XXV L’ARRESTATION.

Peut-être les détails de cette scène s’effaceront-ils un jour de ma mémoire, jamais l’impression qu’elle me produisit. Il ne me resta pas l’ombre d’un doute, et cette prédiction dans l’avenir prit pour moi l’aspect presque palpable d’une réalité. Oui, continua de Pontcalec, dussiez-vous me rire au nez comme le fit mon bon oncle Crysogon, vous ne me ferez pas changer d’avis un instant, et vous ne m’ôterez pas de l’esprit que cette dernière prédiction se réalisera comme les deux autres, et que c’est par la mer que je dois mourir. Aussi je vous le déclare, les avis que nous avons reçus fussent-ils vrais, fussé-je poursuivi par les exempts de Dubois, y eût-il une barque sur le bord du rivage, et n’y eût-il qu’à gagner Belle-Isle pour leur échapper, je suis si convaincu que la mer me doit être fatale, et qu’aucun genre de mort n’a de puissance sur moi, que je me remettrais aux mains de ceux qui me poursuivraient, en leur disant : « Faites votre métier, messieurs, je ne mourrai pas de votre fait. »

Les trois Bretons avaient écouté en silence cette étrange déclaration, qui tirait une certaine solennité de la circonstance dans laquelle on se trouvait.

– Alors, dit du Couëdic après un instant de silence, nous concevons, mon cher ami, votre admirable courage : le genre de mort auquel vous êtes réservé vous rend indifférent à tout danger qui ne se rapproche pas de lui ; mais, prenez garde, si l’anecdote était connue, cela pourrait vous ôter de votre mérite, non pas à nos yeux, car nous vous connaissons, nous, bien réellement pour ce que vous êtes ; mais les autres diraient que vous vous êtes jeté dans cette conspiration parce que vous ne pouvez être ni décapité, ni fusillé, ni tué par le poignard ; mais qu’il n’en serait pas ainsi si l’on noyait les conspirateurs.

– Et peut-être diraient-ils vrai, répondit Pontcalec en souriant.

– Mais nous, mon cher marquis, reprit Mont-Louis, nous qui n’avons pas les mêmes causes de sécurité, ne serait-il pas bon que nous fissions quelque attention à l’avis qu’un ami inconnu nous donne, et que nous quittassions Nantes ou même la France au plus tôt ?

– Mais cet avis peut être faux, dit Pontcalec, et je ne crois pas qu’on sache rien de nos projets à Nantes ni ailleurs.

– Et, selon toute probabilité, on n’en saura rien que Gaston ait terminé son œuvre, dit Talhouët, et alors nous n’aurons plus rien à craindre que l’enthousiasme, et l’enthousiasme ne tue pas. Quant à vous, Pontcalec, n’approchez pas d’un port de mer, ne vous embarquez jamais, et vous serez sûr de vivre aussi vieux que Mathusalem.

La conversation eût continué sur ce ton de plaisanterie, malgré la gravité de la situation, si Pontcalec avait consenti à y mettre la moitié de l’entrain qu’y apportaient ses amis ; mais la sorcière était toujours là devant ses yeux, écartant le capuchon de sa mante, et lui faisant, de sa voix sépulcrale, la fatale prédiction. D’ailleurs, comme ils en étaient là, plusieurs gentilshommes, avec lesquels ils avaient rendez-vous et qui faisaient partie de la conspiration, entrèrent par des issues secrètes et sous des costumes différents.

Ce n’était pas qu’on eût beaucoup à craindre de la police provinciale : celle de Nantes, quoique Nantes fût une des plus grandes villes de France, n’était pas organisée de manière à inquiéter fort des conspirateurs, qui, d’ailleurs, avaient dans la localité l’influence du nom et de la position sociale ; il fallait donc que le lieutenant de police de Paris, le régent ou Dubois, envoyassent des espions spéciaux, que le défaut de connaissance des lieux, la différence de l’habit, et même celle de la langue, rendaient facilement suspects à ceux qu’ils venaient surveiller et qui, en général, savaient leur présence à l’heure même où ils entraient dans la province, où ils mettaient les pieds dans les villes.

