Les Crédules

Allez vous laver et manger de l’herbe.

Paroles de l’« Immaculée Conception »,
à Lourdes.

Notre premier chapitre, les Incrédules, nous a montré combien l’esprit humain est, en général, peu disposé à accepter les faits inexpliqués et les idées nouvelles, et combien cette inertie a été nuisible à l’avancement de nos connaissances sur la nature et sur l’homme. Mais, fort heureusement, il y a des Copernic, des Galilée, des Kepler, des Newton, des Herschel, des Papin, des Fulton, des Galvani, des Volta, des Palissy, des Ampère, des Arago, des Niepce, des Daguerre, des Fraunhöfer, des Kirchoff, des Fresnel, des Le Verrier, des chercheurs et des indépendants. La Science est tenue, par l’éternelle loi de l’honneur, à regarder en face et sans crainte tout problème qui peut franchement se présenter à elle, disait naguère sir William Thomson, l’un des plus éminents physiciens de notre époque, et c’est là une proposition que nous aurions pu inscrire en épigraphe de ce livre. Mais dans les questions difficiles, obscures, incertaines, un nouveau devoir s’impose à nous, c’est d’examiner, d’analyser les choses avec la plus sévère circonspection, et de n’admettre, ici comme en tout, d’ailleurs, que ce qui est certain. Il ne faudrait pas, sous prétexte de progrès, remplacer une incrédulité systématique par une crédulité dépourvue de tout sens critique, et peut-être n’est-il pas inutile, avant d’entrer dans le cœur de notre sujet, de montrer aussi, par quelques exemples, combien il est nécessaire de nous tenir en garde contre cet excès contraire, non moins blâmable, non moins dangereux que le premier.

L’espèce humaine forme, d’ailleurs un ordre composite d’une diversité vraiment remarquable. De même qu’il y a des êtres qui ne croient à rien, on en rencontre d’autres, non moins nombreux, qui croient à tout. La crédulité des hommes et des femmes est véritablement sans limites. Les stupidités les plus abracadabrantes ont été accueillies, acceptées, défendues. Et, remarque assez singulière, ce sont souvent les esprits les plus sceptiques qui ont été victimes des mensonges les plus audacieux et qui ont soutenu les insanités les plus colossales. Un regard d’investigation jeté sur l’humanité nous montre autant de crédules que d’incrédules, les uns comme les autres dupes de leur manière de penser.

Nous n’avons encore ici que l’embarras du choix, et les exemples sont si innombrables qu’il n’y a qu’à se baisser pour en prendre.

Vous rappelez-vous l’histoire de la dent d’or dont parle Fontenelle dans son Histoire des Oracles ? Pour être ancienne, elle n’en est pas moins typique. En 1595, le bruit courut que les dents étaient tombées à un enfant de sept ans, en Silésie, et qu’il lui en était venu une en or, à la place d’une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine, de l’Université de Helmstædt, écrivit en 1595 l’histoire de cette dent, assura qu’elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu’elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs. On ne saisit pas bien le rapport qui peut exister entre cette dent et les Turcs, mais l’explication fut tout de même prise au sérieux. La même année, Rullandus en écrivit une seconde histoire, et deux ans après, Ingolsterus, autre savant, publia un troisième mémoire, contradictoire des deux premiers. « Un autre grand homme, nommé Libavius, ajoute Fontenelle, ramassa tout ce qui avait été dit de la dent et y ajouta son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose a tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fut vrai que la dent était d’or. Quand un orfèvre l’eut examinée, il se trouva que c’était une feuille d’or appliquée à la dent avec beaucoup d’adresse ; mais on avait fait des livres avant de consulter l’orfèvre. »

Il y a plus d’une dent d’or dans l’histoire de la crédulité ancienne et moderne.

Vous souvenez-vous aussi des rats à trompe dont fut victime, il y a un demi-siècle, un savantissime naturaliste ?

Un zouave, pour utiliser les loisirs que le gouvernement lui faisait en Afrique, s’amusait à pratiquer la greffe animale sur des rats. Il insérait un bout de queue sur le museau, et la jonction s’opérait fort bien, comme on voit le nez reconstitué avec un fragment de peau. Un savant du Muséum de Paris paya fort cher le premier rat, qui lui fut envoyé comme spécimen d’une espèce de rongeurs jusque-là inconnue. On lui en présenta d’autres qu’il acheta également avec une grande générosité. Il paraît qu’il ne fut désabusé qu’au croisement, les unions entre rats et rates à trompe n’ayant produit que des ratons de l’espèce la plus vulgaire.

Remarquons, à ce propos, que l’homme de science étant, par sa nature même, foncièrement honnête (car il n’y aurait pas de science sans honnêteté) et n’étant pas accoutumé à se défier des objets sur lesquels il travaille, est plus facile à duper que beaucoup d’autres. En astronomie, en chimie, en physique, en géologie, en histoire naturelle, il n’y a pas de mensonges. Pour un mathématicien, pour un géomètre, 2 et 2 font 4, et les trois angles d’un triangle sont égaux à deux angles droits. Ce témoignage de droiture et de naturelle franchise ne paraît malheureusement applicable ni aux affaires, ni à la politique, ni aux occupations habituelles des êtres humains en général.

