Autres expériences d’Eusapia Paladino

Le médium dont nous venons d’exposer un certain nombre d’expériences a été l’objet d’une longue série d’observations par d’éminents et attentifs expérimentateurs. Ses facultés sont, en effet, exceptionnelles, et lorsqu’on étudie avec Eusapia, la comparaison avec les cas ordinaires fait songer à la différence qui distingue une excellente machine électrique, actionnée en de bonnes conditions atmosphériques, d’une mauvaise employée par un temps de pluie. On observe plus ainsi en une heure qu’en une multitude d’essais défectueux avec d’autres médiums.

Notre étude de ces forces inconnues avancera rapidement si, au lieu de nous borner aux résultats obtenus en un ou deux groupes, comme ceux qui précèdent, nous examinons l’ensemble des observations faites avec ce médium. On les comparera aux précédentes ; on jugera, on appréciera.

Les documents qui vont suivre sont empruntés surtout aux Annales des sciences psychiques et au précieux recueil de M. Albert de Rochas sur l’Extériorisation de la Motricité.

Quelques mots d’abord sur les débuts d’Eusapia dans la carrière médiumnique.

Le professeur Chiaïa, de Naples, auquel je suis redevable moi-même d’avoir pu recevoir Eusapia chez moi pour les expériences rapportées plus haut, a le premier mis ses facultés en évidence. Il a d’abord publié, le 9 août 1888, dans un journal de Rome, la lettre suivante adressée au professeur Lombroso :

Monsieur,

Dans votre article : Influence de la civilisation sur le Génie, parmi d’incontestables beautés de style et de logique, j’ai vu une phrase très heureuse qui me semble la synthèse du mouvement scientifique (à partir du moment où l’homme inventa ce casse-tête nommé alphabet) jusqu’à notre époque. Cette phrase, la voici :

« Chaque siècle est prématuré pour les découvertes qu’il ne voit pas naître, parce qu’il ne s’aperçoit pas de sa propre incapacité et des moyens qui lui manquent pour faire les autres découvertes. La répétition d’une même manifestation, en s’imprimant sur les cerveaux, prépare les esprits et les rend de moins en moins incapables de découvrir les lois auxquelles cette manifestation est soumise. Quinze ou vingt ans suffisent pour faire admirer par tout le monde une découverte traitée de folie au moment où elle fut faite ; maintenant encore, les sociétés académiques rient de l’hypnotisme et de l’homéopathie : qui sait si mes amis et moi, qui rions du spiritisme, nous ne sommes pas dans l’erreur, précisément comme le sont les hypnotisés ? Grâce à l’illusion qui nous entoure, nous sommes peut-être incapables de reconnaître que nous nous trompons ; et comme beaucoup d’aliénés, nous plaçant à l’opposé du vrai, nous rions de ceux qui ne sont pas avec nous. »

Frappé de cette phrase si spirituelle et que je trouve par hasard appropriée à un certain fait dont je m’occupe depuis quelque temps, je la recueille avec joie, sans retard, sans commentaire qui en change le sens ; et, me conformant aux règles d’une parfaite chevalerie, je m’en sers comme d’une provocation.

Les conséquences de ce défi ne seront ni dangereuses, ni sanglantes ; nous combattrons loyalement, et, quels que puissent être les résultats de la rencontre, que je succombe ou que je fasse fléchir la partie adverse, ce sera toujours d’une manière bienveillante ; l’issue amènera l’amendement d’un des deux adversaires, et sera, de toute façon, utile à la grande cause de la vérité.

On parle beaucoup maintenant d’une maladie particulière que l’on rencontre dans l’organisme humain ; on la constate tous les jours, mais on en ignore la cause et l’on ne sait quel nom lui donner.

À son sujet, on réclame instamment l’examen de la science contemporaine ; mais celle-ci, pour toute réponse, s’en moque avec le rire ironique de Pyrrhon, précisément parce que, comme on l’a dit, le siècle n’est pas prêt.

Mais l’auteur de la phrase que j’ai citée plus haut ne l’a certainement pas écrite pour le seul plaisir de l’écrire ; il me semble, au contraire, qu’il ne sourira pas dédaigneusement si on l’invite à observer un cas particulier, digne d’attirer l’attention et d’occuper sérieusement l’esprit d’un Lombroso.

Je veux parler ici d’une malade qui appartient à la classe la plus humble de la société ; elle âgée de trente ans à peu près, et elle est très ignorante ; son regard n’est ni fascinateur, ni doué de cette force que les criminalistes modernes nomment irrésistible, mais elle peut, par des phénomènes surprenants, divertir pendant une heure un groupe de curieux.

Attachée sur un siège ou tenue fortement par les mains des curieux, elle attire les meubles qui l’entourent, les soulève, les tient élevés en l’air comme le cercueil de Mahomet, et les fait redescendre avec des mouvements ondulatoires, comme s’ils obéissaient à une volonté étrangère ; elle augmente leur poids ou les rend plus légers, selon son bon plaisir ; elle frappe, martèle les murs, le plafond, le plancher avec rythme et cadence, en répondant aux demandes des assistants ; des lueurs semblables à celles de l’électricité jaillissent de son corps, l’enveloppent ou entourent les assistants de ces scènes merveilleuses : elle dessine tout ce qu’on veut sur les cartes qu’on lui présente, chiffres, signatures, nombres, phrases, en étendant seulement la main vers l’endroit indiqué ; si l’on place dans un coin de la chambre un vase avec une couche d’argile molle, on trouve, après quelques instants, l’empreinte d’une petite ou d’une grande main, l’empreinte d’un visage, vu de face ou de profil, de laquelle on peut ensuite tirer un masque en plâtre ; on a conservé de cette façon les portraits d’un visage vu en différentes situations, et ceux qui le désirent peuvent ainsi faire de sérieuses et importantes études 22 #id_origin22.


Pl. VII. — Empreintes produites par un soi-disant Esprit.

Cette femme s’élève en l’air, quels que soient les liens qui la retiennent ; elle reste ainsi, paraissant couchée dans le vide, contrairement à toutes les lois de la gravité ; elle fait résonner les instruments de musique : orgues, cloches, tambours, comme s’ils étaient touchés par des mains ou agités par le souffle de gnomes invisibles.

Vous nommerez cela un cas particulier d’hypnotisme ; vous direz que cette malade est un fakir en jupon, que vous l’enfermeriez dans un hôpital... Je vous en prie, éminent professeur, ne déplacez pas la question. L’hypnotisme, on le sait, ne cause que l’illusion d’un moment ; après la séance tout reprend sa forme primitive. Mais ici le cas est différent ; pendant les jours qui suivent ces scènes merveilleuses, il reste des traces, des documents dignes de considération.

Que pensez-vous de cela ?

Mais permettez-moi de continuer. Cette femme, en certaines occasions, peut grandir de plus de dix centimètres ; elle est comme une poupée de gutta-percha, comme un automate d’un nouveau genre ; elle prend des formes bizarres ; combien de jambes et de bras a-t-elle ? nous n’en savons rien.

Tandis que ses membres sont retenus par les assistants les plus incrédules, nous en voyons paraître d’autres, sans savoir d’où ils sortent. Les chaussures sont trop petites pour renfermer ses pieds ensorcelés, et cette circonstance particulière laisse soupçonner l’intervention d’un pouvoir mystérieux.

Ne riez pas quand je dis : laisse soupçonner. Je n’affirme rien ; vous aurez le temps de rire tout à l’heure.

Quand cette femme est liée, on voit paraître un troisième bras, et nul ne sait d’où il vient ; il commence une longue suite de taquineries plaisantes, il ôte les bonnets, les montres, l’argent, les bagues, les épingles, et les rapporte avec une grande adresse, une joyeuse familiarité ; il prend les habits, les gilets, tire les bottes, brosse les chapeaux et les remet à ceux auxquels ils appartiennent, frise et caresse les moustaches, et donne, à l’occasion, quelques coups de poing, parce qu’il a aussi ses mouvements de mauvaise humeur.

C’est toujours une main grossière et calleuse (on a remarqué que celle de la sorcière est petite) ; elle a de grands ongles ; elle est humide et passe de la chaleur naturelle au froid glacial du cadavre qui fait frissonner ; elle se laisse prendre, serrer, observer, et finit par s’élever, restant suspendue en l’air comme si le poignet était coupé ; elle ressemble ainsi à ces mains de bois qui servent d’enseigne aux boutiques des marchands de gants.

Je vous jure que je sors avec un esprit fort calme de l’antre de Circé ; délivré de ses enchantements, je passe en revue toutes mes impressions et je finis par ne pas croire en moi-même, quoique le témoignage de mes sens me confirme que je n’ai pas été le jouet d’une erreur ou d’une illusion.

On ne peut attribuer à la prestidigitation toutes ces manœuvres extraordinaires. On doit être en garde contre toute supercherie, faire une perquisition scrupuleuse afin d’empêcher le mensonge ou la fraude. Mais les faits ne répondent pas toujours à l’attention inquiète des assistants ; et ceci est encore un mystère à expliquer, qui prouve que l’individu qui opère n’est pas le seul arbitre de ces merveilles. Sans doute, il possède l’exclusive faculté de ces actes prodigieux, mais ils ne peuvent se produire qu’avec le concours d’un agent ignoré, deus ex machina.

De tout cela résultent la grande difficulté d’étudier le fond de cette stupéfiante charlatanerie et la nécessité de faire une série d’expériences pour en rassembler un certain nombre capables d’éclairer les dupes et de vaincre l’opiniâtreté des querelleurs.

Or, voici ma provocation. Si vous n’avez pas écrit la phrase citée plus haut pour le seul plaisir de l’écrire, si vous avez véritablement l’amour de la Science, si vous êtes sans préjugés, vous, le premier aliéniste de l’Italie, ayez l’obligeance de venir sur le terrain, et soyez persuadé que vous allez vous mesurer avec un galant homme.

Quand vous pourrez prendre une semaine de congé, laissez vos chères études, et, au lieu d’aller à la campagne, désignez-moi un endroit où nous puissions nous rencontrer : choisissez le moment vous-même.

Vous aurez une chambre où vous entrerez seul avant l’expérience ; là, vous placerez les meubles et tous les objets comme vous voudrez ; vous fermerez la porte à clef. Je crois inutile de vous présenter la dame dans le costume adopté au paradis terrestre, parce que cette nouvelle Eve est incapable de prendre sa revanche sur le serpent et de séduire.

Quatre messieurs nous assisteront, comme il convient en toutes rencontres chevaleresques : vous en choisirez deux, et j’amènerai les deux autres.

Jamais de meilleures conditions n’ont pu être réunies par les Chevaliers de la Table ronde. Il est évident que si l’expérience ne réussit pas, je n’en saurai accuser que les rigueurs du destin ; vous me jugerez seulement comme un halluciné qui souhaite d’être guéri de ses extravagances. Mais si le succès couronne nos efforts, votre loyauté vous imposera le devoir d’écrire un article, dans lequel, sans circonlocutions, réticences, ni malentendu, vous attesterez la réalité des mystérieux phénomènes et promettrez d’en rechercher les causes.

Si vous refusez cette rencontre, expliquez-moi cette phrase : le siècle n’est pas prêt. Sans doute cela peut s’appliquer aux intelligences vulgaires, mais non à un Lombroso, auquel s’adresse ce conseil du Dante : Avec la vérité, l’honneur doit fermer les lèvres du mensonge.

Votre tout dévoué et respectueux,
Professeur CHIAÏA.

M. Lombroso n’accepta pas immédiatement cet éloquent et spirituel défi. Nous verrons cependant tout à l’heure le savant professeur en expérimentation. En attendant, voici ce que M. de Rochas nous apprend de la jeunesse d’Eusapia.

Les premières manifestations médiumniques coïncidèrent avec l’âge de la puberté, vers 13 ou 14 ans ; c’est là une concordance qui se retrouve dans presque tous les cas où l’on a observé la singulière propriété de la production des mouvements à distance.

À cette époque de sa vie, on remarqua que les séances spirites auxquelles on la conviait réussissaient beaucoup mieux quand elle s’asseyait à la table. Mais elles la fatiguaient et l’ennuyaient, et elle s’abstint d’y prendre part pendant huit ou neuf ans.

Ce n’est que dans sa 22e ou 23e année que commença la culture spirite d’Eusapia, dirigée par un spirite fervent, M. Damiani. C’est alors qu’apparut la personnalité de John King, qui s’empare d’elle quand elle est à l’état de transe 23 #id_origin23. Ce John King dit être le frère de Katie King de Crookes, et avoir été le père d’Eusapia dans une autre existence. C’est John qui parle quand Eusapia est en transe ; il parle d’elle en l’appelant « ma fille » et donne des conseils sur la manière dont il faut la soigner. M. Ochorowicz pense que ce John est une personnalité créée dans l’esprit d’Eusapia par la réunion d’un certain nombre d’impressions recueillies dans les différents milieux auxquels sa vie a été mêlée. Ce serait à peu près la même explication que pour les personnalités suggérées par les hypnotistes, et pour les variations de personnalité observées par MM. Azam, Bourru, Burot, etc.

On a cru remarquer qu’Eusapia se préparait, consciemment ou inconsciemment, à la séance, en ralentissant sa respiration, qui reste régulière ; en même temps, le pouls s’élève graduellement de 88 à 120 pulsations par minute et devient extrêmement vigoureux. Est-ce une pratique analogue à celle qu’emploient les fakirs de l’Inde, ou un simple effet de l’émotion, qu’éprouve, avant chaque séance, Eusapia — qui tient énormément à convaincre les assistants et n’est jamais sûre de la production des phénomènes ?

On n’endort pas Eusapia ; elle entre d’elle-même en transe quand elle fait partie de la chaîne des mains.

Elle commence à soupirer très profondément, puis elle éprouve des bâillements, elle a le hoquet. Le visage passe ensuite par une série d’expressions différentes. Tantôt il prend une expression démoniaque accompagnée d’un rire saccadé tout à fait semblable à celui que Gounod donne à Méphistophélès dans l’opéra de Faust et qui précède presque toujours un phénomène important. Tantôt il rougit ; les yeux deviennent brillants, mouillés et largement ouverts ; le sourire et les mouvements caractérisent l’extase érotique ; elle appelle « mio caro », s’appuie sur l’épaule de son voisin, et cherche des caresses quand elle le croit sympathique. C’est alors que se produisent les phénomènes dont la réussite lui cause des frissons agréables, même voluptueux. Pendant ce temps, les jambes et les bras sont dans un état de forte tension, presque de raideur, ou bien éprouvent des contractions convulsives, parfois une trépidation, qui s’étend au corps entier.

