VI

Mademoiselle Dax, selon son désir, rencontra très souvent ses nouveaux amis dans ses promenades matinales.

Elle continuait de sortir chaque jour, bien avant que l’hôtel fût seulement éveillé. Même, elle sacrifiait maintenant son premier déjeuner pour vagabonder plus tôt dans les sentiers encore nocturnes, sous les sapins lourds d’une rosée où le soleil levant allume des arcs-en-ciel. Mademoiselle Dax, au hasard du chemin, achetait, d’un berger promenant ses vaches, un bol de lait bourru, bien embaumé de fougère ou de thym, ou philosophiquement restait à jeun, quand nul berger ne se montrait.

Ce qui, dans son programme, primait tout, c’était d’arriver la première au rendez-vous donné la veille, sur le Signal, ou sur le Belvédère, ou dans cette prairie haute clairsemée de rocs nus qu’on appelle le Château. Mademoiselle Dax, toujours en avance, choisissait avec une minutie de petite fille la meilleure place où s’asseoir, puis attendait.

Très impatiente, elle mettait sa dignité à ne le point paraître. Elle choisissait un maintien distrait ; ses yeux s’attachaient au paysage alpestre et ne se détournaient que furtivement vers les sentiers où, tout à l’heure, dans la verdure, luiraient les ombrelles claires de mademoiselle de Retz et de madame Terrien.

Mademoiselle de Retz ne venait pas toujours ; Gilbert Terrien, qui ne sortait jamais, la retenait trois fois sur quatre auprès de l’orgue ; et ç’avait été pour mademoiselle Dax un grand étonnement de constater chez des « artistes » une si constante âpreté au labeur de chaque jour. Madame Terrien, au contraire, était une promeneuse assidue. Fougères l’accompagnait presque toujours. Vraiment il semblait ne guère se soucier de la compagnie de Carmen, et mademoiselle Dax renonçait à comprendre le baiser du premier jour…

On était donc trois. On demeurait d’abord un temps à regarder le site alpestre. Puis on partait à petits pas. On n’allait pas bien loin. Fougères toujours découvrait dans le voisinage un coin délicieux et secret, d’où les sapins en voûte excluaient le soleil. Et l’on devisait, assis dans la mousse sèche ou parmi les fougères.

Mademoiselle Dax, vite apprivoisée, se pelotonnait aux pieds de madame Terrien, et appuyait câlinement sa tête contre la robe complaisante. Elle ne disait presque rien. Elle écoutait, ravie : on ne parlait jamais politique, ni comptes de ménage ; et jamais on ne se querellait.

De retour à l’hôtel, mademoiselle Dax reprenait le collier familial. Bien entendu elle ne soufflait mot à madame Dax de l’emploi de ses matinées. Et madame Dax, persuadée que sa fille continuait de courir toute seule les sentiers à l’entour de l’hôtel, ne retirait pas la permission donnée le premier jour.

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