I

Dans l’escalier, la voix de madame Dax appela :

– Alice !

Et mademoiselle Dax, habillée pour la rue, descendit silencieuse. On allait chercher Bernard au lycée.

Il n’était plus question de femme de chambre. Madame Dax maintenant ne quittait point sa fille d’une semelle. Non qu’elle admît une minute l’injurieuse supposition de son mari et qu’elle soupçonnât d’une intrigue hors de la maison cette enfant éduquée de main maternelle ! Mais M. Dax s’était entêté là-dessus ; et madame Dax obéissait ; quoique, méprisante, elle haussât les épaules, en songeant à l’inutilité de tant de précautions.

Mère et fille, côte à côte, marchèrent sur le trottoir du quai. La mi-octobre abattait par légions les feuilles des platanes. Le Rhône, grossi par les premières pluies d’automne, roulait de grandes vagues jaunes que les piles des ponts fendaient comme les proues des vaisseaux fendent la mer. La bise soufflait du nord. Des nuages couraient, bas.

– Bientôt l’hiver, observa madame Dax, pour rompre le silence.

Et mademoiselle Dax, toujours muette, opina d’un signe de tête.

Elles pressaient le pas, il était tard. Pour gagner du temps, madame Dax prit le plus court, et traversa l’eau par la passerelle du Lycée. Aérienne et fragile, suspendue par des câbles d’acier à deux pylônes de pierre, la passerelle enjambait le fleuve d’une seule arche, et cette arche vibrait dans le vent comme une corde de violoncelle. Sur l’autre rive, le lycée étalait sa façade de prison.

Quatre heures sonnèrent avant que madame et mademoiselle Dax eussent atteint la porte voûtée.

De loin, elles virent le flot des lycéens s’en échapper en tumulte, puis s’éparpiller sur le quai et dans les rues adjacentes.

Madame Dax eut un geste d’impatience. Bernard profiterait sans nul doute du retard de sa mère et de sa sœur pour courir jusqu’à la rue de la République. Depuis qu’elle accompagnait sa fille, pas à pas, partout, madame Dax avait appris à connaître les prédilections de son fils, et n’était pas sans s’en irriter un peu.

– Dépêchons-nous donc, lambine ! ou nous le trouverons encore en train de regarder des choses pas convenables !

Mademoiselle Dax haussa les épaules. Ça lui était bien égal, les choses, convenables ou non, que Bernard pouvait regarder. Elle marchait d’ailleurs plus vite que sa mère, et la dépassait à chaque instant.

Rue de la République, Bernard, en effet, s’était arrêté devant un kiosque, au coin de la rue du Bât-d’Argent. En quelques mots, d’ailleurs mesurés, madame Dax exprima son mécontentement. Le gamin, prudent, baissa le nez. Et tous trois reprirent le chemin de la maison.

Place de la Comédie, Bernard, qui marchait devant, fit :

– Ah !… et s’arrêta bouche bée.

– Quoi donc ? – demanda madame Dax.

– Ce monsieur !…

– Quel monsieur ?

– Là, sur les marches du théâtre !…

– Tiens ! – fit madame Dax. – C’est vrai. C’est le bonhomme de Saint-Cergues… cet original qui avait l’air d’un hurluberlu…

… « Saint-Cergues ?… » Mademoiselle Dax leva brusquement les yeux et, saisie, bouleversée, effarée, reconnut Bertrand Fougères.

Bertrand Fougères salua poliment. Puis, sortant de sa poche une lettre cachetée à la cire, il alla la jeter, d’un geste bien visible, dans la boîte du bureau de tabac qui est au fond de la place.

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