Un jour, un bon bourgeois passait aux environs de la gare Saint-Lazare, quand il sentit une main s’abattre durement sur son épaule. Tournant la tête, il vit un homme sombre et furieux qui lui ordonna de le suivre.
— Où donc ?
— Au poste.
On n’est jamais tout à fait innocent. Arrêté sans cause connue, on a vite fait soi-même d’en découvrir une dans son passé. Bref, sans plus regimber, notre promeneur se laissa conduire au commissariat voisin. Et là, il s’aperçut qu’il avait été arrêté par un fou…
Oui, c’était un vrai fou, qui, sans doute atteint de la manie des grandeurs, se croyait policier. L’anecdote est authentique. A notre époque, un fou peut arrêter un passant et le conduire au commissariat. Comment pareille aventure est-elle possible ? L’explication est fort simple : le passant ignore ses droits. Il ne sait pas les garanties qu’il doit exiger de l’homme qui veut l’arrêter. Démuni d’armes légales, il ne peut pas se défendre.
Que chacun s’interroge sincèrement et se place dans un cas semblable. Certes, selon sa nature, il se cabrera plus ou moins haut. Mais, en vérité, il ne saura pas au juste les catégories d’individus qui ont le droit d’arrêter les autres. Il ignorera les moyens de vérifier leur identité. Il ne saura pas dans quelles conditions d’heure et de lieu, ni sur la présentation de quels mandats cette arrestation est légale.
Pour les perquisitions, même histoire. Nous ne sommes pas mieux armés pour la défense de notre foyer que pour celle de notre personne. Là, encore, les faits-divers nous apportent leurs témoignages. Que de fois la femme, restée seule au logis, laisse fouiller les meubles et crocheter les tiroirs — quand elle n’en livre pas elle-même les clefs — par de faux policiers, qu’elle a crus sur leur arrogance et leur mauvaise mine ! Elle ne savait pas. Elle ignorait sur quel « Sésame » nous devons ouvrir notre porte à la loi.
Et nous ne savons pas plus dans quelles conditions nous devons l’ouvrir à la réquisition militaire en temps de manœuvre, à l’inquisition fiscale en matière de fraudes. Quand un « rat de cave », flairant un petit délit, se présente chez un viticulteur soupçonné ou dénoncé, il se nomme à peine. Il entre, il est chez lui. Seul, son sans-gêne est garant de son autorité. Le propriétaire se tait et se tient coi. Et pour cause. Sait-il seulement les références qu’il peut exiger de l’inquisiteur ?
Ce sont là, dira-t-on, des cas exceptionnels. Soit. Mais tout le monde paie l’impôt, et tout le monde passe à l’octroi. Or, sommes-nous mieux armés pour exiger le respect de nos biens que pour défendre celui de notre personne et de notre logis ?
Chacun paie aveuglément ses contributions. Qui donc en pourrait vérifier l’exactitude ? Nul ne sait, nul ne se soucie de savoir sur quelles bases elles sont calculées.
Quand la main du gabelou s’abat sur nos bagages, sur notre auto, connaissons-nous exactement nos droits ? Pouvons-nous simplement donner au sbire la clef de notre malle et le laisser à sa basse besogne, ou peut-il nous contraindre à déboucler et à reboucler ? Quand nous lui affirmons que nous n’avons rien à déclarer, peut-il nonobstant exiger la fouille ?
Ainsi, qu’il s’agisse de nous ou de notre propriété, nous ne savons pas nous défendre. Nous avons négligé les armes que nous tendait la loi. Mais elles existent, ces armes, elles reposent à l’ombre de l’épaisse forêt du Code. Il nous serait relativement aisé de les ramasser.
A-t-on déjà tenté en ce sens quelque effort officiel ? J’ai consulté le programme actuel des lycées de France. J’ai vu que, dans une classe de troisième, on consacrait une heure par semaine à l’étude du droit usuel. Et encore on ne fait du droit usuel que dans la division B où l’on n’apprend pas le latin. Si bien que le latiniste est condamné à ignorer toute notion de droit. Mais tranquillisez-vous : ces notions de droit usuel ne descendent pas jusqu’à ces applications pratiques dont on aurait besoin dans la vie. En fait, latinistes et modernes restent également ignorants, également désarmés dans l’art de se défendre contre les abus de l’autorité.