INTRODUCTION

Pendant les dix années qui suivirent son retour en Angleterre, après son voyage autour du Monde, Darwin se consacra surtout à la préparation de la série d’ouvrages qui furent publiés sous le titre général de Géologie du Voyage du Beagle. Le second volume de la série comprend les Observations géologiques sur les îles volcaniques, et les notes sur la géologie de l’Australie et du Cap de Bonne-Espérance, il parut en 1844. Les matériaux de ce volume ont été réunis en partie au commencement du voyage, lorsque le Beagle fit escale à San Thiago dans l’archipel du Cap-Vert, aux Rochers de Saint-Paul et à Fernando Noronha ; mais surtout durant la croisière de retour ; c’est alors que Darwin étudia les îles Galapagos, qu’il traversa l’archipel des îles Pomotou et visita Tahiti. Après avoir touché à la Baie des Îles dans la Nouvelle-Zélande, ainsi qu’à Sydney, à Hobart-Town et à King George’s Sound en Australie, le Beagle, traversant l’Océan Indien, fit voile vers le petit groupe des îles Keeling ou Cocos, célèbre par les observations qu’y a faites Darwin, et se dirigea ensuite vers l’île Maurice. Après une escale au Cap de Bonne-Espérance, le navire arriva successivement à Sainte-Hélène et à l’Ascension, et visita une seconde fois les îles du Cap-Vert avant de rentrer en Angleterre.

Le voyage pendant lequel Darwin eut l’occasion d’étudier tant de centres volcaniques intéressants, lui réservait au début une amère déception. Durant la dernière année de son séjour à Cambridge il avait lu le Personal Narrative de Humboldt et en avait extrait de longs passages relatifs à Ténériffe. Il avait recueilli un ensemble de renseignements en vue d’une exploration de cette île, lorsqu’on lui proposa d’accompagner le capitaine Fitzroy à bord du Beagle. Son ami Henslow lui avait conseillé, en le quittant, de se procurer le premier volume des Principes de Géologie qui venait de paraître, tout en le prémunissant contre les idées de l’auteur de cet ouvrage. Au commencement du voyage, Darwin, accablé par un violent mal de mer qui le confinait dans sa cabine, consacrait tous les instants de répit que lui laissait la maladie à étudier Humboldt et Lyell. On se figure sa déception, quand, au moment où le navire atteignait Santa-Cruz et où le Pic de Ténériffe apparaissait au milieu des nuages, on reçut la nouvelle que le choléra régnait dans l’île et empêchait tout débarquement.

Une ample compensation lui était réservée, cependant, quand le Beagle arriva à Porto-Praya dans l’île de San Thiago, la plus grande de l’archipel du Cap-Vert. Darwin y passa trois semaines dans des conditions favorables et c’est là qu’il commença, à proprement parler, son œuvre de géologue et de naturaliste. « Faire de la géologie dans une contrée volcanique, écrit-il à son père, est chose charmante ; outre l’intérêt qui s’attache à cette étude en elle-même, elle vous conduit dans les sites les plus beaux et les plus solitaires. Un amateur passionné d’histoire naturelle peut seul se représenter le plaisir qu’on éprouve à errer parmi les cocotiers, les bananiers, les caféiers et d’innombrables fleurs sauvages. Et cette île, qui a été pour moi si instructive et m’a prodigué tant de jouissances, est cependant l’endroit le moins intéressant, peut-être, de tous ceux que nous explorerons pendant notre voyage. Certes, elle est, en général, assez stérile, mais le contraste même fait apparaître les vallées admirablement belles. Il serait inutile de tenter la description de ce tableau ; aussi facile serait-il d’expliquer à un aveugle ce que sont les couleurs, que de faire comprendre à quiconque n’a jamais quitté l’Europe la différence frappante qui existe entre les paysages tropicaux et ceux de nos contrées. Chaque fois qu’une chose attire mon attention admirative, je la note soit dans mon journal (dont le volume augmente), soit dans mes lettres ; excusez mon enthousiasme mal traduit par des mots. Je constate que mes échantillons s’accroissent en nombre d’une manière étonnante, et je crois que je serai obligé d’en expédier, de Rio, une collection en Angleterre. »

Un passage remarquable de l’Autobiographie, écrite par Darwin en 1876, témoigne de l’impression ineffaçable que lui laissa cette première visite à une île volcanique. « La structure géologique de San Thiago est très frappante, quoique d’une grande simplicité. Une coulée de lave s’est étalée autrefois sur le fond de la mer, constitué par des débris de coraux et de coquilles récentes ; ces couches calcaires ont été soumises comme à une cuisson et transformées en une roche blanche et dure. L’île entière a été soulevée depuis cette époque, mais l’allure de la zone de roche blanche m’a révélé un fait nouveau et important : c’est qu’il s’est produit, plus tard, un affaissement autour des cratères qui avaient été en activité depuis le soulèvement. L’idée me vint alors, pour la première fois, que je pourrais peut-être écrire un livre sur la géologie des contrées que nous allions explorer, et cette pensée me fit tressaillir de joie. Ce fut pour moi une heure mémorable ; avec quelle netteté je me rappelle la petite falaise de lave sous laquelle je me tenais, le soleil éblouissant et torride, quelques plantes étranges du désert croissant aux alentours, et à mes pieds des coraux vivants, dans les lagunes inondées par la marée. »

Au moment de cette exploration, cinq années seulement s’étaient écoulées depuis l’époque où il suivait à Édimbourg les leçons du professeur Jameson, qui enseignait encore la doctrine Wernerienne. Darwin avait trouvé ces leçons « incroyablement ennuyeuses ». « Le seul effet qu’elles produisent sur moi, déclarait-il, c’est de me faire prendre la résolution de ne lire de ma vie un livre de géologie, ni d’étudier cette science de quelque manière que ce soit. »

Quel contraste avec les expressions dont il se sert en parlant de ses recherches géologiques, dans les lettres écrites à ses parents à bord du Beagle ! Après avoir fait allusion au plaisir qu’il éprouve à rassembler et à étudier les animaux marins, il s’écrie : « Mais la géologie l’emporte sur le reste ! » Dans une lettre à Henslow, il dit : « La géologie m’entraîne ; mais, comme l’intelligent animal placé entre deux bottes de foin, je ne sais à laquelle donner la préférence : étudierai-je les roches cristallines anciennes ou les couches moins cohérentes et plus fossilifères ? » Et, lorsque son long voyage va se terminer, il écrit encore : « Je trouve à la géologie un intérêt qui ne faiblit jamais ; et, comme on l’a dit déjà, elle nous inspire des idées aussi vastes sur notre monde que celles que l’astronomie nous suggère sur l’ensemble des mondes. » Darwin fait évidemment allusion ici à un passage de Sir John Herschel dans son admirable Introduction à l’étude de la philosophie naturelle, œuvre qui exerça une influence très profonde et très heureuse sur l’esprit du jeune naturaliste.

La prédilection marquée que professait Darwin, durant et après le célèbre voyage du Beagle, pour les études géologiques, ne peut laisser aucun doute ; comme il est facile aussi de reconnaître quelle est l’école géologique dont il suivait les doctrines et dont l’enseignement, malgré les avertissements de Sedgwick et de Henslow, le dominait tout entier. Il écrivit en 1876 : « La première contrée que j’ai étudiée, l’île de San Thiago dans l’archipel du Cap Vert, m’a démontré clairement la remarquable supériorité de Lyell, au point de vue géologique, sur tous les auteurs dont j’avais emporté les œuvres ou que j’ai étudiés depuis. » Et il ajoute : « La science géologique a contracté une grande dette envers Lyell, elle lui doit plus, je crois, qu’à personne au monde… Je suis fier de me rappeler que la première contrée dont j’étudiai la constitution géologique, San Thiago dans l’archipel du Cap Vert, m’a convaincu de la supériorité infinie des idées de Lyell sur celles que j’avais pu puiser dans tout autre livre que les siens. »

Les passages que j’ai cités montrent dans quel esprit Darwin commença ses études géologiques, et les pages qui suivent fourniront des preuves nombreuses de l’enthousiasme, de la pénétration et du soin avec lesquels ses recherches furent poursuivies.

Les collections de roches et de minéraux recueillies par Darwin furent, au cours même de son voyage, envoyées à Cambridge et confiées à son fidèle ami Henslow. À son retour en Angleterre, après avoir revu sa famille et ses amis, le premier soin de Darwin fut de commencer l’étude de ces matériaux. Vers la fin de 1836, il alla se fixer, pendant trois mois, dans un appartement de Fitzwilliam street à Cambridge : il se rapprochait ainsi d’Henslow et pouvait se livrer à l’examen des roches et des minéraux qu’il avait réunis. Il fut puissamment secondé dans cette étude par le professeur William Hallows Miller, l’éminent cristallographe et minéralogiste.