J’ai connu un éminent géomètre, l’un de nos plus savants professeurs de l’École polytechnique, membre de l’Institut des plus distingués et des plus respectés, homme de hautes qualités intellectuelles et morales. N’a-t-il pas été dupe de la supercherie la plus audacieuse qui se puisse imaginer, et ne se présente-t-il pas à notre souvenir comme le type le plus consommé de l’homme crédule — et d’une crédulité sans limites ? Un habile faussaire, Vrain-Lucas, flattant son goût effréné pour les autographes, ne lui vendit-il pas à prix d’or de faux autographes de Pascal, de Newton, de Galilée, de Henri IV, de François Ier ? Et ensuite des lettres de Charlemagne, puis de Vercingétorix !... de Pythagore !... d’Archimède !... de Cléopâtre !... et, mieux encore, de Lazare le ressuscité ! de Marie-Madeleine ! et, je crois même, de Jésus-Christ ! M. Michel Chasles acheta en sept ans (1862-1869), 27 000 de ces autographes pour la somme rondelette de 140 000 francs ! Malgré l’habileté du faussaire, on pouvait cependant remarquer, dès l’origine, certaines nuances tendant à faire suspecter l’authenticité des pièces. Je me souviens, entre autres, d’une lettre de Galilée dans laquelle il disait qu’on pourrait trouver une planète lointaine en observant dans le voisinage de Saturne. Le mystificateur avait eu l’audace de faire prédire par Galilée, en 1640, la découverte d’Uranus faite par Herschel en 1781, et, confondant l’orbite avec le corps céleste qui la parcourt, faisait dire à l’astronome italien que la planète était derrière Saturne. Je m’amusai à calculer la position d’Uranus pour l’époque de la lettre supposée : la planète n’était pas du tout dans la région du ciel ou brillait Saturne. J’en traçai le diagramme (voy· Astronomie populaire, liv. IV, ch. I) et allai montrer au savant géomètre quelle sottise on faisait dire à Galilée. À ma stupéfaction, M. Chasles me répondit que « cela ne faisait rien » et qu’il était sûr de l’authenticité de la lettre. Il me la montra. Elle était écrite d’une écriture semblable à celle de Galilée, sur du vieux papier jauni à filigrane, pliée et revêtue des cachets de la poste du temps, l’illusion était vraiment complète. Mais faire dire à un astronome que l’on peut chercher Uranus derrière Saturne, c’était là une phrase d’écolier ; et l’amateur d’autographes était déjà tellement aveugle qu’il était tout prêt à accepter, argent comptant, quelques mois après, un laissez-passer écrit par Vercingétorix en français ( !) pour « l’empereur Jules César ».

Je ne sais pas s’il y a des exemples de crédulité plus forts que celui-là !

Avouons, dans tous les cas, que ce sont là de rudes leçons, dont nous devons tous nous souvenir.

J’entends d’ici des esprits moins savants, se croyant beaucoup plus forts, et se disant avec sécurité : « Ce n’est pas à moi que cela arriverait ! » Sans doute, il paraît difficile de descendre tout à fait une telle pente. Mais je me suis plus d’une fois aperçu que ceux-là même qui se croyaient les plus supérieurs avaient certaines faiblesses assez curieuses, dînaient mal, par exemple, si l’on se trouvait treize à table, touchaient du métal s’ils apprenaient un malheur, craignaient de tomber malades s’ils cassaient un miroir, frémissaient devant une salière renversée ou deux couteaux placés en croix, etc., etc. Des citoyens très sérieux m’affirmaient hier que les phases de la lune influencent les œufs, les femmes, le vin en bouteilles, la pousse des cheveux et la coupe des arbres. Ne soyons pas trop fiers !

Combien de personnes hésitent encore à se mettre en route un vendredi ou un 13 ? Consultez les recettes des chemins de fer, des tramways et des omnibus, et vous serez stupéfaits des différences. Visitez Paris et amusez-vous à vérifier les numéros 13 des avenues, des boulevards et des rues, vous verrez de vos yeux combien il en manque, remplacés par 11 bis ! Cela nous rappelle l’origine des années bissextiles, les Romains ayant doublé un jour, l’ayant intercalé subrepticement à la fin de février, sans le nommer, pour que les dieux ne le voient pas. Et n’avez-vous jamais rencontré de personnes qui consultent quelquefois les somnambules « extra-lucides » de la foire aux jambons ?

Nos ancêtres, du temps de l’âge de la pierre et du bronze, tremblant devant toutes les forces de la nature qu’ils avaient à combattre, ont divinisé ces forces et peuplé les champs, les bois, les fontaines, les vallées, les grottes, les chaumières, d’êtres imaginaires dont le souvenir n’a pas entièrement disparu et dont les générations actuelles gardent encore l’héritage. Les superstitions populaires sont partout répandues et les préjugés les plus bizarres sont encore associés aux actions d’une partie de l’humanité.

