Argument

Rosidor, favori du roi, était si passionnément aimé de deux des filles de la reine, Caliste et Dorise, que celle-ci en dédaignait Pymante, et celle-là Clitandre. Ses affections, toutefois, n’étaient que pour la première, de sorte que cette amour mutuelle n’eût point eu d’obstacle sans Clitandre. Ce cavalier était le mignon du prince, fils unique du roi, qui pouvait tout sur la reine sa mère, dont cette fille dépendait ; et de là procédaient les refus de la reine toutes les fois que Rosidor la suppliait d’agréer leur mariage. Ces deux demoiselles, bien que rivales, ne laissaient pas d’être amies, d’autant que Dorise feignait que son amour n’était que par galanterie, et comme pour avoir de quoi répliquer aux importunités de Pymante. De cette façon, elle entrait dans la confidence de Caliste, et se tenant toujours assidue auprès d’elle, elle se donnait plus de moyen de voir Rosidor, qui ne s’en éloignait que le moins qu’il lui était possible. Cependant la jalousie la rongeait au-dedans, et excitait en son âme autant de véritables mouvements de haine pour sa compagne qu’elle lui rendait de feints témoignages d’amitié. Un jour que le roi, avec toute sa cour, s’était retiré en un château de plaisance proche d’une forêt, cette fille, entretenant en ces bois ses pensées mélancoliques, rencontra par hasard une épée : c’était celle d’un cavalier nommé Arimant, demeurée là par mégarde depuis deux jours qu’il avait été tué en duel, disputant sa maîtresse Daphné contre Éraste. Cette jalouse, dans sa profonde rêverie, devenue furieuse, jugea cette occasion propre à perdre sa rivale. Elle la cache donc au même endroit, et à son retour conte à Caliste que Rosidor la trompe, qu’elle a découvert une secrète affection entre Hippolyte et lui, et enfin qu’ils avaient rendez-vous dans les bois le lendemain au lever du soleil pour en venir aux dernières faveurs : une offre en outre de les lui faire surprendre éveille la curiosité de cet esprit facile, qui lui promet de se dérober, et se dérobe en effet le lendemain avec elle pour faire ses yeux témoins de cette perfidie. D’autre côté, Pymante, résolu de se défaire de Rosidor, comme du seul qui l’empêchait d’être aimé de Dorise, et ne l’osant attaquer ouvertement, à cause de sa faveur auprès du roi, dont il n’eût pu rapprocher, suborne Géronte, écuyer de Clitandre, et Lycaste, page du même. Cet écuyer écrit un cartel à Rosidor au nom de son maître, prend pour prétexte l’affection qu’ils avaient tous deux pour Caliste, contrefait au bas son seing, le fait rendre par ce page, et eux trois le vont attendre masqués et déguisés en paysans. L’heure était la même que Dorise avait donnée à Caliste, à cause que l’un et l’autre voulaient être assez tôt de retour pour se rendre au lever du roi et de la reine après le coup exécuté. Les lieux mêmes n’étaient pas fort éloignés ; de sorte que Rosidor, poursuivi par ces trois assassins, arrive auprès de ces deux filles comme Dorise avait l’épée à la main, prête de l’enfoncer dans l’estomac de Caliste. Il pare, et blesse toujours en reculant, et tue enfin ce page, mais si malheureusement, que, retirant son épée, elle se rompt contre la branche d’un arbre. En cette extrémité, il voit celle que tient Dorise, et sans la reconnaître, il la lui arrache, passe tout d’un temps le tronçon de la sienne en la main gauche, à guise d’un poignard, se défend ainsi contre Pymante et Géronte, tue encore ce dernier, et met l’autre en fuite. Dorise fuit aussi, se voyant désarmée par Rosidor ; et Caliste, sitôt qu’elle l’a reconnu, se pâme d’appréhension de son péril. Rosidor démasque les morts, et fulmine contre Clitandre, qu’il prend pour l’auteur de cette perfidie, attendu qu’ils sont ses domestiques et qu’il était venu dans ce bois sur un cartel reçu de sa part. Dans ce mouvement, il voit Caliste pâmée, et la croit morte : ses regrets avec ses plaies le font tomber en faiblesse. Caliste revient de pâmoison, et s’entr’aidant l’un à l’autre à marcher, ils gagnent la maison d’un paysan, où elle lui bande ses blessures. Dorise désespérée, et n’osant retourner à la cour, trouve les vrais habits de ces assassins, et s’accommode de celui de Géronte pour se mieux cacher. Pymante, qui allait rechercher les siens, et cependant, afin de mieux passer pour villageois, avait jeté son masque et son épée dans une caverne, la voit en cet état. Après quelque mécompte, Dorise se feint être un jeune gentilhomme, contraint pour quelque occasion de se retirer de la cour, et le prie de le tenir là quelque temps caché. Pymante lui baille quelque échappatoire ; mais s’étant aperçu à ses discours qu’elle avait vu son crime, et d’ailleurs entré en quelque soupçon que ce fût Dorise, il accorde sa demande, et la mène en cette caverne, résolu, si c’était elle, de se servir de l’occasion, sinon d’ôter du monde un témoin de son forfait, en ce lieu où il était assuré de retrouver son épée. Sur le chemin, au moyen d’un poinçon qui lui était demeuré dans les cheveux, il la reconnaît et se fait connaître à elle : ses offres de services sont aussi mal reçues que par le passé ; elle persiste toujours à ne vouloir chérir que Rosidor. Pymante l’assure qu’il l’a tué ; elle entre en furie, qui n’empêche pas ce paysan déguisé de