Darwin ne commença réellement à écrire son livre sur les îles volcaniques qu’en 1843, après s’être établi dans la maison qu’il habita le reste de sa vie, sa célèbre résidence de Down dans le Kent. Dans une lettre du 28 mars 1843 à son ami M. Fox, il dit : « J’avance très lentement dans la rédaction d’un livre, ou plutôt d’une brochure sur les îles volcaniques que nous avons explorées ; je n’y consacre qu’une couple d’heures chaque jour, et encore d’une manière assez peu régulière. C’est une besogne ingrate que d’écrire des livres dont la publication coûte de l’argent et que personne ne lit, pas même les géologues. »

Cette étude occupa Darwin pendant toute l’année 1843, et le livre fut publié au printemps de l’année suivante. D’après une note de son journal, le temps réellement consacré à la préparation de cet ouvrage s’étendit de l’été de 1842 jusqu’en janvier 1844. Lorsqu’il fut achevé, Darwin ne parut nullement satisfait du résultat obtenu. Il écrivait à Lyell : « Vous m’avez fait un grand plaisir en disant que vous aviez l’intention de parcourir mes Îles volcaniques ; ce livre m’a coûté dix-huit mois de travail ! Et à ma connaissance, rares sont les gens qui l’ont lu. Je sens cependant que le peu que renferme cet ouvrage, et c’est peu de chose en effet, aura son utilité en confirmant des hypothèses anciennes ou nouvelles, et que mon travail ne sera pas perdu. » Il écrivait à Sir Joseph Hooker : « Je viens de terminer un petit volume sur les îles volcaniques que nous avons explorées. J’ignore jusqu’à quel point la géologie pure et simple vous intéresse, mais j’espère que vous m’autoriserez à vous envoyer un exemplaire de mon ouvrage. »

Tout géologue sait combien ce livre de Darwin sur les îles volcaniques est intéressant et suggestif. La satisfaction médiocre qu’il semble inspirer à son auteur doit être probablement attribuée au contraste que Darwin sentait exister entre le souvenir des vives jouissances qu’il éprouvait lorsque, le marteau à la main, il errait dans des contrées nouvelles et intéressantes, et la tâche lente, laborieuse et moins conforme à ses goûts que lui imposaient la transcription et l’arrangement de ses notes sous forme de livre.

Lorsqu’en 1874 je décrivais les anciens volcans des îles Hébrides, j’eus fréquemment l’occasion de rappeler les observations de M. Darwin sur les volcans de l’Atlantique, pour expliquer les faits que nous montrent, dans nos propres îles, les restes de volcans anciens. Darwin, écrivant à son fidèle ami Sir Charles Lyell au sujet de mon travail, lui dit : « J’ai éprouvé une satisfaction bien vive en voyant citer mon livre sur les volcans, je le croyais mort et oublié. »

Deux ans plus tard, en 1876, on proposa à Darwin de publier une nouvelle édition des Observations sur les îles volcaniques et sur l’Amérique du Sud. Il hésita d’abord, car il lui semblait que ces ouvrages n’offraient plus actuellement qu’un intérêt médiocre ; il me consulta sur ce point au cours d’une des conversations que nous avions souvent ensemble à cette époque, et j’insistai fortement auprès de lui pour la réédition de ces livres. J’éprouvai une vive satisfaction lorsque, se rendant à mes instances, il consentit à ce qu’ils fussent publiés sans aucune modification du texte. Il écrit dans la préface de cette nouvelle édition : « Par suite des progrès récents de la géologie, mes idées sur quelques points pourront paraître un peu vieillies, mais j’ai cru préférable de les laisser telles qu’elles ont été publiées originairement. »

Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d’indiquer brièvement les principaux problèmes géologiques sur lesquels le livre de Darwin les Îles volcaniques a jeté une nouvelle et vive lumière. Le principal mérite de ces recherches est d’avoir fourni des observations qui, non seulement, présentent un haut intérêt scientifique, mais dont quelques-unes ont permis de faire rejeter des erreurs couramment admises ; d’appeler l’attention sur des phénomènes et des considérations qui avaient été complètement négligés par les géologues, mais qui ont exercé depuis lors une grande influence sur la genèse des théories géologiques ; et, enfin, de faire ressortir l’importance qui s’attache à des causes faibles et insignifiantes en apparence, mais dont quelques-unes donnent la clef de problèmes géologiques du plus haut intérêt.

En visitant des contrées où von Buch et d’autres géologues avaient cru trouver la preuve de la théorie des « cratères de soulèvement », Darwin fut amené à démontrer que les faits pouvaient recevoir une interprétation tout à fait différente. Les idées émises d’abord par le célèbre géologue et explorateur allemand, et presque universellement admises par ses compatriotes, avaient été soutenues par Élie de Beaumont et par Dufrénoy, les chefs du mouvement géologique en France. Elles étaient pourtant vigoureusement combattues par Scrope et par Lyell en Angleterre, et par Constant Prévost et Virlet de l’autre côté de la Manche. Dans cet ouvrage, Darwin nous montre sur quelles faibles bases repose cette théorie d’après laquelle les grands cratères circulaires des îles de l’Atlantique devraient leur origine à des ampoules gigantesques de la croûte terrestre, qui, en crevant à leur sommet, auraient donné naissance aux cratères. Reconnaissant l’influence que l’injection de la lave exerce sur la structure des cônes volcaniques, en accroissant leur masse et leur hauteur, il montre qu’en général les volcans sont édifiés par des éjaculations répétées qui amènent une accumulation de matières éruptives autour de l’orifice.

Cependant, quoiqu’il arrivât aux mêmes vues générales que Scrope et que Lyell sur l’origine des cratères volcaniques ordinaires, Darwin vit clairement que, dans certains cas, de grands cratères peuvent s’être formés ou s’être agrandis par l’affaissement du plancher, à la suite d’éruptions. L’importance de ce facteur auquel les géologues avaient accordé trop peu d’attention, a été montrée récemment par le professeur Dana dans son admirable ouvrage sur le Kilauea et d’autres grands volcans de l’archipel hawaïen.

L’affaissement qui se produit autour d’un centre volcanique, et qui détermine le plongement des couches environnantes, a été mis en lumière pour la première fois par Darwin, comme résultat de son premier travail sur les îles du Cap-Vert. Des exemples frappants du même fait ont été signalés depuis en Islande par M. Robert et par d’autres, dans la Nouvelle-Zélande par M. Heaphy, et dans les îles occidentales de l’Ecosse par moi-même.

À diverses reprises, Darwin appela l’attention des géologues sur le fait que les orifices volcaniques présentent entre eux des relations qu’on ne saurait expliquer sans admettre l’existence, dans la croûte terrestre, de lignes de fracture le long desquelles les laves se sont frayé un chemin vers la surface. Mais en même temps il vit clairement qu’il n’existait pas de preuves du passage de grands torrents de laves le long de ces fractures ; il montra comment les plateaux les plus remarquables, formés de nappes de laves successives, peuvent avoir été construits par des émissions répétées et modérées, émanant d’orifices volcaniques nombreux, distincts les uns des autres. Il insiste expressément sur la rapidité avec laquelle la dénudation peut faire disparaître les cônes de cendres formés autour des orifices d’éjaculation, et les traces d’émissions successives de laves.

L’un des chapitres les plus remarquables du livre est celui où l’auteur traite des effets de la dénudation déterminant l’érosion de l’appareil volcanique, au point de ne plus laisser subsister que des épaves ou tronçons ruinés de volcans. Il a eu l’occasion d’étudier une série de cas permettant de suivre toutes les gradations des formes volcaniques, depuis les cônes complets jusqu’aux masses bouchant les cratères, où elles s’étaient solidifiées. Les observations de Darwin sur ce sujet ont été de la plus haute valeur et du plus grand secours pour tous ceux qui se sont efforcés d’étudier les effets de l’action volcanique pendant les périodes anciennes de l’histoire de la terre.

