Scène IX

Rosidor, Pymante, Géronte, Lycaste, Caliste, Dorise

Comme Dorise est prête de tuer Caliste, un bruit entendu lui fait relever son épée, et Rosidor paraît tout en sang, poursuivi par ces trois assassins masqués. En entrant, il tue Lycaste ; et retirant son épée, elle se rompt contre la branche d’un arbre. En cette extrémité, il voit celle que tient Dorise ; et sans la reconnaître, il s’en saisit, et passe tout d’un temps le tronçon qui lui restait de la sienne en la main gauche, et se défend ainsi contre Pymante et Géronte, dont il tue le dernier, et met l’autre en fuite.

Rosidor

Meurs, brigand ! Ah, malheur ! cette branche fatale

A rompu mon épée. Assassins… Toutefois,

J’ai de quoi me défendre une seconde fois.

Dorise , s’enfuyant.
N’est-ce pas Rosidor qui m’arrache les armes ?

Ah ! qu’il me va causer de périls et de larmes !

Fuis, Dorise, et fuyant laisse-toi reprocher

Que tu fuis aujourd’hui ce qui t’est le plus cher.

Caliste
C’est lui-même de vrai. Rosidor ! Ah ! je pâme,

Et la peur de sa mort ne me laisse point d’âme.

Adieu, mon cher espoir.

Rosidor , après avoir tué Géronte.
Celui-ci dépêché,

C’est de toi maintenant que j’aurai bon marché.

Nous sommes seul à seul. Quoi ! ton peu d’assurance

Ne met plus qu’en tes pieds sa dernière espérance ?

Marche sans emprunter d’ailes de ton effroi :

Je ne cours point après des lâches comme toi.

Il suffit de ces deux. Mais qui pourraient-ils être ?

Ah, ciel ! le masque ôté me les fait trop connaître !

Le seul Clitandre arma contre moi ces voleurs ;

Celui-ci fut toujours vêtu de ses couleurs ;

Voilà son écuyer, dont la pâleur exprime

Moins de traits de la mort que d’horreurs de son crime.

Et ces deux reconnus, je douterais en vain

De celui que sa fuite a sauvé de ma main.

Trop indigne rival, crois-tu que ton absence

Donne à tes lâchetés quelque ombre d’innocence,

Et qu’après avoir vu renverser ton dessein,

Un désaveu démente et tes gens et ton seing ?

Ne le présume pas ; sans autre conjecture.

Je te rends convaincu de ta seule écriture,

Sitôt que j’aurai pu faire ma plainte au roi.

Mais quel piteux objet se vient offrir à moi ?

Traîtres, auriez-vous fait sur un si beau visage,

Attendant Rosidor, l’essai de votre rage ?

C’est Caliste elle-même ! Ah, dieux, injustes dieux !

Ainsi donc, pour montrer ce spectacle à mes yeux,

Votre faveur barbare a conservé ma vie !

Je n’en veux point chercher d’auteurs que votre envie :

La nature, qui perd ce qu’elle a de parfait,

Sur tout autre que vous eût vengé ce forfait,

Et vous eût accablés, si vous n’étiez ses maîtres.

Vous m’envoyez en vain ce fer contre des traîtres.

Je ne veux point devoir mes déplorables jours

À l’affreuse rigueur d’un si fatal secours.

Ô vous qui me restez d’une troupe ennemie

Pour marques de ma gloire et de son infamie,

Blessures, hâtez-vous d’élargir vos canaux,

Par où mon sang emporte et ma vie et mes maux !

Ah ! pour l’être trop peu, blessures trop cruelles,

De peur de m’obliger vous n’êtes pas mortelles.

Eh quoi ! ce bel objet, mon aimable vainqueur,

Avait-il seul le droit de me blesser au cœur ?

Et d’où vient que la mort, à qui tout fait hommage,

L’ayant si mal traité, respecte son image ?

Noires divinités, qui tournez mon fuseau,

Vous faut-il tant prier pour un coup de ciseau ?

Insensé que je suis ! en ce malheur extrême,

Je demande la mort à d’autres qu’à moi-même ;

Aveugle ! je m’arrête à supplier en vain,

Et pour me contenter j’ai de quoi dans la main.

Il faut rendre ma vie au fer qui l’a sauvée ;

C’est à lui qu’elle est due, il se l’est réservée ;

Et l’honneur, quel qu’il soit, de finir mes malheurs,

C’est pour me le donner qu’il l’ôte à des voleurs.

Poussons donc hardiment. Mais, hélas ! cette épée

Coulant entre mes doigts, laisse ma main trompée ;

Et sa lame, timide à procurer mon bien,

Au sang des assassins n’ose mêler le mien.

Ma faiblesse importune à mon trépas s’oppose ;

En vain je m’y résous, en vain je m’y dispose ;

Mon reste de vigueur ne peut l’effectuer ;

J’en ai trop pour mourir, trop peu pour me tuer :

L’un me manque au besoin, et l’autre me résiste.

Mais je vois s’entr’ouvrir les beaux yeux de Caliste,

Les roses de son teint n’ont plus tant de pâleur,

Et j’entends un soupir qui flatte ma douleur.

Voyez, dieux inhumains, que, malgré votre envie,

L’amour lui sait donner la moitié de ma vie,

Qu’une âme désormais suffit à deux amants.

Caliste
Hélas ! qui me rappelle à de nouveaux tourments ?

Si Rosidor n’est plus, pourquoi reviens-je au monde ?

Rosidor
Ô merveilleux effet d’une amour sans seconde !

Caliste
Exécrable assassin qui rougis de son sang,

Dépêche comme à lui de me percer le flanc,

Prends de lui ce qui reste.

Rosidor
Adorable cruelle,

Est-ce ainsi qu’on reçoit un amant si fidèle ?

Caliste
Ne m’en fais point un crime ; encor pleine d’effroi,

Je ne t’ai méconnu qu’en songeant trop à toi.

J’avais si bien gravé là-dedans ton image,

Qu’elle ne voulait pas céder à ton visage.

Mon esprit, glorieux et jaloux de l’avoir,

Enviait à mes yeux le bonheur de te voir.

Mais quel secours propice a trompé mes alarmes ?

Contre tant d’assassins qui t’a prêté des armes ?

Rosidor
Toi-même, qui t’a mise à telle heure en ces lieux,

Où je te vois mourir et revivre à mes yeux ?

Caliste
Quand l’amour une fois règne sur un courage…

Mais tâchons de gagner jusqu’au premier village,

Où ces bouillons de sang se puissent arrêter ;

Là, j’aurai tout loisir de te le raconter,

Aux charges qu’à mon tour aussi l’on m’entretienne.

Rosidor
Allons ; ma volonté n’a de loi que la tienne ;

Et l’amour, par tes yeux devenu tout-puissant,

Rend déjà la vigueur à mon corps languissant.

Caliste
Il donne en même temps une aide à ta faiblesse,

Puisqu’il fait que la mienne auprès de toi me laisse,

Et qu’en dépit du sort ta Caliste aujourd’hui

À tes pas chancelants pourra servir d’appui.

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