Les Incrédules

Croire tout découvert est une erreur profonde :
C’est prendre l’horizon pour les bornes du monde.

LEMIERRE.

Un grand nombre d’hommes sont atteints d’une véritable myopie intellectuelle, et, selon la juste image de Lemierre, prennent leur horizon pour les bornes du monde. Les faits nouveaux, les idées nouvelles les offusquent, les horripilent. Ils ne veulent rien voir changer à la marche accoutumée des choses. L’histoire du progrès des connaissances humaines est pour eux lettre morte.

L’audace des chercheurs, des inventeurs, des révolutionnaires, leur paraît criminelle. Il semble, à leurs yeux, que l’humanité ait toujours été ce qu’elle est aujourd’hui, et ils ne se souviennent ni de l’âge de la pierre ni de l’invention du feu, ni de celle des maisons, des voitures et des chemins de fer, ni des conquêtes de l’esprit, ni des découvertes de la science. On retrouve encore en eux quelques traces de l’héritage des poissons et même des mollusques. Bien assis, au surplus, dans leurs larges fauteuils, ces excellents bourgeois demeurent imperturbablement satisfaits. Ils sont absolument incapables d’admettre ce qu’ils ne comprennent pas, et ne se doutent pas qu’ils ne comprennent rien du tout. Ils ne savent pas qu’au fond de l’explication de tous les phénomènes de la nature il y a l’inconnu, et ils se contentent de changements de mots. Pourquoi une pierre tombe-t-elle ? « Parce que la Terre l’attire. » Une réponse aussi claire suffit à leur ambition. Ils croient comprendre. Une phraséologie classique les séduit comme au temps de Molière : « ossabandus, nequeis, nequer, potarinum quipsa milus... voilà justement ce qui fait que votre fille est muette », disait Sganarelle.

Dans tous les siècles, à tous les degrés de civilisation, on rencontre de ces hommes simples, tranquilles, non toutefois dépourvus de vanité, qui nient candidement les choses inexplorées et qui prétendent juger l’insondable organisation de l’univers. Telles deux fourmis dans un jardin s’entretenant de l’histoire de France ou de la distance du Soleil.

Parcourons l’histoire, et édifions-nous de quelques exemples.

L’école de Pythagore, affranchie des idées communes sur la nature, s’était élevée à la notion du mouvement diurne de notre planète, qui évite au ciel immense et sans bornes l’obligation absurde de tourner en vingt-quatre heures autour d’un point insignifiant. Que le suffrage universel se révolte contre cette idée de génie, cela va de soi : on ne peut pas demander à un éléphant de s’envoler vers le nid des aigles. Mais la force des préjugés vulgaires est telle que, même des esprits supérieurs restèrent dans l’impossibilité de s’élever à cette conception, Platon lui-même et Archimède, ces deux brillantes intelligences. Et les astronomes eux-mêmes, Hipparque et Ptolémée. Celui-ci ne peut s’empêcher de rire aux éclats d’une pareille billevesée. Il qualifie la théorie du mouvement de la Terre de « complètement ridicule », πάνυ γελοιότατον ! L’expression est tout à fait pittoresque. On voit d’ici le ventre d’un bon chanoine se secouer et se tordre à une plaisanterie de cette force, panu guéloïotaton ! Dieux ! que c’est drôle ! La Terre qui tournerait ! Les pythagoriciens sont toqués : c’est leur tête qui tourne.

Socrate boit la ciguë pour s’être affranchi des superstitions de son temps. Anaxagore est persécuté pour avoir osé enseigner que le Soleil est plus grand que le Péloponèse. Deux mille ans plus tard, Galilée est persécuté à son tour pour affirmer le grandeur du système du monde et l’insignifiante de notre planète. La recherche de la vérité n’avance qu’à pas lents, mais les passions humaines et les intérêts dominateurs aveuglants restent les mêmes.

Et le doute dure encore, malgré les preuves accumulées par toute l’astronomie moderne. N’avons-nous pas, dans nos bibliothèques, un ouvrage publié en 1800, expressément contre le mouvement de la Terre, et déclarant que jamais son auteur n’admettra qu’il tourne comme un chapon à la broche ? Ce brave chapon était un homme de beaucoup d’esprit d’ailleurs (ce qui n’exclut pas l’ignorance) ; c’était un membre de l’Institut, portant le nom de Mercier, plus connu par son Tableau de Paris, et que l’on aurait pu croire doué d’un jugement plus étendu et plus sûr.

J’assistais un jour à une séance de l’Académie des sciences, le jour, d’hilarante mémoire, où le physicien Du Moncel présenta le phonographe d’Edison à la docte assemblée. Une fois la présentation faite, l’appareil se mit docilement à réciter la phrase enregistrée sur son rouleau. Alors, on vit un académicien d’un âge mûr, l’esprit pénétré, saturé même, des traditions de sa culture classique, se révolter noblement contre l’audace du novateur, se précipiter sur le représentant d’Edison et le saisir à la gorge en s’écriant : « Misérable ! nous ne serons pas dupes d’un ventriloque ! » Ce membre de l’Institut s’appelait Monsieur Bouillaud. C’était le 11 mars 1878. Le plus curieux encore peut-être, c’est que six mois après, le 30 septembre, dans une séance analogue, il tint à honneur de déclarer qu’après un mûr examen il n’y avait là pour lui que de la ventriloquie et qu’ « on ne peut admettre qu’un vil métal puisse remplacer le noble appareil de la phonation humaine. » Le phonographe n’était, selon lui, qu’une illusion d’acoustique.

