Scène IV

Jason, Créuse, Cléone

Jason
Que ne vous dois-je point pour cette préférence,

Où mes désirs n’osaient porter mon espérance !

C’est bien me témoigner un amour infini,

De mépriser un roi pour un pauvre banni !

À toutes ses grandeurs préférer ma misère !

Tourner en ma faveur les volontés d’un père !

Garantir mes enfants d’un exil rigoureux !

Créuse
Qu’a pu faire de moindre un courage amoureux ?

La fortune a montré dedans votre naissance

Un trait de son envie, ou de son impuissance ;

Elle devait un sceptre au sang dont vous naissez,

Et sans lui vos vertus le méritaient assez.

L’amour, qui n’a pu voir une telle injustice,

Supplée à son défaut, ou punit sa malice,

Et vous donne, au plus fort de vos adversités,

Le sceptre que j’attends, et que vous méritez.

La gloire m’en demeure ; et les races futures,

Comptant notre hyménée entre vos aventures,

Vanteront à jamais mon amour généreux,

Qui d’un si grand héros rompt le sort malheureux.

Après tout, cependant, riez de ma faiblesse ;

Prête de posséder le phénix de la Grèce,

La fleur de nos guerriers, le sang de tant de dieux,

La robe de Médée a donné dans mes yeux ;

Mon caprice, à son lustre attachant mon envie,

Sans elle trouve à dire au bonheur de ma vie ;

C’est ce qu’ont prétendu mes desseins relevés,

Pour le prix des enfants que je vous ai sauvés.

Jason
Que ce prix est léger pour un si bon office !

Il y faut toutefois employer l’artifice :

Ma jalouse en fureur n’est pas femme à souffrir

Que ma main l’en dépouille afin de vous l’offrir ;

Des trésors dont son père épuise la Scythie,

C’est tout ce qu’elle a pris quand elle en est sortie.

Créuse
Qu’elle a fait un beau choix ! jamais éclat pareil

Ne sema dans la nuit les clartés du soleil ;

Les perles avec l’or confusément mêlées,

Mille pierres de prix sur ses bords étalées,

D’un mélange divin éblouissent les yeux ;

Jamais rien d’approchant ne se fit en ces lieux.

Pour moi, tout aussitôt que je l’en vis parée,

Je ne fis plus d’état de la toison dorée ;

Et dussiez-vous vous-même en être un peu jaloux,

J’en eus presques envie aussitôt que de vous.

Pour apaiser Médée et réparer sa perte,

L’épargne de mon père entièrement ouverte

Lui met à l’abandon tous les trésors du roi,

Pourvu que cette robe et Jason soient à moi.

Jason
N’en doutez point, ma reine, elle vous est acquise.

Je vais chercher Nérine, et par son entremise

Obtenir de Médée avec dextérité

Ce que refuserait son courage irrité.

Pour elle, vous savez que j’en fuis les approches,

J’aurais peine à souffrir l’orgueil de ses reproches ;

Et je me connais mal, ou dans notre entretien

Son courroux s’allumant allumerait le mien.

Je n’ai point un esprit complaisant à sa rage,

Jusques à supporter sans réplique un outrage ;

Et ce seraient pour moi d’éternels déplaisirs

De reculer par là l’effet de vos désirs.

Mais sans plus de discours, d’une maison voisine

Je vais prendre le temps que sortira Nérine.

Souffrez, pour avancer votre contentement,

Que malgré mon amour je vous quitte un moment.

Cléone
Madame, j’aperçois venir le roi d’Athènes.

Créuse
Allez donc, votre vue augmenterait ses peines.

Cléone
Souvenez-vous de l’air dont il le faut traiter.

Créuse
Ma bouche accortement saura s’en acquitter.

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