XXXVI NANTES.

La commission nommée par Dubois s’était constituée en permanence. Investie de pouvoirs illimités, ce qui, dans certains cas, veut dire fixés d’avance, elle siégea au château, soutenue par de forts détachements de troupes, qui s’attendaient à chaque instant à être attaqués par les mécontents.

Depuis l’arrestation des quatre gentilshommes, Nantes, terrifiée d’abord, s’était émue en leur faveur. La Bretagne entière attendait un soulèvement ; mais, en attendant, elle ne se soulevait pas.

Cependant les débats approchaient. La veille de l’audience publique, Pontcalec eut avec ses amis une conversation sérieuse.

– Voyons, dit Pontcalec, avons-nous fait, en paroles ou en action, quelque imprudence ?

– Non ! dirent les trois gentilshommes.

– L’un de vous a-t-il fait l’aveu de nos projets à sa femme, à son frère, à un ami ! Vous, Mont-Louis ?

– Non, sur l’honneur.

– Vous, Talhouët ?

– Non.

– Vous, du Couëdic ?

– Non.

– Alors ils n’ont contre nous ni preuves ni accusations. Personne ne nous a surpris, personne ne nous veut du mal.

– Mais, dit Mont-Louis, en attendant on nous juge.

– Sur quoi ? demanda Pontcalec.

– Sur des renseignements cachés, reprit Talhouët en souriant.

– Et bien cachés, ajouta du Couëdic, puisqu’on n’en articule pas un seul mot.

– Ils en seront pour leur courte honte, reprit Pontcalec ; et eux-mêmes, une belle nuit, nous forceront de nous évader pour n’être pas forcés de nous libérer un beau jour.

– Je n’en crois rien, dit Mont-Louis, qui était celui des quatre amis qui avait toujours vu l’affaire sous son jour le plus sombre, peut-être parce qu’il avait le plus à perdre d’eux tous, ayant une jeune femme et deux enfants qui l’adoraient ; je n’en crois rien : j’ai vu Dubois en Angleterre, j’ai causé avec lui. C’est une figure de fouine qui se lèche le museau quand elle a soif ; Dubois a soif, et nous sommes pris, messieurs : Dubois se désaltérera dans notre sang.

– Mais, répliqua du Couëdic, le parlement de Bretagne est là, ce me semble.

– Oui, pour nous regarder trancher la tête, répondit Mont-Louis.

Mais, à tout cela, il y avait un des quatre amis qui souriait toujours : c’était Pontcalec.

– Messieurs, disait-il, messieurs, tranquillisez-vous. Si Dubois a soif, tant pis pour Dubois, il deviendra enragé, voilà tout ; mais, cette fois encore, je vous en réponds, Dubois ne goûtera pas de notre sang.

Et, en effet, dès l’abord, la tâche de la commission parut difficile : pas d’aveux, pas de preuves, pas de témoignages ; la Bretagne riait au nez des commissaires, et, quand elle ne riait pas, c’était encore pis, elle menaçait.

Le président expédia un courrier à Paris pour exposer l’état des choses et demander de nouvelles instructions.

« Jugez sur les projets, répondit Dubois ; on peut n’avoir rien fait, parce qu’on a été empêché, mais avoir projeté beaucoup : l’intention, en matière de rébellion, est réputée pour le fait. »

Armée de ce levier terrible, la commission renversa bientôt toute l’espérance de la province. Il y eut une séance terrible, dans laquelle les accusés passèrent tour à tour de la raillerie à l’accusation ; mais une commission bien composée, comme Dubois les savait faire quand il voulait s’en mêler, est cuirassée contre les rieurs et les gens fâchés.

En rentrant dans la prison, Pontcalec se félicitait des vérités que lui surtout avait dites aux juges.

– N’importe, dit Mont-Louis, nous sommes dans une mauvaise affaire : la Bretagne ne se révolte point.

– Elle attend notre condamnation, répondit Talhouët.

– Alors elle se révoltera trop tard, dit Mont-Louis.

– Mais notre condamnation ne peut avoir lieu, dit Pontcalec. Voyons, franchement, pour nous, nous sommes coupables ; oui, mais sans preuves ; qui osera porter un arrêt contre nous ? la commission ?

– Non pas la commission, mais Dubois.

– Moi, j’ai grande envie de faire une chose, dit du Couëdic.

– Laquelle ?

– C’est, à la première séance, de crier : « À nous, Bretons ! » J’ai, chaque fois, vu dans la salle bon nombre de figures amies. Eh bien, nous serons délivrés ou tués, mais, au moins, tout sera fini. J’aime mieux la mort qu’une pareille attente.

