Scène III

Angélique

Commandement honteux, où ton obéissance

N’est qu’un signe trop clair de mon peu de puissance,

Où ton bannissement a pour toi des appas,

Et me devient cruel de ne te l’être pas !

À quoi se résoudra désormais ma colère,

Si ta punition te tient lieu de salaire ?

Que mon pouvoir me nuit ! et qu’il m’est cher vendu !

Voilà ce que me vaut d’avoir trop attendu :

Je devais prévenir ton outrageux caprice ;

Mon bonheur dépendait de te faire injustice.

Je chasse un fugitif avec trop de raison,

Et lui donne les champs quand il rompt sa prison.

Ah ! que n’ai-je eu des bras à suivre mon courage !

Qu’il m’eût bien autrement réparé cet outrage !

Que j’eusse retranché de ses propos railleurs !

Le traître n’eût jamais porté son cœur ailleurs ;

Puisqu’il m’était donné, je m’en fusse saisie ;

Et sans prendre conseil que de ma jalousie,

Puisqu’un autre portrait en efface le mien,

Cent coups auraient chassé ce voleur de mon bien.

Vains projets, vains discours, vaine et fausse allégeance !

Et mes bras et son cœur manquent à ma vengeance !

Ciel, qui m’en vois donner de si justes sujets,

Donne-m’en des moyens, donne-m’en des objets.

Où me dois-je adresser ? qui doit porter sa peine ?

Qui doit à son défaut m’éprouver inhumaine ?

De mille désespoirs mon cœur est assailli ;

Je suis seule punie, et je n’ai point failli.

Mais j’ose faire au ciel une injuste querelle ;

Je n’ai que trop failli d’aimer un infidèle,

De recevoir un traître, un ingrat, sous ma loi,

Et trouver du mérite en qui manquait de foi.

Ciel, encore une fois, écoute mon envie :

Ôte-m’en la mémoire, ou le prive de vie ;

Fais que de mon esprit je puisse le bannir,

Ou ne l’avoir que mort dedans mon souvenir !

Que je m’anime en vain contre un objet aimable !

Tout criminel qu’il est, il me semble adorable ;

Et mes souhaits, qu’étouffe un soudain repentir,

En demandant sa mort n’y sauraient consentir.

Restes impertinents d’une flamme insensée,

Ennemis de mon heur, sortez de ma pensée,

Ou si vous m’en peignez encore quelques traits,

Laissez là ses vertus, peignez-moi ses forfaits.

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