Lorsque Lavoisier fit l’analyse de l’air et découvrit qu’il se compose principalement de deux gaz, l’oxygène et l’azote, cette découverte troubla plus d’un esprit positif et rassis. Un membre de l’Académie des sciences, le chimiste Baumé, (l’inventeur de l’aréomètre), croyant fermement aux quatre éléments de la science antique, écrivait doctoralement : « Les éléments ou principes des corps ont été reconnus et confirmés par les physiciens de tous les siècles et de toutes les nations. Il n’est pas présumable que ces éléments, regardés comme tels depuis deux mille ans, soient mis, de nos jours, au nombre des substances composées, et qu’on puisse donner comme certains des procédés pour décomposer l’eau et l’air, et des raisonnements absurdes, pour ne rien dire de plus, pour nier l’existence du feu et de la terre. Les propriétés reconnues aux éléments tiennent à toutes les connaissances physiques et chimiques acquises jusqu’à présent ; elles ont servi de base à une infinité de découvertes et de théories plus lumineuses les unes que les autres, auxquelles il faudrait ôter aujourd’hui toute croyance, si le feu, l’air, l’eau et la terre étaient reconnus pour n’être plus des éléments. »

Tout le monde sait aujourd’hui que ces quatre éléments, si religieusement défendus, n’existent pas, et que ce sont les chimistes modernes qui avaient raison en décomposant l’air et l’eau. Quant au feu ou phlogistique qui, d’après Baume et ses contemporains, était le deus ex machina de la nature et de la vie, il n’a jamais existé que dans l’imagination des professeurs.

Et Lavoisier, lui-même, ce grand chimiste, n’est pas indemne de la même accusation contre ceux qui « croient tout découvert », car il a écrit un savant rapport à l’Académie pour démontrer que des pierres ne peuvent pas tomber du ciel. Or, la chute d’aérolithes, à propos de laquelle il fit ce rapport officiel, avait été admirablement observée dans tous ses détails : on avait vu et entendu le bolide éclater, on avait vu l’aérolithe tomber, on l’avait ramassé tout brûlant, on l’avait ensuite soumis à l’examen de l’Académie, et l’Académie déclara, par l’organe de son rapporteur, que la chose était incroyable et inadmissible. Remarquons aussi que, depuis des milliers d’années, des pierres étaient tombées du ciel devant des centaines de témoins, qu’on en avait recueilli un grand nombre, que plusieurs étaient conservées dans les églises, dans les musées, dans les collections. Mais il manquait encore, à la fin du siècle dernier, un homme indépendant pour les affirmer. Cet homme arriva : ce fut Chladni.

Je ne jette la pierre ni à Lavoisier, ni à personne, qu’on l’entende bien, mais à la tyrannie des préjugés. On ne croyait pas, on ne voulait pas croire que des pierres puissent tomber du ciel. Cela paraissait contraire au sens commun. Par exemple, Gassendi est l’un des esprits les plus indépendants et les plus instruits du XVIIe siècle. Un aérolithe pesant trente kilogrammes est tombé en Provence, en 1627, par un clair soleil : Gassendi l’a vu, l’a touché, l’a examiné — et l’a attribué à quelque éruption terrestre inconnue.

Les professeurs péripatéticiens du temps de Galilée affirmaient doctoralement que le Soleil ne pouvait pas avoir de taches.

Le spectre du Brocken, la fata Morgana, le mirage ont été niés par un grand nombre de gens sensés tant qu’ils n’ont pas été expliqués.

Il n’y a pas fort longtemps encore (1890) que la foudre en boule était révoquée en doute en pleine Académie des sciences de Paris par celui-là même des membres de l’Institut qui aurait dû le mieux la connaître.

L’histoire des progrès de la science nous montre, à chaque instant, que de grands et féconds résultats peuvent provenir d’observations simples et presque vulgaires. Dans le domaine de l’étude scientifique, rien ne doit être dédaigné. Quelle transformation merveilleuse de la vie moderne l’électricité n’a-t-elle pas produite ! Télégraphe, téléphone, lumière électrique, moteurs légers et rapides, etc., etc. Sans l’électricité, les nations, les cités, les mœurs seraient tout autres ; sans elle, par exemple, la locomotion à vapeur n’aurait pu prendre ses développements ; car, si les stations ne pouvaient communiquer instantanément l’une avec l’autre, les trains ne pourraient circuler avec sécurité sur les voies. Or, le berceau de cette admirable fée est humblement voilé dans les premières lueurs, à peine sensibles, de l’aurore naissante. On n’y distingue que des éléments bien vagues, que des yeux perspicaces ont eu la gloire de remarquer et de signaler à l’attention du monde.

