Généralisation.

Une idée générale est une notion qui convient à plusieurs individus. L'opération par laquelle on obtient ces idées c'est la généralisation.

Deux procédés concourent à la généralisation: la comparaison et l'abstraction. Nous comparons ce que plusieurs individus ont de semblable, et nous l'abstrayons. Ces qualités communes forment alors une idée générale. Ainsi, nous comparons les hommes: nous voyons ce qu'ils ont de commun, nous l'abstrayons et nous nous faisons l'idée générale d'homme. Les qualités aussi abstraites conviennent donc à tous les individus observés. Nous voyons que tous les hommes ont la sensibilité, l'intelligence, l'activité, et nous en faisons des idées générales.

Quelle est la valeur des idées générales? Le moyen-âge surtout a agité cette question. Quelle est la réalité de l'idée générale? Voici comment se pose la question: Certains philosophes ont estimé que les idées générales répondaient à une réalité existante. C'est là la théorie réaliste. D'autres au contraire ont admis que les idées générales étaient purement subjectives. D'après ce système, le terme général n'est rien qu'un flatus vocis. Quand nous énonçons ce mot, nous ne nous représentons même selon eux, rien de réel et de concret. Supprimez le langage, il n'y a plus d'idées générales. Tel est le nominalisme.

Cette doctrine est toujours restée dans la discussion. Condillac, M. Taine se rattachent à cette doctrine. Au contraire, nous trouvons le réalisme dès l'antiquité. Les idées platoniciennes ne sont pas, il est vrai, absolument des genres. Mais elles conviennent à tous les individus. Elles sont, en partie au moins, des genres substantialisés. Platon est donc un réaliste.

De ces deux doctrines, il y en a une dont l'expérience montre l'absurdité; c'est le réalisme. Il n'y a pas de genre en soi. Les ressemblances que l'on rencontre entre les individus s'expliquent suffisamment par la communauté d'origine.

Nous ne pouvons pas admettre davantage le pur nominalisme. Quand nous pensons une idée générale, nous pensons autre chose qu'un mot. Sans doute il y a là une association très forte et qui fait illusion. Mais un mot n'est qu'un signe, et un signe n'est intelligible pour nous que si nous connaissons déjà la chose signifiée.

Le nominalisme, comme le réalisme absolu, sont [sic] donc en opposition avec les faits. Mais il y a entre deux la doctrine d'Abélard, qu'on appelle le conceptualisme. Suivant lui, les idées générales ne sont ni des mots, ni des substances; elles existent, mais dans notre esprit. Elles ont une existence subjective. - En outre les idées générales existent substantiellement dans chaque individu. Par cela même que l'individu appartient au genre, le genre est réalisé en lui. L'idée générale est donc plus qu'un mot.

Il nous reste à traiter la question de savoir si la pensée commence par des idées particulières ou des idées générales. Le philologue Max Müller a cru remarquer que les racines des langues sont des noms communs, par conséquent, que la pensée commence par des idées générales. Il ne s'agit pas de savoir si, dès l'origine de l'expérience, l'esprit avait la notion générale complète, mais si les choses particulières sont pensées comme individuelles ou comme types et genres.

L'observation de Müller est très controversée. La majorité des grammairiens lui est opposée. Mais quand elle serait vrai, cela ne démontrerait pas que les idées générales sont les premières formées. Elle ne prouve qu'une chose, c'est que les premières idées exprimées sont des idées générales. Mais rien ne prouve que les premières idées exprimées soient les premières idées pensées. La faculté de penser est antérieure au langage. L'observation de Müller n'a donc pas de portée.

Or, d'une manière générale, comment se représenter que l'homme commence par penser les idées générales? L'expérience ne donne que des individus. Comment l'homme verrait-il ainsi le genre dans l'individu? On ne peut se l'expliquer.

Nous croyons donc que non seulement les premières idées sont particulières et que nous les pensons comme telles, mais encore que les idées part[iculières] sont aussi les premières exprimées.

Faire remarquer le rôle de la généralisation dans la connaissance serait montrer comment la science satisfait par des procédés au besoin de comprendre. La généralisation ramène la multiplicité des individus à l'unité du genre. Or, comme c'est là la meilleure satisfaction que puisse avoir l'esprit, c'est par la généralisation surtout que l'esprit s'explique la réalité, qui, composée de choses différentes, ne peut trouver d'autre unité.

Jugement. Le jugement est l'opération par laquelle l'esprit affirme qu'une idée (attribut ou prédicat) convient à une autre idée (sujet). Exemple: L'homme (sujet) est mortel (attribut).

