumppo avoir tué une femme, massa, une femme de panthère. Être tout déchiré. Moi vous montrer ; moi vous faire voir.

Tout cela était parfaitement inintelligible pour le shérif ; mais Aggy, étant descendu à la cuisine, en rapporta une lanterne, et lui montra Brave encore tout couvert de sang, étendu mort près de sa niche, et dont il avait décemment couvert le corps de sa redingote. Richard lui faisait de nouvelles questions auxquelles il ne recevait que des réponses inexplicables, quand la porte du vestibule s’ouvrit, et Benjamin y parut, une chandelle à la main. Le shérif entra sur-le-champ, après avoir jeté sur le bras d’Aggy la bride de son cheval, et lui avoir recommandé d’en avoir soin.

– Eh bien ! Benjamin, s’écria-t-il, que veut dire tout ceci ? Comment ce chien est-il mort ? Où est miss Temple ?

– Dans son hamac.

– Et le cousin ’Duke ?

– Dans la chambre du capitaine, comme de droit.

– Mais comment Brave est-il mort ?

– Vous trouverez tout cela là-dessus, répondit Benjamin en lui montrant une grande ardoise, placée sur une table à côté d’un pot de toddy presque vide, d’une pipe dans laquelle le tabac brûlait encore, et d’un vieux livre de prières.

Il est bon d’informer ici nos lecteurs que, entre autres habitudes, Richard avait la manie de tenir un journal de tout ce qui se passait, non seulement dans la famille du juge, mais encore dans le village, et il y ajoutait même des observations sur l’état de l’atmosphère. Quand il était obligé de s’absenter, ce qui arrivait plus souvent depuis son élévation à la place de shérif, il chargeait Benjamin de le remplacer à cet égard, afin de lui fournir à son retour les notes nécessaires pour remplir les lacunes occasionnées par ses absences. Ce projet aurait offert des difficultés à tout autre qu’à Richard, car le majordome ne pouvait lire que dans un livre de prières imprimé en très-grosses lettres, qu’il savait presque par cœur, et dans lequel il était encore obligé tous les jours d’épeler bien des mots ; quant à l’écriture, il n’avait jamais su former une seule lettre. Mais nul obstacle ne pouvait arrêter le génie de M. Jones. Il avait inventé certains caractères hiéroglyphiques propres à indiquer les divers changements qui pouvaient avoir lieu dans l’atmosphère ; et quant aux autres événements, après lui avoir donné quelques instructions générales, il avait été obligé de s’en rapporter à son intelligence. Le lecteur doit comprendre à présent que c’était sur cette chronique que Benjamin appelait l’attention du shérif.

M. Jones commença par boire un verre de toddy qui se trouvait sur la table, prit son journal dans le tiroir, et s’assit pour y consigner tout ce qui s’était passé en son absence, car sa curiosité était excitée par ce que lui avait dit Aggy, et il ne voulait pas se coucher sans l’avoir satisfaite. Benjamin appuya une main sur le dossier de la chaise de Richard, avec un air de familiarité, réservant l’autre pour faire les gestes nécessaires à l’explication des signes que Richard aurait peine à deviner, ce qui arrivait assez souvent.

La première chose qu’examina le shérif fut le diagramme d’une boussole qu’il avait gravée sur la surface la plus haute de l’ardoise, et à l’un des points duquel Benjamin n’avait qu’à faire une marque à la craie pour indiquer ses observations. Toutes les divisions en étaient assez bien marquées pour qu’un homme qui avait voyagé sur mer ne pût s’y tromper.

– Oh ! oh ! dit-il, le vent a été au sud-est toute la nuit dernière. Je m’en doutais ; mais je croyais qu’il amènerait de l’eau.

– Du diable s’il en est tombé une goutte, dit Benjamin. Toute la pluie que nous avons eue depuis un mois ne suffirait pas pour mettre à flot le canot du vieux John, et cependant il ne tire qu’un pouce d’eau.

– Mais le vent n’a-t-il pas changé dans la matinée ? Il a changé dans l’endroit où j’étais.

– Sans doute il a changé, monsieur Jones, ne voyez-vous pas une petite marque est-nord-est avec quelque chose comme un soleil levant à côté, pour indiquer que le changement a eu lieu pendant le quart du matin ?

– Je vois, je vois. Mais votre soleil est couvert d’un nuage. Il a donc plu ?

– Oui, oui, dit Benjamin.

– Ah ! c’est dimanche ; et vous avez marqué la longueur du sermon ; une, deux, trois, quatre, et puis… M. Grant a prêché quarante minutes ?

