XXX DRAME

Lord James Trevor et sa fille firent la route en silence. Mary, dans un accès de passion vraie, avait rompu d’un seul effort le réseau de sophismes qui s’interposait entre elle et son amour. Elle avait ressaisi les rênes de sa conscience ; son esclavage moral avait brusquement pris fin. Elle était elle-même ; elle pensait avec sa propre intelligence, elle sentait avec son propre cœur.

Aussi, n’y avait-il plus de doute en elle. Une seule image régnait au fond de sa pensée. Pas un souvenir pour Rio-Santo, cet homme si beau, si séduisant, si supérieur aux autres hommes, ce demi-dieu qu’on lui avait si longtemps désigné du doigt en disant : Admirez ! adorez ! Rien pour lui ! tout à Frank, tout au pauvre blessé qui n’avait point d’avocat, qui n’avait que des ennemis !

Mary renaissait donc de sa faiblesse mortelle. Tous les généreux instincts de la femme surgissaient en elle à la fois. Elle était forte en ce moment. Un doux et délicat incarnat teignait la pâleur de sa joue. Son œil brillait d’un téméraire éclat. Sa gracieuse taille, redressée, avait quelque chose d’intrépide dans sa pose. Tout son être enfin, si frêle dans son aristocratique beauté, semblait se raidir pour la guerre prochaine, et menacer de loin la main oppressive sous laquelle s’était courbée si longtemps sa volonté.

L’équipage tourna à l’angle de Regent’s-Street.

La voiture aux armes de Longueville stationnait toujours devant Dudley-House, et la petite duchesse de Gèvres était à la portière.

– Allons, ma belle ! allons ! s’écria-t-elle dès qu’elle aperçut l’équipage de Trevor ; c’est le moment !

Elle ouvrit elle-même la portière et poussa Susannah.

– Montez l’escalier, montez vite ! reprit impérieusement la petite Française ; frappez ! Une fois dedans, on vous dira ce qu’il faut faire.

Susannah monta les degrés. La duchesse de Gèvres fit un signe au cocher, qui tourna bride et lança les chevaux au galop dans la direction de Tottenham-Court-Road. L’équipage de lord Trevor s’arrêtait au même instant devant Dudley-House.

Mary n’avait pas perdu le plus mince détail de la scène que nous venons de raconter. Toute sa pâleur était revenue. Elle pressa fortement le bras de son père, qui, lui, n’avait rien vu, si ce n’est une voiture passant au galop de deux fort beaux chevaux.

– Milord, dit-elle d’une voix altérée, cette femme !

– Quelle femme ?

Mary étendit sa main vers Susannah, qui, à ce moment même, franchissait le seuil de Dudley-House.

– Diable ! murmura lord James, cette femme, dites-vous, miss Mary ? Sur mon honneur, je ne la connais pas !

– Je la connais, moi ! prononça sourdement Mary.

Tout son corps tremblait par fiévreuses secousses. Elle avait peine à respirer.

Lord Trevor n’était pas seul à se repentir de l’avoir amenée. Depuis le commencement de la route, il se reprochait amèrement son imprudence, mais le mal était sans remède.

– Qu’attendons-nous, milord ? demanda Mary. Nous sommes venus pour voir Frank Perceval, et voici sa maison.

Lord Trevor se consulta durant une minute.

– Ma fille, reprit-il au bout de ce temps d’un ton affectueux, mais ferme, et qui n’admettait point de réplique, j’ai agi précipitamment. Du moins ne pousserai-je pas l’imprudence jusqu’à exposer davantage une fille de Trevor. Vous resterez ici, miss Mary. Je verrai, moi, l’Honorable Frank Perceval.

– Je ne vous ai jamais désobéi, mon père, répliqua Mary, dont la détressa augmentait à chaque instant ; je me soumets à votre volonté. Mais, au nom de Dieu ! exaucez ma prière ; promettez-moi de me dire… je suis forte, allez ! mon père !… promettez-moi de me dire si cette femme !…

Elle s’arrêta et appuya sa main sur son cœur qui défaillait.

– Si cette femme, poursuivit-elle, a le droit de se mettre entre moi et Frank Perceval.

