La méchante reine, rentrée chez elle, demeura quelques jours tranquille, car elle se regardait, maintenant qu’elle croyait Blanche de Neige morte, comme la plus belle du pays.
Cependant, un beau matin, elle alla en minaudant à son miroir, et lui dit, plutôt par habitude que par doute :
– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?
Et le miroir lui répondit :
– Belle reine, tu es la plus belle dans toutes les villes de ton royaume ; mais Blanche de Neige, dans la montagne, chez les sept nains, est dix mille fois plus belle que toi.
En entendant cela, la reine jeta un cri de rage, et tout son sang reflua vers son cœur.
Et, en effet, elle était très effrayée, car elle voyait bien que Blanche de Neige était encore en vie.
– Ah ! maintenant, dit-elle, je veux imaginer quelque chose qui anéantisse à tout jamais ma rivale en beauté.
Et, comme elle connaissait la magie, elle fit un peigne empoisonné. Alors elle se déguisa de nouveau, revêtit l’aspect d’une autre vieille femme, quitta la ville, gagna la montagne, arriva à la maisonnette et frappa à la porte en criant :
– Belle marchandise à vendre, et pas cher !
Blanche de Neige regarda à la fenêtre et dit :
– Passez votre chemin, bonne femme ; je ne dois pas vous laisser entrer.
– Mais tu peux au moins regarder, dit la vieille.
Et elle tira son peigne, qui reluisait comme s’il était d’or, et l’éleva en l’air.
– Oh ! dit l’enfant, comme mes cheveux noirs paraîtraient bien plus noirs encore s’ils étaient relevés par ce beau peigne d’or !
Blanche de Neige et la vieille femme ne tardèrent pas à tomber d’accord sur le prix. Mais alors la vieille lui dit :
– Maintenant, laisse-moi entrer, afin que je te pose ce peigne à la mode de la ville d’où je viens.
La pauvre Blanche de Neige, sans défiance aucune, laissa entrer la vieille. Mais à peine celle-ci eut-elle mis le peigne dans les cheveux de la jeune fille que le peigne fit son effet et que Blanche de Neige tomba sans connaissance.
– Chef-d’œuvre de beauté, dit la méchante reine en sortant, j’espère maintenant que c’est fait de toi !…
Par bonheur, cela se passait vers le soir. La méchante reine n’était donc pas sortie depuis dix minutes, que les nains rentrèrent.
En voyant Blanche de Neige étendue sur le sol, et soupçonnant de nouveau sa belle-mère, ils aperçurent dans ses cheveux un peigne d’or qu’ils ne lui connaissaient pas, et se hâtèrent de l’enlever.
À peine le peigne fut-il hors des cheveux de la jeune fille, que Blanche de Neige revint à elle et raconta à ses bons amis les sept nains ce qui s’était passé.
Alors ils lui recommandèrent plus que jamais de se tenir en garde et de n’ouvrir à personne.
Une quinzaine de jours après l’événement que nous venons de raconter, la reine se plaça de nouveau devant son miroir, et dit :
– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?
Le miroir répondit :
– Belle reine, tu es la plus belle dans toutes les villes de ton royaume ; mais Blanche de Neige, dans la montagne, chez les sept nains, est cent mille fois plus belle que toi.
En entendant cette réponse, la reine se mit à trembler de colère.
– Oh ! cette fois, s’écria-t-elle, il faut que Blanche de Neige meure, dût-il m’en coûter ma propre vie.
Alors elle s’enferma dans une chambre isolée où ne pénétrait jamais personne, et qui était le laboratoire où elle préparait ses poisons ; et, là, elle fit une pomme de calville qui avait une splendide apparence : blanche d’un côté, rouge de l’autre. Blanche de Neige n’avait pas le teint plus blanc ; Blanche de Neige n’avait pas les joues plus roses.
Mais quiconque mangeait le plus petit morceau de cette pomme devait mourir en l’avalant.
Quand la pomme fut terminée, la reine se déguisa en paysanne, et quittant la ville, gagna la montagne et arriva devant la maisonnette des sept nains.
Elle frappa à la porte.
Blanche de Neige se mit à la fenêtre et dit :
– Oh ! cette fois-ci, je n’ouvre pas ; les sept nains me l’ont trop bien défendu, et, d’ailleurs, j’ai été moi-même trop bien punie d’avoir ouvert.
