Un jour d’hiver, la neige tombait par flocons, comme si le ciel semait des fleurs d’argent sur la terre.
Il y avait une reine, qui était assise et qui cousait près d’une fenêtre de son palais.
Cette fenêtre était de bois d’ébène du plus beau noir.
Et, comme la reine était occupée à regarder tomber la neige, elle se piqua le doigt avec son aiguille.
Trois gouttes de son sang coulèrent sur la neige, et firent trois taches rouges.
En voyant combien ce sang de pourpre tranchait avec la blancheur de la neige, la reine dit :
– Je voudrais avoir un enfant dont la peau fût aussi blanche que cette neige, dont les joues et les lèvres fussent aussi rouges que ce sang, et dont les yeux, les cils et les cheveux fussent aussi noirs que cette ébène.
Juste en ce moment, la fée des Neiges passait, dans sa robe de givre ; elle entendit la prière de la reine et l’exauça.
Neuf mois après, la reine mit au monde une fille, blanche de peau comme la neige, rouge de lèvres et de joues comme le sang, noire d’yeux, de cils et de cheveux comme l’ébène.
Mais la reine n’eut que le temps d’embrasser sa fille, et elle mourut, en disant qu’elle désirait que l’enfant s’appelât Blanche de Neige.
Un an après, le roi prit une autre femme.
Celle-ci était fort belle, mais aussi orgueilleuse et aussi vaine que la première était humble et douce.
Elle ne pouvait supporter cette idée qu’aucune femme du monde pût l’égaler en beauté.
Elle avait eu une fée pour marraine ; cette fée lui avait donné un miroir qui avait une étrange faculté.
Quand la reine se regardait dans ce miroir et disait : « Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ? » le petit miroir répondait : « Belle reine, c’est toi qui es la plus belle. »
Et l’orgueilleuse reine était satisfaite, car elle savait que le miroir disait toujours la vérité.
Cependant Blanche de Neige grandissait et devenait de jour en jour plus jolie ; si bien qu’à dix ans, elle était belle comme le plus beau jour ; plus belle même que la reine.
Or, un jour que cette dernière disait à son miroir : « Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ? » le miroir, au lieu de lui répondre comme d’habitude : « C’est toi », lui répondit : « C’est Blanche de Neige. »
La reine fut toute bouleversée : elle devint verte de jalousie ; ce qui ne l’embellit pas.
À partir de ce moment, chaque fois que la reine rencontrait Blanche de Neige, son cœur se retournait dans sa poitrine, tant elle haïssait la jeune fille.
Or, l’orgueil et la jalousie, ces deux mauvaises plantes de l’âme, allèrent toujours croissant dans son cœur, comme l’ivraie dans un champ ; de sorte que, ne pouvant plus reposer ni jour ni nuit, un matin, elle fit venir un chasseur et lui dit :
– Emporte cette enfant dans la forêt, afin qu’elle ne reparaisse jamais devant mes yeux. Tu la tueras et tu m’apporteras son cœur, comme preuve qu’elle est bien morte, et je ferai manger son cœur à mes chiens ; il y a assez longtemps que ceux de la jalousie mangent le mien.
– Mais le roi ? demanda le chasseur.
– Le roi est à l’armée ; je lui écrirai que Blanche de Neige est morte, et il n’en demandera pas davantage.
Le chasseur obéit, emmena l’enfant dans la forêt ; mais, lorsqu’il eut tiré son couteau de chasse pour tuer Blanche de Neige, celle-ci, voyant qu’elle courait danger de mort, tomba à genoux et se mit à pleurer en disant :
– Ah ! cher chasseur, je t’en prie, laisse-moi la vie ; je courrai dans la forêt si loin, que personne ne saura que j’existe, et je ne reviendrai jamais à la maison.
Et Blanche de Neige était si belle, que le chasseur en eut pitié.
– Allons, va, cours dans la forêt, pauvre enfant ! lui dit-il.
Et, en disant cela, il pensait :
« La forêt est pleine de bêtes fauves ; elles l’auront bientôt dévorée. »
Cependant un poids bien lourd lui était enlevé de dessus le cœur.
Un jeune daim se leva : le chasseur lui envoya une flèche et le tua ; puis il l’ouvrit, lui prit le cœur, et l’apporta à la reine.