À ces états de suractivité nerveuse succède une période de dépression caractérisée par la pâleur presque cadavérique du visage, qui souvent se couvre de sueur, et l’inertie presque complète des membres ; si on soulève sa main, elle retombe par son propre poids.

Pendant la transe, les yeux sont convulsés en haut, on n’en voit que le blanc. La présence d’esprit et la conscience générale est diminuée ou même abolie : pas de réponse ou réponse retardée sur les questions. Aussi le souvenir de ce qui s’est produit pendant les séances n’existe-t-il chez Eusapia que pour les états très voisins de son état normal et, par conséquent, ils ne sont généralement relatifs qu’à des phénomènes de peu d’intensité.

Souvent, pour aider aux manifestations, elle demande qu’on lui donne de la force en mettant une personne de plus à la chaîne. Il lui est arrivé plusieurs fois, d’appeler un assistant sympathique, de lui prendre les doigts et de les presser comme pour en extraire quelque chose, puis de les repousser brusquement, disant qu’elle avait assez de force.

À mesure que la transe s’accentue, la sensibilité à la lumière s’accroît. Une lumière subite lui cause de la difficulté de respiration, des battements de cœur, la sensation de la boule hystérique, l’irritation générale des nerfs, le mal de tête et des yeux, le tremblement du corps entier et les convulsions, excepté quand elle demande la lumière elle-même (ce qui lui arrive souvent quand il y a des constatations intéressantes à faire au sujet des objets déplacés), car alors son attention est trop fortement portée ailleurs.

Elle remue constamment pendant la période active des séances : on pourrait attribuer ces mouvements aux crises d’hystérie qui alors la secouent ; mais ils paraissent nécessaires à la production des phénomènes. Toutes les fois qu’un mouvement doit se produire à distance, elle le simule, soit avec ses mains, soit avec ses pieds, et en développant une force bien plus considérable que celle qui serait nécessaire pour produire le mouvement au contact.

Voici ce qu’elle raconte elle-même de ses impressions quand elle veut produire un mouvement à distance : Tout d’abord, elle désire ardemment exécuter le phénomène ; puis elle éprouve l’engourdissement et la chair de poule dans les doigts ; ces sensations croissent toujours ; et en même temps, elle sent dans la région inférieure de la colonne vertébrale comme un courant qui s’étend rapidement dans le bras jusqu’au coude, où il s’arrête doucement. C’est alors que le phénomène a lieu.

Pendant et après la lévitation des tables, elle éprouve de la douleur dans les genoux ; pendant et après d’autres phénomènes, dans les coudes et les bras entiers.

Ce fut seulement à la fin de février 1891 que le professeur Lombroso, dont la curiosité avait fini par être vivement excitée, se décida à venir examiner, à Naples, ce bizarre sujet d’expériences dont tout le monde parlait en Italie. Voici les comptes rendus publiés à cet égard par M. Ciolfi 24 #id_origin24.


Première séance.

On avait mis à notre disposition une vaste chambre choisie par ces messieurs au premier étage. M. Lombroso commença par examiner avec soin le médium, après quoi nous prîmes place autour d’une table à jeu, Mme Paladino à un bout ; à sa gauche, MM. Lombroso et Gigli ; moi, en face du médium, entre MM. Gigli et Vizioli ; venaient ensuite MM. Ascensi et Tamburini qui fermaient le cercle, ce dernier à la droite du médium en contact avec lui.

Des bougies sur un meuble, derrière Mme Paladino, éclairaient la pièce. MM. Tamburini et Lombroso tenaient chacun une main du médium ; leurs genoux touchaient les siens, loin des pieds de la table, et elle avait ses pieds sous les leurs.

Après une attente assez longue, la table se mit à se mouvoir, lentement d’abord, ce qu’explique le scepticisme, sinon l’esprit d’opposition déclarée de ceux qui composaient le cercle pour la première fois ; puis, peu à peu, les mouvements augmentèrent d’intensité.

M. Lombroso constata le soulèvement de la table, il évalua à cinq ou six kilogrammes la résistance à la pression qu’il eut à exercer avec les mains pour le faire cesser.

Ce phénomène d’un corps pesant qui se tient soulevé en l’air, en dehors de son centre de gravité, et résiste à une pression de cinq à six kilogrammes, surprit et étonna beaucoup les doctes assistants, qui l’attribuèrent à l’action d’une force magnétique inconnue.

À ma demande, des coups et des grattements se firent entendre dans la table ; de là nouvelle cause d’étonnement, qui amena ces Messieurs à réclamer d’eux-mêmes l’extinction des bougies pour constater si l’intensité des bruits augmenterait, comme on le disait. Tous restèrent assis et en contact.

Dans une obscurité qui n’empêchait pas la surveillance la plus attentive, on commença par entendre des coups violents sur le milieu de la table ; puis, une sonnette placée sur un guéridon, à un mètre à gauche du médium, — de sorte qu’elle se trouvait en arrière et à droite de M. Lombroso, — s’éleva en l’air, et sonna au-dessus de la tête des assistants, en décrivant un cercle autour de notre table, où elle finit par se poser.

Au milieu des expressions de stupeur profonde qu’arrachait ce phénomène inattendu, M. Lombroso manifesta le vif désir d’entendre et de constater une fois de plus ce fait extraordinaire. La clochette, alors, recommença à sonner, et refit le tour de la table, en la frappant à coups redoublés, à tel point que M. Ascensi, partagé entre l’étonnement et l’appréhension d’avoir les doigts brisés (la sonnette pesait bien trois cents grammes), s’empressa de se lever, et d’aller s’asseoir sur un sofa derrière moi.

Je ne manquai pas d’affirmer que nous avions affaire à une force intelligente, — ce qu’on persistait à nier, — et que, par suite, il n’y avait rien à craindre. M. Ascensi refusa, quand même, de reprendre place à la table.

Je fis alors observer que le cercle était rompu, puisqu’un des expérimentateurs continuait à s’en tenir à l’écart, et que, sous peine de ne plus pouvoir observer sérieusement les phénomènes, il fallait, du moins, qu’il gardât le silence et l’immobilité.

M. Ascensi voulut bien s’y engager.

La lumière éteinte, les expériences furent reprises. Tandis que, pour répondre au vœu unanime, la clochette reprenait ses tintements et ses mystérieux circuits aériens, M. Ascensi, — sur l’avis que lui en avait donné, à notre insu, M. Tamburini — alla, sans être aperçu, à cause de l’obscurité, se placer, debout, à la droite du médium, et, aussitôt, alluma, d’un seul coup, une allumette, si bien, — comme il l’a déclaré, — qu’il put voir la clochette, en vibration dans l’air, tomber brusquement sur un lit à deux mètres derrière Mme Paladino.

Je n’essaierai pas de vous peindre l’ébahissement des doctes assistants : un chassé-croisé de questions et de commentaires sur ce fait étrange en était l’expression la plus saisissante.

Après mes observations sur l’intervention de M. Ascensi, qui était de nature à troubler sérieusement l’organisme du médium, on refit l’obscurité pour continuer les expériences.

D’abord, ce fut une table de travail, petite, mais lourde, qui se mit en mouvement. Elle se trouvait à la gauche de Mme Eusapia, et c’était sur elle qu’était posée la sonnette au début de la séance. Ce petit meuble heurtait la chaise où était assis M. Lombroso, et essayait de se hisser sur notre table.

En présence de ce nouveau phénomène, M. Vizioli se fit remplacer à notre table par M. Ascensi, et alla se mettre debout, entre la table à ouvrage et Mme Eusapia, à laquelle il tournait le dos. Cela résulte de ses déclarations, car l’obscurité ne nous a pas permis de le voir. Il prit cette table à deux mains, et chercha à la retenir ; mais, en dépit de ses efforts, elle se dégagea et alla rouler au loin.

Point important à noter : bien que MM. Lombroso et Tamburini n’eussent pas un seul instant cessé de tenir les mains de Mme Paladino, le professeur Vizioli fit savoir qu’il se sentait pincer le dos. Une hilarité générale suivit cette déclaration.

M. Lombroso constata qu’il s’était senti enlever sa chaise, ce qui l’avait contraint à se tenir quelque temps debout, après quoi sa chaise avait été placée de façon à lui permettre de se rasseoir.

Il avait eu aussi les habits tirés. Puis, lui et M. Tamburini sentirent aux joues et aux doigts les attouchements d’une main invisible.

M. Lombroso, particulièrement frappé des deux faits relatifs à la table à ouvrage et à la sonnette, les a jugés assez importants pour renvoyer à mardi son départ de Naples, fixé d’abord à lundi.

Sur sa demande, je me suis engagé pour une nouvelle séance, lundi, à l’hôtel de Genève.


Deuxième séance.

À huit heures du soir, j’arrivai à l’hôtel de Genève accompagné du médium, Mme Eusapia Paladino.

Nous avons été reçus sous le péristyle par MM. Lombroso, Tamburini, Ascensi et plusieurs personnes qu’ils avaient invitées : les professeurs Gigli, Limoncelli, Vizioli, Bianchi, directeur de l’hospice d’aliénés de Sales, le docteur Penta, et un jeune neveu de M. Lombroso, qui habite Naples.

Après les présentations d’usage, on nous a priés de monter à l’étage le plus élevé de l’hôtel, où l’on nous a fait entrer dans une très grande pièce à alcôve.

On baissa les grands rideaux d’étoffe qui fermaient l’alcôve ; puis, derrière ces rideaux, à une distance de plus d’un mètre, mesurée par MM. Lombroso et Tamburini, on plaça, dans cette alcôve, un guéridon avec une soucoupe de porcelaine remplie de farine, dans l’espoir d’y obtenir des empreintes, une trompette de fer-blanc, du papier, une enveloppe cachetée contenant une feuille de papier blanc, pour voir si l’on n’y trouverait pas de l’écriture directe.

Après quoi, tous les assistants visitèrent minutieusement l’alcôve, afin de s’assurer qu’il ne s’y trouvait rien de préparé ou de suspect.

Mme Paladino s’assit à la table, à cinquante centimètres des rideaux de l’alcôve, leur tournant le dos ; puis, sur sa demande, elle eut le corps et les pieds liés à sa chaise, au moyen de bandes de toile, par trois des assistants, qui lui laissèrent uniquement la liberté des bras. Cela fait, on prit place à la table dans l’ordre suivant : à gauche de Mme Eusapia, M. Lombroso ; puis en suivant, MM. Vizioli, moi, le neveu de M. Lombroso, MM. Gigli, Limoncelli, Tamburini ; enfin le docteur Penta qui complétait le cercle et se trouvait à droite du médium.

MM. Ascensi et Bianchi refusèrent de faire partie du cercle et restèrent debout derrière MM. Tamburini et Penta.

Je laissai faire, certain que c’était là une combinaison préméditée pour redoubler de vigilance. Je me bornai à recommander que, tout en observant avec le plus grand soin, chacun se tint tranquille.

Les expériences commencèrent à la lumière de bougies en nombre suffisant pour que la pièce fût bien éclairée.

Après une longue attente, la table se mit en mouvement, lentement d’abord, puis avec plus d’énergie : toutefois, les mouvements restèrent intermittents, laborieux et beaucoup moins vigoureux qu’à la séance de samedi.

La table réclama spontanément par des battements de pied représentant les lettres de l’alphabet, que MM. Limoncelli et Penta prissent la place l’un de l’autre. Cette mutation opérée, la table indiqua de faire l’obscurité.

Un moment après, et avec plus de force cette fois, reprirent les mouvements de la table, au milieu de laquelle des coups violents se firent entendre. Une chaise, placée à la droite de M. Lombroso, tenta l’ascension de la table, puis se tint suspendue au bras du savant professeur. Tout d’un coup, les rideaux de l’alcôve s’agitèrent et furent projetés sur la table, de façon à envelopper M. Lombroso, qui en fut très ému, comme il l’a déclaré lui-même.

Tous ces phénomènes survenus à de longs intervalles, dans l’obscurité et au milieu du bruit des conversations, ne furent pas pris au sérieux : on voulut n’y voir que des effets du hasard, ou des plaisanteries de quelques-uns des assistants.

Pendant qu’on se tenait dans l’expectative, discutant sur la valeur des phénomènes, et le plus ou moins de cas à en faire, on entendit le bruit de la chute d’un objet. La lumière allumée, on trouva, à nos pieds, sous la table, la trompette qu’on avait placée sur le guéridon, dans l’alcôve, derrière les rideaux.

Ce fait, qui fit beaucoup rire MM. Bianchi et Ascensi, surprit les expérimentateurs, et eut pour conséquence de fixer davantage leur attention.

On refit l’obscurité, et, à de longs intervalles, à force d’insistance, on vit paraître et disparaître quelques lueurs fugitives. Ce phénomène impressionna MM. Bianchi et Ascensi, et mit un terme à leurs railleries incessantes, si bien qu’ils vinrent, à leur tour, prendre rang dans le cercle.

Au moment de l’apparition des lueurs, et même quelque temps après qu’elles eurent cessé de se montrer, MM. Limoncelli et Tamburini, à la droite du médium, dirent qu’ils étaient touchés, à divers endroits, par une main. Le jeune neveu de M. Lombroso, absolument sceptique, qui était venu s’asseoir à côté de M. Limoncelli, déclara qu’il sentait les attouchements d’une main de chair, et demanda avec insistance qui faisait cela. Il oubliait — à la fois sceptique et naïf — que toutes les personnes présentes, comme lui-même d’ailleurs, formaient la chaîne et se trouvaient en contact réciproque.

Il se faisait tard, et le peu d’homogénéité du cercle entravait les phénomènes. Dans ces conditions, je crus devoir lever la séance et faire rallumer les bougies.