– Mais pourquoi risquer de se faire blesser par quelque sbire ? dit Pontcalec.

– Parce qu’on guérit de la blessure que fait un sbire, dit du Couëdic, et qu’on ne guérit pas de celle que fait le bourreau.

– Bien dit, du Couëdic ! s’écria Mont-Louis, et je me range à ton avis.

– Mais, soyez donc tranquille, Mont-Louis, dit Pontcalec, vous n’aurez pas plus affaire au bourreau que moi.

– Ah ! oui, toujours la prédiction, reprit Mont-Louis. Vous savez que je ne m’y fie pas, Pontcalec.

– Et vous avez tort.

Mont-Louis et du Couëdic hochèrent la tête, mais Talhouët approuva.

– Mais cela est sûr, mes amis, continua Pontcalec. On nous condamnera à l’exil ; nous serons forcés de nous embarquer, et je ferai naufrage en chemin. Voilà mon sort, mais le vôtre peut être différent ; demandez à faire la traversée sur un autre bâtiment que moi. Ou bien encore vous avez une autre chance, c’est que je tomberai du pont ou que je glisserai en montant un escalier. Bref, je périrai par la mer, vous le savez, voilà ce qui est positif ; et je serais condamné à mort, on me conduirait à l’échafaud, que, si l’échafaud est dressé en terre ferme, vous me verrez, au pied de l’échafaud, aussi tranquille que me voilà.

Ce ton d’assurance donnait à penser aux trois amis ; on est superstitieux quand on espère : l’espoir n’est qu’une superstition.

Ils en vinrent à rire de l’effroyable rapidité avec laquelle on poussait les débats. Ils ne savaient pas que Dubois expédiait de Paris courrier sur courrier pour presser la marche de la procédure.

Enfin le jour vint où le tribunal se déclara suffisamment éclairé.

Cette déclaration redoubla la belle humeur des amis, qui, ce jour-là, furent plus mordants, plus railleurs et plus spirituels qu’ils n’avaient jamais été.

La commission se retira en séance secrète pour délibérer.

Jamais débat ne fut plus orageux ; l’histoire a pénétré les secrets de ces délibérations : quelques-uns des conseillers, moins hardis dans le mal ou moins ambitieux, se révoltèrent à l’idée de condamner des gens sur des présomptions ; car, à part les révélations transmises par Dubois et de la véracité desquelles ils pouvaient douter, aucune révélation n’avait été faite ; ceux-là exprimèrent hautement leur avis, mais la majorité était dévouée à Dubois, et l’on en vint, dans le sein du comité, à des querelles, à des injures, presque à un combat. Les débats durèrent onze heures, au bout desquelles la majorité prononça.

La veille du jugement, une commission des notables habitants, des officiers bretons, des membres du parlement, était allée trouver le bureau de la commission ministérielle, et développa devant elle des conclusions tendant à prouver que les Bretons ne s’étaient pas révoltés de fait, que le choix du roi d’Espagne au préjudice du duc d’Orléans était un droit ressortant de la constitution même de l’État, qui préfère le petit-fils du roi au parent collatéral, et que la province, en matière de régence, avait plus de droit de prononcer qu’un simple parlement.

La commission ministérielle, qui sentait qu’elle n’avait point de bonne réponse à donner, ne répondit pas, et les députés se retirèrent pleins d’espoir.

Mais le jugement n’en fut pas moins rendu, non pas sur l’instruction faite à Nantes, mais sur les instructions reçues de Paris. Les commissaires joignirent, aux quatre chefs emprisonnés, seize autres gentilshommes contumaces, et déclarèrent :

« Que les accusés, reconnus coupables de projets de crimes et de lèse-majesté et de plans de félonie, seraient décapités, les présents de fait, les absents en effigie ; que les murailles et fortifications de leurs châteaux seraient démolies, leurs marques de seigneurie abattues, et leurs bois de haute futaie et avenues taillées à la hauteur de neuf pieds. »

Une heure après que cette sentence fut rendue, on donna au greffier l’ordre de la signifier aux condamnés.

L’arrêt avait été rendu à la suite de cette séance si orageuse dont nous avons parlé, et où les accusés avaient trouvé de si vives marques de sympathie dans le public. Aussi, ayant battu les juges en brèche sur tous les points de l’accusation, jamais n’avaient-ils eu si bon espoir.