– Bon ! dit la paysanne, je ne voulais que te donner cette pomme, que j’ai cueillie à ton intention, Blanche de Neige.
– Je n’en veux pas, dit celle-ci, car peut-être est-elle empoisonnée.
– Ah ! quant à cela, tu vas bien voir le contraire, dit la paysanne. Et, prenant son couteau, elle la coupa en deux.
– Tiens, dit-elle, je mange le côté blanc, mange le côté rouge. Mais cette pomme avait été faite avec tant d’art, que le côté rouge seulement était empoisonné.
Blanche de Neige lorgnait la pomme, et, quand elle vit que la paysanne mangeait le côté blanc, elle ne put résister à son désir ; elle tendit la main et prit le côté rouge.
Mais à peine eut-elle mordu dedans, qu’elle tomba morte à terre.
La paysanne monta sur le banc, regarda par la fenêtre, et, la voyant étendue sans souffle, elle la contempla avec des yeux cruels, et dit :
– Blanche de Neige, rouge comme sang, noire comme ébène, cette fois les sept nains ne te réveilleront plus.
Et quand, revenue au palais, elle consulta son miroir en demandant :
– Petit miroir pendu au mur, quelle est la plus belle de tout le pays ?
Le miroir lui répondit :
– Belle reine, tu es la plus belle non seulement du pays, mais de toute la terre.
Et son cœur jaloux eut enfin du repos, autant toutefois qu’un cœur jaloux peut en avoir.
Quand les nains revinrent à la fin de leur journée, qu’ils trouvèrent Blanche de Neige à terre, et qu’ils virent que cette fois elle ne respirait plus, ils la relevèrent, la délacèrent, la peignèrent, la lavèrent avec de l’eau et du vin, et, l’ayant couchée dans sa robe blanche, ils se mirent à la pleurer pendant trois jours.
Alors ils songèrent à l’enterrer ; mais, comme elle avait la mine aussi fraîche qu’une personne vivante, comme elle avait toujours ses belles couleurs roses, ils se dirent :
– Nous ne pouvons pourtant pas mettre en terre un pareil trésor de beauté.
Et ils s’en allèrent chez des verriers de leurs amis, nains comme eux, et ils leur firent faire un cercueil tout de glaces transparentes comme une châsse de saint ; puis ils couchèrent la jeune fille dedans sur un lit de fleurs, écrivirent en lettres d’or son nom sur le couvercle, et y inscrivirent sa qualité de fille de roi.
Après quoi, ils déposèrent le cercueil sur le point le plus élevé de la montagne, et l’un d’eux resta auprès pour le garder.
Et les animaux sauvages s’approchèrent eux-mêmes du cercueil de Blanche de Neige et la pleurèrent.
Le premier animal qui vint fut un hibou ; le second, un corbeau, et le troisième, un pigeon.
Blanche de Neige resta trois ans dans le cercueil sans dépérir en rien.
Les fleurs sur lesquelles elle était couchée se fanèrent ; mais elle resta fraîche comme si elle était une fleur immortelle.
Au bout de trois ans, celui des nains qui gardait le cercueil – ils se relayaient tour à tour pour remplir ce soin pieux –, au bout de trois ans, celui des nains qui gardait le cercueil entendit de grands sons de trompe et de grands abois de chiens.
C’était le fils unique du roi d’un royaume voisin qui chassait, et que l’ardeur de la chasse avait entraîné au-delà de sa frontière et jusque dans le bois des nains.
Il vit le cercueil ; dans le cercueil la belle Blanche de Neige, et, sur le cercueil, ce que les nains y avaient écrit.
Alors il dit au nain qui le gardait :
– Laisse-moi emporter ce cercueil, et je te donnerai ce que tu voudras.
Mais le nain répondit :
– Ni moi ni mes six frères ne le voudrions pour tout l’or du monde.
– Alors, faites-m’en cadeau, dit le fils du roi ; car je sens que, puisque Blanche de Neige est morte, je ne me marierai plus jamais. Je veux donc l’emporter dans mon palais et la respecter et l’honorer comme ma bien-aimée.
– Eh bien, dit le nain, revenez demain ; j’aurai consulté mes frères, et j’aurai vu quelle est leur intention.
Il consulta ses frères, qui eurent pitié de l’amour du prince ; de sorte que, le lendemain, quand le jeune homme revint, le nain lui dit :
– Prenez Blanche de Neige, elle est à vous.
