XV Le serpent

Le jeune homme était si changé que ses deux camarades furent un instant à le regarder sans le reconnaître. Puis enfin, Lajeunesse se hasardant :

– Tiens, dit-il, c’est Bernard. Bonjour, Bernard.

– Bonjour, répondit brusquement Bernard, visiblement contrarié de les voir là.

– Te voilà ici, toi ? hasarda à son tour Bobineau.

– Et pourquoi pas ! Est-ce défendu de venir à la fête, quand on veut s’amuser ?

– Oh ! je ne dis pas que cela soit défendu, troun de l’air ! reprit Bobineau, seulement, ça m’étonne de te voir seul.

– Seul ?

– Oui.

– Et avec qui donc veux-tu que je sois ?

– Mais il me semble que lorsqu’on a une fiancée, une jeune et belle fiancée…

– Ne parlons plus de cela, dit Bernard en fronçant le sourcil.

Puis frappant une table avec la crosse de son fusil.

– Du vin ! cria-t-il.

– Chut ! dit Lajeunesse.

– Pourquoi chut ?

– Monsieur l’inspecteur est ici.

– Eh bien ! après ?

– Je te dis : fais attention, monsieur l’inspecteur est ici ; voilà tout.

– Eh bien ! qu’est-ce que ça me fait à moi, qu’il soit ici ou qu’il n’y soit pas, monsieur l’inspecteur ?

– Oh ! oh ! c’est autre chose alors.

– Il y a de la brouille dans le ménage, dit Bobineau à Lajeunesse en le touchant du bras.

Lajeunesse fit signe que c’était aussi son opinion, puis se retournant du côté de Bernard :

– Ce que j’en disais, vois-tu, Bernard, continua-t-il ce n’est point pour te régenter ou t’être désagréable ; mais c’est que, tu sais, monsieur l’inspecteur, il n’aime pas qu’on nous voie au cabaret.

– Et si j’aime à y aller, moi ? répondit Bernard. Crois-tu que c’est monsieur l’inspecteur qui m’empêchera de faire à ma volonté ?

Frappant alors une seconde fois sur la table, avec plus de violence que la première :

– Du vin ! criait-il, du vin !

Les deux gardes virent alors que c’était un parti pris.

– Allons ! allons ! dit Bobineau, il ne faut pas empêcher un fou de faire sa folie. Viens Lajeunesse, viens.

– N’en parlons plus, dit Lajeunesse. Adieu ! Bernard.

– Adieu ! répondit celui-ci de sa voix brève et tranchante, adieu !

Les deux gardes s’éloignèrent du côté opposé à celui par lequel venait l’inspecteur, qui, du reste, absorbé dans sa conversation et ayant la vue basse, passa près du cabaret sans voir ni les deux gardes ni Bernard.

– Mais viendra-t-on ? cria celui-ci en donnant à la table un coup de crosse qui faillit la faire tomber en éclats.

La mère Tellier accourut, une bouteille de chaque main, et sans savoir encore quel était le buveur impatient qui demandait du vin avec tant de violence.

– Voilà ! voilà ! voilà ! dit-elle, notre provision de vin en bouteille est épuisée, et il a fallu le temps de tirer du tonneau.

Puis, reconnaissant alors seulement celui à qui elle avait affaire :

– Ah ! c’est vous, dit-elle, cher monsieur Bernard. Mon Dieu ! comme vous êtes pâle !

– Vous trouvez, la mère ? dit le jeune homme, eh bien ! c’est pour cela que je veux boire : le vin donne des couleurs.

– Mais vous êtes malade, monsieur Bernard, insista la mère Tellier.

Bernard haussa les épaules et, lui arrachant une des bouteilles de la main :

– Donnez donc ! dit-il.

Et, portant la bouteille à ses lèvres, il but à même.

– Seigneur Dieu ! s’écria la bonne femme, regardant avec stupéfaction Bernard accomplir cette action si fort en dehors de ses habitudes ; vous allez vous faire mal, mon enfant.

– Bon ! dit Bernard en s’asseyant et posant violemment la bouteille sur sa table, laissez-moi boire celui-là ; qui sait si vous m’en servirez jamais d’autre ?