Voyons quel est le mécanisme de cette opération. Si nous analysons ce jugement nous verrons qu'il consiste à dire que la classe des hommes est comprise dans la classe des êtres mortels. Le jugement montre donc le sujet comme compris dans l'attribut. D'où résulte que l'attribut doit toujours être plus vaste que le sujet. Kant exprimait ce mécanisme du jugement en disant qu'on subsume le sujet sous l'attribut.

Mais ce n'est là qu'une façon d'examiner le jugement. D'un autre point de vue, l'attribut est compris dans le sujet. La mortalité, par exemple, est une qualité comprise dans le concept plus large d'homme. - C'est que dans le premier cas, nous comparons au point de vue du nombre, les individus désignés par le sujet et par l'attribut, tandis que dans le second cas nous examinons non plus les individus, mais les caractères.

Considéré sous le premier aspect, le jugement est étudié au point de vue de l'extension; sous le second, à celui de la compréhension.

Il résulte de tout ce qui précède que le jugement résulte de la comparaison de deux idées. Or, Cousin distinguait deux sortes de jugements, les uns formés ainsi, et d'autres, faits immédiatement, sans que l'esprit eût examiné les deux idées qu'il rapproche. De ce nombre était, selon lui, le jugement: Je suis. En effet, supposons que j'ai pu séparer les deux termes. L'idée du moi, séparée de l'idée d'existence, n'est plus que l'idée d'un moi possible. Si nous joignons ces deux termes, dit-il, nous aurons le jugement: Je puis être, et non je suis.

Mais de ce qu'on sépare l'idée du moi de l'idée d'existence, il ne s'ensuit pas qu'on pense le moi comme possible. On le conçoit comme en dehors de toute relations avec l'existence. On le pense seulement comme un ensemble de propriétés; ensuite on établit une relation entre cette notion et celle d'existence. On voit qu'elles se conviennent. On forme alors le jugement: Je suis.

Voyons maintenant comment on peut diviser les jugements. On les divise souvent en jugements particuliers et universels. Le jugement universel affirme l'attribut de tout, le jugement particulier d'une partie du sujet.

On a aussi classé les jugements par positifs et négatifs. Mais la division de Kant en synthétiques et analytiques est la plus importante.

Ces derniers sont ceux où la notion de l'attribut nous apparaît comme comprise dans la notion du sujet de telle sorte que, quand nous pensons le sujet, nous pensons immédiatement l'attribut. Par conséquent, dans les jugements analytiques, l'attribut se déduit nécessairement du sujet. Ex.: 2 + 2 = 4.

Dans les jugements synthétiques au contraire, la notion de l'attribut est ajoutée à la notion du sujet. Exemple: Tous les corps tombent selon la verticale. - Cette propriété est quelque chose de plus que ce qui est compris dans le sujet.

Les principes rationnels sont tous des jugement synthétiques. La question que nous nous sommes posée dans la théorie de la raison peut se poser ainsi: Y a-t-il des jugements synthétiques a priori, et s'il y en a comment sont-ils possibles? -- Nous avons résolu la question en admettant que l'esprit y était nécessité par sa nature même.

Le raisonnement est une opération par laquelle l'esprit combine deux jugements anciens pour en tirer un jugement nouveau.

Il y a deux formes de raisonnement: L'induction et la déduction.

Nous reverrons d'ailleurs en logique la théorie du raisonnement.

Nous allons intercaler à cet endroit du cours l'étude de certains phénomènes auxquels concourent à la fois la sensibilité et l'intelligence. Ce sont les phénomènes psychiques relatifs au beau. La science qui les étudie se nomine l'Esthétique, de [Greek], sensation. Aussi Kant détournant ce mot de son sens ordinaire lui fait désigner cette partie de la philosophie où se trouve étudiée l'expérience intérieure et extérieure.

L'esthétique n'a pas pour objet de donner à ceux qui ne l'ont pas le sentiment et le goût du beau; elle ne cherche pas non plus à déterminer les règles auxquelles doivent se conformer les artistes. Son but est de définir le beau considéré d'abord d'une manière abstraite générale. L'esthétique passe ensuite à l'étude des différentes façons dont le beau se révèle à nous, des différentes formes par lesquelles il s'exprime, c'est à dire en un mot à l'étude des beaux-arts.

Voilà donc deux problèmes: celui du beau abstrait et celui du beau concret, que l'esthétique doit chercher à résoudre.

Qu'est ce que le beau?