Comme Lyell, Darwin était fermement convaincu de la continuité des actions géologiques, et c’était toujours avec une vive satisfaction qu’il constatait que les phénomènes du passé pouvaient s’interpréter par des causes actuelles. Au moment où Lyell se livrait, quelques mois avant sa mort, à ses derniers travaux géologiques sur les environs de sa résidence dans le Forfarshire, il écrivit à Darwin : « Toutes mes recherches ont confirmé ma conviction que la seule différence entre les roches volcaniques paléozoïques et récentes se réduit aux modifications qui ont dû se produire en raison de l’immense période de temps pendant laquelle les produits des volcans les plus anciens ont été soumis à des transformations chimiques. »

Lorsqu’après avoir achevé ses études sur les phénomènes volcaniques, Darwin entreprit l’examen des grandes masses granitiques des Andes, il fut vivement frappé des relations qui unissent les roches dites plutoniques et les roches d’origine incontestablement volcanique. On doit dire à ce sujet que les circonstances mêmes dans lesquelles se fit la croisière du Beagle furent très favorables à Darwin dans ses études sur les roches éruptives. Après avoir observé des types nettement caractérisés de la série récente, il alla étudier dans l’Amérique du Sud de remarquables gisements de masses ignées anciennes très cristallines et, dans le voyage de retour, il put revoir les roches volcaniques récentes, raviver ainsi ses premières impressions et établir des relations entre ces deux types lithologiques.

Il exposa quelques-unes des considérations générales que ces observations lui avaient suggérées, dans un travail qu’il lut à la Société Géologique le 17 mars 1838, et qui portait comme titre : Du rapport de certains phénomènes volcaniques, de la formation des chaînes de montagnes, et des effets des soulèvements continentaux. La relation entre ces deux ordres de faits est discutée d’une manière plus approfondie dans son livre sur la géologie de l’Amérique du Sud.

Les preuves d’un soulèvement récent constatées sur les côtes d’un grand nombre d’îles volcaniques amenèrent Darwin à conclure qu’en général les aires volcaniques sont des régions de soulèvement ; et il fut conduit, naturellement, à les opposer aux aires dans lesquelles, comme il le montra, la présence d’atolls, de récifs frangeants et de récifs-barrières, offre les preuves d’un affaissement. Il parvint de cette manière à dresser une carte des aires océaniques, les répartissant en zones soumises à des mouvements de soulèvement ou d’affaissement. Ses conclusions à cet égard étaient aussi neuves que suggestives.

Darwin reconnut très clairement le fait que la plupart des îles océaniques semblent être d’origine volcanique, quoiqu’il prît soin de signaler les exceptions importantes qui infirment, dans une certaine mesure, la généralisation de cette règle. Dans son Origine des espèces il a développé l’idée et émis la théorie de la permanence des bassins océaniques, que d’autres auteurs ont adoptée après lui et ont étendue plus loin, pensons-nous, que Darwin n’avait cru devoir le faire. Sa prudence sur ce point et sur les questions spéculatives du même genre était bien connue de tous ceux qui avaient l’habitude de les discuter avec lui.

Quelques années avant le voyage du Beagle, M. Poulett Scrope avait signalé les analogies remarquables qui existent entre certaines roches ignées à structure rubanée, telles qu’on en rencontre aux îles Ponces, et les schistes cristallins feuilletés. Il ne semble pas que Darwin ait eu connaissance du remarquable mémoire de Scrope, mais il appela l’attention, d’une manière toute spontanée, sur les mêmes phénomènes lorsqu’il entreprit l’étude de roches fort analogues qu’on observe à l’île de l’Ascension. Comme il venait d’étudier les grandes masses de schistes cristallins du continent Sud-Américain, il fut frappé du fait que les roches incontestablement ignées de l’Ascension offrent une répartition identique des minéraux constitutifs, le long de « feuillets » parallèles. Ces observations conduisirent Darwin à la même conclusion que celle à laquelle Scrope était arrivé quelque temps auparavant, c’est-à-dire que, lorsque la cristallisation s’opère dans des masses rocheuses soumises à des forces déformatrices très puissantes, il se produit une séparation et une distribution des minéraux constitutifs, suivant des plans parallèles. On a reconnu pleinement aujourd’hui que ce processus doit avoir été un facteur important dans la formation des roches métamorphiques, que les auteurs récents désignent sous le nom de dynamo-métamorphisme.

Dans l’étude de ce problème et d’un grand nombre d’autres analogues, exigeant des connaissances minéralogiques très exactes, il est remarquable de voir à quel point Darwin réussissait à découvrir la vérité au sujet des roches qu’il étudiait, à l’aide seulement d’un canif, d’une simple loupe, de quelques essais chimiques et du chalumeau. Depuis Darwin l’étude des roches en sections minces sous le microscope a été inventée, et est aujourd’hui du plus grand secours dans toutes les recherches pétrographiques. Plusieurs des îles étudiées par Darwin ont été explorées à nouveau, et des échantillons de leurs roches ont été recueillis pendant le voyage du navire de la Marine Royale le Challenger. Les résultats de l’étude qu’en a faite un des maîtres de la microscopie des roches, le Professeur Renard, de Bruxelles, ont été publiés récemment dans un des volumes des Rapports sur l’Expédition du Challenger. Il est intéressant de constater que, tandis que ces recherches récentes ont enrichi la science géologique d’un grand nombre de faits nouveaux et précieux, et que des changements nombreux ont été apportés à la nomenclature et à d’autres points de détail, tous les faits principaux décrits par Darwin et par son ami le professeur Miller ont résisté à l’épreuve du temps et d’une étude plus approfondie, et demeurent comme un monument de la sagacité et de la justesse d’observation de ces pionniers des recherches géologiques.

JOHN W. JUDD.

OBSERVATIONS GÉOLOGIQUES SUR LES ÎLES VOLCANIQUES

CHAPITRE PREMIER

SAN THIAGO, ARCHIPEL DU CAP VERT

Roches des assises inférieures. – Dépôt sédimentaire calcareux avec coquilles récentes métamorphisé au contact de laves surincombantes ; allure horizontale et étendue en surface de ces couches. – Roches volcaniques postérieures associées à une matière calcaire terreuse et fibreuse, et fréquemment renfermée dans les vacuoles des scories. – Anciens orifices d’éruption oblitérés, de petite dimension. – Difficulté que présente la détermination de coulées de laves récentes sur une plaine unie. – Collines de l’intérieur de l’île, constituées par des roches volcaniques plus anciennes. – Grandes masses d’olivine décomposée. – Roches feldspathiques situées sous les couches de basalte cristallin. – Uniformité de structure et d’aspect des collines volcaniques les plus anciennes. – Forme des vallées voisines de la côte. – Conglomérat en voie de formation sur la plage.

L’île de San Thiago s’étend du N.-N.-W. au S.-S.-E. sur une longueur de trente milles et une largeur de douze milles environ. Les observations auxquelles je me suis livré pendant mes deux visites à cette île ont toutes été faites dans sa partie méridionale et dans un rayon de quelques lieues seulement autour de Porto-Praya. – Vue de la mer, la contrée offre une configuration variée : des collines coniques à pentes douces, de couleur rougeâtre (telle que la colline désignée sous le nom de Red Hill et représentée dans la figure intercalée dans le texte) et d’autres collines moins régulières, d’une couleur noirâtre et à sommet plat (marquées A, B, C, dans la même figure), s’élèvent au-dessus de plaines de lave qui s’étagent en gradins successifs. On aperçoit dans le lointain une chaîne de montagnes, hautes de plusieurs milliers de pieds, qui traverse l’intérieur de l’île. Il n’y a pas de volcan actif à San Thiago, et il n’en existe qu’un seul dans tout l’archipel, celui de Fogo. L’île n’a été éprouvée par aucun tremblement de terre violent depuis qu’elle est habitée.

[Illustration : FIG. I. – Vue d’une partie de San Thiago, l’une des îles du Cap Vert.]

Les roches inférieures que l’on voit sur la côte près de Porto-Praya sont très cristallines et fort compactes ; elles semblent appartenir à des masses volcaniques anciennes et d’origine sous-marine. Fréquemment elles sont recouvertes, en stratification discordante, par un dépôt calcaire irrégulier, d’une faible épaisseur, où abondent des coquilles appartenant à une des dernières périodes de l’ère tertiaire ; ce dépôt est recouvert, à son tour, par une grande nappe de lave basaltique, qui, partie du centre de l’île, s’est répandue en coulées successives entre les collines à sommet plat marquées A, B, C, etc. Des coulées plus récentes ont été éjaculées par les cônes disséminés dans l’île, tels que Red Hill et Signal-Post Hill. Les couches supérieures des collines à sommet plat présentent, au point de vue de la constitution minéralogique et à d’autres égards encore, un rapport intime avec les assises inférieures des couches de la côte, qui semblent former avec elles une masse continue.