Il y a des personnes qui continuent de croire, comme au temps des Romains, que l’on peut conjurer les orages et les tempêtes. Il y avait, à ce propos, vers 1870, dans un village des environs d’Issoire (Puy-de-Dôme), un prêtre qui avait la réputation de garantir sa paroisse et d’envoyer le vent et la grêle sur les contrées voisines. On le voyait même, à une fenêtre du clocher, faire des conjurations. A sa mort, il fut remplacé par un curé qui eut la malchance d’assister à un violent ouragan peu après son entrée en fonctions. Les paysans étaient allés le prier de les garantir, mais il n’y avait pas réussi, et, à partir de ce moment, l’épithète de grêleroux lui fut donnée, et la population le prit si fortement en grippe que l’évêque fut obligé de le changer.

Un ancien marin, habitant Toulon, avait la réputation, vers 1885, de faire survenir un orage juste le jour où l’on allait en pèlerinage à Notre-Dame-du-Mai, sur la montagne de Sicié. On y croyait si sincèrement qu’on lui cachait, avec le plus grand soin tous les projets.

Nous pourrions citer d’autres exemples analogues. Le patron du Vieux-Beausset, près Toulon, saint Eutrope, passe pour avoir la faculté d’amener la pluie, quand il le veut. Il y a quelques années, un jour de mai, le gardien de l’ermitage où se trouve la vieille statue du saint, la descendit de son socle, la plaça sur la porte, et se mit à la rouer de coups. Un passant, étonné d’un pareil traitement, lui en demanda la raison : « Oh ! moun bouan moussu, répliqua le sacristain, si lou menavi pas ensin, n’en pourriou ren faïre ! » (Oh ! mon bon monsieur, si je ne le traitais pas ainsi, je n’en pourrais rien faire !) Peu après, la pluie se mit à tomber, et les récoltes furent sauvées.

Le 13 juillet 1899, près d’Albertville (Savoie), le curé de Thénésol a béni une nouvelle croix, « la croix de la Belle-Étoile », rétablie en grande cérémonie, à une altitude de 1836 mètres, à la place de l’ancienne, brûlée par les habitants de la commune de Scythenex sous prétexte qu’elle préservait de la grêle, à leur préjudice, la commune voisine de Mercury-Gémilly. Trois cents personnes avaient fait, par un rude soleil, le pèlerinage de cette reconstitution.

M. Bérenger-Féraud rapporte, dans son intéressant recueil, Superstitions et survivances, qu’en certains endroits de la Provence les bonnes femmes ont une recette infaillible pour guérir les enfants de la coqueluche : c’est de faire passer sept fois de suite l’enfant sous le ventre d’un âne, en allant de droite à gauche, et surtout jamais de gauche à droite. Il y a des ânes plus ou moins renommés pour leur vertu curative. On en connaissait un excellent au village du Luc, il y a quelques années, et sa réputation était si grande qu’on lui amenait les enfants de Draguignan et même de Cannes, c’est-à-dire de plus de soixante kilomètres.

Le même auteur raconte qu’étant allé, en 1887, dans une maison religieuse d’une certaine grande ville de Provence, un de ses amis remarqua que la statue de saint Joseph, qui ornait le parloir de la communauté, avait la face tournée contre le mur. Il crut d’abord à l’inadvertance de quelque domestique ; mais, s’étant informé, il apprit que le saint avait été mis en pénitence pour ne pas avoir exaucé les prières qu’on lui avait adressées. L’enquête fut poussée un peu plus loin et fit savoir qu’on lui avait demandé d’inspirer à un voisin très pieux l’idée de léguer par testament à la communauté un morceau de terrain dont elle avait besoin. On a même fait savoir à ce voisin très pieux que « si saint Joseph continue à rester sourd aux prières, on le descendra à la cave, et même qu’on le fustigera ». L’auteur ajoute : « Je n’en voulais pas croire mes oreilles, et, cependant, il a bien fallu me rendre à l’évidence, devant les affirmations de plus de vingt personnes qui avaient eu connaissance de cette punition. Bien plus, j’ai appris que dans certaines villes des Bouches-du-Rhône, du Lyonnais, qu’à Paris même, cette pratique est en usage dans la communauté dont je parle. Ces indications précises ne permettent pas de mettre en doute la punition du saint, quelque stupéfiante qu’elle paraisse. »

À Toulon, vers 1850, une femme, ayant un enfant malade, invoqua un superbe christ en ivoire qu’elle possédait et pour lequel elle avait une dévotion toute particulière. Ce christ provenait, sans doute, du pillage d’une maison noble en 1795, car il était d’une grande valeur artistique. Or, l’enfant mourut, malgré les prières, les neuvaines et les cierges brûlés. Dans un mouvement de désespoir, la femme saisit le crucifix et lui dit : « Coquin ! c’est ainsi que tu as répondu à mes prières. Eh bien ! tiens ! »

Puis, joignant le geste à la parole, elle le jeta par la fenêtre.

Saint-Simon raconte, dans ses Mémoires, que, pendant le siège de Namur, en 1692, la pluie s’étant mise à tomber à verse le jour de la Saint-Médard, les soldats, furieux de cet événement qui leur présageait encore quarante jours de pluie, se mirent en colère contre le saint et brisèrent avec rage toutes les images qui tombèrent sous leurs mains.