C'est là une question sur laquelle il est bien difficile de donner une réponse absolument satisfaisante. Une foule de solutions contradictoires ont été proposées. Aussi l'idée du beau étant voisine de plusieurs autres idées avec lesquelles elle a souvent été confondue, nous allons d'abord tâcher de distinguer le beau de ce qui n'est pas lui. Nous aurons ainsi une définition négative du beau, et parlant de là nous chercherons quels sont les caractères propres de cette idée.

Le beau, a-t-on dit autrefois, c'est ce qui sert. On le confondait ainsi avec l'utile. C'est d'après cette théorie que Socrate appelle beau tout objet utile. - Cette définition méconnaît un des caractères essentiels du beau. Le beau n'évoque en nous aucun sentiment intéressé: peu nous importe que le beau serve ou non; il nous semble même que le domaine du beau est absolument en dehors de celui de l'utile. Ce qui caractérise le beau, c'est l'absence de toute tendance à l'utile. Kant a fait remarquer avec raison que, dès que nous concevons un objet comme utile, la valeur esthétique en est diminuée, tant ces deux idées sont profondément distinctes. - Quoiqu'il en soit de ces considérations théoriques, il est de fait que chaque instant nous présente des objets utiles et n'ayant rien de beau.

En second lieu, on a confondu le beau et l'agréable. Le beau assurément est toujours agréable; mais l'agréable n'est pas toujours beau. Le plaisir que nous cause le beau est d'un genre particulier. Une bonne chère est agréable, et ne produit en nous aucune impression esthétique.

Le beau n'est pas le bien: combien de choses sont belles qui ne sont pas bonnes. Imaginons un homme des plus immoraux; prêtons-lui les plus détestables passions, les plus grands vices. Pourvu que ces vices n'aient rien de commun, que ses entreprises criminelles dénotent une grande énergie, pourvu que ses passions soient puissantes, pourvu que cette activité, condamnée par la morale, n'en soit pas moins grande et violente, cet homme sera beau. - Inversement, bien des choses sont bonnes qui ne sont pas belles; et si les grands actes de vertu ont une valeur esthétique, il n'en est pas de même de l'honnêteté ordinaire, de la vertu bourgeoise, qui ne laissent pas d'avoir un grand mérite au point de vue moral. - Enfin, il y a des choses indifférentes moralement, et qui sont belles ou laides. Un grand paysage, une nature morte, n'ont rien à démêler avec le vice ou la vertu, et donnent pourtant matière à une oeuvre d'art.

Le beau n'est pas le vrai: de grandes théories scientifiques assurément ne manquent pas de beauté. Mais cette beauté ne peut venir de la justesse du raisonnement, car bien des raisonnements justes, vrais par conséquent, n'ont rien de beau. D'autre part on conçoit très bien une grande hypothèse, fausse, et pourtant belle. Telle est par exemple la fameuse théorie des tourbillons de Descartes.

On a dit encore que le beau, c'était la perfection. Mais ce mot peut être entendu dans des sens différents. D'abord on nomme parfaite une chose qui atteint exactement le but pour lequel elle est faite: le beau consisterait alors dans une adaptation des moyens de la fin. Or, on peut voir qu'une pareille idée du parfait diffère bien peu de l'idée d'utile. Une chose parfaite, dans ce sens, est une chose qui remplit bien l'office qu'on attend d'elle. Remarquons d'ailleurs que bien des formes de la beauté ne peuvent se ramener à la perfection ainsi entendue: tel est le sublime. On n'y trouve pas l'adaptation harmonieuse qui existe entre la fin et les moyens. Il y a là au contraire un désaccord de la forme et du fond. Le sublime est un beau qui ne trouve pas une expression qui lui soit adéquate. Il y a là chez lui une rupture de cet équilibre parfait qui définit la perfection, telle que nous l'avons définie. Quand on définit le beau par l'ordre, cela revient au même: l'ordre n'est qu'un rapport exact entre les parties du tout. Ce que nous venons de dire du beau défini par la perfection s'applique donc aussi au beau défini par l'ordre. Le sublime est incompatible avec cette théorie. De plus, les oeuvres d'art où la passion domine - et avec elle incohérence, le désordre - ne seraient donc pas belles. Si le beau, c'est l'ordre, une pareille définition conviendrait à la littérature classique où règne une parfaite harmonie, mais ne conviendrait pas à la littérature de nos jours, où l'on représente volontiers des passions fougueuses, ne conviendrait même pas à la littérature ancienne.