On se souvient du bouillon de grenouilles de Mme Galvani, en 1791. Galvani avait épousé la jolie fille de son ancien professeur, Lucie Galeozzi, et l’aimait tendrement. Elle était souffrante à Bologne, se mourant de la poitrine. Le médecin avait ordonné un bouillon de grenouilles, mets d’ailleurs excellent. Galvani avait tenu à le préparer lui-même.

Assis sur son balcon, dit-on, il avait dépouillé un certain nombre de ces petites bêtes et avait suspendu les membres inférieurs séparés du tronc, à ce balcon de fer, au moyen de petits crochets de cuivre qui lui servaient dans ses expériences, lorsqu’il vit avec un étonnement que justifiait l’étrangeté du phénomène, les membres des grenouilles s’agiter convulsivement toutes les fois qu’ils avaient touché accidentellement le fer du balcon. Galvani, qui était lui-même professeur de physique à l’université de Bologne, étudia le fait avec une rare sagacité et découvrit bientôt les conditions nécessaires pour le reproduire. Prenons les membres inférieurs d’une grenouille écorchée, nous remarquerons les nerfs lombaires, les filets blancs. Si l’on saisit ces nerfs, si on les enveloppe avec une feuille d’étain, et si on pose les cuisses, dans l’état de flexion, sur une lame de cuivre, alors, en faisant toucher la petite lame d’étain à la lame de cuivre, à l’instant les muscles se contracteront et un léger obstacle contre lequel on aurait appuyé l’extrémité des pattes, sera renversé avec assez de force. Telle est l’expérience à laquelle Galvani fut conduit par le hasard ; il lui dut la découverte qui porte son nom : le galvanisme, et qui donna naissance, dans la suite, à la pile de Volta, à la galvanoplastie et à tant d’autres applications de l’électricité.

L’observation du physicien de Bologne fut accueillie par un immense éclat de rire, à l’exception de quelques savants sérieux qui lui donnèrent l’ascension qu’elle méritait. Le pauvre inventeur en fut très attristé. « Je suis attaqué, écrivait-il en 1792, par deux sectes bien opposées, les savants et les ignorants. Les uns et les autres se rient de moi et m’appellent le maître de danse des grenouilles. Pourtant, je sais que j’ai découvert une des forces de la nature. »

Vers la même époque, le magnétisme humain n’a-t-il pas été absolument nié, à Paris, par l’Académie des sciences et la Faculté de médecine ? On attendit, pour y croire (et encore !), que Jules Cloquet opérât d’un cancer au sein, sans douleur, une femme préalablement magnétisée3.

C’est ce qui était arrivé pour la découverte de la circulation du sang : Guy-Patin et la Faculté n’ont-ils pas mordu Harvey de leurs sarcasmes ?

J’ai connu, à Turin, vers 1873, un descendant, très pauvre, du marquis de Jouffroy, mon compatriote de la Haute-Marne, l’inventeur des bateaux à vapeur en 1776. On sait que cet ingénieux chercheur avait épuisé toutes ses ressources à démontrer la possibilité d’appliquer la vapeur à la navigation. Un premier bateau avait marché sur le Doubs, à Baume-les-Dames. Un autre remonta la Saône, à Lyon, jusqu’à l’île Barbe. Jouffroy voulut fonder une compagnie pour l’exploitation ; mais il lui fallait un privilège. Le gouvernement soumit la question à l’Académie des sciences qui, sous l’inspiration de Perier (l’auteur de la pompe à feu de Chaillot), répondit par un avis défavorable. Tout le monde, d’ailleurs, accablait le pauvre marquis de plaisanteries sur sa prétention de « vouloir accorder le feu et l’eau » et on le saluait du sobriquet de « Jouffroy-la-Pompe ». Le malheureux inventeur finit par se décourager, émigra ensuite sous la Révolution et revint en France pendant le Consulat pour constater que Fulton, à son tour, n’était pas plus heureux avec le premier consul qu’il ne l’avait été lui-même sous l’ancien régime. D’autre part, Fulton ne réussit pas davantage à convaincre l’Angleterre en 1804, et ce n’est qu’en 1807 que son premier bateau à vapeur put être lancé victorieusement sur l’Hudson, dans sa propre patrie, qui finit par lui rendre une justice un peu tardive.

Presque tous les inventeurs en sont là. Un autre de mes compatriotes de la Haute-Marne, Philippe Lebon, qui inventa l’éclairage au gaz en 1797, mourut en 1804, le jour de la cérémonie du couronnement de l’empereur (assassiné, dit-on, aux Champs-Elysées, à Paris), sans avoir vu son pays adopter son idée. On objectait surtout qu’une lampe sans mèche ne pouvait pas brûler ! L’éclairage au gaz fut appliqué, en 1805, par l’Angleterre, à Birmingham ; en 1813 à Londres ; en 1818 à Paris.