– Je vous le promets, répondit lord Trevor après avoir hésité.

– Sur l’honneur de votre nom, mon père !

– Sur l’honneur de mon nom.

Il y avait environ une demi-heure que le malheureux aveugle, sir Edmund Makensie, était au chevet de Frank Perceval. Stephen Mac-Nab, qui avait passé toute la nuit précédente et la majeure partie de la journée auprès de son ami, profita de la présence de l’excellent sir Edmund pour aller donner de ses nouvelles dans Cornhill. Du moment que sir Edmund était là, point d’inquiétudes, car le bon aveugle était connu de Frank depuis longtemps, et de la mère de Frank, comme de tout le monde, en somme. Qui ne connaissait, à Londres, qui n’aimait le bon sir Edmund Makensie ?

Frank avait eu une nuit de fièvre. Il dormait maintenant. Le vieux Jack vaquait à quelques soins dans la pièce du rez-de-chaussée. Ce fut lui qui ouvrit la porte à Susannah.

– L’Honorable Frank Perceval ? dit-elle.

– C’est ici, milady, répondit Jack ; mais on ne peut le voir.

– Il est malade, reprit Susannah, répétant à contre cœur la leçon qu’on lui avait apprise ; je le sais. C’est pour cela que je viens. Stephen Mac-Nab a pensé qu’il était imprudent de laisser son ami seul avec un homme privé de la vue.

– Ce bon Stephen ! murmura le vieux Jack ; il pense à tout. S’il m’était permis de faire une supposition, je dirais à madame qu’elle est probablement l’une des cousines de M. Stephen… Une des misses Mac-Farlane. Un bon vieux nom de laird écossais, ma foi. Montez, madame, montez, et que Dieu vous bénisse comme tout ce qui porte l’intérêt à Perceval !

Susannah profita de la permission.

– Comme tout cela grandit ! murmura le vieux valet. Ce doit être la petite Anna, je pense… à moins que ce ne soit la petite Clary. Je demanderai à M. Stephen si c’est la petite Clary ou la petite Anna.

En entrant dans la chambre du malade, Susannah se trouva face à face avec Tyrrel l’Aveugle. C’était la première fois qu’elle voyait son visage éclairé par la lumière du jour. Tyrrel attacha sur elle ses grands yeux éteints et mornes.

– Qui est là ? dit-il à voix basse.

– Celle que vous attendez, répondit Susannah.

Tyrrel chercha sa main.

– Ma fille, reprit-il en comprimant sa voix, mais en prononçant chaque mot avec emphase ; vous savez ce qu’on exige de vous. N’allez pas hésiter au moment d’agir, car vous seriez perdue !

– Toujours des menaces ! interrompit Susannah.

– On peut vous menacer, ma fille, maintenant que vous êtes heureuse, dit l’aveugle en souriant. Écoutez !

On entendit le marteau de la porte extérieure. Tyrrel entraîna Susannah vers le lit et la fit se pencher au chevet du malade.

– Un homme va entrer, dit-il, un vieillard. Au moment où il mettra le pied sur le seuil, vous ferez ce qui vous a été ordonné. Point de questions ! ajouta-t-il impérieusement ; vous avez signé un pacte, il faut l’accomplir.

Lord Trevor montait l’escalier en répondant de loin au vieux Jack.

– Blessé grièvement, pauvre garçon ! dit-il ; après tout, je me trompe peut-être. Ce n’est pas le moment pour lui d’être en bonne fortune.

Il mit le pied sur le seuil et aperçut Susannah qui lui tournait le flanc. Il s’arrêta.

– Allons ! murmura Tyrrel.

Susannah pâlit et ne bougea pas.

– Allons, au nom du diable, femme ! répéta Tyrrel d’une voix pénétrante, qui ne ressemblait en rien à la voix qu’il se donnait d’ordinaire, c’est sur Lancester qu’on se vengera !

Susannah le regarda et tressaillit. Une larme de rage et de douleur jaillit, brûlante, de sa paupière. Mais elle se pencha et mit un baiser sur le front de Frank Perceval.

