Cléandre
Ciel ! à tant de malheurs m’aviez-vous destiné ?
Faut-il que d’un dessein si juste que le nôtre
La peine soit pour nous, et les fruits pour un autre ?
Et que notre artifice ait si mal succédé,
Qu’il me dérobe un bien qu’Alidor m’a cédé ?
Officieux ami d’un amant déplorable,
Que tu m’offres en vain cet objet adorable !
Qu’en vain de m’en saisir ton adresse entreprend !
Ce que tu m’as donné, Doraste le surprend.
Tandis qu’il me supplante, une sœur me cajole ;
Elle me tient les mains cependant qu’il me vole.
On me joue, on me brave, on me tue, on s’en rit.
L’un me vante son heur, l’autre son trait d’esprit.
L’un et l’autre à la fois me perd, me désespère,
Et je puis épargner ou la sœur ou le frère !
Être sans Angélique, et sans ressentiment !
Avec si peu de cœur aimer si puissamment !
Cléandre, est-ce un forfait que l’ardeur qui te presse ?
Craignais-tu d’avouer une telle maîtresse ?
Et cachais-tu l’excès de ton affection
Par honte, par dépit, ou par discrétion ?
Pouvais-tu désirer occasion plus belle
Que le nom d’Alidor à venger ta querelle ?
Si pour tes feux cachés tu n’oses t’émouvoir,
Laisse leurs intérêts ; suis ceux de ton devoir.
On supplante Alidor, du moins en apparence,
Et sans ressentiment tu souffres cette offense !
Ton courage est muet, et ton bras endormi !
Pour être amant discret, tu parais lâche ami !
C’est trop abandonner ta renommée au blâme ;
Il faut sauver d’un coup ton honneur et ta flamme,
Et l’un et l’autre ici marchent d’un pas égal :
Soutenant un ami, tu t’ôtes un rival.
Ne diffère donc plus ce que l’honneur commande,
Et lui gagne Angélique, afin qu’il te la rende.
Il faut…