Lors de la création des chemins de fer, des ingénieurs démontrèrent qu’ils ne marcheraient pas et que les roues des locomotives tourneraient sur place. À la Chambre des députés, en 1838, Arago tempéra l’ardeur des partisans de la nouvelle invention, parla de l’inertie de la matière, de la ténacité des métaux et de la résistance de l’air. « Les vitesses, disait-il, seront grandes, très grandes, mais pas autant qu’on l’avait espéré. Ne nous payons pas de mots. On parle de l’accroissement du transit. En 1836, le montant total des frais de transit, en France, a été de 2 803 000 francs. Si tous les chemins de fer étaient exécutés ; si tout le transit s’effectuait par rails et locomotives, les 2 803 000 francs se réduiraient à 1 052 000. Ce serait, par an, une diminution de 1 751 000 francs. Le pays perdrait donc environ les deux tiers de la dépense totale du transport par rouliers. Méfions-nous de l’imagination, cette folle du logis. Deux tringles de fer parallèles ne donneront pas une face nouvelle aux landes de Gascogne. » Et tout le discours se continue sur ce ton ! On voit que, lorsqu’il s’agit d’idées nouvelles, les plus grands esprits peuvent se tromper.

Et M. Thiers : « J’admets, disait-il, que les chemins de fer présenteront quelques avantages pour le transport des voyageurs, si l’usage en est limité à quelques lignes fort courtes aboutissant à de grandes villes comme Paris. Il ne faut pas de grandes lignes. »

Et Proudhon : « C’est une opinion banale et ridicule de prétendre que les chemins de fer peuvent servir à la circulation des idées. »

En Bavière, le collège royal de Médecine consulté déclara que les chemins de fer causeraient, s’ils étaient réalisés, le plus grand tort à la santé publique, parce qu’un mouvement aussi rapide provoquerait des ébranlements cérébraux chez les voyageurs et des vertiges dans le public extérieur, et recommanda d’enfermer les voies entre deux cloisons en planches à la hauteur des wagons.

Lorsque parut la proposition d’établir un câble sous-marin entre l’Europe et l’Amérique, en 1853, l’une de nos grandes autorités en physique, Babinet, de l’Institut, examinateur à l’École polytechnique, écrivit dans la Revue des Deux Mondes : « Je ne puis regarder ces idées comme sérieuses ; la théorie des courants pourrait donner des preuves sans réplique de l’IMPOSSIBILITÉ d’une telle transmission, même quand on ne tiendrait pas compte des courants qui s’établissent d’eux-mêmes dans un long fil électrique et qui sont très sensibles dans le petit trajet de Douvres à Calais. Le seul moyen, de joindre l’ancien monde au nouveau, c’est de franchir le détroit de Behring, à moins de passer par les îles Féroë, l’Islande, le Groënland et le Labrador »  ( ! !)

Le géologue Élie de Beaumont, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, mort en 1874, n’a pas cessé toute sa vie de nier l’homme fossile, sans rien savoir de positif sur ce point. Mon laborieux ami, Émile Rivière, a découvert, en 1872, l’homme fossile dans une grotte, près de Menton, et l’a fait transporter au Muséum de Paris où chacun peut le voir. C’est à peine aujourd’hui si l’on daigne l’admettre, et M. Rivière, à l’heure actuelle (1899), n’a même pas été décoré ! (Dieu sait pourtant combien il y a, comme contraste, de médiocrités décorées !)

En Angleterre, la Société royale a refusé en 1841 l’insertion du plus important mémoire du célèbre Joule, fondateur avec Mayer de la thermodynamique ; et Thomas Young, fondateur avec Fresnel de la théorie ondulatoire de la lumière, a été ridiculisé par lord Brougham.

En Allemagne, d’autre part, Mayer, voyant le scepticisme narquois avec lequel son immortelle découverte était accueillie des savants officiels, se prit à douter de lui-même et se jeta par la fenêtre ! Un peu plus tard, les académies lui tendaient les bras. Le grand électricien Ohm a été traité de fou par ses compatriotes allemands.

Et comment ne pas nous souvenir de ce qui arriva lors de l’invention de la lunette d’approche ! Les sénateurs des Pays-Bas refusèrent d’accorder un brevet « parce qu’on n’y regardait que d’un œil », et un demi-siècle plus tard, l’éminent astronome Hévélius refusa d’adapter des verres à ses instruments pour son Catalogue d’étoiles, parce qu’il supposait qu’ils nuiraient à la précision des déterminations de position.

Ces exemples pourraient être continués jusqu’à la fin du monde.... Ils suffisent pour nous édifier sur l’un des aspects de l’esprit humain, sur un caractère non négligeable dans notre recherche de la vérité.

Un ami de trente années d’affectueux attachement et de doux voisinage intellectuel, Eugène Nus, a dédié l’un de ses ouvrages, Choses de l’autre monde,


Aux mânes des savants,
Brevetés, patentés,
Palmés, décorés et enterrés,
Qui ont repoussé
La rotation de la terre,
Les météorites,
Le galvanisme,
La circulation du sang,
La vaccine,
L’ondulation de la lumière,
Le paratonnerre,
Le daguerréotype,
La vapeur,
L’hélice,
Les paquebots,
Les chemins de fer,
L’éclairage au gaz,
Le magnétisme,
Et le reste,
À ceux, vivants et à naître, qui font de même
Dans le présent,
Et feront de même dans l’avenir.

