Scène V

Lysandre
Il faut à mon courroux de plus nobles victimes ;

Il faut qu’un même coup me venge de deux crimes ;

Qu’après les trahisons de ce couple indiscret,

L’un meure de ma main, et l’autre de regret.

Oui, la mort de l’amant punira la maîtresse ;

Et mes plaisirs alors naîtront de sa tristesse.

Mon cœur, à qui mes yeux apprendront ses tourments,

Permettra le retour à mes contentements ;

Ce visage si beau, si bien pourvu de charmes,

N’en aura plus pour moi, s’il n’est couvert de larmes.

Ses douleurs seulement ont droit de me guérir ;

Pour me résoudre à vivre il faut la voir mourir.

Frénétiques transports, avec quelle insolence

Portez-vous mon esprit à tant de violence ?

Allez, vous avez pris trop d’empire sur moi ;

Dois-je être sans raison, parce qu’ils sont sans foi ?

Dorimant, Célidée, ami, chère maîtresse,

Suivrais-je contre vous la fureur qui me presse ?

Quoi ? vous ayant aimés, pourrais-je vous haïr ?

Mais vous pourrais-je aimer, quand vous m’osez trahir ?

Qu’un rigoureux combat déchire mon courage !

Ma jalousie augmente, et redouble ma rage ;

Mais quelques fiers projets qu’elle jette en mon cœur,

L’amour… Ah ! ce mot seul me range à la douceur.

Celle que nous aimons jamais ne nous offense ;

Un mouvement secret prend toujours sa défense :

L’amant souffre tout d’elle ; et dans son changement,

Quelque irrité qu’il soit, il est toujours amant.

Toutefois, si l’amour contre elle m’intimide,

Revenez, mes fureurs, pour punir le perfide ;

Arrachez-lui mon bien ; une telle beauté

N’est pas le juste prix d’une déloyauté.

Souffrirais-je, à mes yeux, que par ses artifices

Il recueillît les fruits dus à mes longs services ?

S’il vous faut épargner le sujet de mes feux,

Que ce traître du moins réponde pour tous deux.

Vous me devez son sang pour expier son crime :

Contre sa lâcheté tout vous est légitime ;

Et quelques châtiments… Mais, dieux ! que vois-je ici ?

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