Septième tableau

Dans le même décor – trois heures plus tard.

Gudin entre sans faire de bruit. Il cherche des yeux son ami. Il voit qu’il dort à poings fermés sur le canapé. Il s’en approche. Beaumarchais a quelque chose entre les mains – un manuscrit. Gudin le prend.

GUDIN. – « Le Barbier de Séville » – tiens !

(Il le repose auprès de lui. Beaumarchais ouvre alors les yeux – et, du regard, il le questionne.)

GUDIN. – Tu es condamné au blâme.

(Beaumarchais, très calme, se lève et – selon son habitude – il va marcher de long en large.)

BEAUMARCHAIS. – Madame Goëzman ?

GUDIN. – Condamnée comme toi.

BEAUMARCHAIS. – Et lui ?

GUDIN. – Qui – Goëzman ?… Hors de cour.

BEAUMARCHAIS. – C’est-à-dire ?

GUDIN. – Chassé.

BEAUMARCHAIS. – Ah – ah ?

GUDIN. – Oui.

BEAUMARCHAIS. – Et mes quinze louis ?

GUDIN. – Donnés aux pauvres.

BEAUMARCHAIS. – Et l’assistance ?

GUDIN. – Hurlante – et je l’ai fuie, tu le penses bien.

BEAUMARCHAIS. – Quelle heure est-il ?

GUDIN. – Minuit vingt.

BEAUMARCHAIS. – Mon Dieu – ç’a duré si longtemps ?

GUDIN. – Oui. Tu as dormi ?

BEAUMARCHAIS. – Grâce au « Barbier » – je l’ai relu.

GUDIN. – Et c’est lui qui t’a fait dormir ?

BEAUMARCHAIS. – Oui, parce qu’il m’a tranquillisé. C’est beaucoup mieux que je ne pensais.

GUDIN. – Et, s’il t’a fait dormir, c’est sur tes deux oreilles, en somme.

BEAUMARCHAIS. – Oui. C’est loin d’être parfait – mais c’est jouable, en tous cas. Je ne sais pas s’il me fera vivre un jour – mais, déjà, le voilà qui m’empêche de me tuer.

(On sonne.)

As-tu le sentiment que je vais être arrêté ?

GUDIN. – Oh ! Certainement pas. Tu seras convoqué sans doute dans deux jours.

(Gustave est entré – et il présente une lettre à Beaumarchais.)

BEAUMARCHAIS. – Il n’y a pas de réponse ?

GUSTAVE. – Non, Monsieur.

(Gustave sort. Beaumarchais a décacheté la lettre et il la lit.)

BEAUMARCHAIS. – Quoi ?… Le Prince de Monaco m’invite à déjeuner demain !… Qu’est-ce que cela veut dire ?

GUDIN. – Qu’il n’attache pas au blâme une grande importance.

(On entend alors crier dans la cour.)

BEAUMARCHAIS. – On crie dehors !

GUDIN. – Laisse crier la foule. Tu as ça !

(Il veut parler de la lettre reçue à l’instant.)

BEAUMARCHAIS. – Je préférerais… avoir les deux.

(Gustave entre et annonce :)

GUSTAVE. – Son Altesse Monseigneur le Prince de Conti.

(Le Prince de Conti paraît et va à Beaumarchais les bras ouverts.)

LE PRINCE DE CONTI. – Venez qu’on vous embrasse !… Mon ami, quel triomphe !… Le Parlement Maupeou s’effondre grâce à vous – et vous allez connaître une gloire inouïe !

(Sont entrés avec lui quatre gentilshommes et deux dames qui viennent féliciter Beaumarchais. Ils sont dans l’enthousiasme.)

PREMIER GENTILHOMME. – Il y a mille personnes en bas qui vous réclament !

BEAUMARCHAIS. – En êtes-vous bien sûr ?

PREMIÈRE DAME. – Ouvrez votre fenêtre – ils vont vous acclamer.

DEUXIÈME GENTILHOMME. – Les juges sont partis conspués par la foule – et ils se sont réfugiés dans les caves du Palais de Justice.

(Beaumarchais a ouvert une fenêtre – et sitôt qu’il s’y montre, on entend une clameur qui monte de la cour.)

LA FOULE. – Vive Beaumarchais !

TROISIÈME GENTILHOMME. – Oui, mais quand même il est blâmé – c’est bien dommage !

DEUXIÈME DAME. – Qu’est-ce que c’est que d’être blâmé ?

