Ménage.

Plumeaux esbrouffants, courants d’air, bastonnades des meubles, tapis défenestrés, servantes en équilibre sur le vide pour frotter les vitres, odeur âpre et pointue de l’encaustique, mares sur les carrelages, cuivres anciens astiqués au grand dommage de leur patine, inévitable rançon des bibelots brisés, voilà le ménage, dans sa manière agressive, niaise, traditionnelle.

A mesure que l’outillage se perfectionne, remplaçons par l’aspirateur le ridicule époussetage qui ne fait que déplacer la poussière. Rendons le « ménage » moins inutilement désagréable et bruyant : assouplissons-le.

Le culte de l’escalier, dans la maison de province, symbolise la conception du ménage. Dans ces vieilles demeures où l’on ne trouve pour se laver que des cuvettes de poupée, l’escalier resplendit comme une agate. Les invités qui le descendent, la main crispée à la rampe, flattent tout haut la propriétaire : « Oh ! Oh ! cet escalier est d’une propreté hollandaise ». Et ils appréhendent tout bas : « Sûrement, je vais me casser la figure ». Quand la maîtresse de maison y découvre une trace de pas, elle gémit, déshonorée : « Ce n’est plus un escalier, c’est une route ». Elle le soigne comme d’autres cultivent leur esprit. Elle s’y mire. Il lui tient lieu de conscience.

Nous ferions mieux d’apporter d’abord en nous ce goût de netteté brillante.

Améliorons le rangement, l’odieux, le terrible rangement, qui groupe en pile les objets les plus disparates, boîtes, papiers, livres, carnets, pourvu qu’ils aient la même dimension. L’odieux rangement, qui fait, de tout objet rangé, un objet introuvable.

Il faut apporter un peu d’initiative, de goût personnel, dans l’aménagement du logis. Pourquoi suivre aveuglément les décrets du tapissier ou l’exemple du voisin ? Pourquoi, par exemple, s’astreindre à orner toujours la cheminée d’une pendule, à mettre l’heure sur le feu, comme la marmite sur le fourneau ? Mettez-y des fleurs : elles sonneront les saisons. Pourquoi encore obéir à la sotte coutume qui fait du salon un désert glacé, et qui veut que la plus belle pièce du logis soit la moins fréquentée ?

Une femme doit connaître à peu près le prix des choses que sa cuisinière achète. Sans quoi, comment modérer la danse du panier ? Un excellent entraînement pour l’adolescente, c’est d’accompagner parfois la domestique aux Halles.

Et puis, il faut pouvoir au besoin mettre la main à la pâte, connaître des principes et un peu de pratique culinaires. La patronne qui réprimande sa cuisinière sans rien savoir du métier, manque autant de prestige et frise autant le ridicule qu’un ingénieur qui reprend un ouvrier sans pouvoir saisir l’outil et lui montrer comment s’en servir.

L’attitude des enfants envers les domestiques de leur maison est délicate. La situation de la servante est tellement fausse !

Mais, là comme ailleurs, ils ne feront qu’imiter leurs parents. Quels exemples ceux-ci doivent-ils donc leur donner ?

Pour beaucoup de gens, les domestiques ne sont pas des êtres humains ; ils ne sont pas de la même race. On leur parle avec une dureté inconsciente, comme à des esclaves. On a pour eux des paroles et des procédés blessants. En province, la maîtresse de maison met son orgueil à ce que les servantes soient levées avant le jour, astiquent à la chandelle, sans nécessité. On leur impose des travaux répugnants, démesurés.

Et quand, au contraire, on s’est pénétré de l’injustice d’une telle attitude, quand on les considère comme des êtres pareils à soi, comme des semblables, on est continuellement choqué, gêné, des services qu’on leur demande. Je sais un académicien qui ne peut se résoudre à faire vider son vase de nuit par sa bonne.

En somme, il faut regarder les domestiques dans la maison comme des collaborateurs. Chacun, dans cette association, fait son métier. « Monsieur » gagne de l’argent. La cuisinière fait la cuisine. Une fois cette position prise, on sera vite amené à leur épargner le ton rude, les façons dédaigneuses et les besognes inutilement humiliantes.

L’écueil, c’est que, traités sur le pied d’égalité, ils ne comprennent pas toujours ce pacte, car leur éducation ne les y a pas préparés. Et ils gagnent à la main, se relâchent et débordent. Il y a là une mesure à garder. Comme vis-à-vis des enfants, c’est en exerçant sur eux une sorte de prestige, qu’on les maintiendra dans leur rôle.

Leur situation est si injuste, si douloureuse — cet isolement, ces chambres au septième, cette constante inégalité de condition avec leurs maîtres, — qu’il faut y remédier par une grande bonté, une compassion attentive. A moins d’inconduite incurable, il ne faut pas chasser la bonne enceinte, il faut la mettre à même de faire ses couches et la reprendre.

Et puis, il faut tendre surtout à supprimer la domesticité. L’Amérique nous offre un exemple partiel de cette évolution. Le machinisme nous y aidera. Il y a déjà des monte-charges, des nettoyages par le vide. Il faut encourager ces tentatives. Et puis on s’aperçoit avec surprise qu’on peut accomplir soi-même — dès qu’on se trouve dans une situation un peu exceptionnelle — toutes sortes de petites besognes que l’on jugeait indignes de soi ou dont on se croyait incapable : faire le lit, les chaussures, etc.

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