On prend quelquefois les choses plus gaîment, lors même qu’une neuvaine — ou même deux — n’amène pas la cessation des pluies. Au temps où, à Paris, la châsse de sainte Geneviève avait une influence, on la transportait en procession de Saint-Etienne-du-Mont à Notre-Dame. Un jour, la procession était à peine en route que la pluie se mit à tomber. « La sainte se trompe, dit à son voisin l’évêque de Castres : elle s’imagine qu’on lui demande de la pluie. »

Le baron d’Hausser rapporte, dans son Voyage en Italie, la conversation suivante entendue par lui à Naples :

« Comment va votre enfant ?

— Il a toujours la fièvre.

— Il faut faire brûler un cierge à sainte Gertrude.

— Ça n’a pas réussi.

— À quelle chapelle êtes-vous allée ?

— Rue de Tolède.

— Ah ! ma pauvre femme ! Cette sainte Gertrude est la plus mauvaise de tout Naples. On n’obtient rien d’elle. Allez donc dans l’église de la place des Carmes, vous verrez que cette sainte Gertrude-là est bien plus compatissante pour les pauvres gens. »

Dans cette même ville de Naples, ceux qui ont assisté au miracle annuel de la liquéfaction du sang de saint Janvier savent combien les spectateurs, les fidèles sont nerveux, impatients, lorsqu’il tarde à se produire. En 1872, j’ai failli me faire un mauvais parti en regardant de trop près le fameux reliquaire exposé à l’adoration de la foule. — Tout le monde connaît l’histoire du général Championnet, en 1799, (arrivée sans doute non point à lui-même, mais à l’un de ses lieutenants).

Il y a quelques années, visitant la crypte de la Vierge noire, à Chartres, j’engageai un instant la conversation avec une paysanne au sortir de l’église. « Oh ! monsieur, me dit-elle, elle n’est pas aussi grande dame que Notre-Dame-des-Victoires de Paris, et elle nous entend bien mieux. » Cette opinion me rappelait celle de Louis XI, enlevant de son chapeau la statuette de Notre-Dame d’Embrun pour la remplacer par celle de Notre-Dame de Cléri, et lui adressant ensuite avec une tout autre confiance sa royale prière.

Sans contredit, les superstitions populaires sont si répandues, qu’on en rencontre partout. Je traversais récemment un vieux village du moyen âge, perché comme un nid d’aigle sur une montagne escarpée du département des Alpes-Maritimes, et, comme je visitais l’église, le médecin du pays, savant archéologue, qui m’accompagnait, me fit remarquer un tronc dans lequel les fidèles jettent de petits billets, accompagnés d’une offrande, à l’adresse de saint Antoine de Padoue, pour retrouver les objets perdus. La réponse arrive assez souvent, sur le même billet, dans une petite niche voisine.

La crédulité revêt toutes les formes. Celle des usages et des coutumes plus ou moins bizarres relatifs au mariage n’est pas la moins étonnante, et il ne sera pas sans intérêt d’en rappeler quelques exemples.

Dans le village de Bauduen, en Provence, il y a un rocher formant plan incliné. Le jour de la fête patronale, les jeunes filles désireuses de se marier viennent, depuis un temps immémorial, glisser sur ce rocher, ce qui l’a rendu poli comme du marbre.

Au village de Saint-Ours, dans les Basses-Alpes, on voit aussi une pierre sur laquelle les jeunes filles vont glisser pour trouver un mari et les jeunes femmes pour devenir mères.

À Loches, les femmes sans enfants vont glisser sur une « meule de Saint-Ours » comme celles de Bauduen et des Basses-Alpes. Cette croyance ne date pas d’aujourd’hui, car on la trouve déjà dans la Grèce ancienne. Elle est en grande faveur en Tunisie.

Le pèlerinage de la Sainte-Baume, entre Marseille et Toulon, passe, depuis plus de mille ans, pour assurer le mariage et la progéniture, et est l’objet d’un culte très convaincu de la part des paysannes de Provence.

En un grand nombre de points de la France, les jeunes filles pressées de se marier vont jeter des feuilles de saule ou des épingles de bois dans les fontaines. Si la feuille suit directement le courant, ou si l’épingle surnage, la demoiselle sera demandée par un épouseur avant la fin de l’année.

Près de Guérande, en Bretagne, les jeunes filles vont placer dans les fentes d’un dolmen des morceaux de laine de couleur rose, pour se marier dans l’année.

À Saint-Junien-les-Courbes, dans la Haute-Vienne, elles évoquent saint Eutrope et suspendent à une croix la jarretière de leur jambe gauche.

Au bourg d’Oisans, dans l’Isère, elles se rendent au mois de juin à la chapelle de la montagne de Brandes, près de laquelle se trouve une pierre verticale en forme de cône, contre laquelle elles se mettent à genoux en la touchant dévotement de leurs jambes.

À Laval, dans l’église d’Avesnières, il y a une grande statue de saint Christophe, dans les jambes de laquelle les filles et les garçons qui souhaitent se marier dans l’année vont planter des épingles.

Près de Perros (Côtes-du-Nord), dans la chapelle de Saint-Guiriez, les filles vont en pèlerinage pour se marier et plantent des épingles dans le nez du saint pour se le rendre particulièrement favorable.