Pendant que MM. Limoncelli et Vizioli prenaient congé, le médium encore assis et lié, nous tous, debout autour de la table, causant de nos phénomènes lumineux, comparant les effets rares et faibles, obtenus dans la soirée, avec ceux du samedi précédent, cherchant la raison de cette différence, nous entendîmes du bruit dans l’alcôve, nous vîmes les rideaux qui la fermaient agités fortement, et le guéridon qui se trouvait derrière eux s’avancer lentement vers Mme Paladino, toujours assise et liée.

À l’aspect de ce phénomène étrange, inattendu et en pleine lumière, ce fut une stupeur, un ébahissement général. M. Bianchi et le neveu de M. Lombroso se précipitèrent dans l’alcôve, avec l’idée qu’une personne cachée y produisait le mouvement des rideaux et du guéridon. Leur étonnement n’eut plus de bornes lorsqu’ils eurent constaté qu’il n’y avait personne, et que, sous leurs yeux, le guéridon continuait de glisser sur le parquet, dans la direction du médium.

Ce n’est pas tout : le professeur Lombroso fit remarquer que, sur le guéridon en mouvement, la soucoupe était retournée sens dessus-dessous, sans que, de la farine qu’elle contenait, il se fût échappé une parcelle ; et il ajouta qu’aucun prestidigitateur ne serait capable d’exécuter un pareil tour.

En présence de ces phénomènes survenus après la rupture du cercle, de façon à écarter toute hypothèse de courant magnétique, le professeur Bianchi, obéissant à l’amour de la vérité, avoua que c’était lui qui avait, par plaisanterie, combiné et exécuté la chute de la trompette, mais que ; devant de pareils faits, il ne pouvait plus nier, et allait se mettre à les étudier pour en rechercher les causes.

Le professeur Lombroso se plaignît du procédé, et fit observer à M. Bianchi qu’entre professeurs, réunis pour faire en commun des études et des recherches scientifiques, de semblables mystifications de la part d’un collègue tel que lui ne pouvaient que porter atteinte au respect dû à la science.

Le professeur Lombroso, en proie à la fois au doute et aux mêmes idées qui lui mettaient l’esprit à la torture, prit l’engagement d’assister à de nouvelles réunions, à son retour de Naples, l’été prochain.

M. Ciolfi ayant communiqué ces deux rapports à M. Lombroso, l’éminent professeur de Turin en confirma l’exactitude par la lettre suivante datée du 25 juin 1891 :

Cher Monsieur,

Les deux rapports que vous m’adressez sont de la plus complète exactitude. J’ajoute, qu’avant qu’on eût vu la soucoupe renversée, le médium avait annoncé qu’il saupoudrerait de farine le visage de ses voisins ; et tout porte à croire que telle était son intention, qu’il n’a pu réaliser, preuve nouvelle, selon moi, de la parfaite honnêteté de ce sujet jointe à son état de semi-inconscience.

Je suis tout confus et au regret d’avoir combattu, avec tant de persistance, la possibilité des faits dits spirites ; je dis, des faits, parce que je reste encore opposé à la théorie.

Veuillez saluer, en mon nom, M. E. Chiaïa, et faire examiner, si c’est possible, par M. Albini, le champ visuel et le fond de l’œil du médium, sur lesquels je désirerais me renseigner.

Votre bien dévoué,

C. LOMBROSO.

M. Lombroso ne tarda pas à publier lui-même ses expériences et ses réflexions dans un article des Annales des Sciences physiques (1892) qui se termine ainsi :

Aucun de ces faits (qu’il faut pourtant admettre parce qu’on ne peut nier des faits qu’on a vus) n’est de nature à faire supposer pour les expliquer un monde différent de celui admis par les neuro-pathologistes.

Avant tout, il ne faut pas perdre de vue que Mme Eusapia est névropathe, qu’elle reçut dans son enfance un coup au pariétal gauche, ayant produit un trou assez profond pour qu’on puisse y enfoncer le doigt, qu’elle resta ensuite sujette à des accès d’épilepsie, de catalepsie, d’hystérie, qui se produisent surtout pendant les phénomènes, qu’elle présente enfin une remarquable obtusité du tact.

Eh bien ! je ne vois rien d’inadmissible à ce que, chez les hystériques et les hypnotiques, l’excitation de certains centres, qui devient puissante par la paralysie de tous les autres et provoque alors une transposition et une transmission de forces physiques, puisse aussi amener une transformation en force lumineuse ou en force motrice. Ou comprend aussi comment la force que j’appellerai corticale ou cérébrale d’un médium peut, par exemple, soulever une table, tirer la barbe à quelqu’un, le battre, le caresser, etc.

Pendant la transposition des sens due à l’hypnotisme. quand, par exemple, le nez et le menton voient (et c’est un fait que j’ai observé de mes yeux), alors que pendant quelques instants tous les autres sens sont paralysés, le centre cortical de la vision, qui a son siège dans le cerveau, acquiert une telle énergie qu’il se substitue à l’œil. C’est ce que nous avons pu constater, Ottolenghi et moi, chez trois hypnotisés, en nous servant de la loupe et du prisme.

Les phénomènes observés s’expliqueraient, dans cette théorie, par une transformation des forces du médium. Mais continuons l’exposé des expériences.

Prenant en considération le témoignage du professeur Lombroso, plusieurs savants, MM. Schiaparelli, Directeur de l’Observatoire de Milan, Gerosa, professeur de physique, Ermacora, docteur en physique, Aksakof, conseiller d’État de l’empereur de Russie, Charles du Prel, docteur en philosophie de Munich, le docteur Richet, de Paris, le professeur Buffern, se réunirent, en octobre 1892, dans l’appartement de M. Finzi, à Milan, pour renouveler ces expériences. M. Lombroso assista à plusieurs. Il y en eut dix-sept.

Les expérimentateurs ont signé la déclaration suivante :

Les résultats obtenus n’ont pas toujours correspondu à notre attente. Non pas que nous n’ayons eu grande quantité de faits en apparence ou réellement importants et merveilleux, mais, dans la plupart des cas, nous n’avons pu appliquer les règles de l’art expérimental qui, dans d’autres champs d’observation, sont regardées comme nécessaires pour arriver à des résultats certains et incontestables.

La plus importante de ces règles consiste à changer l’un après l’autre les modes d’expérimentation, de façon à dégager la vraie cause, ou au moins les vraies conditions de tous les faits. Or, c’est précisément à ce point de vue que nos expériences nous semblent encore trop incomplètes.

Il est bien vrai que souvent le médium, pour prouver sa bonne foi, proposa spontanément de changer quelque particularité de l’une ou de l’autre expérience, et bien des fois prit lui-même l’initiative de ces changements. Mais cela se rapportait surtout à des circonstances indifférentes en apparence, d’après notre manière de voir. Les changements, au contraire, qui nous semblaient nécessaires pour mettre hors de doute le vrai caractère des résultats, ou ne furent pas acceptés comme possibles, ou aboutirent à des résultats incertains.

Nous ne nous croyons pas en droit d’expliquer ces faits à l’aide de ces suppositions injurieuses que beaucoup trouvent encore les plus simples et dont les journaux se sont faits les champions.

Nous pensons, au contraire, qu’il s’agit ici de phénomènes d’une nature inconnue, et nous avouons ne pas connaître les conditions nécessaires pour qu’ils se produisent. Vouloir fixer ces conditions de notre propre chef, serait donc aussi extravagant que de prétendre faire l’expérience du baromètre de Torricelli avec un tube fermé en bas, ou des expériences électrostatiques dans une atmosphère saturée d’humidité, ou encore de faire de la photographie en exposant la plaque sensible à la pleine lumière avant de la placer dans la chambre obscure. Mais pourtant, il n’en reste pas moins vrai que l’impossibilité de varier les expériences à notre guise a diminué la valeur et intérêt des résultats obtenus, en leur enlevant cette rigueur de démonstration qu’on est en droit d’exiger pour des faits de cette nature, ou plutôt à laquelle on doit aspirer.

Voici les principaux phénomènes observés.


Soulèvement de la table sur un côté.

En pleine lumière, nous avons laissé le médium seul à la table, les deux mains placées sur la face supérieure, et les manches relevées jusqu’aux coudes.

Nous nous sommes tenus debout à l’entour, et l’espace sur et sous la table était bien éclairé. Dans ces conditions, la table se souleva avec un angle de 20 à 40 degrés, et s’y maintint quelques minutes, pendant que le médium tenait les jambes étendues et frappait ses pieds l’un contre l’autre. En exerçant avec la main une pression sur le côté soulevé de la table, nous avons senti une résistance élastique considérable.

La table fut suspendue par un des petits côtés à un dynamomètre attaché par une corde ; celle-ci était fixée à une poutrelle supportée par deux armoires. Dans ces conditions, l’extrémité de la table étant soulevée de 15 centimètres, le dynamomètre marqua 33 kilogrammes. Le médium s’assit au même petit côté, avec les mains entièrement placées sur la table, à droite et à gauche du point d’attache du dynamomètre. Nos mains formaient la chaîne sur la table, sans pression : elles n’auraient pu, en aucun cas, agir que pour augmenter la pression exercée sur la table. On exprima le désir qu’au contraire la pression diminuât, et bientôt la table commença à se soulever du côté du dynamomètre, M. Gerosa, qui suivait les indications de l’appareil, annonça cette diminution, exprimée par les chiffres successifs : 3, 2, 1, 0 kilogrammes ; puis le soulèvement fut tel que le dynamomètre reposa horizontalement sur la table.

Alors, nous changeâmes les conditions en mettant les mains sous la table ; le médium en particulier les mit, non pas sous le bord, où il aurait pu atteindre la corniche et exercer une traction vers le bas, mais sous la corniche même qui joint les pieds, et touchant celle-ci non pas avec la paume, mais avec le dos de la main. Ainsi, toutes les mains n’auraient pu que diminuer la traction sur le dynamomètre. Sur le désir de voir cette traction augmenter, elle s’accrut, en effet, de 3 kil. 5 jusqu’à 5 kil. 6.

Pendant toutes ces expériences, chacun des pieds du médium est resté sous le pied du plus proche de ses voisins de droite et de gauche.


Soulèvement complet de la table.

Il était naturel de conclure que si la table, par une contradiction apparente avec les lois de la gravitation, pouvait se soulever en partie, elle pourrait aussi se soulever entièrement. C’est, en effet, ce qui eut lieu, et ce soulèvement, un des phénomènes les plus fréquents avec Eusapia, se prêta à un examen satisfaisant.

Il se produit habituellement dans les conditions suivantes : les personnes assises autour de la table y placent les mains et font la chaîne ; chaque main du médium est tenue par la main adjacente de ses deux voisins, chacun de ses pieds reste sous les pieds des voisins, qui pressent en outre ses genoux avec les leurs ; il est, comme d’habitude, assis à l’un des petits côtés, position la moins favorable pour un soulèvement mécanique. Au bout de quelques minutes, la table fait un mouvement de côté, se soulève soit à droite, soit à gauche, et tout entière enfin avec les quatre pieds en l’air, horizontalement (comme si elle flottait dans un liquide), ordinairement à une hauteur de 10 à 20 centimètres (exceptionnellement jusqu’à 60 ou 70 centimètres), puis retombe simultanément sur les quatre pieds.

Souvent elle se tient en l’air pendant plusieurs secondes et fait encore, en l’air, des mouvements ondulatoires, pendant lesquels on peut examiner complètement la position des pieds sous la table. Pendant le soulèvement, la main droite du médium quitte souvent la table, ainsi que celle de son voisin, et se tient en l’air au-dessus.

Pour mieux observer le fait en question, nous avons éliminé peu à peu les personnes placées à la table, ayant reconnu que la chaîne formée par plusieurs personnes n’était point nécessaire, ni pour ce phénomène ni pour les autres, et enfin nous n’en avons laissé qu’une seule avec le médium, placée à sa gauche ; cette personne mettait le pied sur les deux pieds d’Eusapia et une main sur ses genoux, et tenait de l’autre main la main gauche du médium, dont la droite était sur la table, en vue de tous, ou bien le médium la tenait en l’air pendant le soulèvement.

Comme la table restait en l’air pendant plusieurs secondes, il a été possible d’obtenir plusieurs photographies du phénomène. Trois appareils photographiques agissaient ensemble en différents points de la chambre, et la lumière était produite par une lampe de magnésium au moment opportun. On obtint vingt et une photographies, dont quelques-unes sont excellentes. Ainsi, sur l’une d’entre elles, on voit le professeur Bichet qui tient une main, les genoux et un pied du médium, dont le professeur Lombroso tenait l’autre main, et la table soulevée horizontalement, ce que l’on constate par l’intervalle compris entre l’extrémité de chaque pied et l’extrémité de l’ombre portée correspondante. (Voy. la pl. VIII.)

Dans toutes les expériences qui précèdent, nous attachâmes principalement notre attention à bien surveiller la position des mains et des pieds du médium, et, sous ce rapport, nous croyons pouvoir les dire à l’abri de toute objection.

Toutefois, par scrupule de sincérité, nous ne pouvons passer sous silence un fait auquel nous n’avons commencé à prêter attention que le soir du 5 octobre, mais qui probablement a dû se produire aussi dans les expériences précédentes. Il consiste en ceci que les quatre pieds de la table ne pouvaient être considérés comme parfaitement isolés pendant le soulèvement, parce que l’un d’eux au moins était en contact avec le bord inférieur de la robe du médium.

Ce soir-là, on remarqua qu’un peu avant le soulèvement, la jupe d’Eusapia, du côté gauche, se gonflait jusqu’à venir toucher le pied voisin de la table.

L’un de nous ayant été chargé d’empêcher ce contact, la table ne put se soulever comme les autres fois, et ceci n’eut lieu que quand l’observateur laissa intentionnellement se produire le contact, qui est manifeste dans les photographies prises de cette expérience, et aussi dans celles où le pied en question est visible en quelque façon à son extrémité inférieure. On remarqua qu’en même temps le médium avait la main appuyée sur la face supérieure de la table, et du même côté, de sorte que ce pied était sous son influence, tant dans la partie inférieure, au moyen de la robe, que dans la partie supérieure, au moyen de la main.

Maintenant, de quelle façon le contact d’une étoffe légère avec un pied de la table à son extrémité inférieure peut-il aider au soulèvement ? C’est ce que nous ne saurions dire. L’hypothèse que la robe peut cacher un appui solide, habilement introduit, pour servir de soutien momentané au pied de la table, est peu acceptable.