– Ou à peu près ; son sermon a bien duré au moins demi-heure, et puis le temps perdu à retourner mon sablier.

– Allons, Benjamin, vous aurez dormi, et ce n’est pas bien. Mails pour le coup, voici bien une lune, et une pleine lune même, mise à dix heures a. m. . Comment diable, Benjamin, avez-vous vu la lune en plein jour ? J’ai entendu parler de semblables prodiges. Mais qu’est-ce que cela encore ? pourquoi cette espèce d’horloge de sable à côté ?

– Quant à ceci, squire, c’est une petite affaire qui me concerne, répondit Benjamin qui regardait par-dessus l’épaule du shérif, tout en mâchant son tabac d’un air joyeux. Ce que vous appelez une pleine lune n’en est pas une, c’est le portrait de Betty Hollister. Comme je savais qu’elle avait reçu une nouvelle cargaison de rhum de la Jamaïque, j’ai été le goûter, et en ayant bu un verre à crédit ce matin, à dix heures avant midi, en allant à l’église, j’ai mis sa figure ici, en honnête homme, pour ne pas oublier d’aller la payer.

– Et que signifie l’horloge de sable ? Ne pourriez-vous pas faire un meilleur dessin pour représenter un verre ? celui-ci ressemble au sablier de la mort avec une tête de squelette.

– Ce n’est point une horloge de sable, Votre Honneur ; ce sont deux verres dont j’ai renversé celui de dessous pour plus d’élégance dans le dessin. Cela indique qu’en revenant de l’église j’ai été boire un second verre de rhum encore à crédit. Mais comme je les ai payés tous deux en allant en prendre un troisième ce soir, vous pouvez couler cela à fond en y passant l’éponge.

– Je n’aime pas ce mélange de vos affaires avec les miennes, Benjamin, cela y jette de la confusion. Je vous achèterai une autre ardoise pour vos affaires personnelles.

– Cela est inutile, monsieur Jones, car prévoyant que je ferai voile de temps en temps de ce côté, tant que la cargaison durera, j’ai ouvert un compte avec Betty ; elle fait une marque à la craie derrière la porte, et de mon côté je fais une entaille sur un morceau de bois.

Et à ces mots il montra cette espèce de registre où l’on voyait déjà cinq entailles profondes.

Le shérif, après y avoir jeté les yeux un instant, les reporta sur l’ardoise.

– Et que signifie toute cette famille de singes et de rats ?

– Ne parlez pas ainsi, monsieur Jones. La première figure que vous voyez sur la gauche est celle de miss Lizzy, et celle qui est à côté est la fille du ministre.

– Élisabeth et miss Grant ! et pourquoi se trouvent-elles sur mon journal ?

– Pourquoi se sont-elles trouvées sur le chemin de la panthère , ou peinture que vous voyez là, et que vous prenez pour un rat ? Et cet autre, qui a la quille en dessus, est le pauvre vieux Brave, qui est mort aussi noblement qu’un amiral combattant pour son roi et pour sa patrie. Et cette autre figure…

– Cet épouvantail, voulez-vous dire.

– Oui, il y a bien quelque chose de sauvage dans son air ; et à mon jugement, c’est la meilleure ressemblance que j’aie tirée de ma vie, car c’est Natty Bumppo, qui a tué la panthère qui avait tué le chien et qui aurait voulu tuer et manger nos deux jeunes demoiselles, et peut-être faire pire ?

– Mais que diable signifient toutes ces énigmes ?

– Signifient, monsieur Jones ! le journal de la Boadicée n’était pas tenu d’une manière plus claire et plus exacte.

À force de questions, le shérif parvint à obtenir de lui un récit plus détaillé de la scène qui s’était passée dans la forêt, et il en fut tellement affecté qu’il se passa quelque temps avant qu’il pût se décider à reporter ses yeux sur l’ardoise. Quand il eut pris assez de courage pour y jeter un regard, les hiéroglyphes qu’il aperçut lui parurent encore plus inexplicables.

– Qu’avons-nous ici ? demanda-t-il ; deux boxeurs ? Il y a donc eu une querelle dans le village. Ah ! c’est l’ordinaire ; aussitôt que j’ai le dos tourné…

– C’est le juge et M. Edwards ! dit le majordome on l’interrompant assez cavalièrement.

– Le juge boxant avec Edwards ! s’écria Richard. Bel exemple qu’il donne à la paroisse ! Mais diable ! voilà plus d’événements en trente-six heures qu’il n’en était arrivé depuis six mois.