Description minéralogique des roches formant les assises inférieures. – Le caractère de ces roches est extrêmement variable. Elles sont formées d’une masse fondamentale basaltique compacte, noire, brune ou grise, renfermant de nombreux cristaux d’augite, de hornblende, d’olivine, de mica, et parfois du feldspath vitreux. On rencontre fréquemment une variété presque entièrement composée de cristaux d’augite et d’olivine. On sait que le mica se présente rarement là où l’augite abonde, et vraisemblablement la roche qui nous occupe n’offre pas une exception manifeste à cette règle, car le mica y est arrondi aussi parfaitement qu’un caillou dans un conglomérat (tout au moins dans le plus caractéristique de mes spécimens, où l’on voit un nodule de mica long d’un demi-pouce) ; il n’a évidemment pas cristallisé dans la pâte qui le renferme aujourd’hui, mais il doit avoir été formé par la fusion d’une roche plus ancienne. Ces laves compactes alternent avec des tufs, des roches amygdaloïdes et des wackes, et, à certains endroits, avec des conglomérats grossiers. Parmi les wackes argileuses, les unes sont vert foncé, d’autre vert jaunâtre pâle, d autres enfin presque blanches. Je constatai avec étonnement qu’un certain nombre de ces dernières roches, même les plus blanches, fondaient en un émail noir de jais, tandis que plusieurs échantillons des variétés vertes ne donnaient qu’un globule gris pâle. De nombreux dikes formés essentiellement de roches augitiques très compactes et de variétés amygdaloïdes grises coupent les couches ; en divers endroits celles-ci ont été violemment disloquées et fortement redressées. Une ligne de dislocation coupe l’extrémité septentrionale de Quailland, îlot de la baie de Porto-Praya, et on peut le suivre jusqu’à l’île principale. Ces dislocations se sont produites avant le dépôt de la couche sédimentaire récente, et la surface de l’île a subi, antérieurement à ce dépôt, une dénudation importante, comme l’attestent de nombreux dikes tronqués.

Description du dépôt calcaire qui recouvre les roches volcaniques dont il vient d’être question. – Cette couche peut être facilement reconnue à cause de sa couleur blanche et de l’extrême régularité avec laquelle elle s’étend le long de la côte, sur une ligne horizontale pendant plusieurs milles. Sa hauteur moyenne au-dessus de la mer, mesurée depuis sa ligne de contact avec les laves basaltiques qui la recouvrent, est de 60 pieds environ ; et son épaisseur, fort variable à cause des inégalités de la formation sur laquelle elle repose, peut être évaluée à environ 20 pieds. Cette couche est formée d’une substance calcaire parfaitement blanche, constituée en partie par des débris organiques et en partie par une substance que l’on pourrait comparer, pour l’aspect, à du mortier. Des fragments de roches et des cailloux sont disséminés dans toute cette couche, et se réunissent souvent en conglomérat, surtout vers la base. Un grand nombre de ces fragments sont comme badigeonnés d’une couche peu épaisse de matière calcareuse blanchâtre. À Quail-island, la partie inférieure du dépôt calcaire est remplacée par un tuf terreux tendre, de couleur brune, plein de turritelles, et qui est surmonté d’un lit de cailloux passant au grès et contenant des fragments d’échinides, des pinces de crabes et des coquilles ; les coquilles d’huîtres adhèrent encore aux roches sur lesquelles elles vivaient. Le dépôt renferme un grand nombre de sphérules blanches ressemblant à des concrétions pisolitiques, et dont la grosseur varie de celle d’une noix à celle d’une pomme ; elles renferment ordinairement un petit caillou en leur centre. Je me suis assuré par un examen minutieux que ces soi-disant concrétions étaient des nullipores conservant leur forme propre, mais dont la surface était légèrement usée par le frottement ; ces corps (considérés généralement aujourd’hui comme des végétaux) n’offrent aucune trace d’organisation intérieure, quand on les étudie sous un microscope de puissance moyenne. M. Georges R. Sowerby a bien voulu examiner les coquilles que j’ai rassemblées ; elles appartiennent à quatorze espèces, dont les caractères sont assez bien conservés pour qu’il soit possible de les déterminer avec un degré de certitude suffisant, et à quatre espèces dont on ne peut établir que le genre. Parmi les quatorze mollusques dont la liste se trouve à l’appendice, onze appartiennent à des espèces récentes ; un, non encore décrit, pourrait être identique à une espèce vivante que j’ai trouvée dans le port de Porto-Praya ; les deux autres espèces sont nouvelles et ont été décrites par M. Sowerby. Les connaissances que nous possédons sur les mollusques de cet archipel et des côtes voisines ne sont pas encore assez complètes pour nous permettre d’affirmer que ces coquilles, même les deux dernières, appartiennent à des espèces éteintes. Parmi ces coquilles, celles qui se rapportent incontestablement à des espèces vivantes ne sont pas nombreuses, mais elles suffisent cependant pour démontrer que le dépôt appartient à une période tertiaire récente. Les caractères minéralogiques de la formation, le nombre et les dimensions des fragments qu’elle renferme, et l’abondance des patelles et des autres coquilles littorales, démontrent que tout l’ensemble s’est accumulé dans une mer peu profonde, près d’un ancien rivage.

Effets produits par la coulée de lave basaltique qui s’est répandue sur le dépôt calcaire. – Ces effets sont très remarquables. Cette matière calcareuse est modifiée jusqu’à une profondeur d’environ un pied sous la ligne de contact, et on peut suivre le passage, tout à fait insensible, de petits fragments de coquilles, de corallines et de nullipores à peine agrégés, jusqu’à une roche, où l’on ne peut trouver aucune trace d’une origine mécanique, même au microscope. Aux points où les modifications métamorphiques ont été les plus intenses, on observe deux variétés de roches. La première variété est dure et compacte, finement grenue et blanche, sillonnée par quelques lignes parallèles formées de particules volcaniques noirâtres ; cette roche ressemble à un grès, mais un examen plus minutieux montre qu’elle est complètement cristalline, avec des faces de clivage si parfaites qu’on peut les mesurer facilement au goniomètre à réflexion. Si, après les avoir mouillés, on examine, à l’aide d’une forte loupe, les échantillons qui ont subi un métamorphisme moins complet, on peut constater une transformation graduelle très intéressante ; quelques-unes des particules arrondies qui les constituent conservent leur forme propre, tandis que d’autres se fusionnent insensiblement dans la masse granulo-cristalline. Les surfaces décomposées de cette roche revêtent une couleur rouge-brique, comme c’est souvent le cas pour les calcaires ordinaires.

La seconde variété métamorphique est, de même, une roche dure mais sans trace de structure cristalline. C’est une pierre calcaire blanche, opaque et compacte, fortement mouchetée de taches, irrégulièrement arrondies, d’une matière terreuse, ocreuse et tendre. Cette matière terreuse présente une couleur brun-jaunâtre pâle, et paraît être un mélange de fer et de carbonate de chaux ; elle fait effervescence avec les acides, elle est infusible mais noircit au chalumeau et devient magnétique. La forme arrondie des petites taches de substance terreuse, ainsi que les diverses étapes qu’on peut constater jusqu’à leur isolement parfait, et qu’on peut suivre en examinant une série d’échantillons, montrent clairement qu’elles ont été formées, soit par l’attraction des particules terreuses entre elles, soit plus vraisemblablement par une attraction réciproque des atomes de carbonate de chaux amenant alors la ségrégation de ces impuretés terreuses étrangères. Ce fait m’a vivement intéressé, car j’avais observé souvent des roches quartzeuses (par exemple aux îles Falkland, et dans les couches siluriennes inférieures des Stiper-Stones dans le Shropshire) mouchetées, d’une manière précisément analogue, par de petites taches d’une substance terreuse blanchâtre (feldspath terreux ?) ; on avait déjà toutes raisons de croire alors que ces roches avaient été modifiées ainsi sous l’action de la chaleur, et cette hypothèse reçoit maintenant sa confirmation. Cette texture tachetée pourrait fournir peut-être quelques indications pour distinguer les roches quartzeuses, qui doivent leur structure actuelle à une action ignée, de celles formées par voie purement aqueuse ; distinction qui doit avoir fait hésiter bien des géologues dans l’étude des régions arénacéo-quartzeuses, si j’en juge par ma propre expérience.

