Clindor, Isabelle
Clindor
Jugez plutôt par là l’humeur du personnage :
Ce page n’est chez lui que pour ce badinage,
Et venir d’heure en heure avertir Sa Grandeur
D’un courrier, d’un agent, ou d’un ambassadeur.
Isabelle
Ce message me plaît bien plus qu’il ne lui semble ;
Il me défait d’un fou pour nous laisser ensemble.
Clindor
Ce discours favorable enhardira mes feux
À bien user du temps si propice à mes vœux.
Isabelle
Que m’allez-vous conter ?
Clindor
Que j’adore Isabelle,
Que je n’ai plus de cœur ni d’âme que pour elle ;
Que ma vie…
Isabelle
Épargnez ces propos superflus ;
Je les sais, je les crois : que voulez-vous de plus ?
Je néglige à vos yeux l’offre d’un diadème ;
Je dédaigne un rival : en un mot, je vous aime.
C’est aux commencements des faibles passions
À s’amuser encore aux protestations :
Il suffit de nous voir au point où sont les nôtres ;
Un coup d’œil vaut pour vous tous les discours des autres.
Clindor
Dieux ! qui l’eût jamais cru que mon sort rigoureux
Se rendît si facile à mon cœur amoureux !
Banni de mon pays par la rigueur d’un père,
Sans support, sans amis, accablé de misère,
Et réduit à flatter le caprice arrogant
Et les vaines humeurs d’un maître extravagant,
Ce pitoyable état de ma triste fortune
N’a rien qui vous déplaise ou qui vous importune ;
Et d’un rival puissant les biens et la grandeur
Obtiennent moins sur vous que sur sincère ardeur.
Isabelle
C’est comme il faut choisir. Un amour véritable
S’attache seulement à ce qu’il voit aimable.
Qui regarde les biens ou la condition
N’a qu’un amour avare, ou plein d’ambition,
Et souille lâchement par ce mélange infâme
Les plus nobles désirs qu’enfante une belle âme.
Je sais bien que mon père a d’autres sentiments,
Et mettra de l’obstacle à nos contentements :
Mais l’amour sur mon cœur a pris trop de puissance
Pour écouter encor les lois de la naissance.
Mon père peut beaucoup, mais bien moins que ma foi.
Il a choisi pour lui, je veux choisir pour moi.
Clindor
Confus de voir donner à mon peu de mérite…
Isabelle
Voici mon importun, souffrez que je l’évite.