III

Mais ces classifications primitives intéressent, non moins directement, la genèse de la pensée religieuse. Elles impliquent, en effet, que toutes les choses ainsi classées dans un même clan ou dans une même phratrie sont étroitement parentes et les unes des autres et de celle qui sert de totem à cette phratrie ou à ce clan. Quand l’Australien de la tribu de Port-Mackay dit du Soleil, des serpents, etc., qu›ils sont de la phratrie Yungaroe, il n’entend pas simplement appliquer à tous ces êtres disparates une étiquette commune, mais purement conventionnelle ; le mot a pour lui une signification objective. Il croit que, réellement, « les alligators sont Yungaroe, et que les kangourous sont Wootaroe. Le Soleil est Yungaroe, la Lune Wootaroe et ainsi de suite pour les constellations, les arbres, les plantes, etc. »

Ainsi, les gens du clan et les choses qui y sont classées forment, par leur réunion, un système solidaire dont toutes les parties sont liées et vibrent sympathiquement. Cette organisation qui, tout d’abord, pouvait nous paraître purement logique est, en même temps, morale. Un même principe l’anime et en fait l’unité : c’est le totem. De même qu’un homme qui appartient au clan du Corbeau a en lui quelque chose de cet animal, la pluie, puisqu’elle est du même clan et qu’elle ressortit au même totem, est nécessairement considérée, elle aussi, comme « étant la même chose qu’un corbeau » ; pour la même raison, la Lune est un kakatoès noir, le Soleil un kakatoès blanc, tout arbre à bois noir un pélican, etc. Tous les êtres rangés dans un même clan, hommes, animaux, plantes, objets inanimés, sont donc de simples modalités de l’être totémique. Voilà ce que signifie la formule que nous rapportions tout à l’heure et qui en fait de véritables congénères : tous sont bien réellement de la même chair en ce sens qu’ils participent tous de la nature de l’animal totémique. D’ailleurs, les qualificatifs qu’on leur donne sont aussi ceux qu’on donne au totem

Mais d’un autre côté, nous savons que l’animal totémique est un être sacré. Toutes les choses qui sont rangées dans le clan dont il est l’emblème ont donc le même caractère, puisqu’elles sont, en un sens, des animaux de la même espèce, tout comme l’homme. Elles sont, elles aussi, sacrées, et les classifications qui les situent par rapport aux autres choses de l’univers leur assignent du même coup une place dans l’ensemble du système religieux. C’est pourquoi celles d’entre elles qui sont des animaux ou des plantes ne peuvent pas être librement consommées par les membres humains du clan. Ainsi, dans la tribu du Mont-Gambier, les gens qui ont pour totem un serpent sans venin ne doivent pas seulement s’abstenir de la chair de ce serpent ; celle des phoques, des anguilles, etc., leur est également interdites

Mais ce qui montre mieux encore que toutes les choses ainsi rattachées à un totem ne sont pas d’une autre nature que celui-ci et, par conséquent, qu’elles ont un caractère religieux, c’est qu’à l’occasion elles jouent le même rôle. Ce sont des totems accessoires, secondaires, ou, suivant une expression qui est aujourd’hui consacrée par l’usage, des sous-totems

Parfois, nous voyons même un sous-clan s’affranchir totalement et devenir un groupe autonome, un clan indépendant : le sous-totem, de son côté, devient alors un totem proprement dit. Une tribu où ce processus de segmentation a été, pour ainsi dire, porté jusqu’à son extrême limite est celle des Arunta. Déjà les indications contenues dans le premier livre de Spencer et Gillen démontraient qu’il y avait chez les Arunta une soixantaine de totems

C’est ce que les observations de Strehlow ont définitivement démontré. Spencer et Gillen n’avaient cité que quelques cas isolés de totems associés