En s’épanchant sur les sédiments étalés au fond de la mer, les parties inférieures et les plus scoriacées de la lave ont empâté une grande quantité de matière calcaire, qui forme maintenant la pâte très cristalline et blanche comme neige, d’une brèche renfermant de petits fragments de scories noires et brillantes. Un peu au-dessus de cette couche, là où le calcaire est moins abondant et la lave plus compacte, les interstices de la masse de lave sont remplis d’un grand nombre de petites sphères, formées de spicules de calcaire spathique, qui rayonnent autour d’un centre commun. Dans une certaine partie de Quail-island, où les laves surincombantes n’ont pas plus de 14 pieds d’épaisseur, le calcaire a pu cristalliser sous l’influence de la chaleur dégagée par ces matières éruptives ; on ne peut pas admettre que cette faible couche de lave ait été plus épaisse à l’origine, et que son épaisseur ait été réduite par une érosion postérieure, l’état celluleux de sa surface nous le montre. J’ai déjà fait observer que la mer où le dépôt calcaire s’est opéré devait être peu profonde ; le dégagement de l’anhydride carbonique a donc été entravé par une pression de loin inférieure à celle, équivalant à une colonne d’eau haute de 1.708 pieds, que Sir James Hall considérait comme nécessaire pour empêcher ce dégagement. Depuis l’époque de ses expériences on a découvert que c’est moins la pression que la nature de l’atmosphère ambiante qui intervient pour retenir l’acide carbonique gazeux. Ainsi, il résulte d’expériences de M. Faraday que des masses importantes de calcaire se fondent quelquefois et cristallisent, même dans des fours à chaux ordinaires. Suivant M. Faraday, le carbonate de chaux peut être chauffé, pour ainsi dire, à toute température dans une atmosphère d’acide carbonique, sans se décomposer ; et Gay-Lussac a montré que des fragments de calcaire, chauffés dans un tube à une température insuffisante par elle-même pour provoquer leur décomposition, dégageaient cependant l’acide carbonique dès qu’on faisait passer au travers du tube un courant d’air ou de vapeur d’eau : Gay-Lussac attribue ce phénomène au déplacement de l’acide carbonique naissant. La matière calcaire, qui se trouve sous la lave, surtout celle qui forme les aiguilles cristallines renfermées dans les vacuoles des scories, ne peut pas avoir subi l’action du passage d’un courant gazeux, quoiqu’elle ait été chauffée dans une atmosphère contenant vraisemblablement une très forte proportion de vapeur d’eau. Peut-être est-ce pour cette raison qu’elle a conservé son acide carbonique sous cette pression relativement faible.

Les fragments de scories renfermés dans la pâte calcaire cristalline sont d’un noir de jais, à cassure brillante comme celle de la rétinite. Cependant leur surface est recouverte d’une couche d’une substance translucide orange-rougeâtre, que l’on peut gratter facilement au canif ; ces fragments apparaissent alors comme s’ils étaient recouverts d’une couche mince de matière résineuse. Les plus petits d’entre eux présentent des parties complètement transformées en cette substance ; transformation qui semble tout à fait différente d’une décomposition ordinaire. Nous verrons dans un autre chapitre qu’à l’archipel des Galapagos de grandes couches de cendres volcaniques, avec particules scoriacées, ont subi une transformation à peu près identique.

Extension et horizontalité du dépôt calcaire. – La limite supérieure du dépôt calcaire, si nettement marquée à cause de la couleur blanche de cette roche, et si voisine de l’horizontale, court le long de la côte sur une distance de plusieurs milles, à l’altitude de 60 pieds environ au-dessus du niveau de la mer. La nappe de basalte qui la recouvre présente une épaisseur moyenne de 80 pieds. À l’ouest de Porto-Praya, au-delà de Red Hill, la couche blanche avec le basalte qui la surmonte, sont recouverts par des coulées plus récentes. J’ai pu la suivre de l’œil, au nord de Signal-Post Hill, s’étendant au loin sur une distance de plusieurs milles, le long des falaises de la côte. Mes observations ont porté sur une étendue d’environ 7 milles le long de la côte, mais la régularité de cette couche me porterait à croire qu’elle s’étend beaucoup plus loin. Dans des ravins perpendiculaires à la côte, on la voit plonger doucement vers la mer, probablement suivant l’inclinaison qu’elle présentait lors de son dépôt sur les anciens rivages de l’île. Je n’ai trouvé dans l’intérieur de l’île qu’une seule coupe où cette couche fût visible, à la hauteur de quelques centaines de pieds, c’est à la base de la colline marquée A ; elle y repose, comme d’habitude, sur la roche augitique compacte associée avec de la wacke, et elle y est recouverte par la grande nappe de lave basaltique récente. En certains points cependant cette couche blanche ne conserve pas son horizontalité ; à Quail-island sa surface supérieure ne s’élève qu’à 40 pieds au-dessus du niveau de la mer ; ici également la nappe de lave qui la recouvre n’a que 12 à 15 pieds d’épaisseur ; d’autre part, au nord-est du port de Porto-Praya, la couche calcaire ainsi que la roche sur laquelle elle repose atteignent une hauteur supérieure au niveau moyen. Je crois que dans ces deux cas la différence de niveau ne provient pas d’un exhaussement inégal, mais de l’irrégularité primitive du fond de la mer. Ce fait peut être démontré à Quail-island, car le dépôt calcaire y offre en un certain point une épaisseur de beaucoup supérieure à la moyenne, alors qu’en d’autres points cette roche ne se montre pas ; dans ce dernier cas les laves basaltiques récentes reposent directement sur les laves plus anciennes.

[Illustration : FIG. 2. – Signal-Post Hill ; – A. Roches volcaniques anciennes ; – B. Dépôt calcareux ; – C. Lave basaltique supérieure.]

Sous Signal-Post Hill la couche blanche plonge dans la mer d’une manière bien intéressante. Cette colline est conique, haute de 450 pieds, et offre encore quelques traces de structure cratériforme ; elle est constituée en majeure partie de matières éruptives émises postérieurement au soulèvement de la grande plaine basaltique, mais en partie aussi de laves très anciennes, probablement de formation sous-marine. La plaine environnante et le flanc oriental de la colline ont été découpés par l’érosion en falaises escarpées surplombant la mer. La couche calcaire blanche est visible dans ces ravinements à la hauteur de 70 pieds environ au-dessus du rivage, et s’étend au nord et au sud de la colline, sur une longueur de plusieurs milles, en dessinant une ligne qui paraît parfaitement horizontale ; mais, au-dessous de la colline, elle plonge dans la mer et disparaît sur une longueur d’environ un quart de mille. Le plongement est graduel du côté du sud, et plus brusque du côté du nord, comme le montre la figure. Ni la couche calcaire ni la lave basaltique surincombante (pour autant qu’on puisse distinguer cette dernière des coulées plus récentes) n’augmentent d’épaisseur à mesure qu’elles plongent ; j’en conclus que ces couches n’ont pas été originairement accumulées dans une dépression dont le centre serait devenu plus tard un point d’éruption, mais qu’elles ont été dérangées et ployées postérieurement à leur dépôt. Nous pouvons supposer, ou bien que Signal-Post Hill, après son soulèvement, s’est abaissé avec la région environnante, ou bien qu’il n’a jamais été soulevé à la même hauteur qu’elle. Cette dernière hypothèse me paraît la plus vraisemblable, car, durant le soulèvement lent et uniforme de cette partie de l’île, l’énergie souterraine, affaiblie par des éruptions répétées de matières volcaniques émises au-dessous de ce point, devait nécessairement conserver moins de puissance pour le soulever. Un fait analogue semble s’être produit près de Red Hill, car, en remontant les coulées de lave qui affleurent, des environs de Porto-Praya vers l’intérieur de l’île, j’ai été amené à supposer que la pente de la région a été légèrement modifiée depuis que la lave y a coulé, soit qu’il y ait eu un léger affaissement près de Red Hill, soit que cette partie de la plaine ait été portée à une hauteur moins considérable que le reste de la contrée, lors du soulèvement général.

Lave basaltique qui surmonte le dépôt calcaire. – Cette lave, d’un gris pâle, est fusible en un émail noir ; sa cassure est terreuse et concrétionnée, elle contient de petits grains d’olivine. Les parties centrales de la masse sont compactes, ou parsemées tout au plus de quelques petites cavités, et elles sont souvent colonnaires. Cette structure se présente d’une manière saillante à Quail-island où la lave a été divisée, d’une part, en lamelles horizontales et, d’autre part, découpée par des fissures verticales en plaques pentagonales ; celles-ci étant à leur tour empilées les unes sur les autres, se sont insensiblement soudées, de manière à former de belles colonnes symétriques. La surface inférieure de la lave est vésiculaire, mais parfois sur une épaisseur de quelques pouces seulement ; la surface supérieure, qui est également vésiculaire, est divisée en sphères formées de couches concentriques, et dont le diamètre atteint souvent 3 pieds. La masse est formée de plus d’une coulée ; son épaisseur totale étant, en moyenne, de 80 pieds. La partie inférieure s’est certainement étalée en coulées sous-marines, et il en est probablement de même pour la partie supérieure. Cette lave provient en majeure partie des régions centrales de l’île, comprises entre les collines marquées A, B, C, etc., dans la figure. La surface de la contrée est unie et stérile près de la côte ; le pays s’élève vers l’intérieur par des terrasses successives ; lorsqu’on les observe de loin, on en distingue nettement quatre superposées.