Le prince fit placer le cercueil sur les épaules de ses serviteurs, et les accompagnant à cheval, les yeux toujours fixés sur Blanche de Neige, il reprit le chemin de ses États.
Mais il arriva que les deux premiers porteurs trébuchèrent sur une racine, et que, dans la secousse imprimée à Blanche de Neige, celle-ci rejeta la bouchée de pomme qu’elle avait mordue, mais que, par bonheur, elle n’avait pas eu le temps d’avaler.
À peine le morceau de pomme fut-il sorti de la bouche de Blanche de Neige, que celle-ci rouvrit les yeux, poussa du front le couvercle du cercueil et se dressa tout debout.
Elle était redevenue vivante.
Le prince jeta un cri de joie.
À ce cri, Blanche de Neige regarda autour d’elle.
– Oh ! mon Dieu ! demanda-t-elle, où suis-je ?
– Tu es près de moi ! s’écria le fils du roi tout joyeux.
Et alors il lui raconta ce qui s’était passé, ajoutant :
– Blanche de Neige, je t’aime plus que quoi que ce soit au monde ; viens avec moi au palais de mon père, et tu seras ma femme.
Le prince avait dix-huit ans. Il était le plus beau prince, comme Blanche était la plus belle princesse qu’il y eût au monde. Il n’eut donc pas de peine à se faire aimer de celle qu’il aimait.
Blanche de Neige arriva au palais du prince. Et, comme c’était une jeune personne accomplie, le père du prince l’accueillit pour fille.
Un mois après, le mariage se fit avec grande pompe et grande magnificence.
Le mariage fait, le prince voulait déclarer la guerre à la méchante reine qui avait si fort persécuté Blanche de Neige ; mais celle-ci dit :
– Si ma belle-mère mérite punition, c’est au bon Dieu et non à moi de la punir.
La punition ne se fit pas attendre : la petite vérole se déclara dans les États de la méchante reine, et elle fut atteinte de la contagion.
Elle n’en mourut pas, mais ce fut bien pis, elle en fut défigurée.
Or, comme pas un courtisan n’avait osé lui dire le malheur qui lui était arrivé, il advint que, lorsqu’elle put se lever, la première chose qu’elle fit fut de se traîner vers son miroir.
– Petit miroir pendu au mur, lui demanda-t-elle, quelle est la plus belle de tout le pays ?
– Autrefois, répondit le miroir, c’était toi ; mais, aujourd’hui, tu en es la plus laide.
En entendant ces mots terribles, la reine se regarda, et, en effet, elle se trouva si hideuse, qu’elle poussa un cri et tomba à la renverse.
On accourut, on la ramassa, on essaya de la faire revenir à elle, mais elle était morte.
Restait le vieux roi.
Il ne regretta pas fort sa femme, qui l’avait rendu très malheureux.
Seulement, de temps en temps, on l’entendait soupirer :
– À qui laisserai-je mon beau royaume ? Ah ! si ma pauvre Blanche de Neige n’était pas morte !
On rapporta à Blanche de Neige ce qui se passait, et combien elle était regrettée par son vieux père.
Alors elle se mit en route, accompagnée du jeune prince son époux, et, comme elle attendait à la porte du vieux roi tandis qu’on était allé lui demander s’il voulait recevoir la femme du jeune prince son voisin, qui était la plus belle princesse que l’on pût voir, elle lui entendit dire en soupirant :
– Ah ! si ma pauvre Blanche de Neige vivait encore, nulle autre princesse qu’elle ne pourrait dire : « Je suis la plus belle princesse du monde. »
Blanche de Neige n’eut pas besoin d’en entendre davantage, elle s’élança dans la chambre du vieux roi en s’écriant :
– Ô mon bon père, Blanche de Neige n’est pas morte, elle est dans tes bras ! Mon bon père, embrasse ta fille !
Et, quoique le vieux roi n’eût pas vu Blanche de Neige depuis quatre ans, il la reconnut à l’instant même ; et, avec un accent qui fit pleurer de joie les anges, il s’écria :
– Ma fille bien-aimée ! mon enfant chérie ! ma Blanche de Neige !…
Le lendemain, le vieux roi, las de régner, laissait ses États à son gendre, lequel, à la mort de son père, réunit les deux États en un seul, de sorte qu’il se trouva pouvoir laisser au fils qu’il eut de Blanche de Neige un des plus grands et des plus beaux royaumes de la terre.
D’après Grimm : Blanche-Neige.