Scène III

Théante, Florame

Théante
Tu me fais bien attendre.

Florame
Encore est-ce à regret qu’ici je viens me rendre,

Et comme un criminel qu’on traîne à sa prison.

Théante
Tu ne fais qu’en raillant cette comparaison.

Florame
Elle n’est que trop vraie.

Théante
Et ton indifférence ?

Florame
La conserver encor ! le moyen ? l’apparence ?

Je m’étais plu toujours d’aimer en mille lieux :

Voyant une beauté, mon cœur suivait mes yeux ;

Mais de quelques attraits que le ciel l’eût pourvue,

J’en perdais la mémoire aussitôt que la vue ;

Et bien que mes discours lui donnassent ma foi,

De retour au logis, je me trouvais à moi.

Cette façon d’aimer me semblait fort commode,

Et maintenant encor je vivrais à ma mode :

Mais l’objet d’Amarante est trop embarrassant ;

Ce n’est point un visage à ne voir qu’en passant.

Un je ne sais quel charme auprès d’elle m’attache ;

Je ne la puis quitter que le jour ne se cache ;

Même alors, malgré moi, son image me suit,

Et me vient au lieu d’elle entretenir la nuit.

Le sommeil n’oserait me peindre une autre idée ;

J’en ai l’esprit rempli, j’en ai l’âme obsédée.

Théante, ou permets-moi de n’en plus approcher,

Ou songe que mon cœur n’est pas fait d’un rocher ;

Tant de charmes enfin me rendraient infidèle.

Théante
Deviens-le, si tu veux, je suis assuré d’elle ;

Et quand il te faudra tout de bon l’adorer,

Je prendrai du plaisir à te voir soupirer,

Tandis que pour tout fruit tu porteras la peine

D’avoir tant persisté dans une humeur si vaine.

Quand tu ne pourras plus te priver de la voir,

C’est alors que je veux t’en ôter le pouvoir ;

Et j’attends de pied ferme à reprendre ma place,

Qu’il ne soit plus en toi de retrouver ta glace.

Tu te défends encore, et n’en tiens qu’à demi.

Florame
Cruel, est-ce là donc me traiter en ami ?

Garde, pour châtiment de cet injuste outrage,

Qu’Amarante pour toi ne change de courage,

Et se rendant sensible à l’ardeur de mes vœux…

Théante
À cela près, poursuis ; gagne-la si tu peux.

Je ne m’en prendrai lors qu’à ma seule imprudence,

Et demeurant ensemble en bonne intelligence,

En dépit du malheur que j’aurai mérité,

J’aimerai le rival qui m’aura supplanté.

Florame
Ami, qu’il vaut bien mieux ne tomber point en peine

De faire à tes dépens cette épreuve incertaine !

Je me confesse pris, je quitte, j’ai perdu :

Que veux-tu plus de moi ? Reprends ce qui t’est dû.

Séparer plus longtemps une amour si parfaite !

Continuer encor la faute que j’ai faite !

Elle n’est que trop grande, et pour la réparer,

J’empêcherai Daphnis de vous plus séparer.

Pour peu qu’à mes discours je la trouve accessible,

Vous jouirez vous deux d’un entretien paisible ;

Je saurai l’amuser, et vos feux redoublés

Par son fâcheux abord ne seront plus troublés.

Théante
Ce serait prendre un soin qui n’est pas nécessaire.

Daphnis sait d’elle-même assez bien se distraire,

Et jamais son abord ne trouble nos plaisirs,

Tant elle est complaisante à nos chastes désirs.

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