En effet, pour soutenir la table tout entière sur ce seul pied au moyen de l’action que peut produire une seule main sur la face supérieure de la table, cela exige que la main exerce sur la table une pression très forte dont nous ne pouvons supposer Eusapia capable, même pendant trois ou quatre secondes. Nous nous en sommes convaincus en faisant nous-mêmes l’épreuve avec la même table 25 #id_origin25.


Mouvements d’objets à distance, sans aucun contact avec une des personnes présentes.

a) Mouvements spontanés d’objets.

Ces phénomènes ont été observés à plusieurs reprises pendant nos séances ; fréquemment une chaise placée dans ce but non loin de la table, entre le médium et un de ses voisins, se mit en mouvement et quelquefois s’approcha de la table. Un exemple remarquable se produisit dans la seconde séance, toujours en pleine lumière : une lourde chaise (10 kilogr.), qui se trouvait à un mètre de la table et derrière le médium, s’approcha de M. Schiaparelli, qui était assis près du médium : il se leva pour la remettre en place, mais à peine s’était-il rassis que la chaise s’avança une seconde fois vers lui.

b) Mouvement de la table sans contact.

Il était désirable d’obtenir ce phénomène par voie d’expérience.

Pour cela, la table fut placée sur des roulettes, les pieds du médium furent surveillés, comme il a été dit, et tous les assistants firent la chaîne avec les mains, y compris celles du médium. Quand la table se mit en mouvement, nous soulevâmes tous les mains sans rompre la chaîne, et la table ainsi isolée fit plusieurs mouvements. Cette expérience fut renouvelée plusieurs fois.


Apports de différents objets, les mains du médium étant attachées à celles de ses voisins.

Pour nous assurer que nous n’étions pas victimes d’une duperie, nous attachâmes les mains du médium à celles de ses deux voisins par une ficelle, de telle sorte que les mouvements des quatre mains se contrôlassent réciproquement. La longueur de la corde entre les mains du médium était de 20 à 30 centimètres, et entre chacune des mains du médium et les mains de ses voisins, de 10 centimètres, espace ménagé afin que les mains des voisins pussent en outre tenir facilement celles du médium, pendant les mouvements convulsifs qui l’agitaient.

L’attache fut opérée de la façon suivante : autour de chaque poignet du médium on fit trois tours de ficelle, sans laisser de jeu, serrés presque au point de lui faire mal 26 #id_origin26, et ensuite on fit deux fois un nœud simple. Ceci fut fait pour que, si par quelque artifice la main avait pu se dégager de la ficelle, les trois tours se défissent aussitôt et que la main ne pût s’y replacer en reconstituant l’attache initiale.

Une sonnette fut placée sur une chaise, derrière le médium. On fit la chaîne, et les mains du médium furent en outre tenues comme d’habitude, ainsi que ses pieds. On fit l’obscurité, en exprimant le désir que la sonnette tintât immédiatement ; après quoi nous aurions détaché le médium. Immédiatement, nous entendîmes la chaise se mouvoir, décrire une courbe sur le sol, s’approcher de la table et bientôt se placer sur celle-ci. La sonnette tinta, puis fut projetée sur la table. Ayant fait brusquement la lumière, on constate que les nœuds étaient dans un ordre parfait. Il est clair que l’apport de la chaise n’a pu être produit par l’action des mains du médium.


Empreintes de doigts obtenues sur du papier enfumé.

Pour décider si nous avions affaire à une main humaine... ou à quelque autre procédé, nous fixâmes sur la table, du côté opposé à celui du médium, une feuille de papier noirci avec du noir de fumée, en exprimant le désir que la main y laissât une empreinte, que la main du médium restât propre, et que le noir de fumée fût transporté sur une de nos mains. Les mains du médium étaient tenues par celles de MM. Schiaparelli et Du Prel. On fit la chaîne et l’obscurité ; nous entendîmes alors une main frapper légèrement sur la table, et bientôt M. Du Prel annonça que sa main gauche, qu’il tenait sur la main droite de M. Finzi, avait senti des doigts qui la frottaient.

Ayant fait la lumière, nous trouvâmes sur le papier plusieurs empreintes de doigts, et le dos de la main de M. Du Prel teint de noir de fumée, dont les mains du médium, examinées immédiatement, ne portaient aucune trace. Cette expérience fut répétée trois fois. En insistant pour avoir une empreinte complète : sur une seconde feuille, on obtint cinq doigts, et sur une troisième l’empreinte d’une main gauche presque l’entière. Après cela, le dos de la main de M. Du Prel était complètement noirci, et les mains du médium parfaitement nettes.


Apparition de mains sur un fond légèrement éclairé.

Nous plaçâmes sur la table un carton enduit d’une substance phosphorescente (sulfure de calcium) et nous en plaçâmes d’autres sur les chaises en différents points de la chambre. Dans ces conditions, nous vîmes très bien le profil d’une main qui se posait sur le carton de la table ; et sur le fond formé par les autres cartons, on vit l’ombre de la main passer et repasser autour de nous.

Le soir du 21 septembre, l’un de nous vit à plusieurs reprises, non pas une, mais deux mains à la fois, se projeter sur la faible lumière d’une fenêtre, fermée seulement par des carreaux (au dehors il faisait nuit, mais ce n’était pas l’obscurité absolue). Ces mains s’agitaient rapidement, pas assez pourtant pour qu’on n’en pût distinguer nettement le profil. Elles étaient complètement opaques et se projetaient sur la fenêtre en silhouettes absolument noires.

Ces phénomènes d’apparition simultanée de deux mains sont très significatifs, parce qu’on ne peut les expliquer par l’hypothèse d’une supercherie du médium, qui n’aurait pu en aucune façon en rendre libre plus d’une seule, grâce à la surveillance de ses voisins. La même conclusion s’applique au battement des deux mains l’une contre l’autre, qui fut entendu plusieurs fois dans l’air.


Enlèvement du médium sur la table.

Nous plaçons parmi les faits les plus importants et les plus significatifs cet enlèvement, qui s’est effectué deux fois, le 28 septembre et le 3 octobre : le médium qui était assis à un bout de la table, faisant entendre de grands gémissements, fut soulevé avec sa chaise et placé sur la table, assis dans la même position, ayant toujours les mains tenues et accompagnées par ses voisins.

Le soir du 28 septembre, le médium, tandis que ses deux mains étaient tenues par MM. Richet et Lombroso, se plaignit de mains qui le saisissaient sous le bras, puis, dans un état de transe, il dit d’une voix changée qui lui est ordinaire dans cet état : « Maintenant j’apporte mon médium sur la table. » Au bout de deux ou trois secondes, la chaise, avec le médium qui y était assis, fut, non pas jetée, mais soulevée avec précaution et déposée sur la table, tandis que MM. Richet et Lombroso sont sûrs de n’avoir aidé en rien à cette ascension. Après avoir parlé, toujours en état de transe, le médium annonça sa descente, et, M. Finzi s’étant substitué à M. Lombroso, le médium fut déposé à terre avec autant de sûreté et de précision, tandis que MM. Richet et Finzi accompagnaient, sans les aider en rien, les mouvements des mains et du corps.

En outre, pendant la descente, tous deux sentirent à plusieurs reprises une main qui les touchait légèrement sur la tête. Le soir du 3 octobre, le même phénomène se renouvela, dans des circonstances analogues.


Attouchements.

Quelques-uns méritent d’être notés particulièrement, à cause d’une circonstance capable de fournir quelque notion intéressante sur leur origine possible. Il importe d’abord de signaler les attouchements qui furent sentis par les personnes placées hors de la portée des mains du médium.

Ainsi, le soir du 6 octobre, M. Gerosa, qui se trouvait à la distance de trois places du médium (environ 1m 20, le médium étant à un petit côté et M. Gerosa à l’un des angles adjacents au petit côté opposé), ayant élevé la main pour qu’elle fût touchée, sentit plusieurs fois une main qui frappait la sienne pour l’abaisser, et, comme il persistait, il fut frappé avec une trompette, qui, un instant auparavant, avait rendu des sons en l’air.

En second lieu, il faut noter les attouchements qui constituent des opérations délicates, qu’on ne peut faire dans l’obscurité avec la précision que nous leur avons remarquée.

Deux fois (16 et 21 septembre) M. Schiaparelli eut ses lunettes enlevées et placées devant une autre personne, sur la table. Ces lunettes sont fixées aux oreilles au moyen de deux ressorts, et il faut une certaine attention pour les enlever, même pour celui qui opère en pleine lumière. Elles furent pourtant enlevées dans l’obscurité complète, avec tant de délicatesse et de promptitude, que le dit expérimentateur ne s’en aperçut qu’après, en ne sentant plus le contact habituel de ses lunettes sur son nez, sur les tempes et sur les oreilles, et il dut se tâter avec les mains pour s’assurer qu’elles ne se trouvaient plus à leur place habituelle.

Des effets analogues résultèrent de beaucoup d’autres attouchements, exécutés avec une excessive délicatesse, par exemple, lorsqu’un des assistants se sentit caresser les cheveux et la barbe.

Dans toutes les innombrables manœuvres exécutées par les mains mystérieuses, il n’y eut jamais à noter une maladresse ou un choc, ce qui est ordinairement inévitable pour qui opère dans l’obscurité.

On peut ajouter, à cet égard, que des corps assez lourds et volumineux, comme des chaises et des vases pleins d’argile, furent déposés sur la table, sans que jamais ces objets eussent rencontré une des nombreuses mains appuyées sur cette table, ce qui était particulièrement difficile pour les chaises qui, par leurs dimensions, occupaient une grande partie de la table. Une chaise fut renversée en avant sur la table et placée dans sa longueur, sans faire de mal à personne, de telle sorte qu’elle occupait presque toute la table.


Contacts avec une figure humaine.

L’un de nous ayant exprimé le désir d’être embrassé, sentit devant sa propre bouche le bruit rapide d’un baiser, mais non accompagné d’un contact de lèvres ; cela se produisit deux fois. En trois occasions différentes, il arriva à l’un des assistants de toucher une figure ayant des cheveux et de la barbe ; le contact de la peau était absolument celui d’un homme vivant, les cheveux étaient beaucoup plus rudes et hérissés que ceux du médium, et la barbe paraissait très fine.

Telles sont les expériences faites à Milan en 1892 par le groupe des savants cités plus haut.

Comment ne pas admettre, après la lecture de ce nouveau procès-verbal : le soulèvement complet de la table, — le soulèvement du médium, — le mouvement d’objets sans aucun contact, — des attouchements délicats et précis produits par des organes invisibles, — la formation de mains et même de figures humaines ? Ces phénomènes se posent ici comme ayant été observés avec les soins les plus scrupuleux.

Remarquons aussi l’acte du petit meuble, chaise ou guéridon, qui cherche à grimper sur l’un des assistants ou sur la table, observé également par moi (v. pp. ***, ***, ***, ***).

Quoique les savants du groupe de Milan aient regretté de ne pas faire d’expériences, mais seulement des observations (j’ai dit plus haut, p. ***, ce que nous devons penser à cet égard), les faits n’en sont pas moins constatés.

J’ajouterai même qu’après la lecture de ce procès-verbal, les réserves de M. Schiaparelli paraissent exagérées. Si la fraude a pu quelquefois se glisser, ce qui a été sûrement observé reste indemne et acquis à la science.

Le même médium a été l’objet d’une fertile série d’expérimentations. Signalons encore celles de Naples en 1893, sous la direction de M. Wagner, professeur de zoologie à l’université de Saint-Pétersbourg ; celles de Rome en 1893-1894, sous la direction de M. de Siemiradski, correspondant de l’Institut ; celles de Varsovie, du 25 novembre 1893 au 15 janvier 1894, chez le Dr Ochorowicz ; celles de Carqueiranne et de l’île Roubaud, en 1894, chez le professeur Richet ; celles de Cambridge en août 1895, chez M. Myers ; celles de la villa de l’Agnélas, du 20 au 29 septembre 1895, chez le colonel de Rochas ; celles d’Auteuil, en septembre 1896, chez M. Marcel Mangin ; etc. Il serait bien superflu et démesurément long de les analyser toutes. Détachons seulement quelques faits caractéristiques spéciaux.

On lit ce qui suit dans le Rapport de M. de Siemiradski :

Dans le coin de la salle se trouvait un piano, à gauche et un peu en arrière d’Ochorowicz et d’Eusapia. Quelqu’un exprima le désir d’entendre toucher le clavier. Aussitôt on entend le piano se déplacer ; Ochorowicz peut même voir ce déplacement, grâce à un rayon de lumière qui tombe sur la surface polie de l’instrument à travers les volets de la fenêtre. Le piano s’ouvre ensuite avec bruit et on entend résonner les notes graves du clavier. Je formule à haute voix le désir d’entendre toucher en même temps des notes hautes et des notes basses, comme preuve que la force inconnue peut agir aux deux extrémités du clavier ; mon vœu est exaucé, et nous entendons à la fois des notes graves et des notes aiguës, ce qui semble prouver l’action de deux mains distinctes. Puis l’instrument s’avance vers nous ; il se presse contre notre groupe qui est obligé de se déplacer, accompagné de notre table d’expériences, et nous ne nous arrêtons qu’après avoir ainsi parcouru plusieurs mètres.

Un verre, à moitié rempli d’eau, qui se trouvait sur le buffet, hors de la portée de nos mains, fut porté par une force inconnue aux lèvres d’Ochorowicz, d’Eusapia et d’une autre personne qui en burent. L’opération eut lieu en pleine obscurité, avec une précision prodigieuse.

Nous avons pu constater l’existence réelle d’une main n’appartenant à aucun des assistants : c’est par le moulage.

Ayant placé un lourd bassin rempli de terre glaise à modeler sur la grande table, au milieu de la salle à manger, nous nous assîmes avec Eusapia autour de la petite table d’expériences, éloignée de plus d’un mètre. Après quelques minutes d’attente, le bassin vint, de lui-même, se poser sur notre table. Eusapia gémissait, se tordait et tremblait de tous ses membres ; cependant, pas un moment ses mains ne quittèrent les nôtres. Puis elle s’écria : « E fatto ! » (c’est fait). La bougie allumée, nous trouvâmes un creux irrégulier sur la surface de la terre glaise : ce creux, rempli ensuite de plâtre, nous donna un moulage parfait de doigts crispés.