Éruptions volcaniques postérieures au soulèvement de la côte ; matières éruptives associées avec du calcaire terreux. – Ces laves récentes proviennent des collines coniques à teinte brun-rouge, disséminées dans l’île et qui s’élèvent brusquement dans la plaine près de la côte. J’en ai gravi plusieurs, mais je n’en décrirai qu’une seule, Red Hill, qui peut servir de type pour ce groupe et dont certaines particularités sont remarquables. Sa hauteur est de 600 pieds environ ; elle est constituée par des roches de nature basaltique, très scoriacées et d’un rouge vif ; elle présente sur l’un des côtés de son sommet une cavité qui est probablement le dernier vestige d’un cratère. Plusieurs autres collines de la même catégorie sont, à en juger par leur forme extérieure, surmontées de cratères beaucoup mieux conservés. Lorsqu’on longe la côte par mer, on voit clairement qu’une masse considérable de lave, partie de Red Hill, s’est écoulée dans la mer en passant au-dessus d’une ligne de rochers haute d’environ 120 pieds. Cette ligne de rochers constitue le prolongement de celle qui forme la côte et qui borne la plaine de deux côtés de la colline ; ces coulées ont donc été émises par Red Hill postérieurement à la formation des rochers de la côte, et à une époque où la colline se trouvait, comme aujourd’hui, au-dessus du niveau de la mer. Cette conclusion concorde avec la nature très scoriacée de toutes les roches de Red Hill, qui semblent être de formation subaérienne ; et ce fait est important, car il existe près du sommet quelques bancs d’une matière calcaire, qu’à première vue on pourrait prendre à tort pour un dépôt sous-marin. Ces bancs sont formés de carbonate de chaux, blanc, terreux, et tellement friable qu’il s’écrase sous le moindre effort, les spécimens les plus compacts même ne résistant pas à la pression des doigts. Quelques-unes de ces masses sont blanches comme la chaux vive, et paraissent absolument pures, mais on peut toujours y découvrir à la loupe de petites particules de scories, et je n’ai pu en trouver une seule qui ne laissât pas de résidu de cette nature quand on la dissolvait dans les acides. Il est difficile, pour cette raison, de découvrir une particule de calcaire qui ne change pas de couleur au chalumeau ; la plupart d’entre elles s’y vitrifient même. Les fragments scoriacés et la matière calcaire sont associés de la manière la plus irrégulière, parfois en lits peu distincts, mais plus fréquemment en une brèche confuse, où le calcaire prédomine d’un côté et les scories de l’autre. Sir H. De La Beche a bien voulu faire analyser quelques-uns des spécimens les plus purs, dans le but de découvrir si, en raison de leur origine volcanique, ils contenaient beaucoup de magnésie ; mais on n’en a décelé qu’une faible quantité, analogue à celle qui existe dans la plupart des calcaires.

Quand on brise les fragments de scories engagés dans la masse calcaire, on voit qu’un grand nombre de leurs vacuoles sont tapissées et même partiellement remplies d’un réseau de carbonate de chaux, blanc, délicat, excessivement fragile et semblable à de la mousse, ou plutôt à des conferves. Ces fibres, observées à l’aide d’une loupe dont la distance focale est d’un dixième de pouce, se montrent cylindriques ; leur diamètre est légèrement supérieur à un millième de pouce ; elles sont ou simplement ramifiées, ou plus communément unies en un réseau formant une masse irrégulière, à mailles de dimension et de forme très variables. Quelques fibres sont recouvertes d’une couche épaisse de spicules extrêmement fins, parfois agrégés en houppes minuscules, ce qui leur donne un aspect velu. Ces spicules ont un diamètre uniforme sur toute leur longueur ; ils se détachent facilement, de sorte que le porte-objet du microscope en est bientôt recouvert. Le calcaire offre cette structure fibreuse dans les vacuoles d’un grand nombre de fragments des scories, mais généralement à un degré moins parfait. Ces vacuoles ne semblent pas être reliées l’une à l’autre. Il n’est pas douteux, comme nous allons le montrer, que le calcaire ait été éjaculé à l’état fluide, intimement mélangé à la lave, et c’est pour cette raison que j’ai cru devoir m’arrêter à décrire cette curieuse structure fibreuse, dont je ne connais aucun analogue. À cause de la nature terreuse des fibres, cette structure ne semble pas pouvoir être attribuée à la cristallisation.

D’autres fragments de la roche scoriacée de cette colline, quand on les brise, se montrent rayés de traits blancs, courts et irréguliers, qui proviennent d’une rangée de vacuoles séparées, entièrement ou partiellement remplies d’une poudre calcareuse blanche. Cette structure m’a rappelé immédiatement les petites boules et les filaments étirés de farine, dans une pâte mal pétrie, avec laquelle ils ne se sont pas mélangés, et je suis porté à penser que, de la même manière, de petites masses de calcaire n’ayant pas été incorporées dans la lave liquide, ont été étirées, lorsque toute la masse était en mouvement. J’ai examiné soigneusement, en les broyant et en les dissolvant dans les acides, des fragments de scories prises à moins d’un demi-pouce de cellules qui étaient pleines de la poussière en question, et je n’y ai pas trouvé de traces de calcaire. Il est clair que la lave et le calcaire n’ont été que très imparfaitement mélangés. Lorsque de petites masses de calcaire ont été empâtées dans la lave encore visqueuse, où on les observe comme une matière pulvérulente, ou en fibres réticulées tapissant les vacuoles, je suis porté à penser que les gaz absorbés ont pu se dilater plus facilement aux points où ce calcaire pulvérulent rendait la lave moins résistante.

À un mille à l’est de la ville de Praya on observe une gorge aux parois escarpées, large de 150 yards environ, coupant la plaine basaltique et les bancs sous-jacents, mais qui a été comblée par une coulée de lave plus moderne. Cette lave est d’un gris sombre, et présente presque partout une structure compacte et une disposition imparfaitement colonnaire ; mais, à une petite distance de la côte, elle renferme, irrégulièrement disposée, une masse bréchiforme de scories rouges, mélangées d’une quantité considérable de calcaire blanc, terreux, friable, et en certains points, presque pur, comme celui du sommet de Red Hill. Cette lave avec le calcaire qu’elle empâte doit certainement avoir coulé comme une nappe régulière ; à en juger par la forme de la gorge, vers laquelle convergent encore les précipitations atmosphériques actuellement peu abondantes dans cette région, et par l’aspect de la couche de blocs incohérents ressemblant aux quartiers de rochers du lit d’un torrent, et sur laquelle repose la lave, nous pouvons conclure que la coulée était d’origine subaérienne. Je n’ai pu suivre cette coulée jusqu’à son origine, mais, d’après sa direction, elle paraît être descendue de Signal-Post Hill, éloigné d’un mille un quart, et qui, comme Red Hill, a été un centre d’éruption postérieure au soulèvement de la grande plaine basaltique. Un fait qui concorde avec cette manière de voir, c’est que j’ai trouvé sur Signal-Post Hill une masse de matière calcaire terreuse, de la même nature, mélangée avec des scories. Il importe de faire observer ici qu’une partie de la matière calcaire qui constitue le banc sédimentaire horizontal, et spécialement la matière fine recouvrant d’une couche blanche les fragments de roches engagés dans le banc, doit son origine, suivant toute probabilité, à la fois à des éruptions volcaniques et à la trituration de restes d’organismes. Les roches cristallines anciennes sous-jacentes sont associées avec beaucoup de carbonate de chaux sous la forme d’amygdaloïdes et de masses irrégulières, dont je n’ai pu comprendre la nature.

