5 Ce qu’était devenue la chèvre

Mais où donc était passée la chèvre qui avait causé tout ce remue-ménage ?

Je vais vous le dire.

Elle se trouva si honteuse d’avoir la barbe rasée et les oreilles coupées, qu’elle alla se cacher au fond d’un grand trou.

Ce trou servait à la fois de terrier à un renard, de repaire à un ours et de nid à une abeille.

Renard, ours et abeille étaient sortis de chez eux lorsque la chèvre y entra.

Ce fut le renard qui revint le premier au logis.

Mais, comme le renard est un animal de précaution, il commença par regarder dans son trou avant que d’y rentrer, et, au plus profond du trou, il vit une espèce de tête de serpent avec de grands yeux brillant comme des escarboucles.

Le renard fut si effrayé qu’il se sauva.

L’ours rencontra le renard ; celui-ci avait l’air si effaré, que l’ours l’arrêta en lui disant :

– Qu’as-tu donc, ami renard, et que t’est-il arrivé ? Pouah ! la pauvre mine que tu fais !

– Oh ! répondit la bête rousse, imaginez-vous, seigneur ours, qu’il y a dans notre maison un animal effrayant qui m’a regardé avec des yeux de flamme.

– Oh ! oh ! dit l’ours, il faut éclaircir cela tout de suite ; viens avec moi.

Le renard, toujours prudent, se mit à la suite de l’ours et retourna vers sa tanière.

Arrivé à l’entrée, l’ours passa sa tête par l’ouverture et regarda à l’intérieur.

Mais, quand il vit les yeux enflammés de la chèvre, la peur le prit également, et, ne voulant rien avoir à démêler avec un animal si terrible, il secoua la tête et s’en retourna.

Chemin faisant, ils rencontrèrent l’abeille, qui revenait à sa ruche.

L’intelligent insecte remarqua que ni l’ours ni le renard n’avaient l’air bien à l’aise dans leur peau.

– Eh ! l’ours, demanda-t-elle, tu fais terriblement mauvais visage. Où donc est passée ta gaieté ?

– Tu en parles bien à ton aise, répondit l’ours, tandis que le renard appuyait par ses gestes les paroles de son seigneur, il y a dans notre tanière un animal qui n’appartient à aucune race connue et qui nous a regardés avec des yeux flamboyants, et nous n’avons jamais pu le faire déguerpir.

– En vérité, répondit l’abeille, tu me fais de la peine, mon cher ours ; je ne suis qu’une pauvre et frêle créature qu’on ne regarde pas même quand je passe, car à peine m’a-t-on aperçue que l’on me perd de vue. Mais, sans être trop présomptueuse, je crois pouvoir vous offrir mes services dans cette circonstance.

Et elle s’envola du côté de la tanière commune, ayant soin de mesurer son vol de façon que l’ours et le renard pussent la suivre.

En arrivant à l’ouverture, elle y pénétra hardiment, tandis que les deux quadrupèdes, plus circonspects, restaient dehors.

Puis, sans faire attention à ces yeux flamboyants qui avaient si fort épouvanté l’ours et le renard, elle alla se poser sur le nez fraîchement rasé de la chèvre et la piqua si impitoyablement, que celle-ci s’élança hors du trou et se précipita à travers plaines et montagnes comme une insensée.

Personne ne la revit jamais et nul ne sut ce qu’elle était devenue.

Le renard, l’ours et l’abeille rentrèrent dans leur tanière et y vécurent en bonne intelligence comme auparavant.

Seulement, l’ours et le renard eurent pour l’insecte un respect qu’ils n’avaient pas songé à lui porter jusque-là.

C’est le respect que les animaux et même les hommes, les plus curieux de tous les animaux, sont obligés de porter à une intelligence supérieure.

 

D’après Grimm : La Petite Table, l’âne et le bâton.

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