XXVI UNE FABULEUSE HISTOIRE

À la guerre, les Anglais sont froidement cruels ; mais il serait injuste de les accuser d’être pusillanimes. Ils ignorent ces grands élans de bravoure qui précipitent une poignée d’hommes en avant, sur un point réputé imprenable, cette furie française qui transforme nos soldats en lions ; par contre, ils vont au feu comme à la parade, à pas comptés : leurs rangs sont des murs de fer, ils meurent jusqu’au dernier plutôt que de reculer. Ils ne sont pas faits pour les coups de main, les assauts audacieux ; mais, en bataille rangée, la mitraille ne les fait pas sourciller.

Voilà pourquoi le colonel était perplexe. Son ennemi était là ; il venait d’en acquérir la preuve, et le cartel inscrit sur la porte de la ferme était assez significatif. Cet ennemi n’était pas en nombre ; peut-être une dizaine d’hommes, au plus. Mieux eût valu qu’ils fussent quinze cents et attendissent la bataille de pied ferme. Rien n’est ennuyeux et démoralisant comme de combattre un adversaire invisible ; c’est un souci de chaque seconde, incompatible avec le flegme britannique. Un oiseau qui s’envole vous fait tressaillir ; on redoute un embûche derrière chaque arbre, chaque buisson ; une balle siffle, un homme tombe : on ne sait d’où vient la balle ; souvent même il n’est pas possible d’y répondre. C’est pourquoi les guerres de partisans sont si redoutables aux Anglais qui n’y entendent rien.

Le colonel venait de faire buisson creux et s’en montrait fort dépité. Il eût préféré rencontrer Rio-Santo dès le premier moment, voire même accepter un combat singulier, que de jouer non point au plus fort, mais au plus rusé. S’il avait conscience d’être le premier, il était beaucoup moins assuré d’être le second.

Il réunit ses officiers autour de lui, jugeant bon de leur demander conseil.

Le défi porté par Fergus O’Breane, dit-il, est à coup sûr hardi et presque téméraire ; toutefois, il n’a rien d’insultant pour nous. Cet homme sait vivre, messieurs, mais à lui seul il est une puissance et, presque seul, il traite avec nous d’égal à égal. Si nous avions eu à relever des paroles insolentes, notre premier acte eût été de mettre le feu à cette tanière. Il a laissé entre nos mains le cadavre d’un ami qu’il n’a pas eu le temps d’ensevelir. C’est rendre hommage à notre loyauté. Devons-nous passer outre, messieurs, et brûler la maison avec le mort ? Je ne m’arrête pas à la menace déguisée qui termine le défi. Nos jours sont comptés, nous le savons, mais c’est Dieu qui en est le maître et non ce personnage ! Chacun de nous est ici pour mourir ; il en serait ainsi si nous avions devant nous cinq mille hommes. Si quelques-uns tombent, les autres les vengeront. Nous ne saurions toutefois nous venger sur un cadavre de ne point rencontrer notre adversaire face à face ?… Est-ce pas là votre opinion, messieurs ?

Ce colonel avait des sentiments élevés : il y en a quelques-uns seulement de ce genre dans l’armée britannique et lui en était un. Certains officiers trouvèrent bien ses sentiments un peu intempestifs : Rio-Santo était à leurs yeux un bandit contre lequel tous les moyens de coercition et de vengeance étaient bons. S’ils le pensèrent, ils n’osèrent point l’exprimer et l’avis de leur chef fut accepté par tous.

– Faites relever la pierre qui forme le seuil et creuser une fosse en dessous, ordonna-t-il ; on y déposera le laird. Il était l’ami de Fergus O’Breane, par conséquent notre ennemi. Un ennemi mort n’en est plus un ; nous lui devons la sépulture.

Une équipe de riflemen se mit à l’œuvre et le bloc de pierre formant la première marche fut soulevé ; les hommes creusèrent pendant un quart d’heure.

Quand tout fut prêt, le colonel fit aligner ses troupes et quand le cadavre parut, porté sur des fusils entrecroisés, officiers et soldats présentèrent les armes. Le Révérend qui accompagne chaque corps en expédition prononça les dernières prières, sans savoir si le mort était de son Église. La terre fut rejetée et la lourde pierre retomba sur Angus Mac-Farlane.