La stupéfaction de la mère Tellier allait croissant, elle oubliait toutes ses autres pratiques pour ne s’occuper que du jeune homme.

– Mais qu’est-il arrivé donc, cher monsieur Bernard ? insista-t-elle.

– Rien ; seulement, donnez-moi une plume, de l’encre et du papier.

– Une plume, de l’encre et du papier ?

– Oui, allez.

La mère Tellier s’empressa d’obéir.

– Une plume, de l’encre et du papier, répéta Molicar, de plus en plus ivre et en achevant la troisième bouteille de Lajeunesse et de Bobineau. Excusez, monsieur le notaire ! Est-ce qu’on vient au cabaret pour demander des plumes, de l’encre et du papier ? on vient au cabaret pour demander du vin.

Puis joignant l’exemple au précepte :

– Du vin ! la mère Tellier, du vin ! cria-t-il.

Pendant ce temps, la mère Tellier, laissant à Babet le soin de servir Molicar, était revenue à Bernard, et avait déposé devant lui les trois choses demandées.

Bernard leva les yeux sur elle, et s’apercevant qu’elle était habillée de noir :

– Pourquoi êtes-vous en deuil ? demanda-t-il.

La bonne femme pâlit à son tour, et d’une voix à moitié suffoquée :

– Ô mon Dieu ! dit-elle, vous ne vous souvenez donc plus du grand malheur qui m’est arrivé ?

– Je ne me souviens de rien, dit Bernard. Pourquoi donc êtes-vous en deuil ?

– Eh ! vous le savez bien, mon bon monsieur Bernard, puisque vous êtes venu à son enterrement. Je suis en deuil de mon pauvre enfant, Antoine, qui est mort il y a un mois.

– Ah ! pauvre femme !

– Je n’avais que lui, monsieur Bernard, un fils unique, et le bon Dieu me l’a repris tout de même. Oh ! il me manque bien, allez ! Quand une mère a eu son enfant vingt ans sous les yeux et que tout à coup son enfant n’est plus là, que faire ? pleurer. On pleure ; mais que voulez-vous ? ce qui est perdu est perdu.

Et la bonne femme éclata en sanglots.

Molicar choisit ce moment pour entonner une chanson ; c’était sa chanson favorite et le thermomètre de ce que le bonhomme pouvait jauger de liquide.

Quand il commençait sa chanson c’est qu’il était ivre.

Il commença :

Si j’avais dans mon jardin

Un seul carré de vignes.

Cette chanson, venant pour insulter à la douleur de la mère Tellier, douleur si sympathique à Bernard derrière sa fausse indifférence, fit bondir celui-ci comme si la douleur l’eût frappé d’un aiguillon aussi nouveau qu’inattendu.

– Veux-tu te taire ! cria-t-il.

Mais Molicar, ne faisant aucune attention à la défense de Bernard, reprit :

Si j’avais dans mon jardin…

– Tais-toi ! te dis-je, fit le jeune homme avec un geste de menace.

– Et pourquoi ça, me taire ? dit Molicar.

– N’entends-tu pas ce que dit cette femme ! ne vois-tu pas qu’il y a là une mère qui pleure, et qui pleure son enfant ?

– C’est vrai, dit Molicar, je vais chanter tout bas.

Et il reprit à demi-voix :

Si j’avais…

– Ni bas, ni haut ! cria Bernard. Tais-toi, ou va-t’en.

– Oh ! dit Molicar, c’est bon, je m’en vas. J’aime les cabarets où l’on rit et pas ceux où l’on pleure. Mère Tellier, mère Tellier, fit-il en frappant sur la table, venez chercher votre dû.

– C’est bien ! dit Bernard, je réglerai ton compte. Laisse-nous.

– Bon ! fit Molicar chancelant, je ne demande pas mieux.

Et il s’éloigna, s’appuyant aux arbres et chantant toujours plus haut à mesure qu’il s’éloignait :

Si j’avais dans mon jardin

Un seul carré de vignes.