– C’est la vérité, monsieur Jones. J’ai vu la Boadicée chasser une corvette, la combattre et la prendre, et il y avait, au bout du compte, moins d’écriture sur le journal du vaisseau que sur mon ardoise. Quoi qu’il en soit, le juge et M. Edwards n’en sont pas venus aux coups ; ils n’ont fait que lâcher quelques bordées de paroles.

– Expliquez-moi cela, Benjamin. C’était sans doute relativement à la mine. Oui, oui, je le vois ; voici la figure d’un homme qui a une pioche sur l’épaule. Et vous avez donc entendu la querelle ?

– Il n’est pas question de mine, squire ; mais ils se sont dit leur façon de penser assez vertement. J’en puis parler savamment, car la fenêtre était ouverte, et je n’en étais pas loin. Quant à cette figure ; ce n’est pas une pioche qu’elle porte sur l’épaule, c’est une ancre. N’en voyez-vous pas la seconde patte sur son dos, un peu trop près peut-être, mais n’importe ? Cela veut dire que le jeune homme a levé l’ancre et a quitté la rade.

– Edwards a quitté la maison ?

– Il l’a quittée.

Un nouvel interrogatoire s’ensuivit, et Richard parvint à tirer de Benjamin non seulement ce qui s’était passé entre M. Temple et Edwards, mais les tentatives faites par Hiram pour faire une perquisition dans la hutte, et la manière dont il avait été reçu par Natty. Le shérif n’eut pas plus tôt appris cette histoire, que l’intendant raconta en cherchant à pallier autant que possible les torts de Bas-de-Cuir, qu’il prit son chapeau, en disant à Benjamin de fermer la porte de la maison et d’aller se coucher, puis sortit brusquement, à la grande surprise du majordome, qui, pendant cinq minutes au moins après son départ, resta immobile, les bras croisés sur sa poitrine, et les yeux fixés sur la porte, avant de songer à exécuter les ordres qu’il venait de recevoir.

Pour arrêter les faux monnayeurs, Richard avait pris un fort détachement de constables, qui les avaient ensuite escortés jusqu’à Templeton, et il ne doutait pas qu’il ne les trouvât à la buvette de la prison, occupés à discuter le mérite des différentes liqueurs que vendait le geôlier. En conséquence, il se rendit, à travers les rues silencieuses du village, au bâtiment, qui n’était rien moins qu’une forteresse, et qui servait à renfermer non seulement les prévenus de divers délits, mais encore les malheureux débiteurs dont les créanciers étaient assez fous pour dépenser deux dollars afin de s’en faire payer un.

En arrivant à la porte, le bruit qu’il entendit dans la pièce d’entrée lui prouva qu’il ne s’était pas trompé, et que les suppôts subalternes de la justice se disposaient à passer la nuit joyeusement. Le silence s’y rétablit pourtant dès qu’on aperçut le shérif, et ayant choisi sept à huit constables, ceux qu’il croyait les plus déterminés, Richard leur ordonna de le suivre. Se mettant alors à leur tête, il traversa de nouveau le village, passa le petit pont de troncs d’arbres jeté sur un des ruisseaux qui contribuent à former la Susquehanna, arriva sur le bord du lac, et entra enfin dans la forêt. Là il fit faire halte, et, comme les anciens généraux grecs et romains, il harangua sa troupe ainsi qu’il suit :

– J’ai requis votre assistance, mes amis, leur dit-il, pour appréhender au corps Natty Bumppo, communément appelé Bas-de-Cuir. Il a porté la main sur un magistrat, et s’est opposé à l’exécution d’un mandat de perquisition, en menaçant un constable de son fusil. En un mot, il a donné le mauvais exemple de la rébellion aux lois, et s’est exposé à leur vindicte. Il est en outre suspecté d’autres délits qui intéressent les propriétés privées, et, en ma qualité de shérif, je prends sur moi de le faire arrêter cette nuit pour le mettre en prison, et le traduire demain devant la cour du comté. Pour remplir ce devoir, mes amis, il vous faut du courage et de la discrétion ; du courage pour ne pas vous laisser effrayer par la résistance que cet homme pourra vous opposer à l’aide de ses chiens et de son fusil ; de la discrétion, ce qui veut dire ici de la prudence et des précautions, pour qu’il ne puisse s’échapper, et pour d’autres bonnes raisons que je n’ai pas besoin de vous détailler. Vous vous formerez en cercle autour de sa hutte, et lorsque je prononcerai le mot en avant ! ceux de vous qui seront le plus près de la porte se précipiteront dans la demeure du criminel, et l’arrêteront sans lui laisser le temps de la réflexion. Séparez-vous donc, pour arriver sans bruit de différents côtés ; moi je vais descendre sur le bord du lac, en face de la porte. Je me charge de ce point, et vous m’y trouverez pour me faire toutes les communications nécessaires.