Dans la vallée du Lunain (Seine-et-Marne), il y a un menhir appelé Pierre frite, où les jeunes gens décidés au mariage vont planter des clous ou des épingles.

Près de Troyes, les jeunes filles qui veulent se marier vont jeter une épingle sur un tertre appelé la Croix de Beigne.

Aux environs de Verdun, les femmes qui désirent des enfants vont s’asseoir sur un rocher, où se voit l’empreinte d’une femme qui se serait assise sur un bloc plastique, et qui s’appelle dans le pays la chaise de Sainte-Lucie. Elles croient que cet acte est favorable à leur désir, et il paraît qu’Anne d’Autriche s’y est assise avant la naissance de Louis XIV. Il en est de même à Sampiques (Meuse).

Dans les Ardennes, c’est la protection de sainte Philomène qui est la plus efficace pour empêcher les filles de coiffer sainte Catherine.

À Bourges, on voyait, il n’y a pas longtemps encore, dans la rue Chevrière du faubourg du Château, une statue du bon saint Greluchon, placée dans le mur d’une maison, et que les femmes désireuses de maternité allaient racler pour en faire un breuvage fécondant. À Poligny, dans le Jura, les jeunes femmes vont, dans le même but, embrasser une pierre levée qui est, dit la légende, la pétrification d’un géant ayant voulu violenter une jeune fille.

À Dourgues, dans le Tarn, près de la chapelle de Saint-Ferréol, on voit des rochers percés dans lesquels les paralytiques et les boiteux vont passer pour se guérir. Dans le caveau de l’église de Kimperlé, il y a une pierre verticale percée d’un trou, dans lequel passent ceux qui ont mal à la tête. Dans la lande de Saint-Siméon, dans l’Orne, les malades traversent un dolmen qui passe pour avoir la vertu de guérir un grand nombre de maladies10.

M. Martinet a trouvé près de cinquante fontaines dont les propriétés extraordinaires semblent remonter aux temps les plus reculés. Il a recueilli avec soin les légendes de la Bretagne et du Berry, que l’on récite encore dans les contes de la veillée. C’est le pays des Meneux-de-Loups, des Loups-Garous, des Sorts. Certaines régions, entre autres, y sont l’objet des terreurs les plus superstitieuses ; leurs forêts sont peuplées de Laveuses-de-Nuit, leurs marais de Feux Follets. Dès la tombée de la nuit, les profondeurs mystérieuses des bois se remplissent de bruits sinistres ; de lugubres fantômes se glissent le long des arbres, secoués par des forces invisibles. Malheur à celui qui s’engagerait dans ces sombres retraites ! Il n’en reviendrait jamais.

Les villages et les chaumières d’une partie du Bas-Berry admettent toujours l’existence de géants qui, autrefois, ont habité le pays, et qui ont formé les éminences naturelles ou artificielles si nombreuses dans cette région. Ces géants sont personnifiés par Gargantua, dont la légende, toujours populaire, non seulement dans la partie de l’Indre confinant à la Creuse, mais dans tout l’ouest de la France, est bien antérieure au héros de Rabelais. Rabelais, selon toute probabilité, a emprunté ce mythe aux croyances de la Saintonge, du Poitou et du Bas-Berry, qu’il a habités pendant quelque temps.

Le souvenir des fées est encore vivace dans une foule de localités du Berry ; ce sont elles qui, presque partout, ont édifié les dolmens et les menhirs qu’elles portaient, malgré leur pesanteur énorme, dans leurs tabliers de gaze. On les connaît généralement sous le nom de Fades, Fadées, Martes, Marses ; dans quelques régions, pourtant, on les nomme Dames, Demoiselles, comme dans le Midi. On les voit errer la nuit et accomplir leurs rites mystérieux dans chaque grotte, sur chaque rocher, autour de nombreux dolmens et menhirs semés dans la contrée qui avoisine les bords pittoresques et sauvages de la Creuse, de la Bouzanne, de l’Anglin et du Portefeuille.

Les Martes sont de grandes femmes hideuses, maigres, à peine vêtues, aux cheveux longs, noirs et raides. Du haut de la table d’un dolmen, ou du faîte d’un menhir, elles appellent parfois, à la tombée de la nuit, les bergers et les laboureurs, et si ceux-ci ne se hâtent pas de répondre à leurs avances, elles les poursuivent. Malheur à celui qui ne fuit pas assez précipitamment, et qu’elles contraignent à subir leurs baisers impudiques.

Les Fades sont bien plus douces et bien moins turbulentes que les Martes ; elles consacrent généralement leur temps aux troupeaux. Ce sont elles qui sont chargées de veiller sur les nombreux trésors enfouis dans de merveilleux souterrains, dont l’entrée est fermée par les énormes pierres des menhirs et des dolmens. Pourtant leur pouvoir expire chaque année, le dimanche des Rameaux.

À Vertolaye, en Auvergne, on voit une pierre branlante à laquelle les mères portent leurs enfants afin qu’ils soient solides comme la pierre et conservent toujours l’usage de leurs membres.

