Scène V

Alidor
On l’enlève, et mon cœur, surpris d’un vain regret,

Fait à ma perfidie un reproche secret ;

Il tient pour Angélique, il la suit, le rebelle !

Parmi mes trahisons il veut être fidèle ;

Je le sens, malgré moi, de nouveaux feux épris,

Refuser de ma main sa franchise à ce prix,

Désavouer mon crime, et pour mieux s’en défendre,

Me demander son bien, que je cède à Cléandre.

Hélas ! qui me prescrit cette brutale loi

De payer tant d’amour avec si peu de foi ?

Qu’envers cette beauté ma flamme est inhumaine !

Si mon feu la trahit, que lui ferait ma haine ?

Juge, juge, Alidor, en quelle extrémité

La va précipiter ton infidélité.

Écoute ses soupirs, considère ses larmes,

Laisse-toi vaincre enfin à de si fortes armes ;

Et va voir si Cléandre, à qui tu sers d’appui,

Pourra faire pour toi ce que tu fais pour lui.

Mais mon esprit s’égare, et quoi qu’il se figure,

Faut-il que je me rende à des pleurs en peinture,

Et qu’Alidor, de nuit plus faible que de jour,

Redonne à la pitié ce qu’il ôte à l’amour ?

Ainsi donc mes desseins se tournent en fumée !

J’ai d’autres repentirs que de l’avoir aimée !

Suis-je encore Alidor après ces sentiments ?

Et ne pourrai-je enfin régler mes mouvements ?

Vaine compassion des douleurs d’Angélique,

Qui penses triompher d’un cœur mélancolique !

Téméraire avorton d’un impuissant remords,

Va, va porter ailleurs tes débiles efforts.

Après de tels appas, qui ne m’ont pu séduire,

Qui te fait espérer ce qu’ils n’ont su produire ?

Pour un méchant soupir que tu m’as dérobé,

Ne me présume pas tout à fait succombé :

Je sais trop maintenir ce que je me propose,

Et souverain sur moi, rien que moi n’en dispose.

En vain un peu d’amour me déguise en forfait

Du bien que je me veux le généreux effet,

De nouveau, j’y consens, et prêt à l’entreprendre…

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