En tenant compte de l’abondance du calcaire terreux près du sommet de Red Hill, cône volcanique haut de 600 pieds et de formation subaérienne, du mélange intime de petits fragments et de volumineux amas de scories empâtés dans des masses d’un calcaire presque pur, et de la manière dont de petits noyaux et des traînées de poussière calcaire sont renfermés dans des fragments massifs de scories, en tenant compte enfin d’une association identique de calcaire et de scories, constatée dans une coulée de lave qu’on a toutes raisons de croire moderne et subaérienne, et qui est descendue d’une colline où l’on rencontre également du calcaire terreux, je pense que, sans aucun doute, le calcaire a été éjaculé à l’état de mélange avec la lave fondue. Je ne sache pas qu’aucun fait semblable ait été décrit, et il me paraît intéressant de le signaler, d’autant plus qu’un grand nombre de géologues ont certainement cherché à déterminer les actions qui doivent se produire dans un foyer volcanique prenant naissance dans des couches profondes, de composition minéralogique variée. La grande abondance de silice libre dans les trachytes de certaines régions (tels que ceux de Hongrie décrits par Beudant, et des îles Ponza par P. Scrope) résout peut-être la question pour le cas où les roches sous-jacentes seraient quartzeuses, et nous trouvons probablement ici la solution du problème dans le cas où les produits volcaniques ont traversé des masses sous-jacentes de calcaire. On est porté, naturellement, à se demander à quel état se trouvait le carbonate de chaux, actuellement terreux, au moment où il a été éjaculé avec la lave dont la température était très élevée ; l’état extrêmement celluleux des scories de Red Hill prouve que la pression ne peut avoir été bien considérable, et comme la plupart des éruptions volcaniques sont accompagnées du dégagement de grandes quantités de vapeur d’eau et d’autres gaz, nous trouvons ici réunies les conditions qui, suivant les idées actuelles des chimistes, sont les plus favorables pour l’élimination de l’acide carbonique. On peut se demander si la lente réabsorption de ce gaz n’a pas donné au calcaire renfermé dans les vacuoles de la lave cette structure fibreuse si particulière, semblable à celle d’un sel efflorescent. Enfin je ferai remarquer la grande différence d’aspect constatée entre ce calcaire terreux, qui doit avoir été porté à une haute température dans une atmosphère de vapeur d’eau et de gaz divers, et le calcaire spathique, blanc, cristallin, qui a été formé sous une nappe de lave peu épaisse (comme à Quail-island) s’étalant sur un calcaire terreux et sur les débris d’organismes tapissant le fond d’une mer peu profonde.

Signal-Post Hill. – Nous avons déjà parlé de cette colline à diverses reprises, notamment lorsque nous avons signalé la manière remarquable dont la couche calcaire blanche, en d’autres points parfaitement horizontale, plonge dans la mer sous la colline (figure 2). Son sommet est large et offre des traces peu nettes de structure cratériforme ; il est formé de roches basaltiques, compactes ou celluleuses, avec des bancs inclinés de scories incohérentes dont quelques-uns sont associés à du calcaire terreux. Comme Red Hill, cette colline a été le foyer d’éruptions postérieures au soulèvement de la plaine basaltique environnante ; mais, contrairement à la première colline, elle a subi des dénudations importantes et a été le siège d’actions volcaniques à une période très reculée, quand elle était encore sous-marine. Pour établir ce point, je me base sur l’existence des derniers vestiges de trois petits centres d’éruption que j’ai découverts sur le flanc qui regarde l’intérieur des terres. Ils sont formés de scories luisantes cimentées par du spath calcaire cristallin, exactement comme le grand dépôt calcaire sous-marin, aux endroits où la lave, encore à haute température, s’est étalée ; leur aspect ruiniforme ne peut être expliqué, je pense, que par l’action dénudatrice des vagues de la mer. Ce qui m’a mené au premier orifice, c’est que j’ai observé une couche de lave de 200 yards carrés environ, à bords abrupts, étalée sur la plaine basaltique sans qu’il y eût à proximité quelque monticule d’où elle aurait pu être éjaculée ; et le seul vestige d’un cratère que je sois parvenu à découvrir consistait en quelques bancs obliques de scories, à l’une de ses extrémités. À 50 yards d’un second amas de lave à sommet plat comme le premier, mais beaucoup plus petit, je découvris un groupe circulaire irrégulier de plusieurs masses d’une brèche formée de scories cimentées, hautes d’environ 6 pieds, et qui sans doute ont constitué autrefois le centre d’éruption. Le troisième orifice n’est plus indiqué aujourd’hui que par un cercle irrégulier de scories cimentées, de 4 yards de diamètre environ, et ne s’élevant, en son point culminant, qu’à 3 pieds à peine au-dessus du niveau de la plaine, dont la surface présente son aspect habituel et n’offre aucune solution de continuité aux environs ; nous avons ici une section horizontale de la base d’un orifice volcanique qui a été presque entièrement rasé avec toutes les matières éjaculées.

À en juger par sa direction, la coulée de lave qui comble la gorge étroite située à l’est de la ville de Praya, paraît être descendue de Signal-Post Hill, comme nous l’avons fait remarquer plus haut, et s’être répandue sur la plaine après que celle-ci eut été soulevée ; la même observation s’applique à une coulée (qui n’est peut-être qu’une portion de la première) recouvrant les rochers du rivage, à peu de distance à l’est de la gorge. Lorsque je m’efforçai de suivre ces coulées sur la surface rocheuse de la plaine presque entièrement privée de terre arable et de végétation, je fus fort surpris de constater que toute trace distincte de ces coulées disparaissait bientôt complètement, quoiqu’elles soient constituées par une matière basaltique dure et qu’elles n’aient pas été exposées à l’action dénudatrice de la mer. Mais j’ai observé depuis, à l’archipel des Galapagos, qu’il est souvent impossible de suivre des coulées de laves même très récentes et de très grande dimension, au travers de coulées plus anciennes, si ce n’est en se guidant sur la dimension des buissons qui les recouvrent, ou en comparant l’état plus ou moins luisant de leur surface, – caractères qu’un laps de temps fort court suffit à effacer entièrement. Je dois faire remarquer que dans une région à surface unie, à climat sec, et où le vent souffle toujours dans la même direction (comme à l’archipel du Cap Vert), les effets de dégradation dus à l’action atmosphérique sont probablement beaucoup plus considérables qu’on ne le supposerait, car dans ce cas le sol meuble s’accumule uniquement dans quelques dépressions protégées contre le vent, et étant toujours poussé dans une même direction, il chemine constamment vers la mer sous forme d’une poussière fine, laissant la surface des rochers découverte et exposée sans défense à l’action continue des agents atmosphériques.

Collines de l’intérieur de l’île constituées par des roches volcaniques plus anciennes. – Ces collines sont reportées approximativement sur la carte et marquées des lettres A, B, C, etc. Leur constitution minéralogique les rapproche des roches inférieures visibles sur la côte, et elles sont probablement en continuité directe avec ces dernières. Vues de loin, ces collines semblent avoir fait partie autrefois d’un plateau irrégulier, ce qui paraît probable en raison de l’uniformité de leur structure et de leur composition. Leur sommet est plat, légèrement incliné et elles ont, en moyenne, environ 600 pieds de hauteur. Leur versant le plus abrupt est dirigé vers l’intérieur de l’île, point d’où elles rayonnent vers l’extérieur, et elles sont séparées l’une de l’autre par des vallées larges et profondes, au travers desquelles sont descendues de grandes coulées de lave qui ont formé les plaines du rivage. Leurs flancs tournés vers l’intérieur de l’île et qui sont les plus abrupts, comme nous venons de le dire, dessinent une courbe irrégulière à peu près parallèle à la ligne du rivage, dont elle est éloignée de 2 ou 3 milles vers l’intérieur. J’ai gravi quelques-unes de ces collines et, grâce à l’amabilité de M. Kent, chirurgien-adjoint du Beagle, j’ai obtenu des spécimens provenant de celles des autres collines que j’ai pu apercevoir à l’aide d’une longue-vue. Quoiqu’il ne m’ait été possible d’étudier, à l’aide de ces divers éléments, qu’une partie de la chaîne, 5 à 6 milles seulement, je n’hésite pas à affirmer, d’après l’uniformité de structure de ces collines, qu’elles appartiennent à une grande formation s’étendant sur la majeure partie de la circonférence de l’île.

Les couches supérieures de ces collines diffèrent considérablement des couches inférieures par leur composition. Les couches supérieures sont basaltiques, généralement compactes, mais parfois scoriacées et amygdaloïdes, et sont associées à des masses de wacke. Là où le basalte est compact, il est tantôt finement grenu et tantôt très grossièrement cristallin ; dans ce dernier cas il passe à une roche augitique renfermant beaucoup d’olivine ; celle-ci est incolore ou présente les teintes ordinaires : jaune et rougeâtre terne. Sur certaines collines, les couches basaltiques sont associées à des bancs d’une matière calcaire, terreuse ou cristalline, englobant des fragments de scories vitreuses. Les couches dont nous parlons en ce moment ne diffèrent des coulées de lave basaltique qui constituent la plaine côtière que par une plus grande compacité, par la présence de cristaux d’augite et par les dimensions plus fortes des grains d’olivine ; – caractères qui, joints à l’aspect des bancs calcaires associés avec ces couches, me portent à croire qu’elles sont de formation sous-marine.