Près de Saint-Valery-en-Caux, sur la falaise, on aperçoit les ruines de l’ancienne chapelle Saint-Léger, dont il ne subsiste plus guère que le clocher carré. On y porte les enfants tardifs et on leur fait faire cinq fois le tour des ruines, afin qu’ils aient le pas léger.

Saint Hubert protège les chasseurs, saint Roch guérit de la rage, saint Corneille sauve les bestiaux, saint Cloud guérit les clous, saint Aignan la teigne, etc.

Ces croyances sont très anciennes : Pausanias raconte qu’il y avait à Hyette, en Béotie, un temple d’Hercule avec une pierre brute qui guérissait les malades ; à Alpenus, une pierre consacrée à Neptune avait la même propriété, etc.

J’ai assisté quelquefois, dans les environs de Paris même, à Morsang-sur-Orge, non loin de Juvisy, à la fête du solstice d’été, au feu de la Saint-Jean, autrefois païenne, aujourd’hui christianisée, mais toujours empreinte de la superstitieuse crédulité antique. Le Soleil, dieu de la vie, vient de se coucher dans l’occident lumineux, le crépuscule s’étend sur la nature ; sur la place de l’église, un bûcher a été préparé, un beau sapin extrait de la forêt voisine ; un prêtre sort de l’église avec les enfants de chœur et les chantres, et vient bénir le bûcher ; on y met le feu, et la flamme éclatante pétille ; tout le village est là ; les garçons et les filles approchent, attendent le brasier final ; les filles doivent sauter sans se brûler, et la plus audacieuse est la plus remarquée : elle se mariera sûrement avant la fin de l’année. Puis les tisons doivent être emportés avant d’être consumés : ils préserveront les demeures, comme le buis bénit des Rameaux, contre l’incendie et la foudre. Beaucoup ajoutent encore aujourd’hui la plus naïve confiance en cet usage traditionnel, qui remonte aux Gallo-Romains d’il y a quinze ou dix-huit siècles, et sans doute beaucoup plus haut. Les feux de la Saint-Jean subsistent encore de nos jours, du reste, sur la plus grande partie de la France — j’allais écrire de la Gaule.

Qui ne connaît aussi les crêpes de la Chandeleur ? Elles portent bonheur à l’agriculture, au commerce, à toutes les entreprises ; il faut en faire ce jour-là (2 février), et surtout ne pas les manquer. Napoléon, avant de partir pour la Russie, faisait des crêpes et disait en riant : « Si je retourne celle-ci, je gagnerai la première bataille ! et celle-là, la seconde ! » Il en retourna une, deux, trois, mais la quatrième retomba dans le feu, — présageant, dit un historien, l’incendie de Moscou.

En Berry, à la Châtelette, saint Guignolet rend les femmes fécondes ; à Bourges, c’est saint Greluchon ; au Bourg Dieu, c’est saint Guerlichon ; à Vendres, dans l’Allier, c’est saint Phoutin ; à Sampigny, dans la Meuse, c’est saint Foutin ; à Auxerre, c’est saint Faustin, etc. Malgré la surveillance des curés, les femmes grattaient certaine partie du corps de ces saints et buvaient cette poussière dans un verre d’eau.

À Gargilesse, dans la Creuse, le curé ayant fait disparaître de l’église saint Greluchon, les femmes dont le rêve est d’être mère vont maintenant gratter une statue en marbre de la tombe de Guillaume de Naillac, qui, paraît-il, est déjà fortement usée.

À Rocamadour, dans le Rouergue, les femmes qui ne sont pas satisfaites de leur mari vont baiser et faire jouer le verrou de la porte de l’église, ou bien toucher une barre de fer qu’on appelle le braquemart de Roland.

À Anvers, les femmes invoquent contre la stérilité le « saint prépuce de Jésus-Christ » qui leur a été envoyé tout exprès dans ce but, de Jérusalem, par Godefroy de Bouillon, marquis d’Anvers11, dans l’espérance de leur faire oublier leur ancien culte païen pour « le Ters », objet de piété connu sous un autre nom par les dames romaines. Il y a une confrérie spéciale pour ce souvenir de la circoncision, fête qui fort illogiquement, ouvre d’ailleurs nos calendriers chrétiens12 !

On croit encore, en bien des provinces, à divers genres de sorciers. En Provence, par exemple, on croit aux noueurs d’aiguillettes, qui empêchent la consommation du mariage, comme on croit en Italie au mauvais œil, comme on croit en Alsace aux loups-garous. Mais on croit aussi aux moyens d’annuler les sorts. À Toulon, notamment, les couturières mettent, encore aujourd’hui, du sel dans l’ourlet des robes de noce, le sel ayant la propriété d’assurer le parfait bonheur des nouveaux mariés.

À Paris, comme à Rome au temps de Tibère, on n’a pas cessé de consulter les tireurs d’horoscopes qui prédisent l’avenir par les règles astrologiques de la position des étoiles et des planètes le jour de la naissance. Il y a encore des astrologues ! Or, comment peut-on croire à la valeur d’un horoscope, lorsqu’on sait qu’il naît en moyenne un enfant par seconde sur l’ensemble du globe, soit une soixantaine par minute ou environ 3600 par heure, ou 86 400 par jour, que si les étoiles et les planètes avaient une influence réelle sur les destinées, dix enfants nés au même moment devraient avoir le même avenir : une reine et une fille de ferme qui deviennent mères en même temps devraient donner le jour à deux êtres régis par les mêmes lois, etc., etc.