Le cercle des choses religieuses s’étend donc bien au-delà des limites dans lesquelles il paraissait tout d’abord renfermé. Il ne comprend pas seulement les animaux totémiques et les membres humains du clan ; mais, puisqu’il n’existe rien de connu qui ne soit classé dans un clan et sous un totem, il n’existe également rien qui ne reçoive, à des degrés divers, quelque reflet de religiosité. Quand, dans les religions qui se formeront ultérieurement, les dieux proprement dits apparaîtront, chacun d’eux sera préposé à une catégorie spéciale de phénomènes naturels, celui-ci à la mer, celui-là à l’atmosphère, un autre à la moisson ou aux fruits, etc., et chacune de ces provinces de la nature sera considérée comme tirant la vie qui est en elle du dieu dont elle dépend. C’est précisément cette répartition de la nature entre les différentes divinités qui constitue la représentation que ces religions nous donnent de l’univers. Or, tant que l’humanité n’a pas dépassé la phase du totémisme, les différents totems de la tribu jouent exactement le rôle qui reviendra plus tard aux personnalités divines. Dans la tribu du Mont-Gambier, que nous avons prise pour principal exemple, il y a dix clans ; par suite, le monde entier est réparti en dix classes, ou plutôt en dix familles dont chacune a un totem spécial pour souche. C’est de cette souche que toutes les choses classées dans un clan tiennent leur réalité, puisqu’elles sont conçues comme des modes variés de l’être totémique ; pour reprendre notre exemple, la pluie, le tonnerre, l’éclair, les nuages, la grêle, l’hiver sont regardés comme des sortes différentes de corbeau. Réunies, ces dix familles de choses constituent une représentation complète et systématique du monde ; et cette représentation est religieuse, puisque ce sont des notions religieuses qui en fournissent les principes. Loin d’être borné à une ou deux catégories d’êtres, le domaine de la religion totémique s’étend donc jusqu’aux dernières limites de l’univers connu. Tout comme la religion grecque, elle met du divin partout ; la formule célèbre παντά πληπή θεῷν peut également lui servir de devise.

Seulement, pour pouvoir se représenter ainsi le totémisme, il faut modifier, sur un point essentiel, la notion qu’on s’en est longtemps faite. Jusqu’aux découvertes de ces dernières années, on le faisait consister tout entier dans le culte d’un totem particulier et on le définissait la religion du clan. De ce point de vue, il paraissait y avoir, dans une même tribu, autant de religions totémiques, indépendantes les unes des autres, qu’il s’y trouve de clans différents. Cette conception était, d’ailleurs, en harmonie avec l’idée qu’on se fait couramment du clan : on y voit, en effet, une société autonome

Au reste, l’organisation totémique, telle que nous venons de la décrire, doit manifestement résulter d’une sorte d’entente entre tous les membres de la tribu indistinctement. Il est impossible que chaque clan se soit fait ses croyances d’une manière absolument indépendante ; mais il faut, de toute nécessité, que les cultes des différents totems aient été, en quelque sorte, ajustés les uns aux autres puisqu’ils se complètent exactement. Nous avons vu, en effet, que, normalement, un même totem ne se répétait pas deux fois dans la même tribu et que l’univers entier était réparti entre les totems ainsi constitués de manière à ce que le même objet ne se retrouve pas dans deux clans différents. Une répartition aussi méthodique n’aurait pu se faire sans un accord, tacite ou réfléchi, auquel toute la tribu a dû participer. L’ensemble de croyances qui a ainsi pris naissance est donc, en partie (mais en partie seulement), une chose tribale

En résumé, pour se faire une idée adéquate du totémisme, il ne faut pas s’enfermer dans les limites du clan, mais considérer la tribu dans sa totalité. Assurément, le culte particulier de chaque clan jouit d’une très grande autonomie : on peut même prévoir dès maintenant que c’est dans le clan que se trouve le ferment actif de la vie religieuse. Mais d’un autre côté, tous ces cultes sont solidaires les uns des autres et la religion totémique est le système complexe formé par leur réunion, tout comme le polythéisme grec était constitué par la réunion de tous les cultes particuliers qui s’adressaient aux différentes divinités. Nous venons de montrer qu’ainsi entendu le totémisme, lui aussi, a sa cosmologie.