Je trouverais fort irrévérencieux de l’imiter, et je me garderai bien d’écrire la même dédicace en tête de ce livre. Mais je la rappelle pourtant, et je la laisse imprimer, car elle n’est pas sans valeur philosophique, et j’ajouterai avec un historien de ces phénomènes, que ces retardataires, que l’on rencontre partout, dans les sciences, dans les arts, dans l’industrie, en politique, en administration, etc., ont leur utilité : « Passés à l’état de bornes, ils jalonnent la route du progrès. »

Auguste Comte et Littré ont paru tracer à la science sa voie définitive, sa voie « positive ». N’admettre que ce que l’on voit, ce que l’on touche, ce que l’on entend, ce qui tombe sous le témoignage direct des sens, et ne pas chercher à connaître l’inconnaissable : depuis un demi-siècle, c’est la règle de conduite de la science.

Mais voici. En analysant les témoignages de nos sens, on trouve qu’ils nous trompent absolument. Nous voyons le soleil, la lune et les étoiles tourner autour de nous : c’est faux. Nous sentons la terre immobile : c’est faux. Nous voyons le soleil se lever au-dessus de l’horizon : il est au-dessous. Nous touchons des corps solides : il n’y en a pas. Nous entendons des sons harmonieux : l’air ne transporte que des ondulations silencieuses en elles-mêmes. Nous admirons les effets de la lumière et des couleurs qui font vivre à nos yeux le splendide spectacle de la nature : en fait, il n’y a ni lumière, ni couleurs, mais seulement des mouvements éthérés obscurs qui, en frappant notre nerf optique, nous donnent les sensations lumineuses. Nous nous brûlons le pied au feu : c’est, à notre insu, dans notre cerveau seulement que réside la sensation de la brûlure. Nous parlons de chaleur et de froid : il n’y a dans l’univers ni chaleur ni froid, mais seulement du mouvement. Ainsi nos sens nous trompent sur la réalité. Sensation et réalité sont deux.

Ce n’est pas tout. De plus, nos cinq pauvres sens sont insuffisants. Ils ne nous font sentir qu’un très petit nombre des mouvements qui constituent la vie de l’Univers. Pour en donner une idée, je répéterai ici ce que j’écrivais dans Lumen, il y a un tiers de siècle : « Depuis la dernière sensation acoustique perçue par notre oreille, due a 36 850 vibrations par seconde, jusqu’à la première sensation optique perçue par notre œil, due à 400 000 000 000 000 de vibrations dans la même unité de temps, nous ne pouvons rien percevoir. Il y a là un intervalle énorme avec lequel aucun sens ne nous met en relation. Si nous avions d’autres cordes à notre lyre, dix, cent, mille, l’harmonie de la nature se traduirait plus complètement en les faisant entrer en vibrations. » D’une part, nos sens nous trompent ; d’autre part, leur témoignage est tout à fait incomplet. Il n’y a pas là de quoi être si fiers et poser en principe une prétendue philosophie positive.

Sans doute, il faut bien nous servir de ce que nous avons. La foi religieuse dit à la raison : « Ma petite amie, tu n’as qu’une lanterne pour te conduire : souffle dessus et laisse-toi mener par moi ». Ce n’est pas notre avis. Nous n’avons qu’une lanterne, et même une assez mauvaise ; mais l’éteindre serait le comble de l’aveuglement. Reconnaissons, au contraire, en principe, que la raison ou, si l’on veut, le raisonnement doit toujours et en tout être notre guide. Hors de là, il n’y a plus rien du tout. Mais ne circonscrivons pas la science dans un cercle étroit. J’en reviens encore à Auguste Comte, parce qu’il est le fondateur de l’école moderne, et qu’il représente l’un des plus grands esprits de notre siècle. Il limite la sphère de l’astronomie à ce qu’on savait de son temps. C’est tout simplement absurde. « Nous concevons, dit-il, la possibilité d’étudier la forme des astres, leurs distances, leurs mouvements, tandis que nous ne saurons jamais étudier, par aucun moyen, leur composition chimique. » Ce célèbre philosophe est mort en 1857. Cinq ans, plus tard, l’analyse spectrale faisait précisément connaître la composition chimique des astres et classait les étoiles dans l’ordre de leur nature chimique.

C’est comme les astronomes du XVIIe siècle qui affirmaient qu’il ne peut exister que sept planètes.

L’inconnu d’hier est la vérité de demain.

On serait dans l’erreur, cependant, en supposant que les savants (certains savants) et les hommes en vue soient seuls responsables de ces actes d’inertie. Il en est de même de la majorité de l’humanité, et le gros du public est dans le même cas. La pâte du cerveau humain est à peu près la même, que l’on soit savant, littérateur, artiste, magistrat, politicien, industriel, ouvrier, laboureur ou fainéant. Les reproches que l’on peut adresser aux hommes dont l’esprit est fermé aux conceptions nouvelles, à ces êtres qui, comme Napoléon, par exemple (auquel l’invention aurait assuré la ruine de sa plus puissante ennemie, l’Angleterre), n’ont pas compris l’invention de la vapeur, s’appliquent pour ainsi dire à tout le monde. Un homme, d’ailleurs, peut être très supérieur en certaines facultés et très inférieur en d’autres. Les exemples regrettables qui précèdent ne font donc pas le procès des savants en particulier et encore moins celui de la Science. Seulement, on aimerait voir les esprits éclairés ne pas tomber dans la commune impuissance du vulgaire, et c’est à cause de l’estime qu’ils nous inspirent que nous remarquons davantage leurs faiblesses.