Nous plaçâmes sur la table une assiette couverte de noir de fumée. La main mystérieuse y laissa l’empreinte du bout de ses doigts. Les mains des assistants, y compris celles d’Eusapia, étaient restées blanches. Nous engageâmes ensuite le médium à reproduire l’empreinte de sa propre main sur une autre assiette enfumée. Elle le fit. La couche de noir enlevée par ses doigts les avait fortement noircis. La comparaison des deux assiettes nous fit constater une ressemblance frappante, ou, pour mieux dire, l’identité dans la disposition des cercles en spirale de l’épiderme, et on sait que la disposition de ces cercles est différente suivant les différents individus. C’est une particularité qui parle d’une manière éloquente en faveur de l’hypothèse du dédoublement du médium.

Le Dr Ochorowicz employa, pour contrôler mécaniquement les mouvements des pieds d’Eusapia, l’appareil suivant. Deux boites à cigares profondes et droites furent placées sous la table, et Eusapia y mit ses pieds, sans chaussures. Les boites avaient des fonds doubles, et étaient munies d’un dispositif électrique tel qu’on pouvait y manœuvrer librement les pieds en les promenant de quelques centimètres dans toutes les directions ; mais, si l’on voulait sortir le pied de la boite, la sonnette électrique carillonnait dès la moitié du chemin à parcourir pour cela, et ne se taisait que lorsque le pied était retourné à sa place. Eusapia ne peut pas se tenir absolument tranquille pendant les séances : elle avait ainsi la liberté de ses mouvements, mais il lui était tout-à-fait impossible de se servir des jambes pour lever la table. Dans ces conditions, la table, pesant 25 livres, se leva deux fois, sans que la sonnette se fit entendre ; pendant la seconde lévitation, on photographia la table d’en bas. On voit sur la photographie les quatre pieds de la table ; le gauche est en contact avec la robe d’Eusapia, comme cela a toujours lieu quand la lumière est vive, mais les boîtes avec les pieds du médium sont à leur place. Alors, les assistants vérifièrent que la sonnette se faisait entendre, non seulement quand on sortait le pied, mais encore quand on l’élevait trop haut dans la boîte.

Après toutes ces constatations, je ne ferai pas à mes lecteurs l’injure de penser que pour eux tous le soulèvement de la table n’est pas SURABONDAMMENT PROUVÉ.

Voici maintenant une curieuse observation relative au gonflement du rideau.

Dix personnes étaient assises autour de la table. Eusapia tournait le dos au rideau ; elle était contrôlée par le général Starynkiewicz et le Dr Watraszewski.

J’étais assis, écrit M. Glowacki-Prus, vis-à-vis Eusapia, près de Mlle X..., une personne très nerveuse et facilement hypnotisable. La séance durait depuis une heure environ, avec des phénomènes nombreux et variés. Eusapia, comme toujours, avait l’air à demi-conscient. Soudain elle s’éveilla, et Mlle X... poussa un cri. Sachant ce que ce cri voulait dire, je lui serrai la main gauche plus fortement et je la pris ensuite par la taille, parce que cette enfant devient très forte dans certains moments. La chambre était suffisamment éclairée, et voici ce que nous avons vu, ce que j’ai senti moi-même en outre par les mains. Chaque fois que les muscles de Mlle X... se tendaient plus fortement, le rideau qui pendait vis-à-vis d’elle, à 2 ou 3 mètres de distance, exécutait un mouvement. Le tableau suivant indique le détail de cette corrélation :

Faible tension des muscles. — Le rideau s’agite.
Forte tension. — Il se gonfle comme une voile.
Très forte tension, cris. — Il atteint les contrôleurs d’Eusapia et les couvre presque entièrement.
Repos. — Repos.
Tension de muscles. — Mouvement du rideau.
Forte tension. — Fort gonflement du rideau.


et ainsi de suite.

On voit la proportionnalité frappante que j’ai constatée entre la tension des muscles du médium (qui, dans ce cas, était Mlle X) et le travail mécanique du rideau en mouvement.

Cette expérience est d’autant plus intéressante que ce n’est pas Eusapia qui l’a produite, et que si elle avait un truc pour le gonflement des rideaux, il n’était pas employé ici. Nous savons déjà qu’elle n’en a pas.

Voici les conclusions de M. Ochorowicz :

1° Je n’ai pas trouvé de preuves en faveur de l’hypothèse spirite, c’est-à-dire en faveur de l’intervention d’une intelligence étrangère. « John » n’est pour moi qu’un dédoublement psychique du médium. Par conséquent, je ne suis pas spirite.

2° Les phénomènes médiumniques confirment le « magnétisme » contre « l’hypnotisme » — c’est-à-dire impliquent l’existence d’une action fluidique en dehors de la suggestion.

3° Cependant, la suggestion y joue un rôle important, et le médium n’est qu’un miroir qui reflète les forces et les idées des assistants. En plus, il possède la faculté de réaliser, en les extériorisant, ses rêves somnambuliques propres ou suggérés par les assistants.

4° Aucune force purement physique n’explique ces phénomènes, qui sont toujours de nature psycho-physique, ayant un centre d’action dans l’esprit du médium.

5° Les phénomènes constatés ne contredisent ni la mécanique en général, ni la loi de conservation des forces en particulier. Le médium agit aux dépens de ses propres forces et aux dépens de celles des assistants.

6° Il existe une série de transitions entre le médiumnisme d’ordre inférieur (automatisme, fraude inconsciente) et le médiumnisme d’ordre supérieur ou extériorisation de la motricité (action à distance sans lien visible et palpable).

7° L’hypothèse d’un « double fluidique » (corps astral), qui, dans certaines conditions, se détache du corps du médium, paraît nécessaire pour l’explication de la plupart des phénomènes. D’après cette conception, les mouvements d’objets sans contact seraient produits par les membres fluidiques du médium 27 #id_origin27.

Dans les expériences de Carqueiranne, M. Oliver Lodge, physicien anglais éminent, recteur de l’Université de Birmingham, déclare qu’il s’est rendu à l’invitation du Dr Richet, très convaincu qu’il ne pouvait y avoir production de mouvements physiques sans contact, mais que ce qu’il a vu l’a entièrement convaincu que les phénomènes de ce genre peuvent, dans certaines conditions, avoir une existence réelle et objective. Il se porte garant des constatations suivantes :

1° Les mouvements d’une chaise éloignée, visible au clair de lune, et dans des circonstances telles qu’il n’y avait évidemment pas de connexion mécanique ;

2° Le gonflement et le mouvement d’un rideau en l’absence de vent ou d’autre cause ostensible ;

3° Le remontage et la locomotion d’un chalet à musique sans être touché ;

4° Les sons procédant d’un piano et d’un accordéon, lesquels n’ont pas été touchés ;

5° Une clé tournée dans une serrure, en dedans de la chambre des séances, puis placée sur la table et ensuite remise dans la serrure ;

6° Les mouvements et le renversement, par évolutions correctes et lentes, d’une lourde table, que l’on a trouvée après, ainsi retournée ;

7° Le soulèvement d’une lourde table, dans des conditions où il eût été impossible de la soulever dans les conditions ordinaires ;

8° L’apparition de marques bleues sur une table, auparavant sans taches, et ceci fait sans le secours des moyens ordinaires de l’écriture ;

9° La sensation de coups, comme si quelqu’un vous saisissait la tête, les bras ou le dos, tandis que la tête, les mains et les pieds du médium étaient bien en vue, ou tenus éloignés des endroits du corps touché.

On le voit, c’est toujours la confirmation des expériences décrites plus haut.

À Cambridge, on a pris Eusapia en flagrant délit de supercherie par la substitution des mains. Tandis que les contrôleurs croyaient tenir les deux mains, ils n’en tenaient qu’une : l’autre était libre. Les expérimentateurs de Cambridge déclarèrent unanimement que « tout était fraude, depuis le commencement jusqu’à la fin », dans les vingt séances avec Eusapia Paladino.

Dans un document adressé à M. de Rochas, M. Ochorowicz a contesté cette conclusion radicale pour plusieurs raisons. Eusapia est très suggestionnable, et en suivant sa tendance à la fraude sans l’empêcher, par une sorte d’encouragement tacite, on l’y incite davantage. D’autre part, sa fraude est généralement inconsciente. Voici, notamment, une histoire assez typique.

Un soir, à Varsovie, dit-il, Eusapia dort dans sa chambre, à côté de la nôtre ; moi, je ne dormais pas encore, et tout à coup j’entends qu’elle se lève et se promène, pieds nus, dans l’appartement, puis rentre dans sa chambre et s’approche de notre porte. Je fais signe à Mme Ochorowicz, qui s’est réveillée, de rester tranquille et de bien observer ce qui va suivre. Un moment après, Eusapia ouvre doucement la porte, s’approche de la toilette de ma femme, ouvre un tiroir, le referme et s’en va, en évitant soigneusement de faire du bruit. Je m’habille à la hâte, et nous entrons dans sa chambre. Eusapia dort tranquillement. La lumière de notre bougie semble la réveiller : — « Qu’as-tu cherché dans notre chambre à coucher ? — Moi ? je n’ai pas bougé de place. »

Voyant l’inutilité d’un plus long interrogatoire, nous regagnons nos lits, en lui recommandant de dormir tranquillement.

Le lendemain, je lui pose la même question. Elle en est tout étonnée et même troublée (elle rougit légèrement). — « Comment oserais-je, dit-elle, entrer dans votre chambre, pendant la nuit ! »

Cette accusation lui est très pénible et elle cherche à nous persuader, par toutes sortes de raisons insuffisantes, que nous nous trompons. Elle nie tout, et je suis obligé de reconnaître qu’elle ne se rappelle ni de s’être levée, ni même d’avoir causé avec nous (c’était déjà un autre état somnambulique).

Je prends une petite table, et j’ordonne à Eusapia de mettre ses mains dessus.

— C’est bien, dit-elle, John vous dira que je ne mens pas !

Je pose les questions :

— « Est-ce toi, John, qui es entré, cette nuit, dans notre chambre à coucher ?

— Non.

— Est-ce la femme de chambre ? (Je suggère cette idée exprès pour mettre à l’épreuve la véracité de John.)

— Non, dit-il.

— Est-ce le médium lui-même ?

Oui, dit la table... « Non, ce n’est pas vrai », s’exclame Eusapia, en voyant son espoir déçu. — « Si ! » répond la table avec force.

— Est-ce dans l’état de transe ?

— Non.

— Dans son état normal ?

— Non.

— Dans un état de somnambulisme spontané ?

— Oui.

— Dans quel but ?

Pour aller chercher les allumettes, car elle avait peur dans son sommeil et ne voulait pas dormir sans lumière.

Et, réellement, il y avait toujours des allumettes dans le tiroir ouvert par Eusapia, sauf cette nuit par exception ; elle est donc retournée sans rien prendre.

En entendant l’explication de la table, Eusapia haussa les épaules, mais ne protesta plus.

Voilà donc une femme qui est capable de se trouver d’un moment à l’autre dans un état psychique tout à fait différent. — Est-il juste d’accuser une pareille créature de fraude préméditée, sans le moindre examen médical et psychologique, sans le moindre essai de vérification ?...

M. Ochorowicz ajoute ici que, pour lui, ce n’est ni une personne étrangère au médium, ni une force nouvelle indépendante et occulte, mais un état psychique spécial qui permet au dynamisme vital du médium (corps astral des occultistes) d’agir à distance dans certaines conditions exceptionnelles. C’est la seule hypothèse qui lui paraît nécessaire, dans l’état actuel de ses connaissances.

Pourquoi le médium essaie-t-il si souvent de dégager sa main ?

Pour les expérimentateurs de Cambridge, la cause en est bien simple et toujours la même : il dégage sa main pour tricher. En réalité, les causes de la délivrance sont multiples et compliquées. Voici les explications du Dr Ochorowicz :

1° Faisons observer, tout d’abord, qu’Eusapia dégage souvent sa main, rien que pour toucher sa tête, qui souffre aux moments des manifestations. C’est un mouvement réflexe naturel ; et, chez elle, c’est une habitude invétérée. Comme, le plus souvent, elle ne s’en aperçoit pas, ou du moins ne prévient pas le contrôleur, l’obscurité justifie les soupçons.

2° Immédiatement avant le dédoublement médiumnique, sa main est hypéresthésiée, et, par conséquent, la pression d’une main étrangère lui fait mal, surtout du côté dorsal ; elle place donc, le plus souvent, la main qui doit être active médiumniquement, au-dessus et non au-dessous de celle du contrôleur, en cherchant à la toucher le moins possible. Lorsque le dédoublement est complet et la main dynamique plus ou moins matérialisée, celle du médium se crispe et appuie avec force sur le contrôleur, juste au moment du phénomène. Elle est presque insensible alors et contracturée. Dans de très bonnes conditions médiumniques, le dédoublement est facile et l’hyperesthésie initiale de courte durée ; dans ce cas, le médium permet d’envelopper sa main complètement et de mettre les pieds des contrôleurs sur les siens, comme nous le faisions toujours à Home en 1893 ; mais, depuis, elle ne supporte plus cette position et préfère plutôt être tenue par les mains sous la table.

3° Suivant les lois psychologiques, la main va toujours, automatiquement, dans la direction de nos pensées (Cumberlandisme). Le médium agit par autosuggestion, et l’ordre d’aller jusqu’à un point visé est donné par son cerveau, en même temps à la main dynamique et à la main corporelle, puisque à l’état normal elles ne font qu’un. Et comme immédiatement après l’hyperesthésie initiale, son sentiment musculaire s’émousse et que la main devient engourdie, il arrive, surtout lorsque le médium procède négligemment et ne gouverne pas assez ses mouvements, que la main dynamique reste sur place, tandis que c’est sa main propre qui va dans la direction visée. La première, n’étant pas matérialisée, ne produit qu’un simulacre de pression, et une autre personne, capable de voir un peu dans l’obscurité, n’y verra rien et même pourra constater par le toucher l’absence de la main du médium sur celle du contrôleur. En même temps, la main du médium va dans la direction de l’objet — et il se peut encore qu’elle ne l’atteigne pas réellement, en agissant à distance par un prolongement dynamique.

