Scène première

Lysandre

Indiscrète vengeance, imprudentes chaleurs,

Dont l’impuissance ajoute un comble à mes malheurs,

Ne me conseillez plus la mort de ce faussaire.

J’aime encor Célidée, et n’ose lui déplaire :

Priver de la clarté ce qu’elle aime le mieux,

Ce n’est pas le moyen d’agréer à ses yeux.

L’amour, en la perdant, me retient en balance ;

Il produit ma fureur et rompt sa violence,

Et me laissant trahi, confus et méprisé,

Ne veut que triompher de mon cœur divisé.

Amour, cruel auteur de ma longue misère,

Ou permets à la fin d’agir à ma colère,

Ou, sans m’embarrasser d’inutiles transports,

Auprès de ce bel œil fais tes derniers efforts ;

Viens, accompagne-moi chez ma belle inhumaine,

Et comme de mon cœur, triomphe de sa haine !

Contre toi ma vengeance a mis les armes bas,

Contre ses cruautés rends les mêmes combats ;

Exerce ta puissance à fléchir la farouche ;

Montre-toi dans mes yeux, et parle par ma bouche :

Si tu te sens trop faible, appelle à ton secours

Le souvenir de mille et de mille heureux jours

Où ses désirs, d’accord avec mon espérance,

Ne laissaient à nos vœux aucune différence.

Je pense avoir encor ce qui la sut charmer,

Les mêmes qualités qu’elle voulut aimer.

Peut-être mes douleurs ont changé mon visage ;

Mais, en revanche aussi, je l’aime davantage.

Mon respect s’est accru pour un objet si cher ;

Je ne me venge point, de peur de la fâcher.

Un infidèle ami tient son âme captive,

Je le sais, je le vois et je souffre qu’il vive.

Je tarde trop ; allons, ou vaincre ses refus,

Ou me venger sur moi de ne lui plaire plus,

Et tirons de son cœur, malgré sa flamme éteinte,

La pitié par ma mort, ou l’amour par ma plainte :

Ses rigueurs par ce fer me perceront le sein.

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