Kamilaroi and Kurnai, p. 170. Notes on some Australian Tribes, J.A.I., XIII, p. 300. Dans Curr, Australian Race, III, p. 45 ; Brough-Smyth, The Aborigines of Victoria, I, p. 91 ; Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 168. Durkheim et Mauss, De quelques formes primitives de classification, in Année sociol., VI, p. 1 et suiv. Curr, III, p. 461. Curr et Fison ont été renseignés par la même personne, D. S. Stewart. Mathews, Aboriginal Tribes of N. S. Wales and Victoria, in Journal and Proceedings of the Royal Society of N. S. Wales, XXXVIII, p. 287-288 ; Howitt, Nat. Tr., p. 121. La forme féminine des noms donnés par Mathews est : Gurogigurk et Gamatykurk. Ce sont ces formes que Howitt a reproduites avec une orthographe légèrement différente. Ces deux noms sont, d’ailleurs, les équivalents de ceux qui sont en usage dans la tribu du Mont-Gambier (Kumite et Kroki). Le nom indigène de ce clan est Dyàlup que Mathews ne traduit pas. Mais ce mot paraît bien identique à celui de Jallup par lequel Howitt désigne un sous-clan de cette même tribu et qu’il traduit par mussel, coquillage, moule. C’est pourquoi nous croyons pouvoir risquer cette traduction. C’est le traduction de Howitt, Mathews traduit le mot (Wartwurt) par la chaleur du Soleil à midi. Le tableau de Mathews et celui de Howitt sont en désaccord sur plus d’un point important. Il semble même que les clans attribués par Howitt à la phratrie Kroki soient comptés par Mathews dans la phratrie Gamutch et inversement. C’est la preuve des très grandes difficultés que présentent ces observations. Ces discordances sont, d’ailleurs, sans intérêt pour la question que nous traitons. Mrs. Langloh Parker, The Euahlayi Tribe, p. 12 et suiv. On trouvera les faits plus loin. Curr, III, p. 27. Cf. Howitt, Nat. Tr., p. 112. Nous nous bornons à citer les faits les plus caractéristiques. Pour le détail, on pourra se reporter au mémoire déjà cité sur Les classifications primitives. Ibid., p. 34 et suiv. Swanton, The Haida, p. 13-14, 17, 22. C’est particulièrement manifeste chez les Haida. Chez eux, dit Swanton, tout animal a deux aspects. Par un côté, c’est un être ordinaire, qui peut être chassé et mangé ; mais en même temps, c’est un être surnaturel, qui a la forme extérieure d’un animal, et de qui l’homme dépend. Les êtres mythiques, correspondant aux divers phénomènes cosmiques, ont la même ambiguïté (Swanton, ibid., p. 14, 16, 25). V. plus haut, p. 202. Il en est ainsi chez les Gourditch-mara (Howitt, Nat. Tr., p. 12/1), dans les tribus observées par Cameron près de Mortlake et chez les Wotjobaluk (Howitt, Nat. Tr., p. 125, 250). J. Mathew, Two Repres. Tribes, p. 139 ; Thomas, Kinship a. Marriage, etc., p. 53-54. Par exemple chez les Osage (v. Dorsey, Siouan Sociology, in XVth Rep., p. 233 et suiv.). À Mabuiag, île du détroit de Torrès (Haddon, Head Hunters, p. 132). On trouve d’ailleurs la même opposition entre les deux phratries des Arunta : l’une comprend les gens de l’eau, l’autre les gens de la terre (Strehlow, l, p. 6). Chez les Iroquois, il y a des sortes de tournois, entre les deux phratries (Morgan, Ancient Society, p. 94). Chez les Haida, dit Swanton, les membres des deux phratries de l’Aigle et du Corbeau « sont souvent considérés comme des ennemis avérés. Maris et femmes (qui sont obligatoirement de phratries différentes) n’hésitent pas à se trahir mutuellement » (The Haida, p. 62). En Australie, cette hostilité se traduit dans les mythes. Les deux animaux qui servent de totems aux deux phratries sont souvent présentés comme perpétuellement en guerre l’un contre l’autre (v. J. Mathew, Eaglekawk and Crow, à Study of Australian Aborigines, p. 14 et suiv.). Dans les jeux, chaque phratrie est l’émule naturelle de l’autre (Howitt, Nat. Tr., p. 770). C’est donc à tort que M. Thomas a reproché à notre théorie sur la genèse des phratries de ne pouvoir expliquer leur opposition (Kinship and Marriage in Australia, p. 69). Nous ne croyons pas toutefois qu’il faille ramener cette opposition à celle du profane et du sacré (v. Hertz, La