10 Mort du prince Azor

Le soir même, le prince Azor et Renardino se livrèrent, dans le palais, aux perquisitions les plus minutieuses : l’un, pour retrouver la personne du roi ; l’autre, les trois cent mille sequins qui lui avaient été enlevés ; mais leurs recherches furent inutiles.

Le roi n’était plus au palais. Emporté par Pierrot, il dormait en ce moment d’un sommeil de plomb dans la maisonnette du bûcheron ; ses liens avaient été coupés, et, de temps en temps, la bonne Marguerite lui faisait respirer des sels d’une odeur si pénétrante et si aiguë, que le pauvre monarque faisait d’affreuses grimaces et s’appliquait en dormant de grands coups de poing sur le nez.

De son côté, le bûcheron, accoudé sur la table, couvait avidement des yeux une éblouissante traînée de sequins qui reflétait en rayons d’or les pâles clartés de la lampe.

Cependant, le prince Azor, qui commençait à devenir fort inquiet, fit placer des sentinelles aux grilles du palais, et passa toute la nuit en conférence avec le seigneur Renardino. Une chose le préoccupait surtout ; c’était l’absence des troupes du roi, que Cœur-d’Or, sur l’avis de la vieille mendiante, avait emmenées avec lui le soir pour escorter Fleur-d’Amandier.

Renardino, qui ignorait cette circonstance, se perdait en mille conjectures sur cette singulière disparition, et, bien qu’il n’en dît rien, entrevoyait vaguement quelque malheur.

Le jour venait de poindre, quand le capitaine des troupes du prince Azor entra dans la chambre.

– Qu’y a-t-il de nouveau ? demanda le prince.

– Sire, la nuit a été tranquille, répondit le capitaine ; seulement les soldats de garde ont aperçu un fantôme qui a erré toute la nuit autour des grilles du palais. L’un d’eux a cru reconnaître dans ce fantôme l’homme blanc qui se disait l’ambassadeur du roi de Bohême et que vous avez voulu mettre à mort ; mais, que ce soit lui ou tout autre, je ne dissimulerai pas à Votre Altesse que cette apparition affecte au plus haut degré le moral de votre armée.

– Comment ! les lâches ont peur d’un fantôme ! fit le prince d’une voix stridente. Eh bien, capitaine, il faut brusquer les choses Sortez du palais avec toutes mes troupes, et mettez la ville à feu, à sac et à sang !

Le capitaine s’inclina et sortit.

Une minute après, il rentra tout effaré.

– Prince, dit-il, nous sommes bloqués ; le roi de Bohême, à la tête de son armée, cerne toutes les issues du palais et somme Votre Altesse de se rendre !…

– Sang et mort ! qui parle ici de se rendre ? reprit le prince Azor d’une voix terrible. Capitaine, apportez-moi ma cuirasse et ma lance, faites ouvrir les grilles du palais, que je disperse en un tour de main toute cette canaille.

– Prince, vous ne m’avez pas compris, dit le capitaine ; je vous répète que nous sommes bloqués. Les clefs de toutes les grilles du palais ont été soustraites cette nuit et nous ne pouvons sortir.

– Les clefs soustraites ? et qui a eu l’audace ?…

– Cet homme blanc qui a rôdé toute la nuit et dont je vous parlais tout à l’heure ; il vient de les remettre à l’instant même au roi, votre ennemi.

– Bas les armes ! s’écria tout à coup une voix menaçante, bas les armes, ou vous êtes morts !

C’était Cœur-d’Or qui se précipitait dans la chambre, suivi du roi de Bohême et de son armée.

Furieux de se trouver pris au trébuchet, le prince Azor s’adossa à la muraille et se disposait à vendre chèrement sa vie, lorsque le seigneur Renardino le saisit par le bras et lui dit à voix basse :

– Tout beau, prince, tout beau ! Remettez votre épée dans sa gaine et laissez-moi faire ; la partie n’est pas encore perdue.

S’avançant alors vers le roi :

– Sire, lui dit-il, je ne puis revenir de l’étonnement où je suis. Que se passe-t-il donc et que signifie tout cet appareil de guerre ? Est-ce ainsi que vous exercez l’hospitalité envers les princes qui briguent l’honneur de s’allier à votre royale maison ?

