I

Dans les cérémonies mêmes que nous avons décrites, à côté des oblations, sanglantes ou autres, des rites différents sont souvent célébrés qui sont destinés à compléter les premiers et à en consolider les effets. Ils consistent en mouvements et en cris qui ont pour objet d’imiter, dans ses différentes attitudes ou sous ses différents aspects, l’animal dont on souhaite la reproduction ; pour cette raison, nous les appelons mimétiques.

Ainsi l’Intichiuma de la Chenille witchetty, chez les Arunta, ne comprend pas seulement les rites qui sont accomplis sur les rochers sacrés et dont nous avons précédemment parlé. Lorsqu’ils sont terminés, on se met en route pour retourner au camp ; mais quand on n’en est plus éloigné que d’un mille environ, on fait halte et tout le monde se décore rituellement ; après quoi, la marche est reprise. Les décorations dont on s’est ainsi paré annoncent qu’une importante cérémonie va avoir lieu. Et, en effet, pendant que la troupe était absente, un des vieillards qui ont été laissés à la garde du camp, a construit un abri de branchages, long et étroit, appelé Umbana, et qui représente la chrysalide d’où émerge l’insecte. Tous ceux qui ont pris part aux cérémonies antérieures s’assemblent près de l’endroit où cette construction a été élevée ; puis ils s’avancent lentement, s’arrêtant de temps en temps, jusqu’à ce qu’ils parviennent à l’Umbama, ou ils pénètrent. Aussitôt, tous les gens qui ne sont pas de la phratrie à laquelle ressortit le totem de la Chenille witchetty, et qui assistent, mais de loin, à la scène, se couchent par terre, et face contre le sol ; ils doivent rester dans cette position, sans remuer, jusqu’à ce qu’il leur soit permis de se relever. Pendant ce temps, un chant s’élève de l’intérieur de l’Umbana, qui raconte les différentes phases par lesquelles passe l’animal au cours de son développement et les mythes dont sont l’objet les rochers sacrés. Quand ce chant s’arrête, l’Alatunja, tout en restant accroupi, se glisse hors de l’Umbana et s’avance lentement sur le terrain qui s’étend par devant : il est suivi de tous ses compagnons qui reproduisent ses gestes dont l’objet est évidemment de figurer l’insecte quand il sort de sa chrysalide. D’ailleurs, un chant qui se fait entendre au même moment et qui est comme un commentaire oral du rite, consiste précisément en une description des mouvements que fait l’animal à ce stade de son développement

Un autre Intichiuma

Spencer et Gillen signalent encore, chez les Arunta, quelques faits analogues quoique de moindre importance : par exemple, dans l’Intichiuma de l’Émou, les acteurs, à un moment donné, cherchent à reproduire par leur attitude l’air et l’aspect de cet oiseau

Chez les Warramunga, l’Intichiuma affecte, en général, une forme très particulière que nous décrirons dans le prochain chapitre et qui diffère de celles que nous avons, jusqu’à présent, étudiées. Il existe pourtant chez ce peuple un cas typique d’Intichiuma purement mimétique ; c’est celui du kakatoès blanc. La cérémonie que décrivent Spencer et Gillen commença à dix heures du soir. Pendant toute la durée de la nuit, le chef du clan imita le cri de l’oiseau avec une monotonie désespérante. Il ne s’arrêtait que quand il était à bout de forces et il était alors remplacé par son fils ; puis il recommençait aussitôt qu’il se sentait un peu reposé. Ces exercices épuisants se continuèrent jusqu’au matin sans interruption

Les êtres vivants ne sont pas les seuls que l’on cherche à imiter. Dans un grand nombre de tribus, l’Intichiuma de la pluie consiste essentiellement en rites imitatifs. Un des plus simples est celui qui est célébré chez les Urabunna. Le chef du clan est assis par terre, tout décoré de duvet blanc et tenant dans ses mains une lance. Il s’agite de toutes les manières, sans doute pour détacher de son corps le duvet qui y est fixé et qui, répandu dans l’air, représente les nuages. Il imite ainsi les hommes-nuages de l’Alcheringa qui, d’après la légende, avaient l’habitude de monter au ciel pour y former des nuages d’où la pluie retombait ensuite. En un mot, tout le rite a pour objet de figurer la formation et l’ascension des nuages, porteurs de pluie

Chez les Kaitish, la cérémonie est beaucoup plus compliquée. Déjà, nous avons parlé d’un des moyens employés : l’officiant verse de l’eau sur les pierres sacrées et sur lui-même. Mais l’action de cette sorte d’oblation est renforcée par d’autres rites. L’arc-en-ciel est considéré comme étroitement en rapports avec la pluie : on dit qu’il en est le fils et qu’il est toujours pressé de paraître pour la faire cesser. Pour qu’elle puisse tomber, il faut donc qu’il ne se montre pas ; on croit obtenir ce résultat en procédant de la manière suivante. Sur un bouclier, on exécute un dessin qui représente l’arc-en-ciel. On emporte ce bouclier au camp en ayant soin de le tenir dissimulé à tous les regards. On est convaincu qu’en rendant invisible cette image de l’arc-en-ciel, on empêche l’arc-en-ciel lui-même de se manifester. Entre temps, le chef du clan, ayant à ses côtés un pitchi plein d’eau, jette dans toutes les directions des flocons de duvet blanc qui représentent les nuages. Des imitations répétées du cri de pluvier viennent compléter la cérémonie qui paraît avoir une gravité toute particulière ; car, pendant qu’elle dure, ceux qui y participent, comme acteurs ou comme assistants, ne peuvent avoir aucun rapport avec leurs femmes ; ils ne peuvent même pas leur parler

Chez les Dieri, les procédés de figuration sont différents. La pluie est représentée non par de l’eau, mais par du sang que des hommes font couler de leurs veines sur l’assistance

Dans les tribus du Nord-Ouest qu’a étudiées Clément

On appelle tarlow, chez ces peuples, des tas de pierres évidemment sacrées, puisque, comme nous allons le voir, elles sont l’objet de rites importants. Chaque animal, chaque plante, c’est-à-dire, en somme, chaque totem ou sous-totem

Quand les kangourous, par exemple, deviennent rares, le chef du clan auquel appartient le tarlow des kangourous, s’y rend avec un certain nombre de ses compagnons. Là, on exécute différents rites dont les principaux consistent à sauter, autour du tarlow, comme sautent les kangourous, à boire comme ils boivent, en un mot, à imiter leurs mouvements les plus caractéristiques. Les armes qui servent à la chasse de l’animal jouent un rôle important dans ces rites. On les brandit, on les lance contre les pierres, etc. Quand il s’agit des émous, on va au tarlow de l’émou ; on marche, on court comme font ces oiseaux. L’habileté dont font preuve les indigènes dans ces imitations est, paraît-il, tout à fait remarquable.

D’autres tarlow sont consacrés à des plantes, à des graines d’herbe par exemple. Dans ce cas, ce qu’on imite, ce sont les opérations qui servent à vanner ces graines ou à les moudre. Et comme, dans la vie ordinaire, ce sont les femmes qui sont normalement chargées de ces soins, ce sont elles aussi qui s’acquittent du rite au milieu des chants et des danses.

Share on Twitter Share on Facebook