On a aussi entendu le mot perfection dans un sens plus large; on a indiqué par là la perfection absolue. Ce n'est plus la perfection d'une chose, mais la perfection en soi. Au delà des perfections relatives qui ne peuvent être conçues en dehors de telle ou telle qualité, il y aurait une perfection suprême, et c'est celle-là qui est identique au beau.

Si l'on admettait cette dernière définition du beau, le beau serait l'absolue perfection s'incarnant dans une forme matérielle. Malheureusement, cette idée implique contradiction: nous ne pouvons pas avoir une notion simple comprenant ainsi toutes les perfections. C'est un concept vide. Cet idéal dont on nous parle doit avoir une nature déterminée. Autrement, il est irreprésentable. Si au contraire cette perfection peut être déterminée en quelque façon, si elle se rapporte à quelque qualité spéciale, si générale qu'on la suppose, c'est une perfection relative et non pas, comme on le disait, une perfection absolue.

Le beau, bien que très voisin de l'utile, de l'agréable, du bien, du vrai et du parfait, ne se confond donc avec aucune de ces idées. Cherchons donc maintenant quelle est sa nature propre.

Pour cela, nous allons étudier les diverses façons dont le beau se révèle à l'homme, et quand il se révèle, quels effets il produit sur nous. Puis les effets constatés, nous essaierons de remonter jusqu'à la cause par voie d'induction.

Et d'abord, comment le beau se révèle-t-il à nous? C'est toujours sous une forme sensible. Est-il quelque chose de distinct de cette forme, ou n'est-il rien autre que cette forme même, peu importe. Le fait est que pour arriver à nous, le beau doit prendre une forme sensible. Que cette forme soit perçue par les sens ou conçue par l'imagination, peu importe encore. L'imagination, comme les sens, nous montre les choses sous des formes concrètes.

Nous savons donc déjà que le beau devra toujours être exprimé sous une forme sensible. Mais qu'est-il en lui-même? Nous ne pourrons le dire qu'après avoir analysé les effets que le beau produit sur nous.

Le beau donne des sensations agréables. Le premier caractère de l'émotion esthétique est d'être un plaisir. - En voici un second, qui semble au premier abord être en contradiction avec le premier. Tandis que ce qui nous est agréable éveille généralement en nous des préoccupations égoïstes - tout ce qui nous est agréable nous étant utile dans une certaine mesure - le plaisir esthétique est toujours désintéressé. Quand nous éprouvons cette sorte de plaisir, nous nous abandonnons tout entier à la jouissance qu'il nous procure sans nous demander si l'objet peut ou ne peut pas nous servir. Nous ne calculons pas: aussi ne tenons-nous pas à nous réserver le privilège du plaisir que nous éprouvons. Le plaisir esthétique ne nous pousse pas à posséder pour nous et rien que pour nous l'objet qui l'a causé. Pourvu que nous voyons les choses belles, notre amour du beau est satisfait. Nous ne tenons pas à être les propriétaires de l'objet qui nous a charmés. Si l'amateur cherche à collectionner les tableaux, il obéit à un sentiment qui n'a rien d'esthétique. Ce n'est pas l'amour de l'art qui le pousse, c'est le besoin et la gloire de posséder.

Voici deux autres caractères essentiels du beau:

Le plaisir esthétique est universel, et en même temps individuel. Il est universel en ce que, quand j'éprouve une sensation esthétique, j'estime que tous les hommes placés dans les mêmes conditions que moi éprouveront le même plaisir. On peut discuter des goûts et des couleurs, mais cela n'empêche pas, comme dit La Bruyère, qu'il y ait un bon et un mauvais goût, car les gens éclairés s'entendent pour appeler beaux les objets renfermant les mêmes qualités. Mais pourtant le goût est à un autre point de vue individuel. Ce que je trouve beau n'est pas jugé beau nécessairement et au même titre par une autre personne. Nous ne nous entendons pas sur le mérite comparé de l'oeuvre que nous jugeons avec un autre. Les exemples de ce genre abondent.

Aussi a-t-on souvent remarqué que le beau idéal d'une époque n'est pas celui d'une autre. La beauté, pour le XVIIe siècle, n'existait qu'avec l'ordre, la régularité; notre époque tend au contraire à rechercher ce qu'il y a de beau dans les grands mouvements de la passion. Ce qu'aimait le siècle de Louis XIV, c'était en tout une exacte proportion; ce que nous aimons dans les choses de l'art, ce sont la richesse et la complexité.

Il y a donc à la fois dans les jugements sur le beau une grande variété et cependant une universalité évidente: nous expliquerons plus loin d'où vient cela.