– Hein ? Que voulez-vous dire, seigneur Renardino ? s’écria le roi.

– Je dis, reprit Renardino d’une voix grave et solennelle, que le prince Azor, ici présent, pour cimenter la paix entre vos deux royaumes, a l’honneur de solliciter de Votre Majesté la main de Son Altesse Royale, haute et puissante princesse Fleur-d’Amandier.

À cette péripétie inattendue, les assistants poussèrent une exclamation de surprise. Pierrot paraissait confondu et sifflait un air entre ses dents pour se donner une contenance, tandis que le roi lui disait tout bas :

– Qu’est-ce que vous me chantiez donc cette nuit, avec votre histoire de poudre, seigneur Pierrot ?

– Le prince Azor attend votre réponse, sire, reprit Renardino.

À ces mots, la vieille mendiante, qui se trouvait à côté du roi, lui dit à l’oreille :

– Répondez vite que vous agréez sa demande, mais offrez-lui, pour l’éprouver, le combat d’usage.

– C’est juste, je n’y avais pas songé, dit le roi ; merci, ma bonne vieille ; et se tournant vers Renardino : J’accepte de grand cœur l’offre d’alliance que veut bien nous faire notre beau cousin le prince Azor, mais à une condition, c’est que, suivant l’antique usage de notre Bohême, il soutiendra aujourd’hui même, dans un tournoi, la lutte à toutes armes, à pied et à cheval, contre tout venant.

– Accepté, dit le prince Azor.

– Eh bien ! prince Azor, je te défie ! s’écrièrent à la fois Cœur-d’Or et Pierrot, qui jetèrent, l’un son gantelet, et l’autre, son chapeau de feutre à ses pieds.

– Insensés ! cria le prince Azor d’une voix tonnante ; malheur à vous !

Et il releva les gages du combat.

Une heure après, tout avait été préparé pour le tournoi. Les deux armées étaient rangées autour du camp, en ordre de bataille, et le roi, ayant à sa droite Fleur-d’Amandier, à sa gauche le seigneur Renardino, était assis sur une estrade qui s’élevait au milieu de la lice.

Le prince Azor, fièrement campé sur son coursier noir, attendait immobile, et la lance en arrêt, le signal du combat.

Tout à coup le clairon sonna, et l’on vit apparaître à l’extrémité de l’arène, monté sur un âne, et n’ayant d’autre arme offensive qu’une longue fourche qu’il avait prise dans les écuries du palais, sir Pierrot, casque en tête et cuirasse au dos. Après avoir salué gracieusement le roi, il piqua des deux et courut sus au prince Azor, qui, de son côté, arrivait sur lui comme la foudre.

Dès cette première passe, notre héros aurait été infailliblement écrasé, si l’âne qu’il montait, et qui n’avait jamais assisté à pareil exercice, ne se fût mis à braire d’une façon si bruyante et si désespérée, que le coursier du prince Azor se cabra d’épouvante, et sauta par-dessus le baudet et son cavalier.

Rudement secoué sur sa selle, le prince fut obligé de se tenir à la crinière de son cheval pour ne pas perdre les arçons, tandis que Pierrot poursuivait triomphalement sa carrière, trottant menu sur son âne, sa fourche à la main.

Arrivés aux deux extrémités de la lice, les deux champions firent volte-face et jouèrent de nouveau des éperons. Mais, cette fois, le choc fut terrible, et Pierrot, atteint en pleine cuirasse par la lance de son adversaire, alla rouler avec son âne à plus de cent pas de là Monture et cavalier ne donnaient aucun signe de vie.

Les soldats du prince Azor poussèrent un hourra.

– Silence dans les rangs ! cria le roi, et qu’on appelle un nouveau champion.

Cœur-d’Or, revêtu d’une magnifique armure et monté sur un cheval blanc, fit son entrée dans l’arène. Il salua courtoisement le roi et Fleur-d’Amandier en baissant le fer de sa lance, et prit place à l’extrémité de la lice, en face du prince Azor.