Ils étaient assis dans la chambre commune et soupaient, se rappelant tous les détails de la séance, lorsque tout à coup leur porte s’ouvrit, et que, dans l’ombre, se dessina la figure pâle et sévère du greffier.

L’apparition solennelle changea au même instant les propos plaisants en battements de cœur.

Le greffier s’avança lentement, tandis que le geôlier se tenait à la porte, et que, dans l’ombre du corridor, on voyait étinceler les canons des mousquets.

– Que nous voulez-vous, monsieur, demanda Pontcalec, et que signifie ce sinistre appareil ?

– Messieurs, dit le greffier, je suis porteur de la sentence du tribunal ; agenouillez-vous pour l’entendre.

– Mais ce sont des sentences de mort seulement qu’on écoute à genoux, dit Mont-Louis.

– Agenouillez-vous, messieurs, répondit le greffier.

– C’est bon pour des coupables et des gens de peu de s’agenouiller, dit du Couëdic. Nous sommes gentilshommes et innocents, nous entendrons la sentence debout.

– Comme vous voudrez, messieurs ; seulement découvrez-vous, car je parle au nom du roi.

Talhouët, le seul qui eût son chapeau sur la tête, se découvrit.

Tous quatre se tinrent debout et découverts, appuyés les uns aux autres, le front pâle, mais le sourire sur les lèvres.

Le greffier lut toute la sentence sans qu’un seul murmure, un seul geste d’étonnement, le vînt interrompre.

Quand il eut fini :

– Pourquoi m’a-t-on dit, demanda Pontcalec, de déclarer les desseins de l’Espagne contre la France, et qu’on me laisserait aller ? L’Espagne était pays ennemi, j’ai déclaré ce que je croyais savoir de ses projets, et voilà qu’on nous condamne. Pourquoi cela ? La commission n’est donc composée que de lâches qui tendaient des piéges aux accusés ?

Le greffier ne répondit pas.

– Mais, ajouta Mont-Louis, le régent a épargné tout Paris, complice de la conspiration de Cellamare. Pas une goutte de sang n’a coulé. Cependant ceux qui voulaient enlever le régent, le tuer peut-être, étaient aussi coupables, au moins, que des gens contre lesquels aucune accusation sérieuse n’a pu être articulée. Nous sommes donc choisis pour expier cette indulgence envers la capitale ?

Le greffier ne répondit rien.

– Comprends donc une chose, Mont-Louis, dit du Couëdic ; il y a là-bas une vieille haine de famille contre la Bretagne, et le régent, pour faire croire qu’il est de la famille, veut donner la preuve qu’il nous hait. Ce n’est pas nous personnellement que l’on frappe, c’est une province qui, depuis trois cents ans, réclame inutilement ses droits et ses priviléges, et que l’on veut faire coupable pour se débarrasser d’elle une bonne fois.

Le greffier gardait toujours le silence.

– Voyons, finissons-en, dit Talhouët. Nous sommes condamnés, c’est bien. Maintenant, y a-t-il ou n’y a-t-il pas l’appel ?

– Il n’y en a pas, messieurs, dit le greffier.

– Alors vous pouvez vous retirer, dit du Couëdic.

Le greffier salua et se retira, suivi des gardes qui l’escortaient, et la porte de la prison se referma, lourde et bruyante, sur les quatre gentilshommes.

– Eh bien, dit Mont-Louis lorsqu’ils se retrouvèrent seuls.

– Eh bien ! nous sommes condamnés, dit Pontcalec. Je n’ai jamais dit, moi, qu’il n’y aurait pas arrêt, j’ai dit qu’il n’y aurait pas exécution, voilà tout.

– Je suis de l’avis de Pontcalec, dit Talhouët ; ce qu’ils en ont fait, c’est pour effrayer la province et mesurer sa patience.

– D’ailleurs, dit du Couëdic, ils ne nous exécuteront pas sans que le régent ait ratifié la condamnation. Or, à moins de courrier extraordinaire, il faut deux jours pour aller à Paris, un jour pour examiner l’affaire et deux jours pour revenir, cela fait cinq jours. Nous avons donc cinq jours devant nous ; en cinq jours, il arrive bien des choses : la province, en apprenant notre arrêt, se soulèvera.

Mont-Louis hocha la tête.

– Puis il y a Gaston, continua Pontcalec, que vous oubliez toujours, messieurs.

– J’ai bien peur que Gaston ne soit arrêté, messieurs, dit Mont-Louis. Je connais Gaston, et, s’il était en liberté, nous aurions déjà entendu parler de lui.