Lord Trevor laissa échapper une douloureuse exclamation, et descendit brusquement les marches de l’escalier.

– Vous pouvez vous retirer, murmura Tyrrel à l’oreille de Susannah. Merci.

Lord James Trevor remonta dans son équipage, qui partit aussitôt.

Susannah, honteuse, navrée et sentant vaguement qu’elle venait de jouer entre des mains perfides le rôle d’un instrument funeste, s’esquiva sans répondre au vieux Jack qui lui demandait si, décidément, elle était miss Anna ou miss Clary Mac-Farlane.

Frank, cependant, s’était réveillé en sursaut au moment où la bouche de Susannah touchait son front. Il avait vu, comme en rêve, la sévère figure de lord Trevor sur le seuil et le ravissant visage de la belle fille qui se penchait à son chevet. Il avait refermé les yeux en poussant une vague plainte. Au bout de quelques secondes, il rouvrit les yeux et ne vit plus que le bon sir Edmund Makensie, tranquillement assis à son chevet.

– Je viens d’avoir une vision étrange, murmura-t-il ; une femme. J’ai fait plus que la voir… je sens encore à mon front le contact de sa bouche glacée.

– Mon cher Frank, dit le pauvre sir Edmund en soupirant bien fort, je ne puis vous dire si vous avez rêvé oui ou non. J’ai entendu marcher dans la chambre, mais, vous savez, mes yeux…

– Sonnez Jack, monsieur ! interrompit Frank ; vous avez entendu marcher, dites-vous ?

Jack parut aussitôt que la sonnette eût retenti.

– Qui est venu ? demanda Frank avec agitation.

– Ne le savez-vous pas, Votre Honneur ? Je me disais bien qu’il fallait que vous n’eussiez pas reconnu lord Trevor pour l’avoir ainsi mécontenté.

– Lord Trevor ! répéta Frank.

– Il vient de sortir, Votre Honneur, en jurant par Dieu et le diable qu’il ne vous reverra jamais.

– Ah ! dit Frank qui se leva sur son séant.

– Il n’y a pas jusqu’à la petite miss que vous aurez mécontentée aussi. Une jolie demoiselle, pourtant !

– Mais quelle jeune fille ? de quoi me parles-tu ? s’écria Frank dont la tête se perdait.

– La cousine de M. Stephen, pardieu, miss Anna ou miss Clary Mac-Farlane.

– Ah ! dit encore Frank avec soulagement, cette fois.

– Tenez ! voilà justement M. Stephen qui va nous dire…

Stephen entrait en effet : il venait de quitter ses deux cousines. Ce ne pouvait être ni Clary ni Anna.

– Mon Dieu ! mon Dieu ! murmura Frank. J’ai donc bien vu ! le père de Mary était là. Une femme se penchait sur mon front… il l’a vue !

Frank n’acheva pas. Il retomba lourdement à la renverse et perdit connaissance.

– Mais quelle est donc cette femme ? ou ce démon ? murmura le vieux Jack qui commençait à comprendre ; sir Edmund… il est aveugle ! il n’a rien vu !

Stephen, lui aussi, comprenait. Quelle était cette femme ? Qui l’avait apostée ? Était-ce le second acte de la tragédie dont le docteur Moore et son aide Rowley avaient joué les premières scènes ?

– Sir Edmund, dit-il enfin, Frank va reprendre ses sens et j’ai besoin d’avoir avec lui un entretien secret. Veuillez excuser…

– Je me retire, monsieur Mac-Nab, répondit l’aveugle. J’étais venu pour rendre un service, ajouta-t-il avec une tristesse si vraie que Stephen se sentit ému ! mais, aujourd’hui comme bien souvent, monsieur, ma présence a été plus nuisible qu’utile. Que Dieu vous préserve du fléau dont je suis accablé, monsieur Mac-Nab !

Stephen lui serra silencieusement la main. Sir Edmund sortit, accompagné par le vieux Jack qui guida jusqu’au seuil de la rue ses pas chancelants et fit appeler une voiture de place.