Quoique l’association bretonne fût nombreuse, nous ne nous occuperons que des quatre chefs que nous avons nommés, ces quatre chefs ayant occupé les pages principales de l’histoire, étant les plus considérables de la province, et, de noms, de fortunes, de courage et d’intelligence, dominant tous leurs autres compagnons.

On s’occupa beaucoup, dans cette séance, d’une nouvelle opposition à un édit de Montesquiou, et de l’armement de tous les citoyens bretons en cas de violence du maréchal. Ce n’était rien moins, comme on le voit, que le commencement de la guerre civile. On l’aurait faite en déployant un étendard sacré. L’impiété de la cour du régent et les sacriléges de Dubois en étaient les prétextes, et devaient susciter tous les anathèmes d’une province essentiellement religieuse contre un gouvernement si peu digne de succéder, disaient les conspirateurs, au règne si fervent et si sévère de Louis XIV.

Cette levée de boucliers était d’autant plus facile à exécuter, que le peuple voulait mal de mort aux soldats qui étaient entrés dans le pays avec une espèce d’insolente confiance. Les officiers, consignés d’abord par le maréchal de Montesquiou, et qui ne participaient pas à la vie agréable des gentilshommes de la province, s’abstenaient, par orgueil et par discipline, de tout rapport avec les mécontents, ce qui devait beaucoup leur coûter à eux-mêmes, attendu qu’à cette époque les officiers étaient frères, par le blason, des gentilshommes qui portaient l’épée comme eux.

Pontcalec déclara donc à ses compagnons de révolte le plan arrêté par le comité supérieur, sans se douter qu’au moment même où il prenait toutes ces mesures pour renverser le gouvernement la police de Dubois, qui les croyait chez eux, envoyait au domicile de chacun un détachement qui avait l’ordre de cerner la maison, et un exempt qui avait mission de les arrêter. Il en résulta que tous ceux qui avaient pris part au conciliabule virent de loin briller à leurs portes les baïonnettes et les fusils des gardes, et purent, pour la plupart, prévenus du danger qu’ils couraient, échapper par une prompte fuite ; or ce n’était pas chose difficile pour eux que de trouver des retraites ; car, comme toute la province était du complot, ils avaient des amis partout. D’ailleurs, riches propriétaires qu’ils étaient, ils furent accueillis par leurs fermiers ou par leurs entrepositaires ; une grande partie réussit à gagner la mer, et à passer soit en Hollande, soit en Espagne, soit en Angleterre, malgré l’amitié que Dubois avait commencé de nouer entre les deux gouvernements.

Quant à Pontcalec et à du Couëdic, à Mont-Louis et à Talhouët, ils étaient, comme d’habitude, sortis ensemble ; mais, comme Mont-Louis, dont la maison était la plus proche du lieu d’où ils sortaient, arrivait au bout de la rue où cette maison était située, ils aperçurent des lumières qui couraient à travers les fenêtres des appartements, et une sentinelle qui, le mousquet en travers, barrait la porte.

– Oh ! oh ! dit Mont-Louis en s’arrêtant et en arrêtant de la main ses compagnons, qu’est-ce que cela, et que se passe-t-il donc chez moi ?

– En effet, dit Talhouët, il y a quelque chose de nouveau, et tout à l’heure j’ai cru voir un poste devant l’hôtel de Rouen.

– Comment ne nous as-tu rien dit ? demanda du Couëdic ; il me semble cependant que cela en valait bien la peine.

– Ma foi ! dit Talhouët, j’ai eu peur de passer pour un alarmiste, et j’ai mieux aimé croire à une patrouille.

– Mais ceci est du régiment de Picardie, murmura Mont-Louis, qui avait fait quelques pas en avant, et qui, sur cette remarque, refit le même chemin en arrière.

– Voilà, en effet, qui est bizarre, dit Pontcalec. Mais faisons une chose : ma maison n’est qu’à quelques pas d’ici, prenons par cette ruelle qui y conduit, et, si ma maison est gardée comme celle de Mont-Louis, alors il n’y aura plus de doute à avoir, et nous saurons à quoi nous en tenir.

Alors, marchant tous quatre en silence, et serrés les uns contre les autres pour être plus forts en cas d’attaque, ils arrivèrent à l’angle de la rue où demeurait Pontcalec et virent sa maison non-seulement gardée, mais occupée. Un détachement de vingt hommes repoussait la foule qui commençait à s’attrouper.