– Tu ne nieras pas au moins, prophète de malheur, dit Talhouët, que nous n’ayons quelques jours devant nous.

– Qui sait encore ? dit Mont-Louis.

– Et puis la mer, dit Pontcalec ; la mer, que diable ! messieurs, vous oubliez toujours que je ne dois périr que par la mer.

– Eh bien, donc, messieurs, remettons-nous à table, dit du Couëdic, et un dernier verre à notre santé.

– Nous n’avons plus de vin, dit Mont-Louis, c’est mauvais signe.

– Bah ! il en reste encore dans la cave, dit Pontcalec.

Et il appela le geôlier.

Celui-ci, en entrant, trouva les quatre amis à table. Il les regarda d’un air étonné.

– Eh bien, qu’y a-t-il donc de nouveau, maître Christophe ? dit Pontcalec.

Maître Christophe était de Guer et avait une vénération toute particulière pour Pontcalec, son oncle Crysogon ayant été son seigneur.

– Rien autre chose que ce que vous savez, messieurs, dit-il.

– Alors va nous chercher du vin.

– Ils veulent s’étourdir, dit le geôlier en sortant. Pauvres gentilshommes !

Mont-Louis seul entendit ce que venait de dire Christophe, et sourit tristement.

Un instant après, ils entendirent des pas qui se rapprochaient vivement de leur chambre. La porte s’ouvrit, et Christophe reparut sans aucune bouteille à la main.

– Eh bien, dit Pontcalec, le vin que nous t’avons demandé, où est-il ?

– Bonne nouvelle ! s’écria Christophe sans répondre à l’interpellation de Pontcalec. Bonne nouvelle, messieurs !

– Laquelle ? dit Mont-Louis en tressaillant.

– Le régent est mort ?

– La Bretagne se révolte ? ajouta du Couëdic.

– Non, messieurs, non ; car je n’oserais point appeler cela de bonnes nouvelles.

– Eh bien, qu’y a-t-il donc ? dit Pontcalec.

– Il y a que M. de Châteauneuf vient de décommander cent cinquante hommes qui stationnaient en armes sur la place du Marché, ce qui avait effrayé tout le monde ; mais ces cent cinquante hommes viennent de recevoir contre-ordre et rentrent dans leur caserne.

– Allons ! dit Mont-Louis, je commence à croire que ce ne sera pas pour ce soir.

En ce moment, six heures sonnaient.

– Eh bien, dit Pontcalec, une bonne nouvelle n’est pas une raison pour que nous restions sur notre soif. Retourne nous chercher du vin.

Christophe sortit, et revint, dix minutes après, une bouteille à la main.

Les amis, qui étaient restés à table, remplirent les verres.

– À la santé de Gaston ! dit Pontcalec en échangeant un regard d’intelligence avec ses amis, pour lesquels ce toast seul était compréhensible.

Et ils vidèrent leurs verres, excepté Mont-Louis, qui, au moment où il portait le sien à sa bouche, s’arrêta.

– Eh bien, demanda Pontcalec, qu’y a-t-il ?

– Le tambour ! dit Mont-Louis en étendant la main dans la direction où il entendait le bruit.

– Eh bien ! dit Talhouët, n’as-tu pas entendu ce qu’a dit maître Christophe ? Ce sont les troupes qui rentrent.

– Non pas, au contraire, ce sont les troupes qui sortent ; ce n’est pas la retraite, c’est la générale.

– La générale ! dit Talhouët ; que diable cela veut-il dire ?

– Rien de bon, reprit Mont-Louis en secouant la tête.

– Christophe ? dit Pontcalec en se tournant vers le geôlier.

– Oui, messieurs, vous allez savoir ce que c’est, répondit celui-ci ; dans un instant je reviens.

Il s’élança hors de la chambre, non pas cependant sans avoir soigneusement fermé la porte derrière lui.

Les quatre amis demeurèrent dans le silence de l’anxiété. Au bout de dix minutes, la porte s’ouvrit et le geôlier reparut pâle de terreur.

– Un courrier vient d’entrer dans la cour du château, dit-il ; il arrivait de Paris, il a remis ses dépêches, et aussitôt les postes ont été doublés, et le tambour a battu dans toutes les casernes.

– Oh ! oh ! dit Mont-Louis, cela nous regarde.

– On monte l’escalier, dit le geôlier, plus tremblant et plus effrayé que ceux auxquels il s’adressait.

En effet, on entendit la crosse des mousquets retentir sur les dalles du corridor, et, en même temps, les voix de plusieurs personnes empressées se firent entendre.