l’enlever dans cette caverne, où, tâchant d’user de force, cette courageuse fille lui crève un œil de son poinçon ; et comme la douleur lui fait y porter les deux mains, elle s’échappe de lui, dont l’amour tourné en rage le fait sortir l’épée à la main de cette caverne, à dessein et de venger cette injure par sa mort, et d’étouffer ensemble l’indice de son crime. Rosidor cependant n’avait pu se dérober si secrètement qu’il ne fût suivi de son écuyer Lysarque, à qui par importunité il conte le sujet de sa sortie. Ce généreux serviteur, ne pouvant endurer que la partie s’achevât sans lui, le quitte pour aller engager l’écuyer de Clitandre à servir de second à son maître. En cette résolution, il rencontre un gentilhomme, son particulier ami, nommé Cléon, dont il apprend que Clitandre venait de monter à cheval avec le prince pour aller à la chasse. Cette nouvelle le met en inquiétude ; et ne sachant tous deux que juger de ce mécompte, ils vont de compagnie en avertir le roi. Le roi, qui ne voulait pas perdre ces cavaliers, envoie en même temps Cléon rappeler Clitandre de la chasse, et Lysarque avec une troupe d’archers au lieu de l’assignation, afin que si Clitandre s’était échappé d’auprès du prince pour aller joindre son rival, il fût assez fort pour les séparer. Lysarque ne trouve que les deux corps des gens de Clitandre, qu’il renvoie au roi par la moitié de ses archers, cependant qu’avec l’autre il suit une trace de sang qui le mène jusqu’au lieu où Rosidor et Caliste s’étaient retirés. La vue de ces corps fait soupçonner au roi quelque supercherie de la part de Clitandre, et l’aigrit tellement contre lui, qu’à son retour de la chasse il le fait mettre en prison, sans qu’on lui en dît même le sujet. Cette colère s’augmente par l’arrivée de Rosidor tout blessé, qui, après le récit de ses aventures, présente au roi le cartel de Clitandre, signé de sa main (contrefaite toutefois) et rendu par son page : si bien que le roi, ne doutant plus de son crime, le fait venir en son conseil, où, quelque protestation que pût faire son innocence, il le condamne à perdre la tête dans le jour même, de peur de se voir comme forcé de le donner aux prières de son fils s’il attendait son retour de la chasse. Cléon en apprend la nouvelle ; et redoutant que le prince ne se prît à lui de la perte de ce cavalier qu’il affectionnait, il le va chercher encore une fois à la chasse pour l’en avertir. Tandis que tout ceci se passe, une tempête surprend le prince à la chasse ; ses gens, effrayés de la violence des foudres et des orages, qui ça qui là cherchent où se cacher : si bien que, demeuré seul, un coup de tonnerre lui tue son cheval sous lui. La tempête finie, il voit un jeune gentilhomme qu’un paysan poursuivait l’épée à la main (c’était Pymante et Dorise). Il était déjà terrassé, et près de recevoir le coup de la mort ; mais le prince, ne pouvant souffrir une action si méchante, tâche d’empêcher cet assassinat. Pymante, tenant Dorise d’une main, le combat de l’autre, ne croyant pas de sûreté pour soi, après avoir été vu en cet équipage, que par sa mort. Dorise reconnaît le prince, et s’entrelace tellement dans les jambes de son ravisseur, qu’elle le fait trébucher. Le prince saute aussitôt sur lui, et le désarme : l’ayant désarmé, il crie ses gens, et enfin deux veneurs paraissent chargés des vrais habits de Pymante, Dorise et Lycaste. Ils les lui présentent comme un effet extraordinaire du foudre, qui avait consumé trois corps, à ce qu’ils s’imaginaient, sans toucher à leurs habits. C’est de là que Dorise prend occasion de se faire connaître au prince, et de lui déclarer tout ce qui s’est passé dans ce bois. Le prince étonné commande à ses veneurs de garrotter Pymante avec les couples de leurs chiens : en même temps Cléon arrive, qui fait le récit au prince du péril de Clitandre, et du sujet qui l’avait réduit en l’extrémité où il était. Cela lui fait reconnaître Pymante pour l’auteur de ces perfidies ; et l’ayant baillé à ses veneurs à ramener, il pique à toute bride vers le château, arrache Clitandre aux bourreaux, et le va présenter au roi avec les criminels, Pymante et Dorise, arrivés quelque temps après lui. Le roi venait de conclure avec la reine le mariage de Rosidor et de Caliste, sitôt qu’il serait guéri, dont Caliste était allée porter la nouvelle au blessé ; et après que le prince lui eut fait connaître l’innocence de Clitandre, il le reçoit à bras ouverts, et lui promet toute sorte de faveurs pour récompense du tort qu’il lui avait pensé faire. De là il envoie Pymante à son conseil pour être puni, voulant voir par là de quelle façon ses sujets vengeraient un attentat fait sur leur prince. Le prince obtient un pardon pour Dorise qui lui avait assuré la vie ; et la voulant désormais favoriser en propose le mariage à Clitandre, qui s’en excuse modestement. Rosidor et Caliste viennent remercier le roi, qui les réconcilie avec Clitandre et Dorise, et invite ces derniers, voire même leur commande de s’entr’aimer, puisque lui et le prince le désirent, leur donnant jusqu’à la guérison de Rosidor pour allumer cette flamme,

Afin de voir alors cueillir en même jour

À deux couples d’amants les fruits de leur amour.

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