– Pour cette fois, dit du Couëdic, cela passe la plaisanterie, et, à moins que le feu n’ait pris par hasard dans toutes nos maisons à la fois, je ne conçois rien à ces uniformes qui se mêlent de nos affaires. Quant à moi, votre serviteur, mes très-chers, mais je déménage.

– Et moi aussi, dit Talhouët ; je vais passer à Saint-Nazaire et gagner le Croisic. Si vous m’en croyez, messieurs, vous viendrez avec moi ; je sais là un brick qui va partir pour Terre-Neuve, et dont le capitaine est un de mes serviteurs. Si l’air de terre devient trop mauvais, nous montons à bord, nous filons au large, et vogue la galère !

– Allons, Pontcalec, dit Mont-Louis, oubliez un instant votre sorcière, et venez avec nous.

– Non pas ; non pas ! dit Pontcalec en secouant la tête, je connais mon avenir de ce côté-là, et je ne me soucie pas d’aller au-devant de lui ; puis, réfléchissez, messieurs, que nous sommes les chefs, et que c’est un singulier exemple que cette fuite anticipée, sans que nous sachions bien parfaitement encore si un danger réel nous menace. Il n’y a pas la moindre preuve contre nous : la Jonquière est incorruptible ; Gaston est intrépide. Les lettres que nous avons reçues de lui hier encore nous disaient que, d’un moment à l’autre, tout serait fini ; peut-être à cette heure a-t-il frappé le régent, et la France est-elle délivrée. Que penserait-on de nous si l’on peut dire qu’au moment où Gaston agissait, nous étions en fuite ? le mauvais exemple de notre désertion gâterait toute l’affaire ici ; faites-y bien attention, messieurs, je ne vous donne plus un ordre en chef, mais un conseil de gentilhomme ; vous n’êtes donc pas forcés de m’obéir, car je vous délie de votre serment ; mais, à votre place, je ne partirais pas. Nous avons donné l’exemple du dévouement, le pis qui puisse nous arriver est de donner celui du martyre ; mais les choses n’en viendront pas là, je l’espère. Si l’on nous arrête, le parlement de Bretagne nous jugera ; or, de quoi se compose le parlement de Bretagne ? de nos amis ou de nos complices ; nous sommes plus en sûreté dans la prison dont ils tiennent la clef que sur un brick dont le premier coup de vent fait le destin. D’ailleurs, avant que le parlement soit assemblé, la Bretagne tout entière sera soulevée. Jugés, nous sommes absous ; absous, nous sommes triomphants.

– Il a raison, dit Talhouët ; mon oncle, mes frères, toute ma famille, tous mes amis sont compromis avec moi ; je me sauverai avec eux tous, ou je mourrai avec eux.

– Mon cher Talhouët, dit Mont-Louis, tout cela est bel et bon : mais, s’il faut vous le dire, j’ai plus méchante idée que vous de cette affaire ; si nous sommes entre les mains de quelqu’un, c’est entre celles de Dubois. Dubois n’est pas gentilhomme, et, par conséquent, déteste ceux qui le sont ; je n’aime pas ces gens mixtes qui n’appartiennent à aucune classe arrêtée, qui ne sont ni nobles, ni soldats, ni prêtres ; j’aimerais mieux un vrai gentilhomme, un soldat ou un frocard ; au moins ces gens-là sont soutenus par l’autorité de leur profession, qui est un principe ; mais Dubois, il va vouloir faire de la raison d’État. Quant à moi, j’en appelle, comme nous avons l’habitude de le faire, à la majorité, et, si notre majorité est pour la fuite, je vous l’avoue, je m’enfuirai de grand cœur.

– Et je serai ton compagnon, dit du Couëdic ; Montesquiou peut être mieux renseigné que nous ne le croyons, et si c’est Dubois qui nous tient, comme le pense Mont-Louis, nous aurons quelque peine, je crois, à nous tirer de ses griffes.

– Et moi, messieurs, je vous répète, dit Pontcalec, qu’il faut rester ; le devoir des chefs d’une armée est de se faire tuer à la tête de leurs soldats ; le devoir des chefs d’un complot est de se faire tuer à la tête d’une conspiration.