PREMIER GENTILHOMME. – C’est ignominieux ! On vous fait mettre à genoux et l’on vous dit : « La Cour te blâme et te déclare infâme. »

TOUS. – Oh !

LA VOIX DU PEUPLE. – Vive la liberté !

LE PRINCE DE CONTI, à Beaumarchais. – Vous en faites de belles !

(Beaumarchais referme la fenêtre – et tous prennent congé de lui.

Les ayant remerciés de la visite qu’ils lui ont faite, Beaumarchais les accompagne – et Gudin reste seul un instant.

Beaumarchais, de retour, tombe dans les bras de son ami.)

GUDIN. – Es-tu heureux ?

BEAUMARCHAIS. – Presque.

(On sonne.)

Tiens !

(Gustave ouvre la porte. Il laisse entrer une femme jeune et jolie – puis il se retire.

Elle n’est pas seulement jolie et jeune, cette femme, elle est altière et distinguée. C’est Madame Willermaulaz.

Elle se laisse regarder – puis, elle sourit à Beaumarchais et lui déclare :)

MADAME WILLERMAULAZ. – J’aimerais savoir jouer de la harpe. Ne voudriez-vous pas me donner des leçons ?

(Elle ajoute aussitôt :)

Si j’avais votre esprit, j’aurais trouvé sans doute un prétexte meilleur.

(Et, enfin, elle avoue :)

J’ai passé ma journée au Palais de Justice – et j’aimerais passer ma nuit auprès de vous.

(Beaumarchais n’est pas homme à s’en étonner.)

Je me suis dit : « Ce soir, il faut qu’il ait tout » – et, comme je n’ai pas une amie qui me vaille, je suis venue moi-même.

(Gudin commence à se demander s’il n’est pas de trop.)

Vous devez bien penser que, pour agir ainsi, il faut que je sois quelqu’un de bien – sans quoi je serais quelqu’un de tellement mal !

(Et, d’ailleurs, elle se présente :)

Marie-Thérèse Willermaulaz – dont le rêve serait de faire votre bonheur. Si vous avez encore des combats à livrer, des heures sombres à vivre, vous aurez, là, mon cœur – et ce que j’ai d’intelligence. Il n’y a pas que vous qui soyez courageux, vous savez !

(On la sent résolue et sincère.)

Vous avez retourné tantôt l’opinion publique en nous montrant ce que pourrait être un jour la liberté – vous méritez qu’on vous adore. C’était sublime – et sans cesser pourtant d’être spirituel. L’histoire des quinze louis – ah ! quel coup de théâtre !… Pour évincer le parlement ancien, il avait fallu Louis XV – quinze louis ont suffi pour sabrer le nouveau.

BEAUMARCHAIS. – Vous voyez qu’il ne valait pas cher !

MARIE-THÉRÈSE. – Vous voulez bien de moi ?

BEAUMARCHAIS. – Et je n’en veux plus d’autre.

(Il lui a tendu ses mains – et Gudin disparaît comme par enchantement.)

BEAUMARCHAIS. – C’est la troisième fois qu’on me demande en mariage.

MARIE-THÉRÈSE. – Mais – ce n’est pas cela que je vous demande. On prétend que vous avez tué vos deux premières femmes – et « jamais deux sans trois », dit-on – alors, épargnez-moi, soyez bon, généreux – et ne m’épousez pas.

BEAUMARCHAIS. – Alors, vous voulez donc que ce soit pour la vie ?

(Il l’étreint – et leurs bouches se rencontrent.)

BEAUMARCHAIS. – Miracle de l’amour – j’ai trouvé !

MARIE-THÉRÈSE. – Quoi ?

BEAUMARCHAIS. – Ce qu’il me reste à faire. Vous m’accompagnerez demain jusqu’à Versailles ?

MARIE-THÉRÈSE. – Avec plaisir.

BEAUMARCHAIS. – Soyez ici chez vous.

(Et, l’ayant fait asseoir sur le canapé, il se tient auprès d’elle.

Elle voit le manuscrit du « Barbier » qu’il avait laissé là.)

MARIE-THÉRÈSE. – « Le Barbier de Séville » ?

BEAUMARCHAIS. – Oui – vous venez peut-être un peu tard dans ma vie – mais j’ai l’impression que vous arrivez bien.

(Il la prend dans ses bras.)

ET LE RIDEAU SE FERME

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