Lorsque Frank reprit ses sens, il se trouva entre Stephen et lady Ophélia, comtesse de Derby, qui semblait vouloir se retirer, mais que Stephen retenait de son mieux. Frank ne se rappela pas tout d’abord ce qui s’était passé.

– Mon ami, lui dit Stephen en interrogeant son pouls, vous êtes bien faible encore pour supporter les émotions qu’on vous prépare et que, comme médecin, je devrais écarter. Mais vous êtes menacé dans le bonheur de votre vie ; l’ami doit remplacer ici l’homme de l’art. Écoutez-moi. Vous venez d’être frappé cruellement…

– Je me souviens, dit Frank d’une voix plaintive. Oh ! n’est-ce donc pas un rêve ?

– Non, répliqua Stephen avec fermeté. Ce que vous avez vu est réel. Il y a maintenant une barrière entre vous et miss Mary Trevor.

– Son père… ma dernière espérance ! murmura Perceval.

– Courage, ami ! Si je vous parle ainsi dans l’état où vous êtes, ne devinez-vous pas que j’ai un remède à votre mal ? Rassemblez vos forces, voici une autre espérance à la place de celle qui vient de vous être enlevée. Mme la comtesse de Derby est ici, fidèle au rendez-vous ; elle va parler…

– Non, monsieur, non, s’écria lady Ophélia qui se sentit faible en face du moment suprême, non ! Ce secret n’est pas le mien.

– Êtes-vous donc venue, madame, dit le jeune médecin, seulement pour contempler son agonie ?

La comtesse, qui s’était retirée derrière le lit de Frank, revint se mettre à son chevet.

– Je veux parler à l’Honorable Frank Perceval et non pas à vous, monsieur, dit-elle à Stephen après un silence et avec hauteur.

Stephen approcha des lèvres de Frank une cuillère pleine de cordial, et quitta la chambre aussitôt.

La comtesse de Derby hésita longtemps à prendre la parole. Lorsqu’elle ouvrit la bouche enfin, ce fut pour raconter, en phrases entrecoupées et d’une voix intelligible à peine, une histoire où le nom de Rio-Santo fut bien souvent prononcé. Frank écoutait, la bouche béante, l’œil grand ouvert. Il revivait à force d’attention, et l’intérêt puissant du récit lui rendait de la force.

– Et c’est cet homme qui épouserait Mary ! s’écria-t-il lorsque la comtesse se tut.

Celle-ci avait les yeux pleins de larmes.

– C’est un homme que ni vous ni moi ne pouvons juger, milord, dit-elle à voix basse. Ce que vous venez d’entendre vous rend fort contre lui. N’en abusez pas. Souvenez-vous que j’ai votre serment… et que je l’aime !

La comtesse prononça ces derniers mots avec effort ; une épaisse rougeur couvrait son front, et Frank sentait trembler convulsivement sa main. Avant qu’il eût pu répondre, elle se leva et sortit précipitamment.

– Stephen ! Stephen ! cria Frank que la fièvre en ce moment soutenait et rendait valide ; de l’encre, du papier ! Appelez Jack, Stephen. Oh ! tout n’est pas perdu ! Je vais jouer ma dernière chance, et quelque chose me dit que cet homme ne me vaincra pas aujourd’hui comme hier !

Jack montra sa tête chenue à la porte et mit bientôt après sur le lit de son maître, encre, plumes et papier.

– Écrirai-je sous votre dictée, Frank ? demanda Stephen.

– Non, mon ami ! je vous dis que c’est ma dernière chance, mon dernier espoir ! Je veux tenter le sort par moi-même ! Si j’échoue ! Stephen, je suis bien près de la mort. Je n’aurai qu’à me laisser choir pour n’avoir plus la fatigue de me relever.

Stephen ne répondit point. Le vieux Jack secoua sa tête grise et leva au ciel ses regards humides.

Frank, cependant, faisait courir sa plume sur le papier avec une fiévreuse rapidité. Quand il eut achevé, il tendit sa lettre à Jack.

– Pour lord Trevor, dit-il ; ne reviens ici que lorsque tu la lui auras remise toi-même, entends-tu ?

– J’entends, Votre Honneur.