– Mon cher, dit Mont-Louis, permettez-moi de vous le dire, mais votre sorcière vous aveugle. Pour faire croire à la vérité de sa prédiction, vous êtes prêt, le diable m’emporte ! à aller vous noyer sans que personne vous y pousse. Je suis moins enthousiaste de la pythonisse, je l’avoue, et, comme je ne connais pas le genre de mort qui m’est réservé, j’ai sur ce point quelques inquiétudes.

– Vous vous trompez, Mont-Louis, dit gravement Pontcalec, ce qui me retient surtout c’est le devoir. D’ailleurs, si je ne meurs pas à la suite du procès, vous ne mourrez certes pas non plus, car je suis votre chef, et, certes, devant les juges, je réclamerai ce titre que j’abjure ici. Si je ne meurs pas de par Dubois, vous ne mourrez pas non plus. Soyons logiques, de par Dieu ! et ne nous sauvons pas comme un troupeau de moutons qui croit sentir le loup. Comment ! nous, des soldats, nous aurions peur de rendre une visite officielle au parlement ; car enfin voilà toute l’affaire : un bon procès, et pas autre chose. Des bancs garnis de robes noires, des sourires d’intelligence de l’accusé au juge et du juge à l’accusé. C’est une bataille que nous livre le régent, acceptons-la, et, lorsque le parlement nous aura absous, nous l’aurons bien autrement battu que si nous avions mis en fuite toutes les troupes qu’il a en Bretagne.

– Avant tout, messieurs, dit du Couëdic, Mont-Louis vient de faire une proposition, c’est de remettre notre décision à la majorité. J’appuie Mont-Louis.

– C’est juste, dit Talhouët.

– Ce que j’en ai dit, reprit Mont-Louis, ce n’est pas que j’aie peur ; mais je ne voudrais pas aller me mettre dans la gueule du loup quand nous pouvons le museler.

– Ce que vous dites là est inutile, Mont-Louis, reprit Pontcalec ; nous savons tous quel homme vous êtes. Nous acceptons votre proposition, et je la mets aux voix.

Et, avec le même calme que Pontcalec formulait ses propositions ordinaires, il formula celle-ci, dont dépendaient sa vie et la vie de ses amis :

– Que ceux qui sont d’avis, dit Pontcalec, de se soustraire par la fuite au sort équivoque qui nous attend veuillent bien lever la main.

Du Couëdic et Mont-Louis levèrent la main.

– Nous sommes deux contre deux, dit Mont-Louis, l’épreuve est nulle ; laissons-nous donc aller à notre inspiration.

– Oui, dit Pontcalec, mais vous savez qu’en ma qualité de président, j’ai deux voix.

– C’est juste, dirent Mont-Louis et du Couëdic.

– Que ceux qui sont d’avis de rester lèvent donc la main, dit Pontcalec.

Et lui et Talhouët levèrent la main. Or, comme Pontcalec avait une voix double, ces deux mains, qui comptèrent pour trois, fixèrent la majorité à leur avis.

Cette délibération en pleine rue et avec cette apparence de solennité eût pu paraître grotesque, si elle n’eût pas renfermé, dans son résultat, la question de la vie ou de la mort de quatre des premiers gentilshommes de la Bretagne.

– Allons, dit Mont-Louis, nous avions tort, à ce qu’il paraît, mon cher du Couëdic ; et maintenant, marquis, ordonnez, nous obéirons.

– Regardez ce que je vais faire, dit Pontcalec, et, ensuite vous ferez ce que vous voudrez.

À ces mots, il marcha droit à sa maison, et ses trois amis le suivirent. Arrivé devant sa porte, barrée, comme nous l’avons dit, par un piquet de gardes, il frappa sur l’épaule d’un soldat.

– Mon ami, lui dit-il, appelez votre officier, je vous prie.

Le soldat transmit l’ordre au sergent, qui appela son capitaine.

– Que voulez-vous, monsieur ? demanda celui-ci.

– Je voudrais rentrer chez moi.

– Qui donc êtes-vous ?

– Je suis le marquis de Pontcalec.