Nous venons d'étudier les effets du beau, l'émotion esthétique. Partant de là nous allons chercher à remonter à la cause, à déduire des qualités diverses que présente le plaisir esthétique les qualités que doit avoir son objet, le beau.

Tout d'abord, nous savons que l'émotion esthétique est désintéressée. Or, cela seul est l'objet d'un véritable désintéressement, qui n'a pas de réalité concrète. Ce qui existe réellement a toujours pour nous une certaine utilité, ne fut-ce que l'utilité de nous être agréable. Quand nous le voyons, immédiatement il se produit en nous une arrière-pensée intéressée; nous voulons garder pour nous cet objet. Or, le beau ne produit rien de pareil: c'est donc qu'il n'est pas réel. C'est un simple concept de l'esprit, un idéal qu'il se forme.

En second lieu, nous avons constaté que l'émotion esthétique était un plaisir. Or, le plaisir chez nous est produit par l'action sur notre esprit d'un objet conforme à sa nature; la douleur, par le contraire. Nous ne connaissons que nous; c'est par comparaison dans leurs rapports avec nous que nous jugeons les objets. Si donc [following phrase crossed out and corrected with illegible text written above] l'émotion esthétique est un plaisir [end of crossout], c'est que le beau [crossed out and corrected] est conforme à notre nature [end of crossout].

Le beau doit avoir quelque chose de la nature humaine. C'est ce que Saint-Marc-Gérardin fait très justement observer dans son cours de littérature dramatique. Ce que nous cherchons partout dans l'art, c'est nous-mêmes. Un paysage n'est pas beau par lui-même: ce qui fait sa beauté, ce qui le rend capable de devenir l'objet d'une émotion esthétique, ce sont les sentiments que ce paysage éveille en nous. Supprimez l'homme, vous supprimez le beau.

Si le beau est conforme à notre nature, nous n'aurons qu'à nous examiner nous-mêmes pour savoir ce qu'il est, au moins en partie. Or, notre nature se compose essentiellement de trois facultés, et l'on peut considérer chacune d'elles à deux points de vue différents. Dans la Sensibilité, nous avons d'un côté la multiplicité: les inclinations, les émotions. De l'autre, l'unité, qui est donnée par la passion. -- Dans l'Intelligence, la multiplicité est produite par les sensations, les états de conscience divers, tout ce qui est la matière de la connaissance, mais la Raison s'y ajoute, et leur donne l'unité. - L'Activité enfin se compose d'une masse d'actions, d'instincts; c'est la multiplicité. Le moi intervient dans ce chaos par la volonté qui dirige l'activité et lui impose l'unité.

Multiplicité donnée par l'expérience et ramenée à l'unité par le moi, telle est donc la formule de toute notre connaissance. Plus nous nous rapprochons de l'unification absolue de cette multiplicité et plus le plaisir intellectuel est grand.

Le beau doit être conforme à cette formule, et d'autre part il est idéal. On pourra donc dire: Le beau, c'est l'unité et la multiplicité idéalisées.

La multiplicité pour être idéale, sera aussi complexe que possible; l'unité, aussi forte, aussi cohérente qu'il se pourra. Elle devra comprendre le multiple sans en rien laisser échapper, et sans en atténuer la complexité. De la parfaite harmonie entre ces deux termes naîtra le beau.

Seulement, par malheur, cet accord est tout idéal et cette harmonie ne peut guère exister en pratique. De là vient que dans les oeuvres d'art, l'un ou l'autre de ces caractères est sacrifié à l'avantage du second. C'est ce qui explique bien comment l'émotion esthétique est à la fois universelle et individuelle. Elle est universelle, car, pour tout le monde, elle correspond toujours aux deux conditions que nous avons établies. Elle est une unification de la multiplicité. - Mais d'autre part, elle est individuelle: d'abord, parce que les uns préfèrent que l'unité prédomine aux dépens de la multiplicité; les autres aiment mieux le contraire. Ensuite, en raison de la différence des sensibilités et des dispositions personnelles de l'esprit qui examine une réalisation concrète du beau.

On peut exprimer ainsi le résultat auquel nous venons d'arriver: L'unité, c'est la concentration de tous les éléments vers un même but. Elle est parfaite, si aucun d'eux n'est distrait de la fin commune. Un tel système est caractérisé par sa force. - La multiplicité, d'autre part, c'est la richesse, la variété, la complexité. Le beau pourra dès lors être défini: un accord harmonieux de la force et de la richesse. - Mais cet accord ne peut être parfait: tantôt la richesse l'emporte au détriment de la force, tantôt la force au détriment de la richesse. Chacun alors, suivant les inclinations de son esprit, préférera l'une ou l'autre de ces deux combinaisons.