Sur cette tombe improvisée ne serait jamais gravé le fameux :

STA, VIATORE, HEROEM, CALCHAS !

(Arrête-toi, voyageur, tu foules aux pieds les cendres d’un héros !)

Le laird Angus Mac-Farlane n’avait jamais été un héros. Pourtant, il eût été de taille à en faire un si la tête avait été solide comme les membres et noble comme le cœur. Son intelligence n’avait pas secondé son désir de voir l’Irlande libre : il avait pactisé un instant avec l’Anglais contre le libérateur de l’Irlande et c’étaient des mains anglaises qui lui donnaient la sépulture ! Peut-être, dans la profondeur de ses desseins, le marquis de Rio-Santo l’avait-il voulu ainsi ?

Les funérailles du laird étaient achevées, le colonel entra dans la maison. Sur une feuille de papier qu’il laissa sur la table, il écrivit ces mots :

« Monsieur,

« Votre volonté a été respectée, je ne veux point dire obéie. Le laird Angus Mac-Farlane, votre ami, repose sous le seuil de sa demeure, les honneurs ont été rendus à sa dépouille ; c’est plus que vous n’en demandiez. Cette concession est l’unique et la dernière que je puisse vous faire. Souvenez-vous, vous qui prétendez que nos jours sont comptés, que vous êtes condamné à mort ! Mon rôle n’est point d’être fossoyeur à vos ordres, mais de faire en sorte que la sentence rendue contre vous soit exécutée. Entre nous, il y a la justice !

« Votre adversaire et votre ennemi,

« Sir John Hardson, colonel de horse-guards. »

En se levant, il vit, lui aussi, le poignard piqué debout dans le foyer. Le manche et la garde étaient en argent massif, la lame en pur acier. Et c’était étrange de voir cette arme environnée d’un cercle de flammes, se tenant droite sur la pointe au milieu des tisons embrasés ! Était-ce un présage ? Bien des gens se fussent signés et peut-être eussent crié au miracle ! Le colonel resta un instant pensif et se demanda si Rio-Santo n’avait pas fait un pacte avec l’enfer.

– Il me faut cet homme mort ou vif, gronda-t-il en remontant à cheval. Si je ne puis le ramener à Londres, du moins faudra-t-il que les souterrains de Crewe soient son tombeau.

Il tira un plan de ses fontes et l’examina attentivement. Ce plan avait été dessiné par le docteur Moore et représentait une partie es souterrains. À chaque bout il y avait une croix rouge : elles marquaient les deux issues. Chaque trait, chaque point était accompagné d’une courte légende. Comment Rio-Santo avait-il pu se réfugier dans cette souricière ? L’homme qu’on disait si fort en était-il donc réduit à une tactique enfantine ?

Le colonel souriait. Point n’était la peine de se creuser la cervelle pour combiner l’attaque. Il suffisait de diviser ses troupes en trois fractions : aux deux issues, cent riflemen et les horse-guards pour la poursuite, si c’était nécessaire. Les huit cents autres fantassins descendraient avec lui dans le souterrain et prendraient Rio-Santo au piège. Huit cents ! c’était beaucoup !… Peut-être cinquante y suffiraient-ils ? Là seulement était la perplexité de l’officier.

Le pas cadencé des riflemen troublait seul la solitude de cette campagne ; les fers des chevaux résonnaient sur le sol caillouteux. Il n’y avait pas d’autre maison aux alentours que la ferme de Leed, la maison inhabitée de Mac-Nab et le château de Crewe. On a vu que Mac-Farlane était venu jadis habiter le château avec les siens, après l’avoir acheté et fait réparer pour permettre à la Famille d’y tenir ses assises et d’y perpétrer ses orgies. Mais du jour où il avait envoyé ses filles à Londres, il s’était senti trop seul dans cette vaste et mystérieuse habitation où ses nuits étaient hantées de rêves. Il était revenu à la ferme de Leed et maintenant le château était vide.

Les troupes anglaises ne rencontraient personne sur leur chemin, et le seul être vivant qui se présenta enfin à leurs yeux fut une sorte de petit pâtre, occupé à pêcher des grenouilles dans une mare.

