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Dans quelques tribus australiennes et dans la plupart des sociétés indiennes de l’Amérique du Nord

Le nom de la chose sert aussi de nom à l’individu. C’est son nom personnel, son prénom qui s’ajoute au totem collectif, comme le prœnomen des Romains au nomen gentilicium. Le fait, il est vrai, ne nous est affirmé que d’un certain nombre de sociétés

Au moins dans les tribus américaines, ce nom est doublé d’un emblème qui appartient à chaque individu et qui, sous des formes diverses, représente la chose que ce nom désigne. Chaque Mandan, par exemple, porte la peau de l’animal dont il est l’homonyme

Entre l’individu et son animal éponyme existent les liens les plus étroits. L’homme participe de la nature de l’animal ; il en a les qualités, comme, d’ailleurs, les défauts. Par exemple, quelqu’un qui a l’aigle pour blason individuel est censé posséder le don de voir dans l’avenir ; s’il porte le nom de l’ours, on dit qu’il est exposé à être blessé dans les combats, parce que l’ours est lent et lourd et qu’il se laisse facilement attraper

De son côté, l’animal protège l’homme et lui sert, en quelque sorte, de patron. Il l’avertit des dangers possibles et des moyens d’y échapper

La nature même de ces relations paraît bien impliquer que l’être auquel chaque individu se trouve ainsi associé ne peut être lui-même qu’un individu, et non une classe. On n’a pas une espèce pour alter ego. En fait, il est des cas où c’est bien certainement tel arbre, tel rocher, telle pierre déterminée qui joue ce rôle

Toutefois, si grande que soit la parenté de ces deux institutions, il y a entre elles des différences importantes. Alors que le clan se considère comme issu de l’animal ou de la plante qui lui sert de totem, l’individu ne croit soutenir aucun rapport de descendance avec son totem personnel. C’est un ami, un associé, un protecteur ; ce n’est pas un parent. On profite des vertus qu’il est censé posséder ; mais on n’est pas du même sang. En second lieu, les membres d’un clan permettent aux clans voisins de manger de l’animal dont ils portent collectivement le nom, sous la seule condition que les formalités nécessaires soient observées. Au contraire, non seulement l’individu respecte l’espèce à laquelle appartient son totem personnel, mais encore il s’efforce de la protéger contre les étrangers, partout du moins où la destinée de l’homme et celle de l’animal passent pour être connexes.

Mais ces deux sortes de totems diffèrent surtout par la manière dont ils sont acquis.

Le totem collectif fait partie du statut légal de chaque individu : il est généralement héréditaire ; en tout cas, c’est la naissance qui le désigne sans que la volonté des hommes y soit pour rien. Tantôt l’enfant a le totem de sa mère (Kamilaroi, Dieri, Urabunna, etc.) ; tantôt celui de son père (Narrinyeri, Warramunga, etc.) ; tantôt enfin celui qui prédomine à l’endroit où sa mère a conçu (Arunta, Loritja). Au contraire, le totem individuel est acquis par un acte délibéré

Cependant, cette procédure est rarement employée en Australie

Non seulement le totem individuel est acquis ; et non donné, mais l’acquisition n’en est généralement pas obligatoire. Tout d’abord, il y a, en Australie, une multitude de tribus où cet usage semble entièrement inconnu

Mais en même temps qu’il a quelque chose de plus facultatif et de plus libre, le totémisme individuel a une force de résistance à laquelle le totémisme de clan, est loin d’atteindre. Un des principaux informateurs de Hill Tout était un Salish baptisé ; et cependant, bien qu’il eût sincèrement abandonné toutes les croyances de ses ancêtres, bien qu’il fût devenu un catéchiste modèle, sa foi dans l’efficacité des totems personnels restait inébranlable

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