Ainsi, Corneille a la force (comme d'ailleurs tout le dix-septième siècle et comme l'art grec que cette époque imitait); mais il y perd en richesse. Les personnages ont un, ou deux sentiments tout en énergie, mais sans variété. L'art romantique, au contraire préféré de nos jours, tire tout son mérite de sa diversité, de sa richesse. En revanche, l'unité est relâchée; il y a plus de variété, moins de force.

L'essence du beau est la puissance: Elle s'exprime tantôt en surface, avec beaucoup de richesse et peu d'unité; tantôt en profondeur, avec une forte unité et avec une pauvreté relative. Mais sous ces deux formes elle a pour un esprit impartial la même valeur esthétique.

Mais il ne faut pas seulement définir le beau au point de vue du beau idéal. Prendre une forme concrète n'est pas pour le beau une déchéance; il n'existe qu'en se révélant à nous: c'est la condition même de son existence. Le beau réel c'est la force et la richesse revêtant une forme concrète, et se rapprochant autant que possible de l'harmonie parfaite qui serait le beau idéal.

Deux idées voisines de l'idée du beau doivent être définies: le sublime et le joli.

Pour Kant, le sublime est spécial, ne ressemble en rien au beau. Le beau se présente toujours à nous avec un aspect défini; le sublime nous donne l'impression de l'illimité. En même temps que le sublime et le beau se distinguent par leur nature, les émotions qu'ils nous donnent diffèrent. Le beau donne un plaisir calme, tranquille; le plaisir du sublime est mêlé de douleur. Quand nous avons contemplé le sublime, il se produit en nous, selon Kant, une légère douleur, une sorte d'aspiration vers cet infini du sublime que l'esprit ne peut embrasser tout entier. C'est là ce qui produit cette gêne, agréable cependant; car cet effort pour saisir le sublime a beau être impuissant, il est élevé, et nous lui devons un contentement d'ordre supérieur. Voilà pourquoi Kant, dans sa critique du Jugement, a fait du sublime une idée à part, bien distincte de celle du beau.

Si cette définition était vraie, le sublime ne serait jamais dans ce qui est bien défini; pas de sublime dans la littérature classique. Quoi de plus précis que le: "Qu'il mourût!" d'Horace? N'est-ce pourtant pas là un bel exemple du sublime?

Nous ne mettrons donc pas un abîme entre le sublime et le beau; le premier n'est que la plus haute expression, le maximum d'intensité du beau. Mais, puisqu'il y a deux espèces de beau, il doit y avoir deux espèces de sublime: le sublime dans la force, le sublime dans la richesse. Les vers cornéliens si simples et si forts, sont sublimes: une plaine immense qui nous offre le spectacle le plus varié, ne l'est pas moins. Il faut accorder ce nom à tout ce qui mérite de le porter: Rodrigue ne le mérite pas plus que Faust.

De même que le sublime est l'apogée du beau, le joli en est comme le diminutif. Le beau est l'état normal de l'art: le joli en est un caprice; le sublime, un heureux accident.

Ce qui caractérise le joli, c'est une mesure parfaite entre les deux éléments du beau, l'unité, la variété. On pourrait dire encore que dans le joli la force le cède un peu à la variété. Le joli est facile, voilà ce qui le caractérise surtout.

Comme le sublime, comme le beau, le joli n'existe qu'en revêtant une forme sensible. Donner une forme à l'idéal esthétique, c'est l'oeuvre de l'art.

Pris dans son sens le plus général, l'art s'oppose à la théorie. C'est l'ensemble des moyens destinés à appliquer les vérités établies par la spéculation. Quand l'art s'occupe uniquement de réaliser le beau, il prend un nom nouveau et forme les beaux-arts. C'est de ces derniers que nous allons parler.

L'art est comme un langage. Les choses sont les signes à l'aide desquels il pourra exprimer le beau. Il va chercher dans la réalité sensible les formes avec lesquelles il exprimera l'idée esthétique. La matière en elle-même n'a aucune valeur esthétique; elle l'emprunte toute de ce qu'elle exprime. De même que les mots n'ont pas de sens par eux-mêmes, les formes que l'artiste emploie ne servent qu'à rendre sensible l'idéal conçu par l'artiste.