prééminence de la main droite, in Revue phil., 1909, déc., p. 559). Les choses d’une phratrie ne sont pas profanes pour l’autre ; les unes et les autres font partie d’un même système religieux (v. plus bas, p. 220). Par exemple, le clan de l’arbre à thé comprend les herbages, par suite les herbivores (v. Kamilaroi and Kurnai, p. 169). C’est là, sans doute, ce qui explique une particularité que Boas signale dans les emblèmes totémiques de l’Amérique du Nord. « Chez les Tlinkit, dit-il, et dans toutes les autres tribus de la côte, l’emblème d’un groupe comprend les animaux qui servent de nourriture à celui dont le groupe porte le nom » (Fifth Rep. of the Committee, etc., British Association for the Advancement of Science, p. 25). Ainsi, chez les Arunta, les grenouilles sont associées au totem de l’arbre à gomme, parce qu’on en trouve souvent dans les cavités de cet arbre ; l’eau est rattachée à la poule d’eau ; au kangourou, une sorte de perroquet que l’on voit fréquemment voleter autour de cet animal (Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 146-147, 448). Un des signes de cette indistinction primitive, c’est que l’on assigne parfois aux genres une base territoriale, tout comme aux divisions sociales avec lesquelles ils étaient d’abord confondus. Ainsi, chez les Wotjobaluk en Australie, chez les Zuñi en Amérique, les choses sont réparties idéalement entre les différentes régions de l’espace, ainsi que les clans. Or la répartition régionale des choses et celle des clans coïncident (v. De quelques formes primitives de classification, p. 34 et suiv.). Les classifications gardent même quelque chose de ce caractère spatial jusque chez les peuples relativement avancés, par exemple en Chine (ibid., p. 55 et suiv.). Bridgmann, in Brough Smyth, The Aborigines of Victoria, I, p. 91. Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 168 ; , Further Notes on the Australian Class Systems, J.A.I., XVIII, p. 60. Curr, III, p. 461. Il s’agit de la tribu du Mont-Gambier. Howitt, On some Australian Beliefs, J.A.I., XIII, p. 191, n. 1. Howitt, Notes on Australian Message Sticks, J.A.I., XVI I I, p. 326 ; Further Notes, J.A.I., XVIII, p. 61, n. 3. Curr, III, p. 28. Mathews, Ethnological Notes on the Aboriginal Tribes of N. S. Wales and Victoria, in Journ. and Proc. of the R. Society of N. S. Wales, XXXVIII, p. 294. Cf. Curr, III, p. 461, et Howitt, Nat. Tr., p. 146. Les expressions de Tooman et de Wingo s’appliquent. aux uns et aux autres. Howitt, Nat. Tr., p. 123. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 447 et suiv. ; Strehlow, III, p. xii et suiv. Fison et Howitt, Kamilaroi and Kurnai, p. 169. Curr, III, p. 462. Mrs Marker, The Euahlayi Tribe, p. 20. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 151 ; Nat. Tr., p. 447 ; Strehlow, III, p. xii. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 449. Il y a cependant certaines tribus du Queensland où les choses ainsi affectées à un groupe social ne sont pas interdites aux membres de ce groupe : telle est notamment celle des Wakelhura. On se rappelle que, dans cette société, ce sont les classes matrimoniales qui servent de cadres à la classification (v. plus haut, p. 204). Or, non seulement les gens d’une classe peuvent manger des animaux attribués à cette classe, mais ils ne peuvent en manger d’autres. « Toute autre alimentation leur est interdite (Howitt, Nat. Tr., p. 113 ; (Curr, III, p. 27).
Il faut pourtant se garder d’en conclure que ces animaux soient considérés comme profanes. On remarquera, en effet, que l’individu n’a pas simplement la faculté d’en manger, mais qu’il y est obligatoirement tenu, puisqu’il lui est défendu de s’alimenter autrement. Or ce caractère impératif de la prescription est le signe certain que nous sommes en présence de choses qui ont une nature religieuse. Seulement, la religiosité dont elles sont marquées a donné naissance à une obligation positive, et non à cette obligation négative qu’est un interdit. Peut-être même n’est-il pas impossible d’apercevoir comment a pu se faire cette déviation. Nous avons vu plus haut (v. p. 198) que tout individu est censé avoir une sorte de droit de propriété sur son totem et, par suite, sur les choses qui en dépendent. Que, sous l’influence de circonstances spéciales, cet aspect de la relation totémique se soit développé, et l’on en sera venu tout naturellement à croire que les membres d’un clan pouvaient seuls disposer de leur totem et de tout ce qui lui est assimilé ; que les autres, au contraire, n’avaient pas le droit d’y toucher. Dans ces conditions, un clan ne pouvait se nourrir que des choses qui lui étaient affectées.
