LES SAVELCES.

La domination des Savelces, qui plus tard finit par embrasser toute la partie moyenne et méridionale du continent oriental, était primitivement bornée au territoire de Savel, ville située sur les bords de la mer irisée au sud de ce continent.

La théocratie fut la forme première du gouvernement des Savelces ; de sorte que leur histoire est intimement liée à celle des fables au moyen desquelles leurs prêtres avaient conquis la foi et la vénération du peuple dans sa primitive ignorance. Les croyances religieuses des Savelces étaient remarquables à plus d’un titre ; leur mythologie tout entière reposait sur la fable suivante :

Au commencement, sur la terre et aux cieux, était Panéther, qui fut plus tard le prince des dieux. Mais à côté de lui existait aussi éternellement un Oxyure, sorte de petit ver. Panéther, n’ayant pour compagnon et pour contemporain qu’un Oxyure, s’accoupla avec lui, et il en naquit une larve de hanneton. Panéther, voyant cet animal plus parfait, s’unit au hanneton, et le résultat de cette union fut une chauve-souris.

Ici Panéther commença déjà à contempler orgueilleusement son œuvre, et ce fut de ses amours avec la chauve-souris que naquirent le premier homme nommé Poub et la première femme appelée Minélis.

Quand Panéther vit cette merveilleuse créature qu’on appelle la femme, il voulut la disputer à l’homme ; mais celui-ci en avait déjà fait sa compagne, et les deux premiers humains eurent ensemble plusieurs enfants.

Cependant, on raconte que Panéther, tourmenté d’amour et de désirs, fit manquer Minélis à ses devoirs, et que le fruit des infidélités de celle-ci fut la naissance de plusieurs dieux qui présidèrent aux choses de la nature, sous la surveillance et la domination du grand Panéther.

Les dieux, fils de Panéther, furent stériles, mais les hommes multiplièrent à l’infini.

Un culte et des cérémonies furent institués à Savel et ailleurs, en l’honneur de ces dieux. La Chauve-souris, le Hanneton, et l’Oxyure même eurent des temples fameux, et surtout des prêtres nombreux et disputeurs. Longtemps les Savelces vécurent dans la barbarie et l’ignorance sous l’autorité de ces prêtres. Ceux-ci, abusant de la crédulité du peuple, se disputaient la prééminence et le pouvoir. Les factions, conduites par les prêtres du Hanneton et de Rerriton, dieu du feu et fils de Panéther et de Minélis, ennemis par le dogme, ensanglantèrent l’État presque l’espace d’un siècle.

Cependant les voyages et la navigation, devenus plus faciles par l’éducation des talersis, que les Savelces surent les premiers réduire en domesticité, donnèrent un peu de repos à ce pauvre petit État jusqu’alors si tourmenté. Ce furent des navigateurs partis de Savel qui abordèrent les premiers dans l’île de l’Océan que surmonte le pic qui depuis fut consacré à Rerriton. Cette île n’est qu’une montagne énorme et volcanique dont la base plonge dans la mer, et dont le sommet fumant a six fois la hauteur des plus hautes montagnes de Star. Elle se dresse sur l’Océan comme un phare terrible, que l’on peut apercevoir même de Savel.

Dans l’antiquité starienne, les Savelces furent certainement de tous les peuples le plus ignorant, le moins sage, et celui dont l’humanité et l’histoire eurent le plus à rougir, car ce fut un peuple guerrier et fanatique, car ce fut un peuple conquérant.

Les prêtres de Rerriton, étant devenus les plus forts, brisèrent les autels des autres dieux, sans en excepter ceux de Panéther, et imposèrent exclusivement au peuple le culte de leur dieu.

Les dévots et les hypocrites parmi les Savelces avaient pour habitude de faire un pèlerinage au pic de Rerriton, et ceux qui s’élevaient à une plus grande hauteur sur le flanc de l’immense montagne, étaient vénérés comme saints et réputés prophètes du Dieu qui avait mis en eux, disait-on, une étincelle du feu le plus pur. Quelques-uns de ces fanatiques périssaient dans leur ascension ; d’autres, parvenus à des hauteurs prodigieuses, se trouvaient assaillis par d’affreux vertiges, et, demi asphyxiés par la raréfaction atmosphérique, redescendaient frappés d’aliénation mentale. Rentrés dans leur patrie, leur folie ne manquait pas d’être attribuée par leurs concitoyens à une inspiration divine. On les traînait alors de bourgade en bourgade pour instruire et fanatiser le peuple qui écoutait ce délire sacré.

Ce fut à l’occasion des prédications d’un de ces fous religieux que la guerre internationale prit naissance sur la terre, et que la puissance des Savelces s’étendit sur leurs pacifiques voisins. Cet homme, nommé Stratiote, fut frappé d’aliénation sur la montagne au moment d’une secousse éruptive, et revint furieux à Savel, prêchant guerre et conquête. Les prêtres et la masse de la nation délibérèrent d’abord ; mais Stratiote, ayant rassemblé le peuple sur le rivage, les menaça de la fureur de leur Dieu, dont les Savelces croyaient voir la bouche enflammée et entendre les sourds grondements. Il n’en fallut pas davantage. On s’arme, on s’équipe, et, sous la conduite du fou inspiré, les Savelces se précipitent sur les peuples voisins qui, sans rien comprendre à une semblable folie et à une cruauté jusqu’alors inconnue, se défendirent à peine, pensant bien retrouver leur libre indépendance, quand la raison reviendrait aux conquérants. La guerre et l’invasion durèrent près de six ans ; c’est-à-dire autant que l’éruption du volcan. Et au bout de ce temps, les Savelces se trouvèrent les maîtres d’un empire de plusieurs mille lieues d’étendue.

Par bonheur, les nations englobées dans cet empire, après s’être concertées entre elles, n’eurent pas de peine à secouer le joug de cette poignée de fous furieux. Mais, pour qu’à l’avenir pareil fléau ne pût s’abattre sur elles, elles envoyèrent toutes à Savel des délégués qui, réunis en assemblée, fondèrent entre leurs peuples une confédération qui garda le nom d’Empire Savelce.

Telle fut l’influence que la petite peuplade des Savelces eut sur la civilisation de cette partie de la terre située à l’est et au midi du continent oriental.

Le reste de l’histoire de cette société, constituée par le besoin d’éloigner la guerre et l’invasion, n’offre rien digne d’être rapporté dans le sommaire de cette revue historique. La suite de la vie sociale de ces peuples fut aussi paisible que le commencement en avait été tourmenté.

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