Bernard le regarda s’éloigner avec un profond dégoût, puis revenant à l’hôtelière qui continuait de pleurer :

– Oui vous avez raison, dit-il, ce qui est perdu est perdu ; tenez, mère Tellier, je voudrais être à la place de votre fils, et que votre fils ne fût pas mort.

– Oh ! que Dieu vous garde ! s’écria la bonne femme ; vous, monsieur Bernard ?

– Oui, moi ! parole d’honneur !

– Vous qui avez de si bons parents ! reprit-elle. Ah ! si vous saviez le mal que cela fait à une mère de perdre son enfant, vous ne risqueriez pas un pareil souhait.

Pendant ce temps, Bernard essayait d’écrire, mais inutilement ; la main lui tremblait si fort, qu’il ne pouvait former une lettre.

– Oh ! je ne peux pas ! je ne peux pas ! s’écria-t-il en écrasant la plume sur la table.

– En effet, dit la bonne femme, vous tremblez comme si vous aviez la fièvre.

– Tenez, reprit Bernard, rendez-moi un service, mère Tellier.

– Oh ! bien volontiers, monsieur Bernard ! s’écria la bonne femme ; lequel ?

– Il n’y a qu’un pas d’ici à la maison neuve du chemin de Soissons, n’est-ce pas ?

– Dame ! pour un quart d’heure de chemin, en marchant bien.

– Alors, faites-moi l’amitié… je vous demande bien pardon de la peine.

– Dites donc toujours.

– Faites-moi l’amitié d’aller là-bas, de demander Catherine.

– Elle est donc revenue ?

– Oui, ce matin ; et de lui dire que je lui écrirai bientôt.

– Que vous lui écrirez bientôt ?

– Demain, aussitôt que je ne tremblerai plus.

– Vous quittez donc le pays ?

– On dit que nous allons avoir la guerre avec les Algériens.

– Qu’est-ce que ça vous fait, la guerre, à vous, qui avez tiré à la conscription et qui avez pris un bon numéro ?

– Vous allez aller où je vous dis, n’est-ce pas, mère Tellier ?

– Oui, à l’instant même, cher monsieur Bernard ; mais…

– Mais quoi ?

– À vos parents ?

– Après, à mes parents ?

– Que voulez-vous que je leur dise ?

– À eux ?

– Oui.

– Rien.

– Comment ! rien ?

– Non, rien, sinon que je suis passé par ici, qu’ils ne me reverront plus, et que je leur dis adieu.

– Adieu ! répéta la mère Tellier.

– Dites-leur encore qu’ils gardent Catherine avec eux, que je leur serai reconnaissant de toutes les bontés qu’ils auront pour elle ; et puis encore que, si par hasard je venais à mourir, comme votre pauvre Antoine, je les prie de faire Catherine leur héritière.

Et le jeune homme, au bout de sa fièvre, et par conséquent de sa force, laissa tomber, avec un soupir qui ressemblait à un sanglot, sa tête entre ses deux mains.

La mère Tellier le regardait avec une profonde pitié.

– Eh bien ! c’est dit, monsieur Bernard, reprit-elle. Voici la nuit tout à fait venue ; je n’aurai plus beaucoup de monde maintenant ; Babet suffira pour servir. Je cours à la Maison-Neuve.

Puis, à elle-même et en rentrant chez elle :

– Je crois, dit-elle, que c’est un service à lui rendre, pauvre garçon !

On entendait dans le lointain la voix avinée de Molicar qui chantait :

Si j’avais dans mon jardin

Un seul carré de vignes.

Bernard resta quelques minutes plongé dans ses réflexions, réflexions douloureuses et profondes qui se trahissaient par les soubresauts convulsifs de ses épaules ; puis enfin, relevant le front, secouant la tête et se parlant à lui-même :

– Allons ! du courage, dit-il, encore un verre de vin, et partons.

– Oh ! c’est égal, dit derrière Bernard une voix dont le timbre le fit tressaillir ; moi, je ne partirais pas comme cela.

Bernard se retourna, quoique à la rigueur il n’eût pas besoin de se retourner. Il avait reconnu la voix.

– C’est toi, Mathieu ? dit-il.

– Oui, c’est moi, répondit celui-ci.

– Que disais-tu ?