Quelques masses importantes de wacke sont fort curieuses. Les unes sont associées à ces couches basaltiques, les autres se montrent sur la côte, et spécialement à Quail-island où elles constituent les assises inférieures. Ces roches consistent en une substance argileuse d’un vert-jaunâtre pâle, à structure arénacée lorsqu’elle est sèche, mais onctueuse quand elle est humide ; dans son état de plus grande pureté, elle est d’une belle teinte verte, translucide sur les bords, et présente accidentellement des traces vagues d’un clivage originel. Elle se fond très facilement au chalumeau en un globule gris-sombre, parfois même noir, légèrement magnétique. Ces caractères m’ont conduit naturellement à croire que cette matière était un produit de décomposition d’un pyroxène faiblement coloré ; cette manière de voir est appuyée par le fait que la roche non altérée se montre pleine de grands cristaux isolés d’augite noire, ainsi que de sphères et de traînées d’une roche augitique gris foncé. Le basalte étant ordinairement formé d’augite et d’olivine souvent altérée et de couleur rouge sombre, je fus amené à examiner les phases de décomposition de ce dernier minéral, et je m’aperçus avec étonnement que je pouvais suivre une gradation presque parfaite entre l’olivine inaltérée et la wacke verte. Dans certains cas, des fragments provenant d’un même grain se comportaient au chalumeau comme de l’olivine, à part un léger changement de couleur, ou donnaient un globule magnétique noir. Je ne puis donc douter que la wacke verdâtre n’était à l’origine autre chose que de l’olivine, et que des modifications chimiques très profondes aient dû se produire au cours de la décomposition pour avoir pu transformer un minéral très dur, transparent, infusible, en une substance argileuse, tendre, onctueuse et facilement fusible.

Les couches de la base de ces collines, ainsi que quelques monticules isolés, dénudés et de forme arrondie, sont constitués par des roches feldspathiques ferrugineuses compactes, finement grenues, non cristallines (ou dont la nature cristalline est à peine perceptible) ; ces roches sont généralement à demi décomposées. Leur cassure est extrêmement irrégulière et esquilleuse, et même les petits fragments sont souvent très résistants. Elles renferment une forte proportion de matière ferrugineuse, soit en petits grains à éclat métallique, soit en fibres capillaires brunes ; en ce dernier cas, la roche prend une structure pseudo-bréchiforme. Ces roches renferment parfois du mica et des veines d’agate. Leur couleur brun de rouille ou jaunâtre est due partiellement aux oxydes de fer, mais surtout à d’innombrables taches microscopiques noires, qui fondent facilement lorsqu’on chauffe un fragment de roche, et sont évidemment formées de hornblende ou d’augite. Ces roches contiennent donc tous les éléments essentiels du trachyte, quoiqu’elles offrent, à première vue, l’aspect d’argile cuite ou de quelque dépôt sédimentaire modifié. Elles ne diffèrent du trachyte que parce qu’elles ne sont pas rudes au toucher et qu’elles ne renferment pas de cristaux de feldspath vitreux. Ainsi que le cas s’en présente si souvent pour les formations trachytiques, on ne voit ici aucune trace de stratification. On croirait difficilement que ces roches ont pu couler à l’état de laves ; il existe pourtant à Sainte-Hélène des coulées bien caractérisées, dont la composition est presque identique à celle de ces roches, ainsi que je le montrerai dans un autre chapitre. J’ai rencontré en trois endroits, parmi les monticules constitués par ces roches, des collines coniques, à pentes douces, formées de phonolite contenant de nombreux cristaux de feldspath vitreux bien formés, et des aiguilles de hornblende. Je crois que ces cônes de phonolite ont le même rapport avec les couches feldspathiques environnantes, que certaines masses d’une roche augitique grossièrement cristallisée ont avec le basalte qui les entoure, dans une autre partie de l’île, c’est-à-dire que dans les deux cas ces roches ont été injectées. Les roches de nature feldspathique étant plus anciennes que les nappes basaltiques qui les recouvrent et que les coulées basaltiques de la plaine côtière, obéissent à l’ordre de succession habituel de ces deux grandes divisions de la série volcanique.

Ce n’est qu’à la partie supérieure des couches de la plupart de ces collines qu’on peut distinguer les plans de séparation ; les couches s’inclinent faiblement du centre de l’île vers la côte. L’inclinaison n’est pas identique dans toutes les collines ; elle est plus faible dans la colline marquée A que dans les collines B, D ou E ; les couches de la colline C s’écartent à peine d’un plan horizontal ; et celles de la colline F (pour autant que j’ai pu en juger sans la gravir) sont faiblement inclinées en sens inverse, c’est-à-dire vers l’intérieur et vers le centre de l’île. Malgré ces différences d’inclinaison, leur similitude de forme extérieure et de constitution tant au sommet qu’à la base, leur disposition en une ligne courbe en présentant le flanc le plus escarpé vers l’intérieur de l’île, tout semble prouver qu’elles faisaient originairement partie d’un plateau qui s’étendait probablement autour d’une grande partie de la circonférence de l’île, comme je l’ai fait remarquer plus haut. Les couches supérieures ont coulé bien certainement à l’état de lave, et se sont probablement étalées sous la mer, comme c’est aussi le cas pour les masses feldspathiques inférieures. Comment donc ces couches ont-elles été amenées à prendre leur position actuelle, et d’où ont-elles fait éruption ?

Au centre de l’île il existe des montagnes élevées, mais elles sont séparées du flanc escarpé intérieur de ces collines par une large étendue de pays de moindre altitude ; d’ailleurs les montagnes de l’intérieur paraissent avoir été le centre d’éjaculation de grandes coulées de lave basaltique qui, se rétrécissant pour passer entre les pieds de ces collines, s’étalent ensuite sur la plaine côtière. Des roches basaltiques forment un cercle grossièrement dessiné autour des côtes de Sainte-Hélène, et à l’île Maurice on voit les restes d’un cercle semblable entourant tout au moins une partie de l’île, sinon l’île entière ; la même question revient immédiatement se poser ici : comment ces masses ont-elles été amenées à prendre leur position actuelle et de quel centre éruptif proviennent-elles ? Quelle que puisse être la réponse, elle s’applique probablement à ces trois cas. Nous reviendrons sur ce sujet dans un autre chapitre.

Vallées voisines de la côte. – Elles sont larges, très-plates et bordées ordinairement de falaises peu élevées. Certaines parties de la plaine basaltique sont parfois isolées par ces vallées, soit en partie, soit même complètement ; l’espace où la ville de Praya est bâtie offre un exemple de ce fait. Le fond de la grande vallée qui s’étend à l’ouest de la ville est rempli, jusqu’à la profondeur de plus de 20 pieds, de galets bien arrondis, qui sont solidement cimentés, en certains endroits, par une matière calcaire blanche. La forme de ces vallées démontre à toute évidence qu’elles ont été creusées par les vagues de la mer, pendant la durée de ce soulèvement uniforme du pays attesté par le dépôt calcaire horizontal avec restes d’organismes marins actuels. En tenant compte de la conservation parfaite des coquilles contenues dans cette couche, il est étrange que je n’aie pu trouver un seul fragment de coquille dans le conglomérat qui occupe le fond des vallées. Dans la vallée qui se trouve à l’ouest de la ville, le lit de galets est coupé par une seconde vallée se greffant à la première sous forme d’affluent ; mais cette dernière vallée même paraît beaucoup trop large et présente un fond beaucoup trop plat pour avoir été creusée par la petite quantité d’eau qui peut tomber pendant la saison humide, fort courte en cette contrée, car pendant le reste de l’année ces vallées sont absolument à sec.

Conglomérats récents. – J’ai trouvé sur les rivages de Quail-island des fragments de briques, des morceaux de fer, des galets et de grands fragments de basalte, unis en un conglomérat solide par un ciment peu abondant, formé d’une matière calcaire impure. Je puis dire, comme preuve de l’extrême solidité de ce conglomérat récent, que je me suis efforcé de dégager, à l’aide d’un lourd marteau de géologue, un gros morceau de fer enchâssé dans le banc un peu au-dessus de la laisse de basse mer, mais que j’ai été absolument incapable d’y parvenir.

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