La croyance aux amulettes, aux grigris, aux médailles, aux scapulaires, est aussi vivace chez les peuples civilisés que chez les sauvages, et en France qu’au Soudan et au Congo. Il suffit, pour en être édifié, de lire certains ouvrages, tels que les livres de Mgr de Ségur, de Dom Guéranger, ou de l’abbé de Saint-Paul sur la médaille de Saint-Benoît. On y voit, par exemple, que cette médaille de saint Benoît, approuvée par le pape Benoît XIV, guérit tout : les maux de dents, de gorge, de tête, purifie l’eau des puits, fait pousser les arbres, arrête les incendies, protège les chevaux, les vaches, les chats, les poules, les arbres, la vigne, les verres de lampe, etc., etc. Je n’invente rien. Voici quelques citations :

« Une vache toussait d’une manière violente, écrit Dom Guéronger (Croix de Saint-Benoît, p. 72), ne mangeait point et ne donnait plus de lait. Le visiteur traça sur le front de l’animal le signe de la croix, en employant la formule inscrite sur la médaille ; il recommanda de plonger celle-ci dans un peu d’eau et de son, que l’on ferait boire tous les jours à la vache (bonne précaution) jusqu’à parfaite guérison, et suspendit une médaille dans l’étable. Quelques semaines plus tard, il eut la satisfaction d’apprendre que la vache était complètement rétablie. »

La même médaille agit sur les arbres. « Je coupai toutes les grosses branches et ne laissai que le tronc, écrit-on à l’auteur de l’ouvrage Origine et effets admirables de la croix de Saint-Benoît, l’abbé de Saint-Paul. Le trait de scie m’ayant démontré que les branches étaient réellement mortes, je plaçai immédiatement sous l’écorce une médaille de Saint-Benoît, en priant le grand saint de faire revivre ce bel arbre qui faisait l’admiration de la contrée. Au printemps, il a repris son luxuriant feuillage. »

Pendant la Commune, « des médailles glissées dans la barricade de la rue de Rivoli ont préservé le ministère de la marine ainsi que le dépôt des cartes et plans13 ».

Qui ne se souvient aussi de l’histoire de la sainte larme de Vendôme, versée par Jésus-Christ sur la mort de Lazare, recueillie par un ange et conservée dans un coffret d’or ? Elle a été pendant des siècles à Vendôme la source de nombreux miracles et de grands revenus. Et les cheveux de la Vierge Marie que l’on nous montre à Naples ! Et la robe sans couture de Jésus offerte à la vénération des crédules à l’église d’Argenteuil et à Trèves, etc., etc. ?

La crédulité est partout. Voyez, dans les églises, les cierges que l’on fait brûler devant les images et les statues des saints pour obtenir du ciel la guérison d’un malade, la réussite d’une affaire, le succès d’un examen, etc. Ces cierges qui en brûlant représentent des prières s’élevant vers le ciel ne rappellent-ils pas les moulins à prières que les Thibétains font tourner, en s’imaginant attirer les bénédictions divines ?

Tout le monde connaît l’histoire de Notre-Dame-de-Lorette, de la maison de la Vierge Marie, « Santa Casa » qui aurait fait un voyage aérien de Nazareth à Lorette, en l’an 1291, en s’arrêtant en Dalmatie. L’église qui la renferme a été terminée par Bramante, sous le pontificat de Jules II, en 1515. La Santa Casa, bâtie en briques, mesure 10 m. 60 de longueur, 4 m. 36 de largeur et 6 m. 21 de hauteur. Naguère encore, il n’eût pas été de bon goût de douter de l’authenticité de cette maison et de son transport miraculeux à travers les airs.

Aujourd’hui, Notre-Dame-de-Lorette est remplacée par Notre-Dame-de-Lourdes. Les administrateurs de cette exploitation en règle ne se donnent même pas la peine de masquer le mépris qu’ils professent pour la crédulité des fidèles. Il suffit de lire, pour en juger, l’inscription qu’ils ont gravée en lettres d’or sur une plaque de marbre, où l’on fait dire à la MÈRE DE DIEU, s’adressant à la petite Bernadette : « Faites-moi la grâce de revenir ici ! », ou encore : « Je désire qu’il vienne du monde », ou encore : « Allez vous laver dans cette eau et mangez de cette herbe ».

Il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui nient imperturbablement les questions dont nous nous occupons ici et qui acceptent carrément les absurdités les plus colossales, par exemple, l’anecdote du déluge universel racontée dans la Bible, dans laquelle il est écrit que, « les bondes du réservoir des eaux supérieures ayant été ouvertes », l’eau coula du ciel en cataracte pendant quarante jours et quarante nuits, s’éleva sur toute la terre de quinze coudées au-dessus des plus hautes montagnes, et porta pendant cent cinquante jours l’arche dans laquelle Noé avait fait entrer un mâle et une femelle de toutes les espèces d’animaux existant sur le globe. Aucun conte des Mille et une Nuits n’atteint à la première cheville de cette arche ; mais la crédulité religieuse est si aveugle qu’elle l’accepte sans commentaire, comme elle affirme le miracle de Josué arrêtant le Soleil !

