XXXVI DERNIÈRE ENTREVUE.

Cependant Gaston était sorti de la serre le cœur épanoui par la joie : ce poids immense, qui l’oppressait depuis le commencement de la conspiration, et que l’amour d’Hélène avait tant de peine à soulever de temps en temps, venait de disparaître comme si un ange l’eût enlevé de dessus sa poitrine.

Puis, aux rêves de vengeance, rêves terribles et sanglants, succédaient les rêves d’amour et de gloire. Hélène n’était pas seulement une femme de qualité charmante et pleine d’amour, c’était une princesse du sang royal, une de ces divinités dont les hommes payeraient la tendresse du plus pur de leur sang, si, faibles comme des mortelles, elles ne donnaient pas leur tendresse pour rien.

Et puis Gaston, non-seulement sans le vouloir, mais encore malgré lui, sentait se réveiller dans un coin de son cœur, qu’il croyait tout à l’amour, les instincts endormis de l’ambition. Quelle brillante fortune que la sienne, et comme elle allait, en éclatant, faire envie aux Lauzun et aux Richelieu ! Plus de Louis XIV, imposant, comme à Lauzun, l’exil ou l’abandon de sa maîtresse ; plus de père irrité, combattant les prétentions d’un simple gentilhomme ; mais, au contraire, un ami tout-puissant, avide de tendresse, ayant soif d’aimer une fille si pure et si noble ; puis une sainte émulation entre la fille et le gendre pour se rendre plus dignes l’un et l’autre d’appartenir à un si grand prince, à un vainqueur si clément.

Il semblait à Gaston que son cœur ne pouvait contenir tant de joie : ses amis sauvés, son avenir assuré, Hélène fille du régent. Il pressa tellement chevaux et cocher, qu’en moins d’un quart d’heure, il était à la maison de la rue du Bac.

La porte s’ouvrit devant lui : un cri se fit entendre. Hélène, à la fenêtre du pavillon, attendait son retour ; elle avait reconnu la voiture, et s’élançait, joyeuse, à la rencontre de son ami.

– Sauvés ! s’écria Gaston en l’apercevant ; sauvés ! mes amis, moi, toi !

– Oh ! mon Dieu ! dit Hélène en pâtissant, tu l’as donc tué ?

– Non, non, Dieu merci ! Oh ! Hélène, quel cœur que le cœur de cet homme, et quel homme que ce régent ! Oh ! aime-le bien, Hélène. Tu l’aimeras aussi, n’est-ce pas ?

– Explique-toi, Gaston.

– Viens, viens, et parlons de nous. Je n’ai que quelques instants à te donner, Hélène ; mais le duc te dira tout.

– Une chose avant toutes choses, dit Hélène. Quel est ton sort à toi, Gaston ?

– Le plus beau du monde, Hélène : ton époux, riche, honoré, Hélène ! Je suis fou de bonheur.

– Et tu me restes enfin ?

– Non, je pars, Hélène.

– Mon Dieu !

– Mais pour revenir.

– Encore séparés !

– Trois jours au plus, trois jours seulement. Je pars pour aller faire bénir ton nom, le mien, celui de notre protecteur, de notre ami.

– Mais où vas-tu ?

– À Nantes.

– À Nantes ?

– Oui, cet ordre renferme la grâce de Pontcalec, de Mont-Louis, de Talhouët et du Couëdic ; ils sont condamnés à mort, comprends-tu ? et ils me devront la vie. Oh ! ne me retiens pas, Hélène, et songe à ce que tu as souffert tout à l’heure en m’attendant.

– Et, par conséquent, à ce que je vais souffrir encore.

– Non, mon Hélène ; car, cette fois, aucun obstacle, aucune crainte ; cette fois, tu es sûre que je reviendrai.

– Gaston, ne te verrai-je donc jamais qu’à de rares intervalles et pour quelques minutes ! Ah ! Gaston, j’ai cependant bien besoin d’être heureuse, va !

– Tu le seras, sois tranquille.

– J’ai le cœur serré.

– Oh ! quand tu sauras tout !…

– Mais alors, dis-moi tout de suite ce que je dois apprendre plus tard…

– Hélène, c’est la seule chose qui manque à mon bonheur, que de tomber à tes pieds et de tout te dire… Mais j’ai promis… j’ai fait plus, j’ai juré.