– Que fais-tu là, lui demanda le colonel, et d’où es-tu ?

– D’où je suis ? répondit le gamin avec effronterie. D’ici et d’ailleurs, Votre Seigneurie. Tout le comté de Dumfries est à moi et je ne couche jamais deux fois de suite dans le même bois ou sur le même champ qui composent mes terres. Le toit de ma maison ne s’écroulera jamais.

Il montra du doigt le ciel et se mit à rire plus fort ; puis il ajouta :

– Pour l’instant, je cherchais mon déjeuner, milord. Les grenouilles sont un plat succulent, grillées sur les charbons, et j’ai un morceau de pain bis dans le fond de mon bissac.

– Assez d’histoires, vagabond ! s’écria le colonel. Le château de Crewe est loin d’ici ?

– Tout près, Votre Seigneurie, tout près. Je le connais ; il y a quelques années, – j’étais tout petit et je vagabondais déjà, ne vous ne fâchez point, milord, c’est mon métier, comme le vôtre est d’être soldat ! – il y a quelques années donc, le château était habité par de braves gens : le laird Angus Mac-Farlane et ses filles.

– Le laird n’y est plus, nous savons cela ; après ?…

– Après ?… Ce serait trop long à vous dire si vous êtes pressé, gentleman officier. Je ne vais plus jamais au château de Crewe.

– Il va falloir cependant nous y conduire. Dis ton histoire en marchant.

– J’aimerais autant ne pas vous la dire, bégaya le pâtre. Je tremble encore rien que d’y penser. Certainement, je vous conduirai jusqu’à la porte et vous me laisserez m’en aller.

– Veux-tu parler, tête d’enfer ! gronda le colonel.

Le gamin se mit à claquer des dents :

– Je parlerai, Votre Seigneurie… je… ne me maltraitez pas, je vous en prie. C’est si étrange, ce que j’ai vu dans les souterrains…

– Tu es entré dans le souterrain ? interrompit vivement l’officier.

– Comme vous me parlez à cette heure, Votre Honneur !… Je n’y retournerai plus jamais… jamais !…

Il se couvrit le visage de ses mains, comme s’il eût été le jouet d’une effrayante vision.

– Tu sais alors par où l’on pénètre dans le souterrain ? reprit le colonel.

– Je le sais trop, milord. Ma curiosité a été bien punie…

– Enfin, t’expliqueras-tu, chenapan ? s’écria sir John en éperonnant son cheval avec colère. Crois-tu que je vais t’arracher ainsi les mots de ta bouche ? Raconte ton histoire, gredin, si tu ne veux que je te fasse donner les étrivières.

Le jeune vagabond se mit à trembler plus fort ; mais il se décida :

– C’est facile d’entrer dans les souterrains de Crewe, dit-il. Il n’y a qu’à tourner le bouton d’une porte, dans le grand salon. J’ai fait cela un jour et je m’en suis repenti. Après avoir descendu plus de cent marches, j’ai poussé un cri de joie en voyant de grandes et belles salles voûtées, comme des nefs d’église, toutes remplies de meubles, de tapisseries et d’objets magnifiques. Je ne songeais pas qu’on pouvait me surprendre, me faire payer cher ma curiosité. J’avançais toujours et, plus j’avançais, plus mon admiration augmentait. Je n’osais toucher à rien cependant, mais j’en avais grande envie. Il y a là des trésors qui nous rendraient tous riches, vous, moi et vos soldats, et bien d’autres encore.

Il reprit haleine et poursuivit :

– Je marchai longtemps ainsi, plus d’un quart d’heure, et je m’engageai dans un couloir étroit où je commençai un peu à avoir peur. Il n’y avait personne cependant et je n’entendais pas le moindre bruit. Je n’osai pas aller plus loin, je revins sur mes pas, jusqu’à la porte par où j’étais entré. Je l’avais laissée se refermer toute seule derrière moi sans y prendre garde : elle ne s’ouvrait pas du dedans. J’étais poltron et j’eus peur, sérieusement peur. J’aurais voulu trouver quelqu’un maintenant, au risque d’être roué de coups. Hélas ! j’étais le seul être vivant dans ce palais souterrain où j’allais mourir de faim, sans doute. Je me suis mis à pleurer.