On a souvent distingué deux grandes doctrines dans l'art: l'idéalisme et le réalisme. L'idéalisme est l'art qui cherche à nous faire oublier la réalité, à atteindre autant que possible l'idéal. Peu lui importe ce que sont les hommes et les choses. L'artiste idéaliste nous montre les hommes et les choses avec des proportions plus grandes que nature. Le réalisme au contraire, réduit l'art à une reproduction photographique de la nature. Le réaliste se défend de rêver, s'interdit l'imagination, copie. Il veut nous montrer les choses comme elles sont, ni plus grandes, ni plus petites que nature. Il veut nous montrer la réalité telle qu'elle est.

Le réalisme mérite-t-il réellement le nom d'art? Ne sont-ce pas là deux expressions contradictoires? Il nous le semble. L'art a pour objet d'exprimer le beau: le beau est idéal ou n'est pas. La science, non l'art, a pour objet de nous apprendre ce qui existe. L'art doit nous ménager à côté des petitesses des mesquineries de la vie réelle, une vie idéale qui nous repose de la première, où tout serait élevé, agrandi. Tel est l'objet de l'art. Le réalisme se comprend comme une science d'observation: c'est l'histoire du présent. Mais il n'est pas un art s'il proscrit l'idéal.

L'idéalisme, assurément, doit prendre son point de départ dans le réel. Il commence par observer ce qui existe pour l'idéaliser ensuite. Mais c'est la seconde partie de cette tâche qui est son oeuvre propre et original.

A cette théorie de l'art, il faut joindre une classification des beaux-arts. Ils expriment le beau sous différentes formes: ce sera la base de nos distinctions.

Il y a, pour exprimer le beau, deux grandes espèces de forme: les formes plastiques, pour la vue; les sons, pour l'ouïe. Ce sont là les deux sens esthétiques.

Nous avons donc déjà ainsi trois catégories: les arts qui s'adressent à l'ouïe, ceux qui s'adressent à la vue, ceux qui s'adressent à la fois à ces deux sens.

On pourrait classer les arts compris dans chacune de ces catégories par la plus ou moins grande aptitude de leur forme à exprimer le beau. Ainsi, pour les sons, la poésie est évidemment plus propre à exprimer l'idéal esthétique que ne l'est la musique. De même, dans les arts visuels, la couleur est plus propre à exprimer le beau que la sculpture ou l'architecture.

Partant de là, nous pouvons répartir ainsi les divers arts entre ces groupes:

Arts qui s'adressent à l'ouïe: Musique. Poésie.

Arts communs à l'ouïe et à la vue: Art dramatique, art oratoire.

Arts qui s'adressent à la vue: Architecture. Sculpture. Peinture

Telle est la classification des beaux-arts.


La vérité c'est la conformité de l'esprit et des choses; quand l'esprit est adéquat aux choses, suivant l'expression reçue, il possède la vérité. La certitude est l'état de l'esprit qui sait posséder la vérité: c'est donc l'effet de la vérité sur le moi. La certitude ne s'oppose pas à l'ignorance, dont le contraire est la science, mais au doute. Le doute, c'est l'état de l'esprit qui ne se sent pas en possession de la vérité.

La question capitale qui se pose à propos de la certitude est de savoir ce qui la produit. On y répond immédiatement que c'est la vérité: il semble donc y avoir un signe qui distingue la vérité, puisqu'elle produit la certitude. Ce signe qui en serait la vraie cause est ce qu'on nomme le critérium de la vérité.

Quel est donc ce critérium?

On a dit souvent que c'était l'évidence. Elle est quelque chose d'objectif, qui distingue nettement le vrai du faux. C'est selon l'expression de Descartes une sorte de lumière inhérente à la vérité et qui éclaire l'esprit. On a très souvent attribué à Descartes cette théorie de l'évidence objective; mais l'évidence telle qu'il l'entend, n'est pas telle que nous venons de l'entendre. l'évidence de Descartes ne se produit que si la volonté dirige d'une manière convenable l'entendement. Ce n'est donc pas exactement un signe extérieur à l'esprit: la théorie de l'évidence objective doit donc être rapportée à Spinoza. (Verum index sui)

Cette théorie ne peut pas expliquer la différence des opinions. Si l'évidence est inhérente aux jugements, elle devra produire la certitude chez tous les esprits; et pourtant, il y a un grand nombre de propositions qui sont controversées. Les questions les plus élevées, qui intéressent notre vie de la manière la plus grave, n'ont pas encore reçu de solution unanime, et la plupart ont pourtant sur ces sujets des solutions auxquelles ils donnent la plus parfaite certitude. C'est donc que les jugements ne portent pas en eux de signe objectif auquel on ne puisse se méprendre: les jugements seuls présentent ce caractère qui sont universellement acceptés.