La reine, croyant que c’était le cœur de Blanche de Neige, le fit manger à ses chiens, ainsi qu’elle l’avait dit.
Quant à la pauvre enfant, elle était donc restée seule dans la forêt, comme elle l’avait promis : elle se mit à fuir, et courut tant qu’elle eut de forces.
Mais les ronces s’écartaient devant ses pas, et les bêtes féroces la regardaient passer sans lui faire aucun mal.
Vers le soir, elle aperçut une petite maisonnette. Il était temps ; ses jambes ne pouvaient plus la porter.
La maisonnette était charmante : située dans un site pittoresque, avec une source à dix pas d’elle et de beaux arbres fruitiers dans un jardin.
La jeune fille but quelques gouttes d’eau à la source dans le creux de sa main, et entra dans la maisonnette pour se reposer.
La porte en était poussée seulement.
Tout était petit dans cette maison, mais tout y était propre et net au dernier point. Il y avait une petite table couverte d’une nappe, et, sur cette nappe, sept petites assiettes.
Chaque assiette avait sa petite cuiller, son petit couteau, sa petite fourchette et son petit gobelet.
À la muraille étaient adossés sept petits lits, avec des draps blancs comme neige.
La jeune fugitive, qui avait grand-faim, mangea, sur une des petites assiettes, un peu de légumes et du pain, but une goutte de vin dans un gobelet ; car elle ne voulait pas tout manger et tout boire, ce qu’elle n’eût point eu de peine à faire, si elle eût mangé et bu à son appétit.
Puis, comme elle était fatiguée, elle s’avisa à se coucher dans un des lits.
Mais aucun des six premiers lits ne lui convenait : l’un était trop court, l’autre était trop étroit.
Il n’y eut que le septième qui lui allât bien.
Elle s’y coucha, et, après s’être recommandée à Dieu, elle s’endormit.
Quand la nuit fut tout à fait venue, les sept maîtres rentrèrent.
C’étaient sept nains, qui exerçaient la profession de chercheurs de minerai dans la montagne.
Ils allumèrent sept lumières, et alors ils virent que quelqu’un était venu, car rien n’était plus dans le même ordre où ils l’avaient laissé.
Le premier dit :
– Qui s’est donc assis sur ma chaise ?
Le second dit :
– Qui donc a mangé dans mon assiette ?
Le troisième dit :
– Qui donc a grignoté mon pain ?
Le quatrième :
– Qui donc a mangé ma part de légumes ?
Le cinquième :
– Qui s’est servi de ma fourchette ?
Le sixième :
– Qui a coupé avec mon couteau ?
Et le septième :
– Qui a bu dans mon gobelet ?
Alors le premier regarda tout autour de lui, et s’aperçut que quelqu’un était couché dans le lit du septième nain, qui était le plus grand de tous.
– Tiens ! demanda-t-il à son camarade, qui donc est couché dans ton lit ?
Tous les autres nains accoururent et dirent :
– Dans le mien aussi l’on a essayé de se coucher.
Mais le septième, regardant Blanche de Neige qui dormait, appela les autres.
Les sept nains restèrent saisis d’admiration en voyant la jeune fille, qu’éclairaient leurs sept lumières.
– Oh ! mon Dieu ! s’écrièrent-ils en chœur, que cette enfant est donc belle !
Et ils en étaient si réjouis, qu’au lieu de l’éveiller, ils la laissèrent couchée dans le lit.
Celui dont Blanche de Neige avait pris le lit coucha à terre sur une jonchée de fougères sèches.
Le lendemain, quand vint le jour, Blanche de Neige s’éveilla, et fut fort effrayée en voyant les sept nains grouiller dans la maisonnette.
Ceux-ci s’approchèrent d’elle et lui demandèrent :
– Comment t’appelles-tu ?
– Je m’appelle Blanche de Neige, répondit la jeune fille.
– Comment es-tu venue dans notre maison ? lui demandèrent encore les nains.
Alors elle leur raconta que sa belle-mère avait voulu la faire mourir, mais que, le chasseur lui ayant, sur sa prière, laissé la vie, elle avait trouvé la maisonnette, y était entrée, et, ayant faim et étant fatiguée, y avait soupé, s’était couchée et s’était endormie.