La trompette donna le signal, et les deux champions s’élancèrent l’un sur l’autre ; leur rencontre au milieu de l’arène retentit comme un coup de tonnerre ; les chevaux plièrent sur leurs jarrets de derrière et les lances volèrent en éclats, mais aucun des deux chevaliers n’avait bronché.

– Allons, mes braves, c’est à refaire, dit le roi ; et deux lances neuves furent données à nos champions pour recommencer la lutte.

Dans ce nouvel assaut, Cœur-d’Or fut blessé à l’épaule, et le prince Azor, désarçonné, roula dans la poussière, mais il se releva aussitôt, saisit sa hache d’armes, et se mit en état de défense.

Cœur-d’Or, jetant sa lance, prit également sa hache d’armes, et sauta en bas de son coursier.

La lutte fut terrible ; c’étaient de part et d’autre des coups à fendre des montagnes ; mais les vaillants champions n’en paraissaient pas même ébranlés.

Le combat durait depuis une heure sans avantage marqué d’aucune part, quand Cœur-d’Or, affaibli par sa blessure, fit un mouvement de retraite. Tout à coup son pied rencontre un obstacle, il chancelle et tombe… D’un bond, le prince Azor est sur lui, l’étreint à la gorge et tire son poignard.

À ce moment suprême, un cri se fait entendre, cri terrible, déchirant, comme celui d’une mère qui voit périr son enfant : c’est Fleur-d’Amandier qui l’a poussé.

À ce cri, Cœur-d’Or se ranime, rassemble ses forces et parvient à se débarrasser de l’étreinte de son adversaire ; alors il se relève, prend sa hache à deux mains, la fait tournoyer dans l’air, et en assène un coup si violent sur la tête du prince Azor, qu’il brise son casque en mille pièces et pourfend le prince Azor de la tête aux pieds.

– Ouf ! il était temps ! s’écria le roi, qui souffla avec force comme un plongeur qui revient sur l’eau ; Cœur-d’Or l’a échappé belle !

– Victoire ! victoire ! vive Cœur-d’Or ! crièrent les troupes du roi, tandis que les soldats du prince Azor, muets et immobiles, cordaient leurs lances de colère.

Le vainqueur fut porté en triomphe, au son des fanfares, jusqu’au pied de l’estrade royale, mais il perdait tant de sang par sa blessure, qu’en recevant l’accolade du roi il tomba évanoui dans ses bras.

Le bon monarque, tout en émoi, le déposa aussitôt sur son trône, et s’apprêtait à lui frapper dans les mains, quand Fleur-d’Amandier, qui était pâle comme un lis, détacha son écharpe, et, se mettant à genoux, banda de sa belle main la blessure du pauvre chevalier. Soit que ce remède fût efficace, soit qu’il y ait je ne sais quoi d’électrique dans le contact de la personne aimée, soit ceci, soit cela, toujours est-il, mes enfants, que Cœur-d’Or fit un mouvement et ouvrit les yeux. Un éclair de bonheur illumina ses traits en voyant, agenouillée devant lui, la jeune princesse, dont toute la figure se couvrit d’une charmante rougeur.

– Oh ! de grâce, lui dit-il, restez ainsi ; si c’est un rêve, ne m’éveillez pas !

Je ne sais combien de temps cela aurait duré, si la vieille mendiante, qui se glissait partout, n’eût touché de la main l’épaule de Cœur-d’Or, qui se leva soudain, guéri de sa blessure.

À ce prodige, Fleur-d’Amandier ne put retenir un cri de joie. C’était la seconde fois de la journée que son secret lui échappait. Il n’y avait plus moyen de s’en dédire : elle aimait Cœur-d’Or.

Arrivons maintenant à Pierrot.

Nous l’avons laissé, mes enfants, couché tout de son long sur l’arène, à côté de son âne, qui avait les quatre fers en l’air. Ni l’un ni l’autre n’avaient remué pied ou patte pendant le tournoi ; mais, aux cris de victoire poussés par les soldats du roi de Bohême, Pierrot s’était relevé brusquement, avait couru sur le lieu du combat, et pris sous la cuirasse du prince Azor un petit billet plié en quatre.

– C’est bien cela, avait-il dit, et il s’était dirigé vers le roi pour le lui remettre.