C’est ainsi que je m’explique les cas où la main, étant délivrée, n’a pas pu cependant atteindre le point visé, physiquement inaccessible, et les nombreuses expériences faites à Varsovie en pleine lumière, avec une clochette diversement suspendue, avec des boussoles de formes différentes, avec une toute petite table, etc., expériences dans lesquelles les doigts d’Eusapia étaient tout près, mais ne touchaient pas l’objet. J’ai vérifié qu’il n’y avait là en jeu aucune force électrique, mais que les choses se passaient comme si les bras du médium s’allongeaient en agissant invisiblement mais mécaniquement.

À Varsovie, lorsqu’un de mes amis, M. Glowacki, se mit dans la tête « qu’il fallait laisser faire le médium, pour découvrir sa méthode », nous avons eu toute une séance frauduleuse, et nous avons perdu notre temps inutilement. Au contraire, dans une mauvaise séance de l’île Roubaud, nous avons obtenu quelques bons phénomènes après avoir franchement déclaré au médium qu’il trichait.

Et voici les conclusions de l’auteur sur « les tricheries de Cambridge » :

1° Non seulement on n’a pas prouvé à Cambridge la fraude consciente chez Eusapia, mais on n’a même pas fait le moindre effort dans cette direction.

2° On a prouvé la fraude inconsciente dans des proportions beaucoup plus larges que dans toutes les expérimentations précédentes.

3° Ce résultat négatif est justifié par une méthode maladroite, peu conforme à la nature des phénomènes.

Telle est aussi l’opinion du Dr J. Maxwell, et de tous les hommes compétents dans la question.

En résumé, nous voyons que l’influence des idées préconçues, des opinions, des sentiments, sur la production des phénomènes, est certaine. Lorsque tous les expérimentateurs ont à peu près la même disposition d’esprit sympathique à ce genre de recherches, et que, tout en étant bien décidé à exercer un contrôle suffisant pour n’être dupe d’aucune mystification, on s’accorde à accepter les conditions d’obscurité regrettable nécessaires à l’activité de ces radiations inconnues et à ne troubler en rien les apparentes exigences du médium, les phénomènes obtenus atteignent un degré d’intensité extraordinaire 28 #id_origin28. Mais si le désaccord règne, si un ou plusieurs des assistants espionnent avec insistance les agissements du médium, avec la conviction qu’il doit tricher, les résultats ressemblent à la marche d’un bateau à voiles sur lequel souffleraient plusieurs vents contraires. On tourne sur place sans avancer, et le temps se passe presque stérilement. Les forces psychiques n’ont pas moins de réalité que les forces physiques, chimiques et mécaniques. Malgré le désir que l’on pourrait avoir de convaincre les incrédules de parti pris, il est utile de n’en inviter qu’un à la fois, et de le placer près du médium, Afin qu’il soit tout de suite frappé, ébranlé, convaincu. Mais, en général, cela n’en vaut pas la peine.

Au mois de septembre 1895, une nouvelle série d’expériences a été faite à l’Agnélas dans la villa du colonel de Rochas, administrateur de l’École polytechnique, avec le concours de docteur Dariex, directeur des Annales des sciences psychiques, du comte de Gramont, docteur-ès-sciences, du Dr J. Maxwell, substitut du procureur général près la Cour d’appel de Limoges, du professeur Sabatier, de la Faculté des sciences de Montpellier. Elles ont confirmé toutes les précédentes 29 #id_origin29.

Il en a été de même en septembre 1896, à Tremezzo, dans la famille Blech, alors en villégiature sur le lac de Côme ; puis à Auteuil, chez M. Marcel Mangin, avec MM. Sully Prudhomme, le Dr Dariex, Emile Desbeaux, A. Guerronnan et Mme Boisseaux. Arrêtons-nous un instant sur cette dernière séance.

Je signalerai d’abord la photographie de la table en suspension dans l’espace, lévitation qui n’a laissé aucun doute dans l’esprit des expérimentateurs, pas plus qu’elle n’en laisse dans celui de l’observateur qui examine avec attention cette photographie (pl. IX). La table est redescendue lentement, et la succession des images a été enregistrée par la photographie (même planche, fig. 2). Voici un extrait du compte rendu de M. de Rochas sur cette séance et sur la suivante :


Pl. IX. - A — Photographie d’une Table en suspension.


Pl. IX. - B — La Table retombant.

21 septembre. — La table se soulève des quatre pieds. M. Guerronnan a le temps d’en prendre une photographie, mais il craint qu’elle ne soit pas bonne. Nous prions Eusapia de recommencer. Elle y consent de bonne grâce. De nouveau la table est soulevée des quatre pieds. M. Mangin en avertit M. Guerronnan qui, de son poste, n’avait pas vu, et la table reste en l’air, jusqu’à ce qu’il ait eu le temps d’en prendre limage (de 3 à 4 secondes au maximum). La lumière éclatante du magnésium nous a permis à tous de constater la réalité du phénomène.

... Le rideau, établi dans l’angle de la pièce, vient subitement me couvrir la tête, puis je sens successivement trois pressions d’une main sur ma tête, pressions de plus en plus fortes : je sens les doigts qui appuient comme pourraient faire ceux de M. Sully Prudhomme, mon voisin de droite, dont je tiens la main gauche en faisant la chaîne.

C’est une main, ce sont des doigts qui viennent de me presser ainsi, mais de qui ? J’ai toujours eu la main droite d’Eusapia sur ma main gauche, qu’elle a saisie et serrée au moment de la production du phénomène.

... Je rejette le rideau resté sur ma tête, et nous attendons. « Meno luce », demande Eusapia. On baisse encore la lampe et on en cache la lumière derrière un paravent.

En face de moi est une fenêtre aux persiennes closes, mais d’où filtre la clarté de la rue.

Dans le silence, mon attention est surprise par l’apparition d’une main, une petite main de femme, que je vois grâce à la faible clarté venant de la fenêtre. Ce n’est pas l’ombre d’une main ; c’est une main en chair (je n’ajoute pas « et en os, » car j’ai l’impression qu’elle n’en a pas) ; cette main se ferme et se rouvre trois fois, et cela dans un temps suffisamment long pour me permettre de dire : « À qui cette main ? à vous, monsieur Mangin — Non. — Alors, c’est une matérialisation ? — Sans doute, si vous tenez la main droite du médium, je tiens l’autre. »

J’avais alors la main droite d’Eusapia sur ma main gauche, et ses doigts entrelaçaient les miens.

Or, la main que j’ai vue était une main droite, étendue, présentée de profil. Elle est restée un instant immobile, dans l’espace, à 60 ou 70 centimètres au-dessus de la table et à 90 centimètres environ d’Eusapia. Comme son immobilité (je suppose) ne me la faisait pas remarquer, elle s’est fermée et rouverte ; ce sont ces mouvements qui ont attiré mes regards.

Ma position favorable par rapport à la fenêtre n’a malheureusement permis qu’à moi seul de voir cette main mystérieuse, mais M. Mangin a vu, à deux reprises, non pas une main, mais l’ombre d’une main se profiler sur la fenêtre opposée.

Eusapia tourne la tête dans la direction du rideau derrière lequel se trouve un lourd fauteuil de cuir, et le lourd fauteuil vient, écartant le rideau, s’appuyer contre moi.

Elle me prend la main gauche, l’élève au-dessus de la table de toute la longueur de son bras droit et fait le simulacre de frapper : trois coups retentissent sur la table.

Une sonnette est mise devant Eusapia. Celle-ci étend ses deux mains à droite et à gauche de la sonnette, à une distance de 8 à 10 centimètres, puis elle ramène ses mains vers son corps, et voici la sonnette entraînée, glissant sur la table jusqu’à ce qu’elle butte et se renverse. Eusapia recommence l’expérience plusieurs fois. On croirait que ses mains ont des prolongements invisibles, et cela me semble justifier le nom de « force ecténeique », que donna à cette énergie inconnue le professeur Thury, de Genève, en 1855.

Je me demande si, entre ses doigts, elle ne tient pas quelque fil invisible quand, soudain, une démangeaison irrésistible lui fait porter la main gauche à son nez ; la main droite est restée sur la table auprès de la sonnette, les deux mains sont éloignées en cet instant de 60 centimètres environ. J’observe avec soin. Eusapia repose sa main gauche sur la table, à quelques centimètres de la sonnette, et celle-ci est, de nouveau, mise en mouvement. Étant donné le geste d’Eusapia, il lui aurait fallu, pour exécuter ce tour, un merveilleux fil élastique, absolument invisible, car en une lumière suffisante, nos six yeux étaient, pour ainsi dire, sur la sonnette ; les miens en étaient distants de 30 centimètres au plus.

C’est un phénomène sûr, indéniable, et je ramène chez lui Sully-Prudhomme, parfaitement convaincu comme moi.

Le poète des Solitudes et de la Justice écrit de son côté :

Après une attente assez longue, un lourd tabouret d’architecte s’est avancé tout seul vers moi. Il m’a frôlé le côté gauche, s’est élevé à la hauteur de la table et est venu se poser dessus.

Ayant levé la main, je l’ai sentie prise aussitôt.

— Pourquoi me prenez-vous la main ? ai-je demandé à mon voisin.

— Mais non, me répondit-il, ce n’est pas moi.

Pendant que se produisaient ces phénomènes, Eusapia avait l’air de souffrir. Il semblait qu’elle fournit, de son propre fonds physiologique, toute la force nécessaire pour faire mouvoir les objets.

Après la séance, alors qu’elle était encore très prostrée, nous vîmes s’avancer vers elle un fauteuil qui se trouvait derrière le rideau, comme s’il voulait dire : « Tiens, on m’a oublié, moi... »

Ma conviction est que j’ai assisté à des phénomènes que je ne peux ramener à aucune loi physique ordinaire. Mon impression est que la fraude, dans tous les cas, est plus qu’invraisemblable, au moins en ce qui concerne les déplacements à distance des meubles pesants disposés par mes compagnons et moi. C’est tout ce que je puis dire. Pour moi, j’appelle naturel ce qui est scientifiquement constaté. De sorte que le mot mystérieux signifie simplement ce qui est encore surprenant, faute de pouvoir être expliqué. J’estime que l’esprit scientifique consiste à constater des faits, à ne nier a priori aucun fait qui n’est pas en contradiction avec les lois acquises, et à n’en accepter aucun qui n’ait été déterminé par des conditions vérifiables et sûres.

Séance du 26 septembre. — Un buste noir s’avance sur la table, venant de la direction d’Eusapia ; puis un autre, puis un autre : « On dirait, remarque M. Mangin, des ombres chinoises », avec cette différence que, moi, mieux placé à cause de la clarté de la fenêtre, je peux constater les dimensions de ces singulières images, et surtout leur épaisseur. Tous ces bustes noirs sont des bustes de femmes, de grandeur nature, mais, quoique imprécis, ne ressemblant pas à Eusapia. Le dernier, bien formé, est celui d’une femme paraissant jeune et jolie. Ils glissent entre nous, ces bustes qui semblent émaner du médium, et, parvenus au milieu ou aux deux tiers de la table, ils s’inclinent tout d’une pièce, et s’évanouissent. Cette rigidité me fait penser à des ombres de buste, qui se seraient échappées de l’atelier d’un sculpteur, et je murmure : « On croirait voir des bustes moulés en carton ». Eusapia a entendu. « Non ! pas carton (sic) ! » dit-elle d’une voix indignée. Elle ne donne pas d’autre explication, mais elle ajoute, cette fois en italien : « Pour montrer que ce n’est pas le corps du médium, vous allez voir un homme avec de la barbe ; attention ! » Je ne vois rien, mais le Dr Dariex se sent le visage caressé assez longuement par une barbe.

De nouvelles expériences faites à Gênes en 1901, auxquelles assistait M. H. Morselli, professeur de psychologie à l’Université de Gênes, ont eu pour rapporteur mon savant ami l’astronome Porro, successivement directeur des observatoires de Gênes et de Turin, aujourd’hui directeur de l’Observatoire national de la République Argentine à La Plata. Voici quelques extraits de ce Rapport 30 #id_origin30.

Dix ans à peu près se sont passés depuis qu’Eusapia Paladino a débuté par les mémorables séances de Milan, dans ses tournées médiumniques à travers l’Europe. Objet de sagaces recherches de la part d’observateurs expérimentés et savants, point de mire de plaisanteries, d’accusations, de sarcasmes, exaltée par quelques fanatiques comme une personnification des puissances surnaturelles, honnie par d’autres comme une vulgaire bateleuse, l’humble mercière de Naples a fait tant de bruit dans le monde qu’elle en est elle-même ennuyée et mécontente.

J’en ai bien eu la preuve lorsque je pris congé d’elle, après avoir écouté, avec beaucoup de curiosité, les anecdotes qu’elle me racontait sur ses séances et sur les hommes remarquables avec lesquels elle s’est trouvée en rapport : Ch. Richet, Schiaparelli, Lombroso, Flammarion, Sardou, Aksakof, etc. Elle me recommande alors avec quelque insistance de ne pas parler dans les journaux de sa présence à Gênes et des expériences auxquelles elle devait se prêter. Heureusement qu’elle a de bonnes raisons pour ne pas lire les journaux.

Pourquoi a-t-on choisi un astronome pour rendre compte des expériences de Gênes ? Pourquoi les astronomes s’occupent-ils de recherches sur l’inconnu 31 #id_origin31.

Si un homme absorbé par ses études et attaché à une méthode austère de vie laborieuse, tel que mon vénéré maître M. Schiaparelli, n’a point hésité à défier les lazzis irrévérents des journaux comiques, il faut bien en conclure que le lien entre la science du ciel et celle de l’âme humaine est plus intime qu’il ne paraît. En voilà l’explication la plus probable. Il s’agit de phénomènes qui se manifestent en des conditions tout à fait spéciales et encore indéterminées, conformément à des lois presque inconnues et, en tout cas, d’un caractère tel que la volonté de l’expérimentateur n’a que bien peu d’influence sur les volontés autonomes et souvent contraires qui s’y décèlent à tout moment. Personne n’est mieux préparé qu’un astronome par une éducation scientifique adaptée à de telles conditions. En effet, dans l’observation systématique des mouvements célestes, l’astronome contracte l’habitude de demeurer spectateur vigilant et patient des faits, sans tâcher d’en arrêter ou d’en activer le déroulement fatal... En d’autres mots, l’étude de ces phénomènes se rapporte à la science d’observation plutôt qu’à celle d’expérimentation.