Il est juste de nous souvenir, toutefois, qu’il y a une excuse à nos obstructions, à ces freins, à ces résistances. En général, on n’est pas sûr de la réalité ni de la valeur des choses nouvelles. Les premiers bateaux à vapeur marchaient mal et ne valaient pas les bateaux à voiles. Les premiers becs de gaz éclairaient peu et sentaient mauvais. La Terre, vraiment, paraît bien fixe et bien stable. L’eau et l’air semblent des éléments. Il ne paraît pas naturel que des pierres tombent du ciel. Les premières manifestations de l’électricité étaient incohérentes. Les chemins de fer dérangeaient tout4.

Et puis, le génie est en avant, une découverte nouvelle est en avant. Il est donc tout naturel que l’on soit en arrière et que l’on ne comprenne pas.

Et puis aussi, bien souvent, les faits nouveaux, peu connus, inexpliqués, sont vagues, embrouillés, d’une analyse difficile, mal servis par ceux qui les présentent. Quelles difficultés le magnétisme humain n’a-t-il pas eues à traverser avant d’arriver à l’état d’expérimentation scientifique où il est aujourd’hui, sous d’autres noms ! Et combien n’a-t-il pas été exploité par des charlatans se jouant de la crédulité publique ! Et, dans les phénomènes magnétiques, comme dans ceux du spiritisme, que de fraudes, que de supercheries, que d’infâmes mensonges, sans compter les personnes stupides qui trichent « pour s’amuser » ! Et de quels tours merveilleux les prestidigitateurs ne sont-ils pas capables ! On peut donc excuser en partie les réserves des hommes de science.

La découverte récente des rayons Röntgen, si incroyable et si étrange en elle-même à son origine, devrait nous éclairer sur l’exiguë petitesse du champ de nos observations habituelles. Voir à travers des objets opaques ! dans l’intérieur d’un coffre fermé ! distinguer le squelette d’un bras, d’une jambe, d’un corps à travers la chair et les vêtements ! Une telle découverte est, sans contredit, tout à fait contraire à nos certitudes accoutumées. Cet exemple est assurément l’un des plus éloquents en faveur de cet axiome : il est antiscientifique d’affirmer que les réalités s’arrêtent à la limite de nos connaissances et de nos observations.

Et le téléphone, qui transmet la parole, non par des ondes sonores, mais par un mouvement électrique ! Si nous pouvions parler à l’aide d’un tube entre Paris et Marseille, notre voix emploierait trois minutes et demie pour arriver à destination, et il en serait de même de celle de notre correspondant, de sorte que la réponse à un mot lancé : « allô ! allô ! » ne nous reviendrait qu’au bout de sept minutes. On n’y songe pas, mais le téléphone est aussi absurde que les rayons X au point de vue de notre conception des choses antérieure à ces découvertes.

On a parlé des cinq portes de nos connaissances : la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Ces cinq portes ne nous donnent encore que peu d’accès sur le monde extérieur, surtout les trois dernières. L’œil et l’oreille vont assez loin, mais, en fait, c’est presque la lumière seule qui met notre esprit en communication avec l’univers. Or, qu’est-ce que la lumière ? Un mode de vibration de l’éther excessivement rapide. La sensation de lumière est produite sur notre rétine par les vibrations qui s’étendent depuis 400 trillions par seconde (extrémité rouge du spectre lumineux) jusqu’à 756 trillions (extrémité violette). Elles sont depuis longtemps mesurées avec précision. En deçà comme au delà de ces nombres, il y a d’autres vibrations de l’éther, non perceptibles pour nos yeux. Au delà du rouge, ce sont des vibrations calorifiques obscures. Au delà du violet, ce sont des vibrations chimiques, actiniques, photographiables, également obscures. Il en existe beaucoup d’autres qui nous restent inconnues. À ces remarques j’ajouterai aujourd’hui, en la modifiant et la développant, une comparaison faite récemment par sir William Crookes, à propos de la continuité probable des phénomènes de l’univers et des lacunes que notre organisation terrestre subit dans cette continuité. Prenons un pendule battant la seconde dans l’air. En doublant les battements, nous obtenons la série suivante :

1er degré 2
2 4
3 8
4 16
5 32
6 64 Son.
7 128
8 256
9 512
10 1024
15 32768
20 1047576 Inconnu.
25 33554432
30 1073741824  Électricité. 
35 34359738368 Inconnu.
40 1099511627776
45 35184372088832
48 281474976710656 Lumière5.
49 562949953421312
50 1125899906842624
55 36028797018963968 Inconnu.
56 72057594037927936
57 144115188075855872
58 288230376151711744 Rayons X.
59 576460752303423488
60 1152921504606846976
61 2305843009213693952
62 4611686018427387904 Inconnu.
63 9223372036854775808

Au cinquième degré depuis l’unité, à 32 vibrations par seconde, nous entrons dans la région où la vibration de l’atmosphère nous est révélée sous la forme de son. Nous trouvons là la note musicale la plus basse. Si, parmi les sons musicaux, on en choisit un très grave, par exemple l’octave inférieure de l’orgue, on s’aperçoit que les sensations élémentaires, quoique formant un tout continu, ce qui est nécessaire pour que le son soit musical, y restent cependant distinctes jusqu’à un certain degré. Plus le son est bas, dit Helmholtz, mieux l’oreille y distingue les pulsations successives de l’air.

