Théante, Amarante
Théante
Tu me vois sans Florame : un amoureux ennui
Assez étroitement m’a dérobé de lui.
Las de céder ma place à son discours frivole,
Et n’osant toutefois lui manquer de parole,
Je pratique un quart d’heure à mes affections.
Amarante
Ma maîtresse lisait dans tes intentions.
Tu vois à ton abord comme elle a fait retraite,
De peur d’incommoder une amour si parfaite.
Théante
Je ne la saurais croire obligeante à ce point.
Ce qui la fait partir ne se dira-t-il point ?
Amarante
Veux-tu que je t’en parle avec toute franchise ?
C’est la mauvaise humeur où Florame l’a mise.
Théante
Florame ?
Amarante
Oui. Ce causeur voulait l’entretenir ;
Mais il aura perdu le goût d’y revenir :
Elle n’a que fort peu souffert sa compagnie,
Et l’en a chassé presque avec ignominie.
De dépit cependant ses mouvements aigris
Ne veulent aujourd’hui traiter que de mépris ;
Et l’unique raison qui fait qu’elle me quitte,
C’est l’estime où te met près d’elle ton mérite :
Elle ne voudrait pas te voir mal satisfait,
Ni rompre sur-le-champ le dessein qu’elle a fait.
Théante
J’ai regret que Florame ait reçu cette honte :
Mais enfin auprès d’elle il trouve mal son conte ?
Amarante
Aussi c’est un discours ennuyeux que le sien :
Il parle incessamment sans dire jamais rien ;
Et n’était que pour toi je me fais ces contraintes,
Je l’envoierais bientôt porter ailleurs ses feintes.
Théante
Et je m’assure aussi tellement en ta foi,
Que bien que tout le jour il cajole avec toi,
Mon esprit te conserve une amitié si pure,
Que sans être jaloux je le vois et l’endure.
Amarante
Comment le serais-tu pour un si triste objet ?
Ses imperfections t’en ôtent tout sujet.
C’est à toi d’admirer qu’encor qu’un beau visage
Dedans ses entretiens à toute heure t’engage,
J’ai pour toi tant d’amour et si peu de soupçon,
Que je n’en suis jalouse en aucune façon.
C’est aimer puissamment que d’aimer de la sorte ;
Mais mon affection est bien encor plus forte.
Tu sais (et je le dis sans te mésestimer)
Que quand notre Daphnis aurait su te charmer,
Ce qu’elle est plus que toi mettrait hors d’espérance
Les fruits qui seraient dus à ta persévérance.
Plût à Dieu que le ciel te donnât assez d’heur
Pour faire naître en elle autant que j’ai d’ardeur !
Voyant ainsi la porte à ta fortune ouverte,
Je pourrais librement consentir à ma perte.
Théante
Je te souhaite un change autant avantageux.
Plût à Dieu que le sort te fût moins outrageux,
Ou que jusqu’à ce point il t’eût favorisée,
Que Florame fût prince, et qu’il t’eût épousée !
Je prise, auprès des tiens, si peu mes intérêts,
Que bien que j’en sentisse au cœur mille regrets,
Et que de déplaisir il m’en coûtât la vie,
Je me la tiendrais lors heureusement ravie.
Amarante
Je ne voudrais point d’heur qui vînt avec ta mort,
Et Damon que voilà n’en serait pas d’accord.
Théante
Il a mine d’avoir quelque chose à me dire.
Amarante
Ma présence y nuirait : adieu, je me retire.
Théante
Arrête ; nous pourrons nous voir tout à loisir :
Rien ne le presse.