« Je ne sais pas combien de temps je versai des larmes ; elle formaient un ruisseau à mes pieds. Je me décidai à me lever ; je refis le même chemin ; je repris le même couloir et m’engageai plus avant. J’avais peur que ma lanterne ne s’éteignît ; car, il faut vous le dire, – j’avais trouvé une lanterne toute préparée sur la première marche et l’avais allumée. J’avançais toujours, mais le couloir n’en finissait pas. J’espérais qu’il me conduirait à la sortie et je reprenais courage. Hélas ! je n’avais pas lieu de me plaindre encore !

Il s’arrêta pour se donner du souffle et le colonel, enchanté, lui dit :

– Continue. Quand tu auras fini ton histoire, je te donnerai deux schellings et je t’en ferai gagner d’autres.

– Donnez-les-moi tout de suite, Votre Honneur ! J’aurai plus de cœur pour vous dire le reste.

L’officier s’exécuta en riant ; le gamin les empocha prestement et reprit :

– J’avais espoir de trouver l’issue et de ne pas mourir de faim au milieu de ces richesses. Je continuai ma route. Mais tout à coup un bruit immense se fit à quelques pas de moi. Comment ne l’avais-je pas entendu avant ? Je n’en sais rien. On eût dit que tous les démons de l’enfer étaient déchaînés et se mettaient à ma poursuite. Je restai d’abord cloué sur place par l’effroi, puis je tournai les talons et je m’enfuis. Mes jambes se dérobaient et il me semblait entendre quelqu’un galoper derrière moi. Ma main était crispée à l’anneau de ma lanterne et j’avais une frayeur atroce que ma lumière ne s’éteignît. Un autre couloir se trouvait devant moi ; je m’y enfonçai et je courus encore plus d’un quart d’heure entre deux murs. J’entendais toujours le bruit terrible derrière moi et mes dents claquaient. Plusieurs fois je faillis tomber. Je n’aurais plus la force de courir ainsi s’il me fallait retourner jamais dans les souterrains de Sainte-Marie de Crewe.

Ce récit troublait encore le pauvre diable, car sa poitrine haletait. Le colonel eut pitié de lui et appela un horse-guard dont la gourde était pleine de gin. Le vagabond y but une large rasade et murmura :

– Merci ; il y a longtemps que je n’avais bu du gin. Si vous vouliez me donner encore un schelling, milord, je pourrais m’en acheter un peu ce soir à Cretna-Green.

– Si tu n’es pas brave, au moins tu sais mendier, répliqua l’officier. Voici ton schelling, mais finis ton histoire.

– Elle ne sera pas longue à présent, Votre Seigneurie. Je finis par trouver un escalier et je le grimpai quatre à quatre. Au sommet de l’escalier, il y avait un mur : j’étais perdu. J’allais m’évanouir et je m’appuyai contre ce mur. Je n’ai jamais rien compris à ce qui se passa : tout un pan se mit à tourner et je me trouvai dans une maison où, par bonheur, il n’y avait personne. J’en sortis en toute hâte et quand je fus dehors, je tombai tout de mon long sur l’herbe, où je restai plus d’une heure sans connaissance. Voilà mon histoire, milord ; elle vaut bien quatre schellings et vous ne m’en avez donné que trois.

– J’ai mieux que cela à t’offrir, s’écria sir John, si tu veux être un peu moins poltron pendant une heure et nous guider dans le souterrain.

Son interlocuteur fit un geste de terreur :

– Pour tout l’or du monde, je n’y retournerais pas, répondit-il avec effroi.

– Triple sot, que peux-tu craindre au milieu de nous tous ? Tu as eu peur de ton ombre, poltron ! Le bruit que tu as entendu est produit par un torrent dont les eaux grondent en se répercutant sous les voûtes.

– Qui vous a dit cela ? demanda le vagabond méfiant. Vous n’êtes jamais descendu dans le souterrain, puisque vous avez besoin d’un guide… Alors comment savez-vous qu’il y a un torrent ?