Les sept nains lui dirent :
– Si tu veux faire notre ménage, notre cuisine et nos lits, laver, coudre, tricoter, enfin tenir la maison propre et nette, alors tu pourras rester avec nous, et rien ne te manquera.
– Très volontiers, dit Blanche de Neige.
Et, toute fille de roi et de reine qu’elle était, elle resta chez les sept nains, fit leur ménage et tint tout en ordre.
Le matin, les nains partaient pour la montagne, où ils cherchaient leur minerai d’or, d’argent et de cuivre.
Le soir, ils revenaient et trouvaient leur repas servi.
Tout le long du jour, la jeune fille restait donc seule, et il y avait peu de matins où les nains, qui l’aimaient comme leur enfant, ne lui fissent en la quittant :
– Ne laisse entrer personne, Blanche de Neige ; défie-toi de ta belle-mère ; un jour ou l’autre, elle apprendra que tu es vivante et te poursuivra jusqu’ici.
Et, en effet, la reine, croyant être débarrassée de Blanche de Neige, était restée deux ans, à peu près, sans consulter son miroir. Et, pendant ces deux ans, l’enfant, devenant jeune fille et embellissant chaque tour, était restée bien tranquille et, disons plus, bien heureuse chez les nains.
Mais enfin, un jour la reine fut prise d’une vague inquiétude, se plaça devant son miroir et dit :
– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?
Et le miroir répondit :
– Belle reine, tu es la plus belle dans toutes les villes de ton royaume ; mais Blanche de Neige, dans la montagne, chez les sept nains, est mille fois plus belle que toi.
La reine fut effrayée ; elle savait que le miroir ne pouvait mentir ; elle vit donc bien que le chasseur l’avait trompée, dès que Blanche de Neige était vivante.
Alors elle se mit à songer comment elle parviendrait à faire mourir Blanche de Neige ; car sa jalousie, elle le sentait bien, ne lui laisserait aucun repos tant qu’elle ne serait pas la plus belle du pays.
Elle imagina donc de se grimer la figure et de se déguiser en vieille marchande foraine.
Ainsi grimée et déguisée, elle était méconnaissable.
Elle partit pour la montagne des sept nains, arriva à la maisonnette et frappa à la porte en disant :
– Belle marchandise à vendre… et à bon marché !
Blanche de Neige, qui, ainsi que d’habitude, avait fermé la porte en dedans, regarda par la fenêtre et dit :
– Bonjour, bonne femme ! Qu’avez-vous à vendre ?
– De bonnes marchandises, ma belle enfant, répondit-elle ; de jolis lacets pour les brodequins, de jolies ceintures pour la taille, de jolis velours pour les colliers.
« Ah ! pensa Blanche de Neige, je puis bien faire entrer cette honnête marchande. »
Et elle ôta le verrou de la porte.
La vieille entra, lui montra sa marchandise, et Blanche de Neige lui acheta un beau petit velours noir pour mettre en collier.
– Ah ! mon enfant, dit la vieille, que vous êtes belle ! mais vous serez bien plus belle encore avec ce collier. Laissez-moi donc vous le nouer derrière le cou, que j’aie le plaisir de voir comme il vous va bien.
Blanche de Neige, ne se défiant de rien, se mit devant elle pour qu’elle lui passât au cou le ruban. Mais la vieille le lui serra si fort que Blanche de Neige, sans avoir le temps de pousser un cri, en perdit la respiration et tomba comme morte.
La reine la crut morte tout à fait.
– Ah ! dit-elle, tu as été la plus belle, mais tu ne l’es plus.
Et elle sortit vivement.
Vers le soir, les sept nains revinrent au logis, et furent fort effrayés en trouvant leur chère Blanche de Neige étendue sur le sol et comme morte.
Ils virent bien tout d’abord que c’était le velours noir qui l’étranglait : ils le coupèrent ; et Blanche de Neige, commençant à respirer, revint à elle peu à peu.
Les sept nains lui dirent alors :
– La vieille marchande foraine n’est autre que la reine ta belle-mère. Prends donc bien garde à toi, maintenant que te voilà avertie, et ne laisse entrer personne dans la maison quand nous n’y serons pas.