Et dans les sujets dont nous avons à nous entretenir ici, dans les récits d’apparitions, de manifestations, de rêves prémonitoires, de pressentiments, d’expériences d’hypnotisme et de spiritisme, quelle libre carrière ne s’est pas donnée la crédulité ? J’ai connu un officier de grande valeur qui ne doutait pas un seul instant de l’identité des noms donnés par sa table, et qui s’entretenait avec Leibniz et Spinosa tous les dimanches après déjeuner. J’en ai connu un autre qui faisait de la philosophie sociale avec Jean Valjean, sans avoir jamais songé à l’origine purement romanesque de cet être imaginaire. Une grande et noble dame, d’un âge déjà mûr, fort intelligente, qui avait jadis connu très intimement lord Byron, l’évoquait tous les samedis soir pour le consulter sur ses placements financiers. Un docteur en médecine de la Faculté de Paris avait choisi pour amis de l’autre monde le Dante et Béatrix, qui venaient régulièrement causer avec lui, mais « pas ensemble », disait-il, car « il leur est défendu de se rapprocher ». Une dévote du spiritisme était gravement occupée à faire des mariages posthumes dans l’autre monde. Un médium extravagant, qui avait eu douze enfants et en avait perdu sept, demandait à ceux-ci tous les mois leur état de santé et leurs occupations, qu’il inscrivait régulièrement. Un autre appelait « l’âme de la Terre », qui lui répondait et qui dirigeait toutes ses pensées. Etc., etc.

Le spiritisme a été employé, comme la religion, à bien des usages n’ayant qu’un vague rapport avec lui. Il a servi à faire des mariages, sérieux ou passagers, à exploiter des caractères faibles, à capter des testaments. J’ai connu une femme, aimable d’ailleurs, qui est devenue marquise et fort riche en faisant dire par une table à celui dont elle convoitait le nom que sa première femme la désignait elle-même pour lui succéder. J’ai connu une veuve dont l’enfant qui venait de naître a été annoncé et accepté comme la réincarnation d’un enfant tendrement aimé et le lien providentiel tout indiqué pour un nouveau mariage. J’en connais une aussi qui, sous prétexte de spiritisme, vend des anneaux cabalistiques par lesquels elle guérit toutes les maladies. Etc., etc.

Une bonne histoire aussi, c’est celle du Diable au dix-neuvième siècle, de la franc-maçonnerie luciférienne et de Diana Vaughan, qui mystifia une partie notable du clergé français, plusieurs évêques, deux cardinaux et le pape Léon XIII lui-même, quoiqu’elle eût été forgée de toutes pièces par Léo Taxil, comme il l’a cyniquement avoué en 1897. Les apparitions de diables et de diablesses dans des cérémonies impies et obscènes avaient été prises au sérieux par de graves théologiens.

On peut avouer, du reste, que la crédulité politique est encore plus extravagante que la crédulité religieuse. Quand on songe qu’à l’heure actuelle les Français, les Allemands, les Russes, les Anglais, les Italiens, les Autrichiens, etc., etc., croient encore qu’ils doivent être soldats et habiter des casernes nauséabondes en faisant des exercices grotesques, et que tous les citoyens de l’Europe dépensent, pour la gloire de prétendues frontières tracées sur le papier, 16 millions par jour employés à empêcher les hommes de rester chez eux, chacun à son métier et à ses devoirs, on sent vraiment que l’âge de raison n’a pas encore sonné pour notre pauvre petite planète, et que la servitude volontaire fait partie du patrimoine de l’humanité.

Oui, notre espèce est très imparfaite, et la crédulité humaine nous offre des sujets aussi dignes d’attention que l’incrédulité de parti pris. Qu’il est donc difficile de se tenir dans le juste milieu et de suivre tranquillement les préceptes de la raison !

Oui, la crédulité existe toujours, en perpétuelle balance avec l’incrédulité. Défions-nous de l’une comme de l’autre. Les augures ne sont pas morts, le progrès n’a ni tué les aruspices, ni aboli les présages, et l’espèce humaine n’avance pas vite en intelligence. J’ajouterai toutefois, avec Humboldt, qu’un présomptueux scepticisme, qui rejette les faits sans examen, est à certains égards plus blâmable qu’une crédulité irraisonnée.

Il serait facile de multiplier ces exemples. J’ai simplement voulu montrer, dans ce second chapitre, que nous devons nous tenir en garde contre la crédulité, au même titre que contre l’incrédulité. Ce sont là deux excès contraires, à égale distance desquels nous devons nous efforcer de nous maintenir, dans l’acceptation et dans l’examen des faits extraordinaires dont nous allons nous entretenir.

Ne nions rien ; n’affirmons rien : observons impartialement. C’est peut-être la position la plus difficile à tenir dans cet ordre de choses. Pour moi, je prie ceux qui seraient tentés de m’accuser soit de crédulité, soit d’incrédulité, de ne pas le faire à la légère, et de ne pas perdre de vue que je me tiens constamment sur mes gardes : JE CHERCHE.

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