– J’en suis sûr, cela doit te suffire. N’oublie pas que nous pouvons t’obliger par la force à nous conduire. Cependant je ne veux pas user de ce moyen, car peut-être un autre te donnera-t-il plus de courage ? Il y aura pour toi deux couronnes si tu nous montres d’abord où sont les deux issues et si tu descends avec nous.

Le coquin hésita, partagé entre la frayeur et l’appât du gain. Il fallut lui montrer les couronnes et lui en donner d’abord une, après quoi il désigna du doigt la maison de Mac-Nab où se trouvait l’escalier secret.

Sir John envoya aussitôt un détachement de quatre cents hommes occuper la maison et les environs. À l’écart du mendiant, il donna aux officiers des détails précis et des ordres sévères, et, suivi du reste de sa troupe, il se dirigea vers le château de Crewe, qu’on apercevait à deux portées de fusil à peine. En même temps, il reprenait avec son guide sa conversation interrompue, s’estimant fort heureux d’avoir rencontré par hasard ce gamin qui, seul peut-être à dix lieues à la ronde, avait pénétré le secret de ces mystérieux abris enfouis sous la terre, où Rio-Santo était maladroitement venu se terrer.

– Es-tu sûr, demanda-t-il, de reconnaître celle des portes où est le fameux bouton ?

– J’irais les yeux fermés, Votre Honneur.

– Et reconnaîtras-tu les deux couloirs : celui qui mène au torrent et celui de l’escalier ?

– Je connais mieux les chemins et les sentiers qui sillonnent le comté de Dumfries ; mais je me fais fort de vous guider dans les galeries. Vous n’oublierez pas, milord, que vous me devez encore une couronne ?

– Sois tranquille ; je te la donnerai, et quelques schellings par-dessus. Je ne marchande pas, tu le vois.

– S’il ne s’était agi de servir un gentleman aussi généreux, je ne me serais jamais décidé à redescendre là-dedans. C’est une des bouches de l’enfer, Votre Honneur ; j’y risque le salut de mon âme !

Le colonel éclata de rire :

– En as-tu une, seulement ? s’écria-t-il.

Il était gai, le colonel. Avec un peu d’argent, il évitait ainsi la peine de chercher ; à la tête de ses hommes, il irait tout droit au but, surprendrait sans doute Fergus O’Breane et, devant de telles forces, celui-ci n’essaierait même pas de se défendre. Il songeait déjà à son triomphe quand il ramènerait le prisonnier à Londres.

La roche Tarpéïenne est près du Capitole. Sir John croyait être à la chasse au renard ; il pensait enfermer le gibier au fond de son terrier ; pour son malheur, le gibier était un lion et le chasseur un âne : le renard, lui, était représenté par le petit Snail, qui venait d’empocher doucement une couronne et trois schellings pour amener, tout en s’en défendant, l’expédition dirigée contre Rio-Santo au fond des souterrains de Sainte-Marie de Crewe.

Le pêcheur de grenouilles était de première force pour combiner une histoire et trouver des gobeurs à qui la faire entendre, fussent-ils colonels de horse-guards de Sa Majesté la Reine. Le docteur Moore, avec son plan vague et griffonné à la hâte sur la table du chef de la police, était joué lui-même par ricochet et le marquis de Rio-Santo achevait tranquillement de dîner avec les trois jeunes femmes, Angelo et Randal Grahame.

Tom Turnbull vint se pencher à son oreille et lui murmura deux mots tout bas. Le marquis fit sauter le bouchon d’une bouteille de champagne et versa le vin pétillant dans les coupes :

– À la mémoire d’Angus Mac-Farlane, dit-il en levant son verre, et au salut de l’Irlande ! Nous ne souperons pas ici ce soir.

Sur le perron du château, le colonel sir John Hardson achevait de donner ses ordres à voix basse à ses officiers. Ses hommes gardaient un silence profond, comme des chasseurs à l’affût. Une partie cernait le château, les autres étaient prêts à pénétrer dans le grand salon à la suite de leur chef.

Snail ne paraissait plus du tout avoir peur. Il ouvrit la marche et vint poser la main sur le bouton de la porte qui tourna aussitôt sur ses gonds. Les souterrains étaient éclairés : Rio-Santo était là ! Le colonel étouffa un cri de joie et tira son épée.

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