Ce discours, que Richard avait composé et étudié chemin faisant, produisit l’effet qu’il aurait dû en attendre. Il ouvrit les yeux des gens qui le suivaient sur les difficultés et les dangers de l’expédition, mais s’il n’enflamma pas leur courage, il les arma du moins d’une portion suffisante de discrétion ; et en se séparant, peu contents de marcher avec toutes les précautions nécessaires pour ne faire aucun bruit, chacun d’eux eut soin de s’avancer assez lentement pour donner à ses compagnons le temps d’arriver avant lui.

Richard était celui qui avait le plus de chemin à faire pour se trouver au rendez-vous général, et cependant ce fut lui qui y arriva le premier. Dès qu’il fut sur le bord du lac, il cria à haute voix le signal formidable : en avant ! et obéissant lui-même à son ordre, il courut vers l’endroit où était située la cabane de Natty, assez surpris que les chiens vigilants n’eussent pas répondu à son cri par leurs aboiements. Mais il le fut bien davantage quand il vit que la hutte avait disparu, et qu’il n’en restait plus que des débris encore fumants, où un reste de flamme semblait se ranimer de temps en temps.

Ce spectacle, auquel le shérif était bien loin de s’attendre, lui causa un tel étonnement qu’il fut comme frappé d’immobilité et qu’il en perdit l’usage de la parole pendant quelques instants. Il avança pourtant quand il entendit arriver ses constables, qui n’étaient pas moins surpris que leur chef, et ils contemplaient en silence ces ruines à demi embrasées, quand du milieu des décombres ils virent se lever un homme qui donna plus d’activité à la flamme en rapprochant les uns des autres quelques morceaux de bois à demi brûlés, et à la lueur qui en résulta ils reconnurent Bas-de-Cuir.

– Que voulez-vous à un vieillard sans appui ? leur demanda-t-il. Vous avez chassé du désert les créatures qu’il avait plu à Dieu d’y placer ; vous avez apporté les chicanes et les subtilités de la loi dans un endroit où jamais homme n’en avait troublé un autre ; pour vous empêcher, vous et votre loi, de mettre le pied sous le toit qui avait couvert ma tête pendant plus de quarante ans, vous m’avez forcé d’y mettre le feu de ma propre main, et de pleurer sur ses cendres comme le ferait un père sur le corps de son enfant ; vous avez brisé le cœur d’un pauvre homme qui ne vous a jamais fait de mal ni à vous ni aux vôtres, dans un temps où ses pensées devraient être occupées d’un meilleur monde ; vous lui avez fait désirer d’être de la race des animaux des forêts qui ne se nourrissent jamais de la chair les uns des autres ; et quand il est à voir brûler le dernier morceau de bois de sa hutte, vous venez le relancer au milieu de la nuit comme des chiens affamés qui suivent la piste d’un daim épuisé de fatigue ? Que voulez-vous de plus ? Je suis seul et vous êtes plusieurs. D’ailleurs je suis venu ici pour pleurer, et non pour me battre ; et si c’est la volonté de Dieu, faites de moi ce qu’il vous plaira.

En finissant de parler, il attisa de nouveau le feu, et sans chercher à profiter de l’obscurité pour se sauver dans la forêt, ce qui ne lui aurait pas été difficile, vu la stupeur dans laquelle étaient encore plongés ceux qui l’écoutaient, il s’avança successivement devant chacun d’eux, comme pour voir quel était celui d’entre eux qui l’arrêterait. Aucun n’osa porter la main sur lui ; mais quand il arriva devant Richard, le shérif, qui commençait à reprendre ses facultés, lui toucha l’épaule, et en s’excusant sur le devoir de sa charge qui l’obligeait à cet acte de rigueur, il lui dit qu’il était son prisonnier. Les constables se réunirent alors autour de lui, et plaçant Natty au centre, ils reprirent le chemin du village, Richard marchant à leur tête.

Chemin faisant, on adressa au prisonnier diverses questions sur ce qui l’avait déterminé à brûler sa hutte, et sur ce qu’était devenu John Mohican ; mais il refusa d’y répondre, et garda pendant toute sa marche un profond silence. Enfin on arriva au village, et le shérif laissa ses constables libres de passer le reste de la nuit comme ils le jugeraient à propos, et retourna chez le juge pour se mettre au lit après avoir tourné la clé d’une prison sur le vieux Bas-de-Cuir en apparence sans amis et délaissé.

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