Or, Sa Majesté, complètement rassurée sur le sort de Cœur-d’Or, dissertait en ce moment avec son grand ministre sur les événements du jour. Tout à coup, le seigneur Renardino pâlit ; il venait d’apercevoir le billet aux mains de Pierrot.

– Donnez-moi cette lettre, dit-il vivement, donnez-moi cette lettre.

Et il se jeta sur lui pour s’en saisir.

– Après Sa Majesté, s’il vous plaît, seigneur grand ministre, avait répondu notre héros.

– Pierrot a raison, repartit le roi. Il s’est passé aujourd’hui des choses si étranges, que je veux tout voir maintenant par mes propres yeux.

Il prit incontinent le billet.

Prompt comme l’éclair, le seigneur Renardino tira de sa poitrine un poignard, et il allait en frapper traîtreusement le roi, quand Pierrot qui avait toujours à la main son instrument de combat, enfourcha par le cou le grand ministre, et le cloua net sur l’estrade.

– Maintenant, sire, dit-il, vous pouvez lire tout à l’aise.

Et le roi lut à voix basse ce qui suit :

Au prince Azor, Albertini Renardino.

Prince, toutes mes mesures sont prises. Je vous livrerai cette nuit le roi de Bohême pieds et poings liés. Le pauvre sire n’y voit pas plus loin que son nez. Je vous raconterai à votre arrivée toutes les sottises que je lui ai mises dans l’esprit au sujet de la reine et de Pierrot. Vous en rirez de bon cœur.

Vite, vite à cheval, bel Azor, et la Bohême est à vous !

Votre ami féal,

Renardino.

P. -S. N’oubliez pas, surtout, d’apporter avec vous les trois cent mille sequins convenus.

– Ah ! traître ! ah ! pendard ! s’écria le roi, qui se tourna vers Renardino, pourpre de colère, et lui mit le poing sous le nez. Ah ! je suis un pauvre sire ! Ah ! je n’y vois pas plus loin que mon nez ! Par ma barbe, tu me le payeras cher !

Et il le fit charger de chaînes et emmener par ses gardes.

Cœur-d’Or et Fleur-d’Amandier, qui causaient ensemble, n’avaient rien vu, rien entendu de ce qui se passait auprès d’eux ; la foudre serait tombée à leurs pieds qu’ils ne s’en seraient pas aperçus.

– Maintenant, en route ! en route ! cria le roi. Il faut qu’aujourd’hui même justice soit faite à tous. Courons à la tour délivrer la reine.

Au nom de la reine, Fleur-d’Amandier tressaillit.

– Ô ma bonne mère, dit-elle en joignant les mains, pardonnez-moi, je vous avais oubliée ! et, s’appuyant au bras de Cœur-d’Or, elle se réunit au cortège, qui déjà était en marche vers la tour.

Le roi tenait la tête et, tout en cheminant, réfléchissait ; il faisait sans doute un calcul, car on le voyait de temps en temps compter sur ses doigts.

Tout à coup il s’arrêta, mais si brusquement et si court, qu’il renversa l’officier des gardes qui marchait derrière lui, son grand sabre à la main. L’officier des gardes, en tombant, fit choir un soldat ; naturellement le soldat en fit choir un autre, celui-ci un troisième, et ainsi de suite, et, de proche en proche, ce ne fut plus sur toute la ligne qu’une jonchée.

– C’est bien, c’est bien, mes enfants, dit le roi, qui crut que ses soldats se prosternaient à terre pour lui rendre hommage. Relevez-vous. Puis, se tournant vers Fleur-d’Amandier :

– Mon historiographe est-il ici ?

– Oui, mon père. Vous savez bien qu’il vous accompagne partout où vous allez.

– Or çà, qu’il vienne et qu’il apporte ses tablettes. J’ai résolu de faire aujourd’hui une bonne œuvre, et je veux qu’il l’enregistre en lettres d’or, pour que la postérité en garde mémoire.

– C’est là une bonne pensée, mon père, et digne de votre bon cœur.

– Flatteuse ! répliqua le roi, en lui donnant du bout des doigts une petite tape sur la joue. Mais, j’y songe, c’est toi que je vais charger de faire cette bonne action.

– Et vous, mon père ?