Le professeur Porro expose ensuite la situation actuelle de la question des phénomènes médiumniques :

L’explication qui se fonde sur la fraude, consciente ou inconsciente, dit-il, est aujourd’hui à peu près abandonnée, tout aussi bien que celle qui supposait une hallucination. Ni l’une ni l’autre ne suffisent, en effet, à nous éclairer sur tous les faits observés. L’hypothèse de l’action automatique inconsciente du médium n’a pas obtenu un meilleur sort, puisque les contrôles les plus rigoureux nous ont prouvé que le médium se trouve dans l’impossibilité de provoquer un effet dynamique direct. La physio-psychologie s’est alors trouvée obligée, en ces dernières années, à avoir recours à une suprême hypothèse, en acceptant les théories de M. de Rochas, contre lesquelles elle avait jusqu’alors dirigé ses foudres les plus sévères. Elle s’est résignée à admettre qu’un médium, dont les organes se trouvent contraints à l’immobilité par un contrôle rigoureux, peut, en certaines conditions, projeter en dehors de lui-même, et à la distance de quelques mètres, une force suffisante pour produire certains phénomènes de mouvement sur les corps inanimés.

Les partisans les plus hardis de cette hypothèse vont jusqu’à accepter la création éphémère de membres pseudo-humains, — de bras, de jambes, de têtes, — à la formation desquels doivent probablement coopérer, avec les énergies du médium, celles des autres personnes présentes, et qui ne tardent pas ensuite à disparaître, en se dissolvant.

Avec cela, on ne parvient pas encore à admettre l’existence d’êtres autonomes, auxquels les organismes humains donneraient seulement le moyen d’exercer leur action — et bien moins encore on admet l’existence d’esprits qui aient animé des êtres humains...

Pour sa part, M. Porro déclare ouvertement qu’il n’est ni matérialiste, ni spiritualiste : il dit n’être prêt à accepter, a priori, ni les négations de la psychophysiologie, ni la foi des spirites.

Il ajoute que les neuf personnes qui assistaient avec lui aux séances représentaient les plus différentes graduations d’opinion sur le sujet, depuis les spirites les plus convaincus jusqu’aux sceptiques les plus incorrigibles. D’ailleurs, sa tâche n’était pas celle d’écrire un compte rendu officiel, approuvé par tous les expérimentateurs, mais uniquement de rapporter fidèlement ses propres impressions.

Voici les principales, choisies dans les diverses séances.

J’ai vu, et bien vu, la table, en bois brut de sapin, à quatre pieds, longue d’un mètre et large de cinquante centimètres à peu près, se soulever plusieurs fois du sol et rester suspendue en l’air, sans aucun contact avec les objets visibles, à quelques décimètres de hauteur au-dessus du parquet, pendant l’espace de deux, trois et même quatre secondes.

Ce phénomène se renouvela en pleine lumière, sans que les mains du médium et des cinq personnes qui formaient la chaîne autour de la table touchassent aucunement celle-ci ; les mains d’Eusapia étaient gardées par ses voisins, qui contrôlaient aussi ses jambes et ses pieds, de telle façon qu’aucune partie de son corps fût à même d’exercer la moindre pression pour soulever ou pour soutenir en l’air le meuble assez lourd dont il s’agit.

C’est dans des conditions tout aussi sûres que j’ai pu voir s’enfler un drap noir très épais et des rideaux rouges qui se trouvaient derrière le médium et qui servaient à fermer l’embrasure de la fenêtre.

La croisée était soigneusement fermée, il n’y avait dans la chambre aucun courant d’air, et il est absurde de supposer que des individus se trouvaient cachés dans l’embrasure de la fenêtre. Je crois donc pouvoir affirmer en toute sûreté qu’une force analogue à celle qui avait produit la lévitation de la table s’est manifestée dans les rideaux, les a enflés, les a agités et les a poussés de façon qu’ils touchassent tantôt l’un, tantôt l’autre des assistants.

À ce moment, se produisit un fait qui mérite d’être signalé comme une preuve, ou tout au moins comme un indice du caractère intelligent de la force en question.

Me trouvant vis-à-vis de Mme Paladino, dans le point le plus éloigné d’elle, je me suis plaint de ne pas avoir été touché, comme l’avaient été les quatre autres personnes qui formaient le cercle. Aussitôt, je vis le lourd rideau se soulever et venir me frapper à la figure par son extrémité inférieure, pendant que je ressentais un choc léger sur les phalanges des doigts, tel d’un corps en bois, très fragile et délicat.

Un coup formidable, un coup de poing d’athlète, est frappé au milieu de la table. La personne assise à droite du médium se sent saisir par les flancs ; on lui emporte la chaise sur laquelle elle était assise et on pose celle-ci sur la table, d’où elle revient ensuite à sa place, sans que nul ne l’ait touchée. L’expérimentateur dont il s’agit, resté debout, peut s’y asseoir de nouveau. Le contrôle de ce phénomène n’a rien laissé à désirer.

Les coups se répètent, si violents qu’on dirait qu’ils doivent fendre la table. On commence à sentir des mains qui soulèvent et gonflent les rideaux et qui s’avancent jusqu’à toucher tantôt l’un, tantôt l’autre des assistants, les caressant, leur serrant la main, leur tirant délicatement une oreille ou tapant gaiement dans l’air, sur nos têtes.

Je trouve toujours bien singulier et bien intentionnel le contraste entre ces attouchements quelquefois énergiques et nerveux, d’autres fois délicats et doux, mais constamment aimables, et les coups assourdissants, violents, brutaux frappés sur la table.

Un seul de ces coups de poing, frappé dans le dos, suffirait pour briser la colonne vertébrale.

Ce sont des mains fortes et larges d’hommes, des mains plus mignonnes de femmes, de toutes petites mains d’enfants.

On diminue quelque peu l’obscurité, et aussitôt la chaise du numéro 5 (le professeur Morselli) qui avait déjà fait un bond de côté, se dérobe, pendant qu’une main se pose sur son dos et sur son épaule. La chaise monte sur la table, descend de nouveau à terre et, après différentes oscillations en sens vertical et en sens horizontal, va se placer sur la tête du professeur resté debout. Elle y demeure pendant quelques minutes, dans une position d’équilibre très instable.

Les coups violents et les attouchements délicats de mains grosses et petites se suivent sans interruption, de telle façon que, sans que l’on puisse prouver mathématiquement la simultanéité de différents phénomènes, elle est toutefois presque certaine en plusieurs cas.

Pendant que nos instances augmentent pour obtenir un argument si précieux de démonstration, la simultanéité que nous demandons nous est enfin accordée ; car la table frappe, la sonnette retentit, le tambour de basque est porté tout autour de la salle en tintant sur nos têtes, se pose sur la table et reprend son vol dans l’air...

Un bouquet de fleurs qui se trouvait dans le goulot d’une carafe, sur la plus grande table, arrive sur la nôtre, précédé d’une agréable sensation de parfum. Les tiges de quelques fleurs s’introduisent dans la bouche du numéro 5, et le numéro 8 est frappé par une balle en caoutchouc qui rebondit sur la table.

La carafe vient rejoindre les fleurs sur la table ; ensuite elle se lève et se porte à la bouche du médium en lui faisant boire deux fois ; entre l’une et l’autre reprise, elle se replace debout sur la table. Nous entendons distinctement la déglutition de l’eau, après quoi Mme Paladino demande qu’on lui essuie la bouche avec un mouchoir. Enfin, la carafe retourne sur la grande table.

Mais voilà que s’effectue un transport d’un caractère tout à fait différent. Je m’étais plaint, à plusieurs reprises, que ma position dans la chaîne, loin du médium, m’ait empêché d’être touché pendant la séance. Tout à coup, j’entends un bruit sur le mur de la chambre, suivi par le tintement des cordes de la guitare qui vibraient comme si l’on eût cherché à détacher l’instrument de la muraille où il était accroché. Enfin l’effort réussit, et la guitare s’avance vers moi en direction oblique.

Je l’ai vue distinctement arriver entre moi et le numéro 8, avec une rapidité qui en rendait peu désirable le choc. Ne pouvant tout d’abord me rendre compte de cette masse noirâtre qui arrivait sur moi, je me suis esquivé du côté droit (le numéro 8 siégeait à ma gauche) : alors la guitare, changeant de route, me frappe, avec une certaine force, trois coups avec le manche sur le front (qui resta un peu meurtri pendant deux ou trois jours) ; après quoi elle se place délicatement sur la table.

Elle n’y reste pas longtemps et commence à tourner tout autour de la salle, bien haut sur nos têtes, avec rotation à droite et à grande vitesse.

Il convient de remarquer que, dans cette rotation accompagnée, en plus de la vibration des cordes, par le son du tambour de basque frappé tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, en l’air, la grosse guitare n’a jamais cogné le lampadaire central à lumière électrique, ni les trois lampes à gaz fixées aux parois de la chambre. Étant donnée l’étroitesse de la chambre, il était assez difficile d’éviter ces obstacles, puisque l’espace resté libre était fort borné.

La guitare exécuta par deux fois de suite son vol en rond, en venant se reposer, entre l’une et l’autre reprise, au milieu de la table, où elle s’arrêta enfin définitivement.

Dans un effort suprême, Eusapia se tourne vers sa gauche où se trouvait, sur une table, une machine à écrire, pesant 6 kilos. Dans son effort, le médium tombe, épuisé, sans force, sur le parquet ; mais la machine se lève de sa place et se porte au milieu de notre table, près de la guitare.

En pleine lumière, Eusapia appelle M. Morselli, et, contrôlée par deux voisins, l’emmène avec elle vers la table sur laquelle est placé un bloc de plâtre à mouler. Elle lui prend la main ouverte et la pousse trois fois sur le plâtre comme pour l’enfoncer et laisser sur lui une empreinte. La main de M. Morselli resta à une distance de plus de dix centimètres du bloc ; néanmoins, à la fin de la séance, les expérimentateurs vérifièrent que le bloc portait l’empreinte de trois doigts — empreintes plus profondes que ce qu’il est possible d’obtenir directement au moyen d’une pression volontaire.

Le médium lève ses deux mains, toujours serrées par les miennes et celles du numéro 5 (Morselli), et, tout en poussant des gémissements, des cris, des exhortations, elle se soulève avec sa chaise, jusqu’à poser ses deux pieds et les bouts des deux bâtons antérieurs de la chaise sur la planche supérieure de la table.

C’est un moment de grande anxiété. La lévitation s’était accomplie sans aucun choc, sans aucune secousse, rapidement, mais sans soubresaut. En d’antres termes, si l’on voulait par un effort de défiance suprême, imaginer un artifice pour obtenir le même résultat, on devrait songer plutôt à une traction d’en haut (au moyen d’une corde et d’une poulie) qu’à une poussée d’en bas.

Mais ces deux hypothèses ne soutiennent ni l’une ni l’autre l’examen le plus élémentaire des faits...

Ce n’est pas tout encore. Eusapia s’est encore soulevée avec sa chaise, de la partie supérieure de la table, de telle sorte que le numéro 11 d’un côté et moi de l’autre, nous avons pu passer la main sous les pieds du médium et sous ceux de la chaise.

D’ailleurs, le fait que les deux pieds postérieurs de la chaise étaient restés hors de la table, sans aucun appui visible, rend encore plus inconciliables les effets de cette lévitation avec la supposition qu’Eusapia se soit soulevée au moyen d’un bond qu’elle aurait fait faire à son corps et à la chaise.

M. Porro juge que ce phénomène est l’un de ceux qui s’expliquent le moins facilement sans avoir recours à l’hypothèse spirite. C’est un peu comme cet homme qui, tombé à l’eau, pensait se saisir par les cheveux pour en sortir.

Eusapia, ajoute M. Porro, est redescendue sans secousse, petit à petit, toujours tenue au moyen des mains par le numéro 5 et par moi ; la chaise, montée un peu plus haut, se renversa et vint se placer sur ma tête, d’où elle retourna spontanément sur le parquet.

Le phénomène se renouvela ; Eusapia et sa chaise furent de nouveau transportées sur la table, seulement, cette fois, le résultat de la fatigue supportée par le médium a été tel, que la pauvre femme tomba évanouie sur la table, d’où nous l’avons enlevée avec tous les soins nécessaires.

Les expérimentateurs désirèrent connaître si ces phénomènes, dont la réussite dépend en si grande partie des conditions de lumière, ne pouvaient trouver une aide dans la lumière blanche et tranquille qui vient de notre satellite.

Ils durent se persuader qu’il n’y avait pas une différence appréciable entre la lumière lunaire et les autres. Mais la table autour de laquelle ils avaient formé la chaîne quitta la véranda où se tenait la séance, et, malgré les désirs fortement exprimés par les assistants et par le médium lui-même, se porta dans la chambre voisine, où la séance continua.

Cette chambre était un petit salon tout plein de meubles élégants et d’objets fragiles, tels que des lustres en cristal, des vases en porcelaine, des bibelots, etc. Les expérimentateurs craignaient fort que tout cela n’eût à souffrir dans le tourbillon de la séance, mais pas le moindre objet n’a été endommagé.

Mme Paladino, parfaitement réveillée, saisit la main du numéro 11 et la pose délicatement sur le dos d’une chaise en y superposant sa main à elle ; alors, soulevant sa main et celle du numéro 11, la chaise suit le même mouvement d’ascension à plusieurs reprises.

Le phénomène se répète en pleine lumière.

Le numéro 5, ainsi que d’autres assistants, aperçoivent, de manière à n’en pouvoir douter, une figure vague, indistincte, qui se projette dans l’embrasure d’une porte donnant sur l’antichambre, faiblement illuminée. Ce sont des silhouettes fuyantes et changeantes, tantôt avec un profil de tête et de corps humains, tantôt comme des mains qui sortent des rideaux. Leur caractère objectif est démontré par la concordance des impressions, contrôlées à leur tour au moyen d’enquêtes continuelles. Il ne pouvait pas être question d’ombres projetées volontairement ou involontairement par les corps, puisqu’on se surveillait mutuellement.

