Scène II

Théante
Par quel malheur fatal

Ai-je donné moi-même entrée à mon rival ?

De quelque trait rusé que mon esprit se vante,

Je me trompe moi-même en trompant Amarante,

Et choisis un ami qui ne veut que m’ôter

Ce que par lui je tâche à me faciliter.

Qu’importe toutefois qu’il brûle et qu’il soupire ?

Je sais trop comme il faut l’empêcher d’en rien dire.

Amarante l’arrête, et j’arrête Daphnis :

Ainsi tous entretiens d’entre eux deux sont bannis :

Et tant d’heur se rencontre en ma sage conduite,

Qu’au langage des yeux son amour est réduite.

Mais n’est-ce pas assez pour se communiquer ?

Que faut-il aux amants de plus pour s’expliquer ?

Même ceux de Daphnis à tous coups lui répondent :

L’un dans l’autre à tous coups leurs regards se confondent ;

Et d’un commun aveu ces muets truchements

Ne se disent que trop leurs amoureux tourments,

Quelles vaines frayeurs troublent ma fantaisie !

Que l’amour aisément penche à la jalousie !

Qu’on croit tôt ce qu’on craint en ces perplexités,

Où les moindres soupçons passent pour vérités !

Daphnis est tout aimable ; et si Florame l’aime,

Dois-je m’imaginer qu’il soit aimé de même ?

Florame avec raison adore tant d’appas,

Et Daphnis sans raison s’abaisserait trop bas.

Ce feu, si juste en l’un, en l’autre inexcusable,

Rendrait l’un glorieux, et l’autre méprisable.

Simple ! l’amour peut-il écouter la raison ?

Et même ces raisons sont-elles de saison ?

Si Daphnis doit rougir en brûlant pour Florame,

Qui l’en affranchirait en secondant ma flamme ?

Étant tous deux égaux, il faut bien que nos feux

Lui fassent même honte, ou même honneur tous deux :

Ou tous deux nous formons un dessein téméraire,

Ou nous avons tous deux même droit de lui plaire.

Si l’espoir m’est permis, il y peut aspirer ;

Et s’il prétend trop haut, je dois désespérer.

Mais le voici venir.

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