– Vous n’avez pas entendu ? Bon ! vous avez l’oreille dure.

– J’ai entendu, mais je n’ai pas compris.

– Eh bien ! je vais répéter.

– Répète.

– Je disais qu’à votre place, je ne partirais pas comme cela.

– Tu ne partirais pas ?

– Non ; du moins sans… suffit, je m’entends.

– Sans quoi ? voyons.

– Eh bien ! sans me venger de l’un ou de l’autre. Voilà le grand mot lâché.

– Qui ?… quoi ?… de l’un ou de l’autre ?

– Oui, de l’un ou de l’autre, de lui ou d’elle.

– Est-ce que je puis me venger de mon père et de ma mère ? fit Bernard en haussant les épaules.

– Allons donc ! de votre père ou de votre mère ! Est-ce qu’il est question d’eux dans tout cela ?

– Mais de qui est-il donc question ?

– Bon ! il est question du Parisien et de mademoiselle Catherine.

– De Catherine et de monsieur Chollet ! s’écria Bernard en se dressant sur ses pieds comme si une vipère l’eût mordu.

– Eh ! oui.

– Mathieu ! Mathieu !

– Bon ! voilà qui m’avertit de ne rien dire.

– Pourquoi cela ?

– Tiens ! parce que ça retomberait encore sur moi ce que je dirais.

– Non, non, Mathieu ; non, je te le jure ; parle.

– Mais vous ne devinez donc pas ? dit Mathieu.

– Que veux-tu que je devine ? Voyons, je te le répète, parle.

– Ah ! par ma foi ! continua le vagabond, ce n’est pas la peine d’avoir de l’esprit et de l’éducation pour être sourd et aveugle.

– Mathieu ! s’écria Bernard, as-tu vu ou entendu quelque chose ?

– La chouette voit clair la nuit, dit Mathieu ; elle a les yeux ouverts quand les autres les ont fermés. Elle veille quand les autres dorment.

– Voyons, répéta Bernard en essayant d’adoucir sa voix, qu’as-tu vu et qu’as-tu entendu ? Ne me fais pas languir plus longtemps, Mathieu.

– Eh bien ! répondit celui-ci, l’obstacle à votre mariage, car il y a un obstacle, n’est-ce pas ?

– Oui, après ?

– Savez-vous d’où il vient ?

La sueur coulait sur le front de Bernard.

– De mon père, dit-il.

– De votre père ! Ah ! bien oui ! Il ne demanderait pas mieux que de vous voir heureux. Il vous aime, pauvre cher homme !

– Ah !… et l’obstacle alors vient de quelqu’un qui ne m’aime pas ?

– Dame ! reprit Mathieu, sans perdre de son œil louche aucune des émotions qui se succédaient sur le visage de Bernard, dame ! vous savez, il y a quelquefois des gens qui font comme ça semblant de vous aimer, qui disent : Mon cher Bernard par-ci, mon cher Bernard par-là, et, au fond, qui vous trompent.

– Voyons, de qui vient l’obstacle, mon cher Mathieu, de qui vient-il ? dis.

– Oui, pour que vous me sautiez à la gorge et que vous m’étrangliez.

– Non, non, foi de Bernard, je te jure !

– En attendant, dit Mathieu, laissez-moi m’éloigner un peu de vous.

Et il fit deux pas en arrière.

Puis, se sentant un peu plus en sûreté par la distance :

– Eh bien ! dit-il, ne voyez-vous pas que l’obstacle vient de mademoiselle Catherine.

Bernard devint livide, mais il ne fit pas un mouvement.

– De Catherine ? reprit-il ; tu avais dit de quelqu’un qui ne m’aimait pas ; prétendrais-tu que Catherine ne m’aime pas, par hasard ?

– Je prétends, dit Mathieu s’enhardissant au calme affecté de Bernard, qu’il y a des jeunes filles, quand elles ont tâté de Paris surtout, qui aiment mieux être à Paris la maîtresse d’un jeune homme riche que d’être la femme d’un jeune homme pauvre dans un village.

– Tu ne dis pas cela pour Catherine et pour le Parisien, j’espère ?