Mrs Parker se sert de l’expression de multiplex totems. V. comme exemples la tribu des Euahlayi dans le livre de Mrs Parker (p. 15 et suiv.) et celle des Wotjobaluk ( Howitt, Nat. Tr., p. 121 et suiv. ; cf. l’article de Mathews déjà cité). V. des exemples dans Howitt, Nat. Tr., p. 122. V. De quelques formes primitives de classification, p. 28, n. 2. Strehlow, II, p. 61-72. Nat. Tr., p. 112. V. notamment Nat. Tr. p. 447, et North Tr., p. 151 Strehlow, III, p, xiii-xvii. Il arrive que les mêmes totems secondaires sont rattachés simultanément à deux ou trois totems principaux. C’est, sans doute, que Strehlow n’a pu établir avec certitude lequel de ces totems était véritablement le principal.
Deux faits intéressants, qui ressortent de ce tableau, confirment certaines propositions que nous avons précédemment énoncées. D’abord, les totems principaux sont presque tous des animaux, à très peu d’exceptions près. Ensuite, les astres ne sont jamais que des totems secondaires ou associés. C’est une preuve nouvelle que ces derniers n’ont été que tardivement promus à la dignité de totems et que, primitivement, les totems principaux ont été de préférence empruntés au règne animal.
Suivant le mythe, les totems associés auraient, pendant les temps fabuleux, servi à nourrir les gens du totem principal, ou quand ce sont des arbres, leur auraient prêté leur ombrage(Strehlow, III, p. xii ; Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 403). Le fait que le totem associé passe pour avoir été consommé n’implique pas, d’ailleurs, qu’il soit considéré comme profane ; car, à l’époque mythique, le totem principal lui-même était, croit-on, consommé par les ancêtres, fondateurs du clan. Ainsi, dans le clan du Chat sauvage, les dessins gravés sur le churinga représentent l’arbre à fleurs Hakea qui est aujourd’hui un totem distinct (Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 147-148). Strehlow (III, p. xii, n. 4) dit que le fait est fréquent. Spencer et Gillen, North. Tr., p. 182 ; Nat. Tr., p. 151 et 297. Nat. Tr., p. 151 et 158. Ibid., p. 447-449. C’est ainsi que Spencer et Gillen nous parlent du pigeon appelé Inturita tantôt comme d’un totem principal (Nat. Tr., p. 410), tantôt comme d’un totem associé (ibid., p. 448). Howitt, Further notes, p. 63-64. C’est ainsi que, très souvent, le clan a été confondu avec la tribu. Cette confusion, qui jette fréquemment du trouble sur les descriptions des ethnographes, a été notamment commise par Curr (I, p. 61 et suiv.). C’est le cas notamment chez les Warramunga (North. Tr., p. 298). V. par exemple, Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 380 et passim. On pourrait même se demander s’il n’existe pas parfois des totems tribaux. C’est ainsi que, chez les Arunta, il y a un animal, le chat sauvage, qui sert de totem à un clan particulier, et qui, pourtant, est interdit à la tribu tout entière ; même les gens des autres dans ne peuvent en manger que très modérément (Nat. Tr., p. 168). Mais nous croyons qu’il y aurait abus à parler en cette circonstance d’un totem tribal, car de ce que la libre consommation d’un animal est interdite, il ne suit pas que celui-ci soit un totem. D’autres causes peuvent donner naissance à l’interdiction. Sans doute, l’unité religieuse de la tribu est réelle, mais c’est à l’aide d’autres symboles qu’elle s’affirme. Nous montrerons plus bas quels ils sont (liv. 1, chap. IX).

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