Eh bien ! cette mort si cruellement réelle pour toutes les races d’hommes qui y succombent à la manière des Stariens, est une réalité bien autrement terrible pour les habitants de Rudar.
Chez les Rudariens, la Mort est véritablement un être vivant et visible ; c’est une espèce matérielle qui a la forme et le volume d’une vessie allongée, pourvue, tout autour de son enveloppe extérieure, de membranes ou de lames pendantes qui lui servent d’ailes. Ces êtres qui n’ont rien de commun avec les autres êtres de ce monde, ni comme organisation, ni comme nature, sont pour l’espèce humaine et le règne animal l’ennemi dévorant et le tombeau de toute vie ; car le seul aliment capable de vivifier et de soutenir l’existence de ces Morts est l’âme des hommes et les forces vitales des animaux, qu’ils ont la faculté d’aspirer, de sucer à distance en enflant leur peau musculaire. Rien que des âmes immatérielles ou des esprits vitaux peuvent les repaître et les sustenter. Quelques-unes de ces Morts, errantes dans l’air brumeux de Rudar, préfèrent pour leur nourriture l’âme des enfants et des jeunes animaux ; celles-ci l’âme des femmes ; d’autres, au contraire, l’âme et les forces vives des hommes au fier courage. Les unes aspirent la vie tout d’un coup ; d’autres, savourant l’agonie de leur proie, sucent d’abord les forces de la victime, puis la laissent abattue pendant quelque temps, pour revenir bientôt dévorer son intelligence, et gardent son âme, enfin, pour un dernier repas.
Les Rudariens, avec leur organisation aux fibres d’acier, eussent été immortels si les Suppôts de la mort ne les eussent décimés à chaque instant. Néanmoins, pendant toute la durée de leur existence, la nature énergique des Rudariens est en lutte perpétuelle contre les objets de leur destruction. Les Morts ne peuvent périr elles-mêmes que par le feu le plus ardent, c’est pourquoi les Rudariens ont inventé des armes qui, chargées d’un feu puissant, réussissent quelquefois à anéantir d’un seul coup les oiseaux des funérailles humaines.
Quelque infatigables que les Rudariens se soient montrés dans une guerre de cette espèce, les Morts auraient depuis longtemps dévoré entièrement la race des hommes, si les Rudariennes, toutes multipares, n’eussent incessamment reproduit l’aliment du trépas, et réparé les pertes de l’humanité par une prodigieuse fécondité.