Dans les dix degrés suivants, les vibrations par seconde s’élèvent de 32 à 32 768 ; chaque doublement reproduit la même note, à l’octave supérieure. Le diapason normal qui donne le la vibre 435 fois par seconde, soit 870 vibrations doubles. Le son le plus aigu est vers 36 000 vibrations, et là s’arrête la région du son pour une oreille humaine ordinaire. Mais probablement certains animaux mieux doués que nous entendent des sons trop aigus pour nos organes, c’est-à-dire des sons où la vitesse des vibrations dépasse cette limite.

Nous arrivons ensuite dans une région où la vitesse des vibrations augmente rapidement, et le milieu vibrant n’est plus la grossière atmosphère, mais un milieu infiniment subtil, « un air plus divin », appelé éther. Il y a là des vibrations d’ordre inconnu. Plus loin, nous pénétrons dans la sphère des rayons électriques 6.

Puis vient la région qui s’étend du 35e au 45e degré, de 34 milliards 359 millions à 35 trillions 184 milliards de vibrations par seconde. Elle nous est inconnue : nous ignorons les fonctions de ces vibrations, mais qu’elles existent et agissent dans l’univers, il est difficile de ne pas l’admettre.

Maintenant, nous approchons de la région de la lumière, ce sont des vitesses comprises entre le 48e et le 50e ordre. La sensation de lumière, c’est-à-dire les vibrations qui transmettent les signes visibles, est comprise entre les étroites limites d’environ 400 trillions (lumière rouge) à 756 trillions (lumière violette), ce qui fait moins d’un degré.

Les phénomènes de la nature qui se passent constamment autour de nous, d’ailleurs, s’accomplissent sous l’action de forces invisibles. La vapeur d’eau, dont l’œuvre est si considérable dans la climatologie, est invisible. La chaleur est invisible. L’électricité est invisible. Les rayons chimiques sont invisibles. Le spectre solaire, représentant l’ensemble des rayons lumineux sensibles à la rétine humaine, les rayons visibles, est aujourd’hui connu de tout le monde. Si l’on fait passer un rayon de soleil à travers un prisme, on obtient, à la sortie du prisme, un ruban coloré s’étendant du rouge au violet. Un grand nombre de raies le traversent, les principales sont indiquées par les lettres de A à H : ce sont des lignes d’absorption produites par les substances qui brûlent dans l’atmosphère solaire et par la vapeur d’eau de l’atmosphère terrestre. On en connaît aujourd’hui des milliers.

Si l’on promène un thermomètre à gauche du spectre visible, au delà du rouge, on le voit s’élever et l’on constate qu’il y a là des rayons calorifiques invisibles pour nous.

Si l’on place une plaque photographique à droite du spectre, au delà du violet, on la voit s’impressionner et l’on constate la présence de rayons chimiques très actifs, invisibles pour nous. Remarque importante : des corps invisibles peuvent devenir visibles ; ainsi l’uranium, le sulfate de quinine, deviennent visibles dans l’obscurité sous les radiations ultra-violettes.

On définit aujourd’hui tous ces rayons par leur longueur d’onde : c’est l’espace parcouru par l’onde pendant la durée d’une période vibratoire. Bien que les longueurs d’onde des radiations soient d’une extrême petitesse, on parvient, grâce à l’emploi de réseaux de diffraction, à les déterminer avec une très grande précision. Les voici :

SPECTRE SOLAIRE VISIBLE Vibrations
 Longueur  par seconde
COULEUR d’onde. en trillions.
Rouge extrême 734 400
Limite du rouge et de l’orange 647 490
de l’orange et du jaune 587 558
du jaune et du vert 535 590
du vert et du bleu 492 596
du bleu et de l’indigo 456 675
de l’indigo et du violet 424 700
Violet extrême 397 756


(l'unité employée est le dix-millionième de millimètre.)
Partie infra-rouge invisible, calorifique. Longueur d’onde  : de 1940 à 734.
Partie ultra-violette invisible, chimique. Longueur d’onde  : de 397 à 295.

Le premier de ces deux spectres invisibles a été déterminé avec une grande précision par l’astronome américain Langley à l’aide de l’appareil de son invention nommé bolomètre7. C’est dans cette région invisible que s’exerce la plus grande partie de l’énergie solaire. La partie de ce spectre déjà explorée est 10 fois plus étendue que le spectre visible ! D’autre part, le physicien français, Edmond Becquerel, a photographié depuis longtemps le spectre chimique8. Ce spectre, dont l’étude a été continuée depuis, est environ deux fois plus étendu que le spectre visible.

Quittant la région du spectre solaire étudié, nous arrivons à ce qui est pour nos sens et nos moyens de recherche une autre région inconnue et à des fonctions que nous commençons à peine à soupçonner. Il est vraisemblable que l’on trouvera les rayons Röntgen entre le 58e et le 61e degré, là où les vibrations vont de 288 230 376 151 711 744 à 2 305 843 009 213 693 952 par seconde ou même plus.