– Hé ! hé ! fit Mathieu, qui sait ?

– Malheureux ! s’écria Bernard en s’élançant d’un seul bond sur Mathieu et en le saisissant des deux mains à la gorge.

– Eh bien ! que vous avais-je dit ! s’écria Mathieu d’une voix étranglée, et en faisant d’inutiles efforts pour se débarrasser de l’étreinte de fer. Voilà que vous m’étranglez, monsieur Bernard. Monsieur Bernard, nom d’un nom ! je ne vous dirai plus rien.

Bernard voulait tout savoir. Quiconque a trempé ses lèvres dans la coupe amère de la jalousie veut boire depuis l’écume jusqu’à la lie.

Bernard lâcha Mathieu et laissa retomber ses deux bras inertes.

– Mathieu, dit-il, je te demande pardon, parle, parle ; mais si tu mens !

Et ses poings se fermèrent et ses bras se raidirent.

– Eh bien ! si je mens, dit Mathieu, il sera temps de vous fâcher ; mais comme vous vous fâchez d’abord, je ne parlerai pas.

– J’ai eu tort, reprit Bernard en forçant tous ses traits d’exprimer le calme, quand toutes les vipères de la jalousie lui mordaient le cœur.

– Eh bien ! à la bonne heure, dit Mathieu, vous voilà raisonnable.

– Oui.

– Mais n’importe, continua le vagabond.

– Comment ! n’importe.

– Oui, j’aime mieux vous faire voir, j’aime mieux vous faire toucher la chose. Ah ! vous êtes de l’acabit de saint Thomas, vous !

– Oui, dit Bernard, tu as raison ; fais-moi voir, Mathieu, fais-moi voir.

– Je veux bien.

– Ah ! tu veux bien.

– Mais à une condition.

– Laquelle ?

– Vous me donnerez votre parole d’honneur de voir jusqu’au bout.

– Jusqu’au bout. Oui, parole d’honneur ! Mais quand saurai-je que je suis au bout ? Quand saurai-je que j’ai tout vu ?

– Dame ! quand vous aurez vu mademoiselle Catherine et monsieur Chollet à la fontaine du Prince.

– Catherine et monsieur Chollet à la fontaine du Prince ! s’écria Bernard.

– Oui.

– Et quand verrai-je cela, Mathieu ?

– Il est huit heures. Huit heures combien ? Voyez à votre montre, monsieur Bernard.

Bernard tira sa montre d’une main qui était devenue ferme. En approchant de la lutte, l’athlète reprenait ses forces.

– Huit heures trois quarts, dit-il.

– Eh bien ! dans un quart d’heure, reprit Mathieu ; ce n’est pas bien long, n’est-ce pas ?

– À neuf heures, alors, dit Bernard, passant sa main sur son front couvert de sueur.

– À neuf heures, oui.

– Catherine et le Parisien à la fontaine du Prince ! murmura Bernard, demeurant incrédule malgré l’assurance de Mathieu : mais que viennent-ils y faire ?

– Dame ! je n’en sais rien, dit Mathieu, qui ne perdait pas un mot de Bernard, pas un mouvement de sa physionomie, pas un des tressaillements de son cœur : organiser leur départ, peut-être.

– Leur départ ! fit Bernard serrant sa tête entre ses deux mains comme s’il allait devenir fou.

– Oui, continua Mathieu. Ce soir, à Villers-Cotterêts, le Parisien cherchait de l’or.

– De l’or ?

– Il en demandait à tout le monde.

– Mathieu, murmura Bernard, tu me fais bien souffrir ; si c’est pour le plaisir de me faire souffrir, gare à toi !

– Chut ! dit Mathieu.

– Le pas d’un cheval, murmura Bernard.

Mathieu posa une de ses mains sur le bras de Bernard, et, allongeant l’autre dans la direction d’où venait le bruit :

– Regardez, dit-il.

Et Bernard vit, à travers les arbres et au milieu de l’obscurité, s’avancer un cavalier qu’à sa haine surtout il reconnut pour son rival.

Un mouvement instinctif le fit se jeter derrière l’arbre qui se trouvait le plus proche de lui.

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