– Toujours des secrets !

– Celui-là, du moins, est plein de bonheur.

– Oh ! Gaston !… Gaston ?… je tremble.

– Mais regarde-moi donc, Hélène ; regarde, et, en voyant tant de joie dans mes yeux, ose me dire encore que tu as peur !

– Pourquoi ne m’emmènes-tu pas avec toi, Gaston ?

– Hélène !

– Je t’en prie, partons ensemble.

– Impossible.

– Pourquoi ?

– D’abord, parce qu’il faut que, dans vingt heures, je sois à Nantes.

– Je te suivrai, dussé-je mourir de fatigue.

– Ensuite, parce que ton sort ne t’appartient plus. Tu as ici un protecteur à qui tu dois le respect et l’obéissance.

– Le duc ?

– Oui, le duc. Oh ! quand tu sauras ce qu’il a fait pour moi… pour nous…

– Laissons-lui une lettre, et il nous pardonnera.

– Non, non, il dirait que nous sommes deux ingrats, et il aurait raison ; non, Hélène, tandis que je vais en Bretagne, rapide comme un ange sauveur, toi, tu resteras ici ; tu hâteras les préparatifs de notre mariage ; et moi, tout à coup, j’arriverai, je t’appellerai ma femme, et, à tes pieds, je te remercierai alors à la fois du bonheur et de l’honneur que tu me fais.

– Tu me quittes, Gaston ! s’écria la jeune fille d’une voix déchirante.

– Oh ! pas ainsi, Hélène, pas ainsi ! car je ne te quitterais pas. Oh ! bien au contraire, sois joyeuse, Hélène, souris-moi, et dis-moi, en me tendant ta main si pure et si loyale : « Pars, pars, Gaston ; c’est ton devoir de partir. »

– Oui, mon ami, dit Hélène ; peut-être devrais je te dire cela ; mais, en vérité, je n’en ai pas la force ; pardonne-moi.

– Oh ! Hélène, c’est mal, quand moi je suis si joyeux.

– Que veux-tu, Gaston ? c’est plus fort que ma volonté. Gaston, tu emportes la moitié de ma vie avec toi, songes-y bien.

Gaston entendit sonner trois heures, et tressaillit.

– Adieu ! dit-il, adieu !

– Adieu ! murmura Hélène.

Et il lui serra encore une fois la main, qu’il baisa une dernière fois ; et, s’élançant hors de la chambre, courut vers le perron, au bas duquel hennissaient les chevaux refroidis par le vent glacé du matin.

Mais, au moment où il venait de descendre, il entendit les sanglots d’Hélène.

Il remonta rapidement et courut à elle ; elle était sur la porte de la chambre qu’il venait de quitter. Gaston l’enlaça dans ses bras, et elle se suspendit toute défaillante à son cou.

– Oh ! mon Dieu ! s’écria-t-elle, tu me quittes donc, tu me quittes donc, Gaston ! Écoute bien ce que je te dis : nous ne nous reverrons plus !

– Pauvre amie ! pauvre folle ! s’écria le jeune homme, le cœur serré malgré lui.

– Oui, folle… mais de désespoir, répondit Hélène.

Et ses larmes inondèrent le visage de Gaston.

Tout à coup, comme après un combat intérieur, elle colla ses lèvres aux lèvres de son amant en l’étreignant avec ardeur ; puis, le repoussant doucement :

– Va, dit-elle, va, Gaston ; maintenant je puis mourir.

Gaston répondit à ce baiser par des caresses passionnées. Mais en ce moment trois heures et demie sonnèrent.

– Encore une demi-heure qu’il faudra regagner ! dit-il.

– Adieu ! adieu, Gaston ! pars, tu as raison ; tu devrais déjà être parti.

– Adieu, et à bientôt.

– Adieu, Gaston !

Et la jeune fille rentra silencieuse dans le pavillon, comme une ombre rentre dans son tombeau.

Quant à Gaston, il se fit conduire à la poste, demanda le meilleur cheval, le fit seller, s’élança dessus, et sortit de Paris, franchissant cette même barrière par laquelle il était entré quelques jours auparavant.

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