La porte se rouvrit et le greffier reparut.

– Messieurs, dit-il, combien de temps désirez-vous pour mettre ordre à vos affaires en ce monde et subir votre condamnation ?

Une profonde terreur glaça jusqu’aux assistants.

– Je veux, dit Mont-Louis, le temps que l’arrêt aille à Paris et en revienne avec l’approbation du régent.

– Moi, dit Talhouët, je ne veux que le temps nécessaire à la commission pour se repentir de son iniquité.

– Quant à moi, dit du Couëdic, je voudrais qu’on laissât au ministre de Paris le temps de commuer cette peine en celle de huit jours de détention, que nous méritons pour avoir agi un peu légèrement.

– Et vous, monsieur, dit gravement le greffier à Pontcalec qui gardait le silence, que demandez-vous ?

– Moi, dit Pontcalec parfaitement calme, je ne demande absolument rien.

– Alors, messieurs, dit le greffier, voici la réponse de la commission : « Vous avez deux heures à vous pour songer à vos affaires spirituelles et temporelles ; il est six heures et demie, il faut, dans deux heures et demie, que vous soyez rendus sur la place du Bouffay, où aura lieu l’exécution. »

Il se fit un grand silence ; les plus braves sentaient la terreur les prendre à la racine des cheveux.

Le greffier sortit sans que personne ait eu un mot à lui répondre ; seulement, les condamnés se regardèrent et se serrèrent la main.

Ils avaient deux heures.

Deux heures, dans le cours ordinaire de la vie, semblent parfois des siècles ; dans d’autres moments, deux heures semblent une seconde.

Les prêtres arrivèrent, puis les soldats, puis les bourreaux.

La situation devenait terrible. Pontcalec seul ne se démentait pas, non que les autres manquassent de courage, mais ils manquaient d’espoir ; cependant Pontcalec les rassurait par le calme avec lequel il répondait, non-seulement aux prêtres, mais encore aux exécuteurs, qui s’étaient déjà saisis de leur proie.

On régla les préparatifs de cette terrible chose qu’on appelle la toilette des condamnés. Les quatre patients devaient aller à l’échafaud vêtus de manteaux noirs, pour qu’aux yeux du peuple, dont on craignait toujours la rébellion, ils demeurassent confondus parmi les prêtres chargés de les exhorter.

Puis on agita la question de leur lier les mains ; question suprême !

Pontcalec répondit avec son sourire de sublime confiance :

– Eh ! pardieu ! laissez-nous les mains libres, nous irons sans nous révolter.

– Cela ne nous regarde pas, répondit l’exécuteur qui avait affaire à Pontcalec ; à moins d’ordre particulier, toutes les dispositions sont les mêmes pour tous les condamnés.

– Et qui donne ces ordres ? demanda Pontcalec en riant ; est-ce le roi ?

– Non, monsieur le marquis, répondit l’exécuteur étonné d’un pareil sang-froid dont jamais il n’avait vu d’exemple, ce n’est pas le roi, c’est notre chef.

– Et où est votre chef ?

– C’est celui qui cause là-bas avec le geôlier Christophe.

– Faites-le venir alors, dit Pontcalec.

– Eh ! maître Lamer, cria l’exécuteur, voulez-vous passer de ce côté ? il y a un de ces messieurs qui vous demande.

La foudre tombant au milieu des quatre condamnés n’eût pas produit un effet plus terrible que ce nom.

– Que dites-vous ? s’écria Pontcalec palpitant de terreur ; comment avez-vous dit ? quel nom avez-vous prononcé ?

– Lamer, monsieur, c’est notre chef.

Pontcalec, pâle et glacé, tomba sur une chaise, en attachant un indicible regard sur ses compagnons atterrés ; personne, autour d’eux, ne comprenait rien à ce muet abattement qui succédait si rapidement à cette grande confiance.

– Eh bien ! dit Mont-Louis s’adressant à Pontcalec avec un accent de doux reproche.

– Oui, messieurs, vous aviez raison, dit Pontcalec ; mais moi j’avais raison de croire à cette prédiction, car cette prédiction s’accomplira comme les autres. Seulement, cette fois, je me rends, et j’avoue que nous sommes perdus.

Et, par un mouvement spontané, les quatre condamnés s’embrassèrent en priant Dieu.

– Qu’ordonnez-vous ? demanda l’exécuteur.

– Inutile de lier les mains à ces messieurs, s’ils veulent donner leur parole ; ils sont soldats et gentilshommes.

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