La dixième séance, la dernière, a été l’une des mieux remplies, peut-être la plus intéressante de toutes.

À peine la lumière électrique a-t-elle été éteinte, on remarque un mouvement automatique de la chaise sur laquelle a été posé un bloc de plâtre, tandis que les mains et les pieds d’Eusapia sont attentivement contrôlés par moi et par le numéro 3. En tout cas, comme s’il s’agissait de prévenir l’objection que les phénomènes se poursuivent dans l’obscurité, la table demande typtologiquement la lumière, et les expérimentateurs allument la lampe électrique.

Aussitôt, tous les assistants voient la chaise qui porte le bloc de plâtre, pas léger du tout, se mouvoir entre moi et le médium, sans qu’on puisse comprendre ce qui détermine ce mouvement.

Mme Paladino met ma main étendue sur le dos de la chaise et sa gauche au-dessus ; lorsque nos mains se soulèvent, la chaise en fait autant, sans contact, arrivant jusqu’à quinze centimètres de hauteur environ.

Le phénomène se renouvelle à plusieurs reprises également avec l’intervention de la main du numéro 5, dans des conditions de lumière et de contrôle qui ne laissent rien à désirer.

On refait l’obscurité presque complète...

Un courant d’air froid sur la table précède l’arrivée d’un petit rameau avec deux feuilles vertes ; nous reconnaissons tous qu’il n’y a pas de végétaux dans les locaux du Cercle ; il paraît donc qu’il s’agit d’un phénomène d’apport de l’extérieur.

Le numéro 3 est épuisé par la chaleur. Voilà qu’une main lui ôte le mouchoir autour du cou et lui essuie la sueur de la figure. Il cherche à saisir le mouchoir avec les dents, mais on le lui arrache. Une grosse main lui soulève la main gauche et lui en fait taper plusieurs coups sur la table.

Des lumières commencent à paraître, tout d’abord sur la main droite du numéro 5 ; ensuite en différents côtés de la salle : elles sont aperçues par tous les assistants.

Le rideau s’enfle, comme s’il était poussé par un vent très fort, et va toucher le numéro 11 qui est assis sur un petit fauteuil, à un mètre et demi du médium. La même personne est touchée par une main, pendant qu’une autre main lui tire un éventail de la poche intérieure du veston, le porte au numéro 5 et puis de nouveau au numéro 11.

On retire bientôt l’éventail à son propriétaire et on l’agite sur nos têtes, à la grande satisfaction de nous tous. On ôte de la poche du numéro 3 une blague de tabac, on la vide sur la table et on la remet au numéro 10. Diverses tiges d’herbe arrivent sur la table.

Les passages de l’éventail d’une main à l’autre recommencent. Alors le numéro 11 se croit en devoir d’annoncer que l’éventail lui avait été offert par une jeune fille qui avait exprimé le désir qu’il fût ôté au numéro 11, puis remis au numéro 5. Personne ne savait la chose, en dehors du numéro 11.

Le numéro 5, qui à présent occupe le petit fauteuil où auparavant le 11 était assis, à un mètre et demi du médium, sent arriver le bas du rideau et perçoit ensuite la présence d’un corps de femme dont les cheveux s’appuient sur sa tête.

On lève la séance vers une heure.

Au moment de partir, Eusapia voit une sonnette placée sur le piano : elle tend la main. La sonnette glisse sur le piano, se renverse et tombe sur le parquet.

On renouvelle l’expérience, toujours en pleine lumière, la main du médium demeurant à plusieurs décimètres de la sonnette...

Ces faits sont, comme on le voit, plus extraordinaires encore que les précédents, à certains égards. Voici maintenant les conclusions du Rapport du professeur Porro.

Les phénomènes sont réels ; ils ne peuvent s’expliquer ni par la fraude ni par l’hallucination. Trouveront-ils leur explication dans certaines couches de l’inconscient, dans quelque faculté latente de l’âme humaine, ou bien révéleront-ils l’existence d’autres entités vivant dans des conditions toutes différentes des nôtres et normalement inaccessibles à nos sens ?

En d’autres termes, l’hypothèse animique suffit-elle pour résoudre le problème et pour écarter l’hypothèse spirite ? ou plutôt, les phénomènes ne servent-ils pas ici, comme dans la psychologie des songes, à compliquer le problème en masquant la solution spirite ? C’est à ce formidable point d’interrogation que je vais essayer de répondre.

Lorsque, il y a onze ans, Alexandre Aksakof posait le dilemme entre l’Animisme ou le Spiritisme, et démontrait clairement, dans un livre magistral, que les manifestations purement animiques étaient inséparables de celles qui nous font penser et croire à l’existence d’entités autonomes, intelligentes et actives, personne n’aurait pu s’attendre à ce que le premier terme du dilemme serait controversé et critiqué de mille manières, sous mille transformations diverses, par ceux qui s’effraient du second.

Que sont, en effet, toutes les hypothèses imaginées depuis dix ans pour ramener les phénomènes médiumniques à la simple manifestation de qualités latentes de la psyché humaine, sinon des formes diverses de l’hypothèse animique, si raillée quand elle a paru dans l’ouvrage d’Aksakof ?

De l’action musculaire inconsciente des assistants (mise en avant il y a un demi-siècle par Faraday) jusqu’à la projection de l’activité protoplasmique ou à l’émanation temporaire du corps du médium imaginée par Lodge ; de la doctrine psychiatrique de Lombroso, jusqu’à la psychophysiologie d’Ochorowicz ; de l’extériorisation qu’admet Rochas à l’ésopsychisme de Morselli ; de l’automatisme de Pierre Janet au dédoublement de la personnalité d’Alfred Binet ; ce fut un débordement d’explications ayant pour but l’élimination d’une personnalité extérieure.

Le procédé était logique et conforme aux principes de la philosophie scientifique, laquelle nous apprend à épuiser les possibilités de tout ce qui est déjà connu avant de recourir à l’inconnu.

Mais ce principe, inattaquable en théorie, peut conduire à des résultats erronés quand on l’étend trop loin, et avec obstination, dans un champ donné de recherches. Vallati a cité à ce propos une curieuse apostille de Galilée, publiée récemment dans le troisième volume de l’édition nationale de ses œuvres : « Si l’on réchauffe l’ambre, le diamant ou certaines autres matières très denses, elles attirent les petits corps légers, parce qu’en se refroidissant elles attirent l’air, qui entraîne ces corpuscules. » Ainsi, la volonté de faire rentrer de force un fait physique non encore expliqué dans les lois physiques connues de son temps, a fait formuler une proposition fausse à un observateur et à un penseur aussi prudent et aussi positif que l’était Galilée. Si quelqu’un lui avait dit que, dans cette attraction exercée par l’ambre, il y avait le germe d’une nouvelle branche de science et la manifestation la plus rudimentaire d’une énergie, « l’électricité », alors inconnue, il eût probablement répondu qu’il était inutile de « recourir à l’aide de l’inconnu 32 #id_origin32 ».

Mais l’analogie entre l’erreur commise par le grand physicien et celle que commettent les savants modernes peut se pousser encore plus loin.

Galilée connaissait une forme de l’énergie que la physique moderne étudie, en même temps que l’énergie électrique, avec laquelle elle présente des relations étroites que confirment toutes les découvertes nouvelles. S’il s’était aperçu que l’explication qu’il donnait pour le phénomène de l’ambre n’avait aucun fondement, il aurait pu porter son attention sur les analogies que l’attraction exercée par l’ambre frotté sur les corps légers présente avec l’attraction exercée par l’aimant sur la limaille de fer. Arrivé à ce point, il eût très probablement écarté sa première hypothèse et aurait admis que l’attraction de l’ambre est un phénomène magnétique. — Et il se serait trompé, parce qu’elle est, au contraire, un phénomène électrique.

De même, ceux-là ne pourraient-ils pas se tromper qui, pour éviter à tout prix la nécessité de nouvelles entités, insisteraient avec une trop constante prédilection sur l’hypothèse animique, alors même que celle-ci se trouverait insuffisante pour expliquer toutes les manifestations médiumniques ? Ne pourrait-il pas arriver que, comme les phénomènes électriques et magnétiques qui sont entre eux en connexion étroite, et souvent nous paraissent inséparables, les phénomènes animiques et les phénomènes spirites présentent une liaison semblable ? Et remarquons bien qu’un seul fait inexplicable par l’hypothèse animique et explicable par l’hypothèse spirite suffirait à conférer à cette dernière le degré de valeur scientifique qui jusqu’à présent lui a été dénié avec tant d’énergie ; absolument comme la découverte d’un phénomène secondaire, celui de la polarisation de la lumière, suffit à Fresnel pour rejeter la théorie newtonienne de l’émission et admettre celle de l’ondulation.

Avons-nous obtenu, au cours de nos dix séances avec Eusapia, le fait qui suffit à rendre nécessaire l’hypothèse spirite de préférence à toutes les autres ?

Il est impossible de répondre d’une façon catégorique à cette question, parce qu’il n’est pas — et il ne sera jamais possible — d’avoir une preuve scientifique d’identité de la part des êtres qui se manifestent.

Que j’entende, que je voie, que je touche un fantôme, que je reconnaisse en lui la forme et l’attitude de personnes que j’ai connues et que le médium n’a pas connues ni même entendu nommer, que j’aie de cette apparition éphémère les plus vifs et les plus émouvants témoignages, rien de tout cela ne pourra suffire à constituer le fait scientifique irréfutable pour tous, destiné à rester dans la science avec les expériences de Torricelli, d’Archimède ou de Galvani. — Il sera toujours possible d’imaginer un mécanisme inconnu à l’aide duquel la matière et la force sont tirées du médium et des assistants et combinées de façon à produire les effets indiqués. — Il sera toujours possible de trouver dans les aptitudes spéciales du médium, dans la pensée des assistants et dans l’attention expectante elle-même, la cause de l’origine humaine des faits. — Il sera toujours possible de déterrer, dans l’arsenal des attaques produites contre ces études pendant les cinquante dernières années, quelque argument générique ou spécifique, ad rem ou ad hominem, en ignorant ou feignant d’ignorer la réfutation déjà faite de ce même argument.

La question se réduit donc d’abord à une étude individuelle des faits vus directement, ou connus de source certaine, afin, d’une part, de se créer une conviction personnelle capable de résister aux railleries féroces des sceptiques, et, d’autre part, de préparer l’opinion publique à admettre la vérité des faits observés par des personnes dignes de foi.

Sur le premier point, un expérimentateur illustre, Sidgwick, a déjà dit qu’il n’existait pas de fait capable de convaincre tout le monde, mais que chacun pouvait, en observant avec calme et patience, arriver au fait qui suffit pour établir sa conviction personnelle. Je puis dire que, pour moi, ce fait existe ; il suffit de me reporter aux phénomènes qui m’ont touché personnellement dans ces séances avec Eusapia.

Sur le second point, j’aurais beaucoup à dire, mais cela m’entraînerait hors du thème et des limites de cette étude.

D’un côté, nous avons l’universelle croyance en l’existence objective d’un monde normalement inconnu pour nous ; la confiance, base de toutes les religions, en une vie future où les injustices de celle-ci seront réparées et où on retrouvera le bien ou le mal qu’on aura fait ; la tradition ininterrompue de pratiques spontanées ou méthodiques grâce auxquelles l’homme est constamment tenu en relation plus on moins directe avec ce monde.

Du côté opposé, nous avons la négation sceptique et désespérante des systèmes de la philosophie pessimiste et de l’athéisme, négation qui naît de l’absence de preuves positives en faveur de la survie de l’âme ; le mouvement toujours plus accentué de la science vers une interprétation moniste de l’énigme humaine ; le rattachement de tous les phénomènes connus de la vie à des organes spéciaux.

Pour décider dans une matière aussi abstruse, les expériences médiumniques ne suffisent pas ; chacun pourra tirer de celles-ci autant de foi et d’incrédulité qu’il lui en faudra pour résoudre ses doutes dans l’un ou dans l’autre sens ; mais il gardera toujours le substratum des dispositions que l’éducation plus ou moins positive de son esprit ou ses tendances plus ou moins mystiques auront développées en lui.

Un mot encore et j’ai fini.

En admettant comme l’hypothèse la plus probable que les entités intelligentes à qui l’on doit les phénomènes sont autonomes, préexistantes, et qu’elles ne tirent de nous que les conditions nécessaires pour leur manifestation dans un plan physique accessible à nos sens, devons-nous admettre aussi qu’elles soient vraiment les esprits des défunts ?

À cette question je répondrai que je ne me sens pas encore capable de donner une réponse décisive.

J’inclinerais toutefois à l’admettre, si je ne voyais la possibilité que ces phénomènes puissent rentrer dans un autre cadre encore plus vaste. Rien, en effet, ne nous empêche de croire à l’existence de formes de vie tout à fait différentes de celles que nous connaissons, et dont la vie des esprits humains avant la naissance et après la mort n’est qu’un cas spécial, comme la vie organique de l’homme est un cas spécial de la vie animale.

Mais je sors du terrain solide des faits pour m’aventurer dans celui des hypothèses les plus risquées, j’ai déjà parlé trop longuement ; je m’arrête.

Ces considérations, je les ai exposées en plusieurs de mes ouvrages 33 #id_origin33. Nous sommes entourés de forces inconnues, et rien ne nous prouve que nous ne soyions pas entourés aussi d’êtres invisibles. Nos sens ne nous apprennent rien sur la réalité. Mais la discussion des théories doit être logiquement réservée comme complément de l’ensemble des observations, c’est-à-dire au dernier chapitre. Ce qu’il importe avant tout, c’est de constater que les phénomènes médiumniques existent.

C’EST FAIT, me semble-t-il, pour tout lecteur impartial. Ce sera surabondamment confirmé par les chapitres suivants. Mais il est un point sur lequel nous devons nous arrêter un instant. Il s’agit de la fraude, consciente ou inconsciente, qu’il serait à la fois naïf et déloyal de dissimuler ici.

Notre jugement ne serait pas complet si nous ne consacrions pas un chapitre spécial à ces mystifications, malheureusement trop fréquentes chez les médiums.

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