– Silence ! dit l’officier à demi-voix ; silence, et taisez-vous ; fuyez sans perdre une seconde : je suis ici pour vous arrêter.

Puis tout haut :

– On ne passe pas ! cria-t-il en repoussant le marquis, devant lequel se referma la haie de soldats.

Pontcalec prit la main de l’officier, la lui serra, et lui dit :

– Vous êtes un brave jeune homme, monsieur ! mais il faut que je rentre chez moi. Merci, et que Dieu vous récompense !

L’officier, tout surpris, fit ouvrir les rangs, et Pontcalec, suivi de ses trois amis, traversa la cour de sa maison. En l’apercevant, sa famille, rangée sur le perron, poussa des cris de terreur.

– Qu’y a-t-il ? demanda le marquis avec calme, et que s’est-il passé chez moi ?

– Il y a, monsieur le marquis, que je vous arrête, dit un exempt de la prévôté de Paris à Pontcalec tout souriant.

– Pardieu ! vous avez fait là un bel exploit, dit Mont-Louis, et vous me paraissez encore un habile homme ! vous êtes exempt de la prévôté de Paris, et il faut que ce soient ceux que vous êtes chargé d’arrêter qui viennent vous prendre au collet !

L’exempt, tout interdit, salua ce gentilhomme qui raillait si agréablement dans un moment où tant d’autres eussent perdu la parole, et lui demanda son nom.

– Je suis M. de Mont-Louis, mon cher, répondit le gentilhomme ; cherchez bien si vous n’avez pas aussi quelque ordre contre moi, et, si vous en avez un, mettez-le à exécution.

– Monsieur, dit l’exempt, saluant plus bas à mesure qu’il était plus étonné, ce n’est pas moi, mais mon camarade Duchevron qui est chargé de votre arrestation ; voulez-vous que je le prévienne ?

– Où est-il ? demanda Mont-Louis.

– Mais chez vous, je présume, où il vous attend.

– Je serais fâché de faire attendre plus longtemps un si galant homme, dit Mont-Louis, et je vais aller le trouver. Merci, mon ami.

L’exempt avait perdu la tête et saluait jusqu’à terre.

Mont-Louis serra la main de Pontcalec, de Talhouët et de du Couëdic, leur dit quelques mots à l’oreille, et partit pour sa maison, où il se fit arrêter comme l’avait fait Pontcalec.

Ainsi en usèrent à leur tour Talhouët et du Couëdic, si bien qu’à onze heures du soir la besogne était achevée.

La nouvelle de cette arrestation courut la nuit même par toute la ville. Cependant on n’en fut pas encore très-effrayé, car, après le premier mouvement, qui était de dire : « On a arrêté M. de Pontcalec et ses amis, » on ajoutait sur-le-champ : « Oui, mais le parlement les absoudra. »

Mais le lendemain matin, les esprits et les visages changèrent fort lorsque l’on vit arriver à Nantes la commission parfaitement constituée et à laquelle rien ne manquait, ainsi que nous l’avons dit déjà, ni président, ni procureur du roi, ni secrétaire, ni même bourreaux.

Nous disons bourreaux, parce qu’au lieu d’un, il y en avait trois.

Les gens les plus courageux sont quelquefois frappés de stupeur par les grandes infortunes ; celle-ci tomba sur la province avec la puissance et la rapidité de la foudre ; aussi la province ne fit-elle pas un mouvement, ne jeta-t-elle pas un cri : on ne se révolte pas contre un fléau. Au lieu d’éclater, la Bretagne expira.

La commission s’installa le jour même de son arrivée ; elle fut surprise de ne pas recevoir grand accueil du parlement ni grande visite de la noblesse. Forte des pouvoirs dont elle était investie, elle devait s’attendre qu’on chercherait à la fléchir plutôt qu’à l’offenser ; mais la terreur était si grande, que chacun songeait à soi et se contentait de déplorer le sort des autres.

Voici dans quelles dispositions se trouvait la Bretagne trois ou quatre jours après l’arrestation de Pontcalec, de Mont-Louis, de du Couëdic et de Talhouët. Laissons cette moitié des conspirateurs embarrassés à Nantes aux liens de Dubois, et voyons ce que Paris faisait des siens à pareille époque.

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