Treizième tableau

Sur la scène du Théâtre-Français – le 23 Février 1775 – et le décor représente le décor – à l’envers – du dernier acte du Barbier de Séville.

On en donne la Première Représentation ce soir-là.

Au moment où le rideau se lève, on perçoit les dernières répliques de la pièce.

Beaumarchais, seul, est là – l’oreille collée au décor.

Puis, l’on entend le bruit que fait un rideau qui se ferme – et ce sont aussitôt des applaudissements couverts par des sifflets.

LE RÉGISSEUR, qui passe. – Cabale !

BEAUMARCHAIS. – Croyez-vous ?

LE RÉGISSEUR. – Ben, Voyons !

(Marie-Thérèse et Gudin s’en viennent de la salle, par la porte de fer, et courent à Beaumarchais.)

MARIE-THÉRÈSE, – C’est une honte !

GUDIN. – Une infamie !

BEAUMARCHAIS. – Je n’en suis pas sûr.

MARIE-THÉRÈSE. – Pourquoi dis-tu cela ?

BEAUMARCHAIS. – Parce que je me demande si la pièce est au point.

GUDIN. – Tu plaisantes ?

BEAUMARCHAIS. – Du tout.

(Deux personnages, sobrement vêtus, paraissent à ce moment, et venant, eux aussi par la porte de fer – c’est-à-dire : de la salle. Ils sont laids l’un et l’autre.)

LE MOINS LAID DES DEUX. – Je ne suis critique que depuis peu – que dois-je penser de cette pièce ?

L’AUTRE. – Que c’est une farce dégoûtante qui méritait d’être sifflée.

MARIE-THÉRÈSE. – Oh !… Qu’est-ce que c’est que cet homme-là ?

GUDIN. – C’est ce critique si connu… heu… heu…

BEAUMARCHAIS. – Son opinion me rassure, en tout cas.

MARIE-THÉRÈSE, à Gudin. – Vous ne trouvez toujours pas son nom ?

GUDIN. – Je l’ai sur la langue.

BEAUMARCHAIS. – Crache vite !

(Paraissent alors les cinq comédiens qui viennent d’interpréter les rôles de Figaro, de Bartholo, de Rosine, de Don Basile et d’Almaviva.)

Bravo à vous, mes interprètes, qui avez été parfaits – et, plus particulièrement, bravo à vous, Préville, qui avez été admirable dans votre rôle.

(Il s’adresse là à celui qui créa le personnage de Figaro – et qui tient sous son bras le manuscrit de la pièce.)

PRÉVILLE. – Nous sommes navrés de l’accueil outrageant d’un public – prévenu contre vous – mais aussi, disons-le, bouleversé par des mots qu’il entendait pour la première fois.

BEAUMARCHAIS. – Préville, je vous remercie de me dire cela – mais… rendez-moi ma pièce.

TOUS. – Oh !

BEAUMARCHAIS. – Je vous la rapporte dans trois jours – améliorée… complète cette fois. Faites-moi confiance.

(Préville lui rend à regret son manuscrit.)

PREVILLE. – Mais – considérez bien, Monsieur de Beaumarchais, que c’était vous qu’on attaquait ce soir – et non la pièce.

BEAUMARCHAIS. – Je le crois volontiers.

GUDIN. – On te calomniait, dans la salle…

BEAUMARCHAIS. – Oui, oui – précisément – et je veux en tenir compte. Je dois soigner mes ennemis.

(Puis s’adressant au comédien qui joue le rôle de Basile, il ajoute :)

Et je vous réserve, à cet égard, une surprise.

(Ils prennent, à présent, congé les uns des autres. Beaumarchais, Marie-Thérèse et Gudin ont fait quelques pas. Les cinq acteurs, groupés, chuchotent entre eux.)

MARIE-THÉRÈSE, se retournant. – Pierre, vois donc…

BEAUMARCHAIS. – Mes interprètes ?

MARIE-THÉRÈSE. – Non, tes personnages. Comment t’expliques-tu que – le rideau tombé – ils continuent de vivre encore ?

ET LE RIDEAU SE FERME

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