On voit que, dans cette série, il y a plusieurs grandes lacunes ou régions inconnues sur lesquelles nous ne savons absolument rien. Qui pourrait dire que ces vibrations ne jouent pas un rôle important dans l’économie générale de l’univers ?

Enfin, n’existe-t-il pas des vibrations plus rapides encore que celles où la série précédente est arrêtée ?

Nous vivons dans un espace à trois dimensions. Des êtres qui vivraient dans un espace à deux dimensions, dans la surface d’un cercle, par exemple, dans un plan, ne connaîtraient que la géométrie à deux dimensions, ne pourraient pas passer par-dessus la ligne qui limite un cercle ou un carré, seraient emprisonnés par une circonférence, sans possibilité d’en sortir. Donnez-leur une troisième dimension, avec la faculté de s’y mouvoir : ils passeront tout simplement par-dessus la ligne, sans la rompre, sans même y toucher. Les six surfaces d’une pièce fermée (4 murs, plancher et plafond) nous emprisonnent ; mais supposons une quatrième dimension et dotons-nous de la faculté d’y vivre : nous sortirons de notre prison aussi facilement qu’un homme passe au-dessus d’une ligne tracée sur le sol. Nous ne pouvons pas plus concevoir cet hyperespace (n 4) qu’un être construit pour se mouvoir uniquement dans un plan (n 2) ne pourrait concevoir l’espace cubique (n 3) ; mais nous ne sommes pas autorisés à déclarer qu’il n’existe pas.

Il y a, dans la vie terrestre même, certaines facultés inexpliquées pour l’homme, certains sens ignorés. Comment le pigeon voyageur et l’hirondelle retrouvent-ils leurs nids ? Comment le chien revient-il chez lui, à plusieurs centaines de kilomètres de distance, par un chemin qu’il n’a pas parcouru ? Comment la vipère fait-elle descendre un oiseau dans sa gueule et comment le lézard attire-t-il à lui le papillon fasciné ? Etc., etc. J’ai montré ailleurs que les habitants des autres mondes doivent être doués de sens tout différents des nôtres.

Nous ne connaissons rien d’ABSOLU. Tous nos jugements sont relatifs, par conséquent imparfaits et incomplets.

La sagesse scientifique consiste donc à être très réservés dans nos négations. Nous avons le droit d’être modestes. « Le doute est une preuve de modestie, dirons-nous avec Arago, et il a rarement nui aux progrès des sciences. On n’en pourrait dire autant de l’incrédulité. »

Il y a encore un grand nombre de faits inexpliqués, qui appartiennent au domaine de l’inconnu. Les phénomènes dont nous allons nous entretenir sont de ce nombre. La télépathie, ou sensation à distance, les apparitions ou manifestations de mourants, la transmission de pensée, la vue en rêve, en somnambulisme, sans le secours des yeux, de paysages, de villes, de monuments, la prescience ou prémonition d’un événement prochain, la prévision de l’avenir, les avertissements, les pressentiments, quelques cas magnétiques extraordinaires, les dictées inconscientes par coups frappés dans les tables, certains bruits inexpliqués, quelques logements hantés, des soulèvements ou lévitations contraires aux lois de la pesanteur, des mouvements et transports d’objets sans contact, des effets qui ressemblent à des matérialisations de forces (ce qui paraît absurde), les manifestations, apparentes ou réelles, d’âmes désincarnées ou d’esprits de tout ordre, et bien d’autres phénomènes bizarres et actuellement inexplicables, méritent notre curiosité et notre attention scientifique. Soyons bien convaincus, d’ailleurs, que tout ce que nous pouvons observer et étudier est naturel, et que nous devons examiner tous les faits tranquillement, scientifiquement, sans préoccupation de mystère, sans trouble et sans mysticisme, comme lorsqu’il s’agit d’astronomie, de physique ou de physiologie. Tout est dans la nature, l’inconnu comme le connu, et le surnaturel n’existe pas. C’est là un mot vide de sens9. Les éclipses, les comètes, les étoiles temporaires étaient regardées comme surnaturelles, comme des signes de la colère divine, avant qu’on en connût les lois. On appelle souvent surnaturel ce qui est merveilleux, extraordinaire, inexpliqué. C’est inconnu qu’il faut dire, tout simplement.

Les critiques qui verraient dans cet ouvrage un retour aux temps de la superstition seraient dupes d’une grosse erreur. Il s’agit, au contraire, d’analyse et d’examen.

Ceux qui disent : « Moi, croire à ces impossibilités, jamais ! je ne crois qu’aux lois de la nature, et ces lois, on les connaît » ressemblent aux anciens géographes naïfs qui écrivaient sur leurs mappemondes, aux colonnes d’Hercule (détroit de Gibraltar) : HIC DEFICIT ORBIS, « ici finit le monde », sans se douter que dans cet espace occidental, inconnu et vide, il y a deux fois plus de terres que ces braves géographes n’en connaissaient.

Toutes nos connaissances humaines pourraient être représentées symboliquement par une petite île, une île minuscule, entourée d’un océan sans bornes.

Il nous reste encore beaucoup, beaucoup à apprendre.

Share on Twitter Share on Facebook