On dira peut-être que cette différence d'opinion vient de la différence des esprits; qu'il y a bien un critérium objectif, mais que les divers esprits ne le reconnaissent pas également. Mais la diversité des intelligences ne va pas jusqu'à la contradiction: or les jugements y arrivent. La différence des esprits ne peut donc expliquer la diversité des jugements.

Ainsi nous ne pouvons pas dire que le critérium de la vérité soit l'évidence; nous venons de distinguer deux sortes de jugement: les uns universellement acceptés; les autres, controversés, apparaissant comme vrais ou comme faux suivant les esprits.

Nous avons donc au moins deux formes de certitude à examiner, et à chercher ensuite comment se produit l'évidence qui en est la cause pour chacune d'elles.

Il y a trois sortes de certitude.

1. Mathématique, résultant de la démonstration mathématique. Quand nous sommes mathématiquement certains, nous en pouvons donner les raisons. En second lieu tous les hommes reconnaissent pour vrais les vérités établies mathématiquement.

2. Physique. Quand nous voyons une chose, nous sommes sûrs que nous la voyons; nous avons une certitude purement intuitive, mais aussi forte que la certitude mathématique; comme la précédente elle est commune à tout le monde. Tous les philosophes ne sont pas d'accord sur le point de savoir si nous sommes libres; mais tous conviennent que nous avons l'idée de la liberté.

3. Morale. Nous sommes souvent certains de choses qui ne sont ni mathématiquement prouvées, ni fait d'observations. Un architecte vient de construire un pont et le croit solide sans pouvoir en donner de preuve mathématique ou d'expérience. Considérez un croyant appartenant à une religion quelconque. Le propre de la foi est d'être au-dessus de la démonstration mathématique: elle se donne au moins pour telle. Et pourtant la foi est le type de la certitude: nous ne sommes jamais si convaincus que quand nos croyons en vertu de la foi. Et pourtant les vérités de cet ordre ne se prouvent ni par les faits, ni par démonstration.

Voilà donc une troisième espèce de certitude et de beaucoup la plus fréquente dans la vie ordinaire. A l'appui de nos idées courantes, nous ne pouvons guère donner de preuves rigoureuses, et pourtant nous sommes convaincus. C'est là la certitude morale.

Nous allons rechercher maintenant les divers causes de certitude.

1. La certitude mathématique se produit toujours à la suite d'un raisonnement déductif. Tout raisonnement déductif peut se ramener à la forme A->B; B->C; A->C. Le raisonnement consiste donc dans une série d'identité. Comment sommes-nous certains que les trois angles d'un triangle valent deux droits? Parce que nous établissons une identité entre les propriétés des angles alternes, internes et correspondant d'une part, la somme des angles formés autour d'une droite et la proposition à démontrer.

Ce qui cause la certitude mathématique est donc l'identité du terme considéré et une autre proposition reconnue pour vraie. Le critérium de la certitude mathématique est donc l'identité.

2. Quand nous constatons un fait, nous sommes certains que nous le voyons. Il est pour ainsi dire doué d'une autorité qui s'impose à l'esprit. C'est cette certitude particulière qui forme l'évidence physique ou du fait.

On pourrait objecter que nous pouvons voir des faits qui n'existent pas. Si nous croyons cela, ce n'est pas qu'à certains moments l'évidence du fait diminue, c'est que nous dépassons le fait et affirmons plus que lui. Si un halluciné voit un fantôme, il ne se trompe pas en affirmant qu'il "voit" un fantôme, mais en affirmant qu'il y a là un fantôme.

L'évidence physique est donc produite par le simple fait.


La morale est la science qui se propose de déterminer la loi de l'activité humaine.

Lorsque la morale se pose cette question d'une manière générale, sans s'occuper des cas particuliers où se trouvent les hommes, elle est dite générale ou théorique. Lorsqu'elle cherche comment cette loi générale, une fois établie, doit s'appliquer dans les conditions particulières de la vie, elle est dite particulière, appliquée ou pratique.

La première partie est une pure science, la deuxième à la fois une science et un art; il en est donc de la morale comme de la logique. En tant que l'une et l'autre déterminent des lois abstraites et générales, elles sont des sciences; elles deviennent des arts en indiquant comment on les applique pratiquement.

Share on Twitter Share on Facebook