IX.

Évoquez maintenant les habitants ailés de l’air ténu et presque impondérable d’Élier, et toute une création invisible de grands insectes, d’Ornithosaures, d’animaux membraneux, d’êtres non consistants et monadaires, que sais-je ? de vapeurs, d’effluves qui s’agitent démesurément autour de vous, va vous répondre par des cris, des bourdonnements, des frôlements d’ailes et des attouchements incompris. Quand vous entendez remuer et gazouiller à vos côtés tous ces sylphes de l’air, vous cherchez du regard, et à peine percevez-vous quelquefois le sillon que laisse sur vos têtes comme une flèche de vapeur, moins qu’un trait d’ombre. Les êtres animés dont cet air est rempli, à cause du peu de matérialité de leur organisation, sont les seuls que les yeux des Éliériens n’aient pu soumettre encore à leur examen ; aussi, après quelque temps de séjour à Élier, les Stariens disaient-ils que l’air leur semblait peuplé de rêves.

Car vraiment, pour les habitants d’Élier, savoir ce fut voir. Armés de la loupe et de la lunette, ils avaient porté l’étude des sciences naturelles à ce point, qu’il était peu de mystères organiques dont l’évolution n’eût été surprise par eux. Heureux observateurs qui pouvaient assister de visu à la plupart des phénomènes naturels d’organisation et de décomposition !

L’état des mœurs des Éliériens dérive entièrement des conditions physiques dans lesquelles la nature les a placés. La vertu et l’austérité sont commandées et nécessaires à des hommes dont leurs semblables, d’un bout du monde à l’autre, peuvent voir à chaque instant les faits et les gestes. La dissimulation serait trop rigoureuse ; aussi, le vice et la pudeur leur sont également inconnus. Hommes de la nature, ils sont aimants et affables. Leur caractère, animé de penchants doux et humains, souffre difficilement la vue de la douleur et du mal ; et comme tous ont les yeux sur chacun, il n’est nul malheur qui ne soit consolé et nul danger qui ne soit secouru à l’instant. Entre tous ces hommes, la loi naturelle a fait la solidarité complète. D’ailleurs, par une faculté singulière, mais qu’explique leur habitude de tout voir et de tout connaître en leur monde, ils sont doués d’une sorte d’entendement commun, d’une logique de sympathie qui peut passer chez eux pour une conscience universelle. C’est pourquoi l’opinion et la foi s’établirent toujours parmi ces peuples sans contradiction, sans discussion et pour ainsi dire unanimement et par intuition.

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