Scène IV

Célidée, Hippolyte, Florice

Célidée
Mon abord importun rompt votre conférence :

Tu m’en voudras du mal.

Hippolyte
Du mal ? et l’apparence ?

Je ne sais pas aimer de si mauvaise foi ;

Et tout à l’heure encor je lui parlais de toi.

Célidée
Je me retire donc, afin que sans contrainte…

Hippolyte
Quitte cette grimace, et mets à part la feinte.

Tu fais la réservée en ces occasions,

Mais tu meurs de savoir ce que nous en disions.

Célidée
Tu meurs de le conter plus que moi de l’apprendre,

Et tu prendrais pour crime un refus de l’entendre.

Puis donc que tu le veux, ma curiosité…

Hippolyte
Vraiment, tu me confonds de ta civilité.

Célidée
Voilà de tes détours, et comme tu diffères

À me dire en quel point vous teniez mes affaires.

Hippolyte
Nous parlions du dessein d’éprouver ton amant.

Tu l’as vu réussir à ton contentement ?

Célidée
Je viens te voir exprès pour t’en dire l’issue :

Que je m’en suis trouvée heureusement déçue !

Je présumais beaucoup de ses affections,

Mais je n’attendais pas tant de submissions.

Jamais le désespoir qui saisit son courage

N’en put tirer un mot à mon désavantage ;

Il tenait mes dédains encor trop précieux,

Et ses reproches même étaient officieux.

Aussi ce grand amour a rallumé ma flamme :

Le change n’a plus rien qui chatouille mon âme ;

Il n’a plus de douceur pour mon esprit flottant,

Aussi ferme à présent qu’il le croit inconstant.

Florice
Quoi que vous ayez vu de sa persévérance,

N’en prenez pas encore une entière assurance.

L’espoir de vous fléchir a pu le premier jour

Jeter sur son dépit ces beaux dehors d’amour ;

Mais vous verrez bientôt que pour qui le méprise

Toute légèreté lui semblera permise.

J’ai vu des amoureux de toutes les façons.

Hippolyte
Cette bizarre humeur n’est jamais sans soupçons.

L’avantage qu’elle a d’un peu d’expérience

Tient éternellement son âme en défiance ;

Mais ce qu’elle te dit ne vaut pas l’écouter.

Célidée
Et je ne suis pas fille à m’en épouvanter.

Je veux que ma rigueur à tes yeux continue,

Et lors sa fermeté te sera mieux connue ;

Tu ne verras des traits que d’un amour si fort,

Que Florice elle-même avouera qu’elle a tort.

Hippolyte
Ce sera trop longtemps lui paraître cruelle.

Célidée
Tu connaîtras par là combien il m’est fidèle.

Le ciel à ce dessein nous l’envoie à propos.

Hippolyte
Et quand te résous-tu de le mettre en repos ?

Célidée
Trouve bon, je te prie, après un peu de feinte,

Que mes feux violents s’expliquent sans contrainte ;

Et pour le rappeler des portes du trépas,

Si j’en dis un peu trop, ne t’en offense pas.

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