– Moi ! je n’y entends rien, tu le sais bien. Je fais les choses carrément, voilà tout ; mais toi, tu as une voix si douce, une parole si émue lorsque tu donnes aux pauvres gens, qu’ils se sentent heureux rien que de t’entendre. Et puis, tu as dans ta manière, ma chère enfant, je ne sais quelle délicatesse qui double le prix du bienfait…

– Mon père !… dit Fleur-d’Amandier en baissant les yeux.

– Voyons, mon enfant, il ne faut pas rougir pour cela. Écoute-moi bien : dès l’instant que nous serons de retour au palais, tu porteras de ma part mille sequins d’or à cette bonne vieille qui m’a donné aujourd’hui un si bon conseil, et tu lui diras que c’est le premier quartier de la pension que j’entends lui faire chaque année jusqu’à ma mort…

– Roi de Bohême, je vous remercie, dit une voix qui paraissait sortir d’un buisson voisin.

À cette voix bien connue, le roi tressaillit et se serra auprès de Cœur-d’Or.

– Qui a parlé ? dit-il ; n’est-ce pas le petit poisson rouge ?

– Non, sire, c’est la vieille mendiante, répondit Cœur-d’Or.

– Non, Cœur-d’Or, dit à son tour Fleur-d’Amandier en souriant, c’est la fée du lac.

– Fleur-d’Amandier dit vrai, reprit la voix du buisson : je suis la fée du lac ; mais rassurez-vous, roi de Bohême, la fée du lac a oublié vos torts envers le petit poisson rouge, et ne se souvient plus que de vos bontés pour la vieille mendiante. Vous en serez récompensé. Je sais que vous désirez ardemment un fils…

– Oh ! oui, s’écria le roi, qui ne put s’empêcher d’exprimer lui-même son désir.

– Votre vœu sera comblé. Avant un an, la reine mettra au monde un prince, qui sera beau comme le jour, et qui, parvenu à l’âge d’homme, accomplira, par la vertu de ce talisman, des choses merveilleuses.

À ces mots, une magnifique bague d’or, ornée de saphirs, tomba sur le chemin.

Le roi ne fit qu’un bond pour ramasser le talisman et, le passant à son doigt, il s’écria :

– Oh ! bonne petite fée, merci ! J’aurai un fils ! j’aurai un fils !

Et sur ce, il prit ses jambes à son cou, pour annoncer au plus vite cette incroyable nouvelle à la reine.

Pendant ce temps, les soldats du prince Azor étaient restés sur le champ de bataille ; jamais on n’avait vu mines plus penaudes : les pauvres diables étaient là, bouches béantes, se tenant tantôt sur un pied, tantôt sur l’autre, ne sachant que faire de leurs corps.

– Êtes-vous des soldats de carton ? s’écria tout à coup leur capitaine d’une voix vibrante, et faut-il vous mettre dans une boîte pour servir de joujoux aux petits enfants ? Comment ! on tue votre prince à votre nez et à votre barbe, et vous vous amusez à ronger vos ongles ! Sabre de bois ! N’êtes-vous plus la grande armée du grand Azor ! Ne l’entendez-vous pas qui vous appelle et vous crie vengeance ?… À la bonne heure ! voilà vos cœurs qui s’enflamment, eh ! allons donc ! en avant, marche !

À cette harangue, les soldats électrisés partirent du pied gauche, et se mirent, tambour battant, à la poursuite du roi de Bohême.

– Soldats du prince Azor, arrêtez ou vous êtes morts ! s’écria la vieille mendiante, qui apparut soudain sur les murailles de la ville, son bâton blanc à la main.

Mais les soldats, une fois lancés, marchaient toujours.

La vieille agita alors son bâton, prononça quelques paroles, et tout à coup les bêtes féroces peintes sur les remparts lancèrent par les yeux, par le nez, par la gueule, par tout, des cascades de flammes.

Des cris : Au feu ! au feu ! se firent entendre.

Les bons bourgeois de la ville accoururent sur les murailles, des seaux pleins d’eau à la main ; ils regardèrent en bas, mais ils ne virent rien que des cuirasses, des casques et des fers de lance.

Voilà tout ce qui restait de l’armée du prince Azor.

Share on Twitter Share on Facebook