– Fallût-il pénétrer au milieu de son salon, forcer la porte !

– Je ne reviendrai que quand lord Trevor aura la lettre de Votre Honneur, interrompit le vieux Jack avec simplicité. Votre Honneur a ordonné, c’est tout ce qu’il faut.

Lord James Trevor était remonté furieux dans son équipage. Il avait d’abord obstinément refusé de répondre aux questions de sa fille ; mais Mary l’avait enfin sommé de tenir sa parole de gentilhomme, et le vieillard avait parlé.

– Je l’ai vu ! dit-il avec emportement, vu de mes yeux, en vérité ! Frank vous a oubliée, ma fille !

Mary s’attendait à ce coup et pourtant ce coup la brisa. Elle s’affaissa contre la paroi de la voiture, et ne prononça plus une parole.

Elle prit le bras de son père en descendant de voiture, et entra avec lui au salon. Dans le salon étaient lady Campbell et le marquis de Rio-Santo. Ce dernier salua Mary d’un air de résignation digne et douloureuse ; il s’inclina froidement devant lord Trevor.

– Milord, dit lord James à Rio-Santo d’un ton brusque et chagrin, j’ai refusé ce matin de vous donner ma fille parce que je l’avais promise à un autre. Cet autre m’a rendu sa promesse.

– Que vous disais-je ? cher marquis, s’écria lady Campbell ; milord mon frère est un vieux soldat dont les compliments ont parfois une forme un peu étrange, mais, en définitive, vous voyez bien qu’il vous accorde…

– Madame ! interrompit le vieux comte, miss Trevor est libre. Qu’elle choisisse un époux, et que Dieu la fasse heureuse !

– Eh bien ! ma chère enfant ? dit celle-ci.

– Comme je l’aimais ! murmura Mary, parmi ses larmes.

« Ah ! madame, madame, ajouta-t-elle en mettant son front brûlant sur la main de sa tante, persuadez-moi, dites-moi encore que je ne l’aime plus !

Lady Campbell était visiblement embarrassée. Rio-Santo avait le cœur serré.

– Mary, dit-il à voix basse en se penchant à son oreille, il est donc vrai ! Vous ne m’aimiez pas ?

Miss Trevor leva sur lui ses yeux chargés de larmes et lui tendit la main, que Rio-Santo porta passionnément à ses lèvres.

– Il n’y a plus de passé pour moi, dit-elle avec une sorte de violence ; je veux vous aimer, milord, n’aimer que vous. Je le veux !

– Enfin ! soupira lady Campbell.

Lord Trevor tendit sa main au marquis, en disant :

– Ma fille a parlé, milord : vous avez ma parole.

On entendit en ce moment un tumulte dans la pièce voisine, c’était comme le bruit d’une dispute, et il semblait que les valets de lord Trevor voulussent défendre la porte à un intrus qui prétendait passer de vive force.

– Donnez votre lettre, disait un groom ; je la remettrai à milord.

– Je la remettrai moi-même, par saint Dunstan ! répondit une voix essoufflée.

La porte s’ouvrit tout à coup, et le vieux Jack, baigné de sueur et les habits en désordre, se précipita dans l’appartement, suivi de deux grooms emportés par leur élan. Lord Trevor le reconnut tout de suite et détourna la tête.

– Une lettre pour Votre Seigneurie, dit le vieux Jack, de la part de Son Honneur.

Lord Trevor repoussa la lettre.

– Prenez-là, milord, s’écria Jack, prenez-la, au nom de Dieu ! Mon maître se meurt !

– Retirez-vous, dit sévèrement lord Trevor ; je ne connais plus Frank Perceval.

– Par pitié, milord !… voulut dire encore le fidèle Jack.

Lord Trevor prit la lettre et la déchira sans la lire.

Jack recula, comme si on l’eût frappé lui-même au visage. Ses yeux brillèrent ; sa taille courbée se redressa. Puis il baissa tristement le front, et jeta au vieux lord un regard de plaintif reproche.

– C’était sa dernière espérance ! murmura-t-il lentement et avec une indescriptible douleur ; mon pauvre Frank n’a donc plus qu’à mourir.

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