L'Iliade Scène 11 : Le désespoir d'Achille

Tandis que la bataille continuait, Antiloque, fils du roi Nestor, courut vers les vaisseaux, porteur de la nouvelle. Il trouva Achille devant sa baraque, le cœur déjà plein d'angoisse. Mais quand il entendit la terrible nouvelle que lui donnait Antiloque en pleurant, un sombre désespoir envahit Achille. À deux mains il répandit de la cendre sur sa tête et sur son beau visage. Il s'arracha les cheveux et s'étendit de tout son long dans la poussière, tandis que les femmes que Patrocle et lui avaient prises se frappaient la poitrine en gémissant. Antiloque, qui pleurait toujours lui aussi, tenait les mains d'Achille, de crainte qu'il ne vînt à se couper la gorge.

Alors Achille poussa un cri affreux, que sa mère entendit du fond de la mer où elle était assise avec ses sœurs, les nymphes. Elle se mit à gémir à son tour, et toutes les nymphes de la mer se frappèrent la poitrine et se joignirent à sa lamentation.

« Écoutez, mes sœurs, dit-elle, les soucis de mon cœur. Je suis la mère du plus grand des héros. Je l'ai élevé et soigné comme une jeune plante et je l'ai envoyé se battre à Troie, parce qu'il avait choisi une vie courte et glorieuse. Et cette vie est assombrie par le chagrin. J'irai vers lui pour savoir quelle en peut être la raison. »

Alors elle quitta sa grotte, et toutes les nymphes la suivirent en fendant les flots. Elles arrivèrent enfin sur le rivage où se trouvaient les vaisseaux des Myrmidons. Thétis trouva là son fils Achille qui sanglotait.

Prenant la tête de son fils dans ses mains, elle lui dit : « Mon enfant, pourquoi pleures-tu ? Qu'est-ce donc qui te chagrine ? Zeus ne t'a-t-il pas donné tout ce que tu désirais, en faisant que les Grecs soient refoulés vers leurs vaisseaux ? »

« Oui, répondit Achille en gémissant, Zeus a fait tout cela pour moi. Mais quel plaisir en ai-je, maintenant que Patrocle est mort ? Je ne désire plus vivre, à moins que je ne tue Hector de ma lance. »

« Ah ! mon fils, lui dit en pleurant Thétis, ta fin est donc proche. Car, aussitôt après Hector, tu mourras. »

« Que la mort vienne donc vite, car je vais aller maintenant à la rencontre d'Hector ! Ne cherche pas, quel que soit ton amour, à me faire changer de résolution. »

« Mais, mon enfant, lui dit Thétis, les Troyens ont tes armes. C'est Hector lui-même qui les porte. Ne va pas au combat avant demain : je t'apporterai à ce moment de nouvelles armes forgées par Héphaïstos lui-même. »

Là-dessus, elle partit pour l'Olympe : elle allait demander à Héphaïstos, le grand artisan, de fabriquer des armes pour son fils.

Elle le trouva affairé à ses soufflets et à sa forge.

« Chère Thétis, dit-il, qu'est-ce qui t'amène ici ? Dis-moi ce que tu veux et, si je puis le faire, je serai content de te servir. »

Alors Thétis lui répondit en pleurant et lui exposa la situation d'Achille.

« N'aie crainte, lui dit l'illustre Héphaïstos. Il aura des armes qui émerveilleront tous ceux qui les verront. Je voudrais seulement qu'il fût aussi facile de le protéger de la mort, quand elle viendra. »

Aussitôt, il retourna à sa forge et à ses soufflets. Il jeta dans le feu du bronze, de l'étain, de l'or et de l'argent. Il mit sur son support une grande enclume, prit d'une main le marteau et de l'autre les tenailles.

Il fabriqua d'abord un bouclier grand et fort, à cinq épaisseurs. Il mit autour une bordure étincelante. Pour le décorer, il y représenta la terre, le ciel et la mer, le soleil, la lune et les étoiles. Il y avait une ville paisible, dont le peuple dansait et chantait, et une ville assiégée. Il y avait une terre labourée, un champ moissonné, une vigne, un troupeau paissant le long d'un fleuve. Et, sur l'extrême bord du bouclier, coulait le fleuve Océan.

Quand le bouclier fut fini, il fabriqua une cuirasse qui brillait comme le feu. Il fabriqua un casque à cimier d'or et des jambières d'étain. Héphaïstos donna tout cela à Thétis. Elle, comme un faucon, fondit du haut de l'Olympe vers son fils. Quand l'Aurore en robe de safran sortit de l'Océan pour apporter la lumière aux hommes et aux dieux, Thétis arriva près des vaisseaux, portant les armes destinées à Achille.

Elle trouva son fils toujours en larmes, serrant le corps de Patrocle dans ses bras. Ses compagnons l'entouraient. À la vue des armes, ils furent saisis de terreur. Achille, au contraire, sentit la colère le pénétrer davantage, et une lueur s'alluma dans ses yeux.

« Mère, s'écria-t-il, ces armes que me fournit un dieu sont dignes des immortels. Dès maintenant, je vais m’en cuirasser. »

« Fais d'abord la paix avec Agamemnon, lui répondit Thétis. Puis, tu pourras te cuirasser et aller au combat. »

Achille partit donc en suivant le rivage de la mer, et tous, en le voyant, prirent le chemin de l'assemblée. Diomède et Ulysse vinrent en boitant, puis ce fut Agamemnon qui sentait encore sa blessure. Quelle joie pour les Grecs de voir Achille renoncer à sa colère ! Agamemnon offrit à nouveau ses présents, mais Achille était impatient de courir au combat et ne voulait pas les attendre.

« Laisse-nous un peu de temps, Achille, dit Ulysse, car il faut que les hommes mangent et boivent. Nul ne se bat bien, s'il n'a mangé et bu. Mais un homme rassasié peut se battre tout un jour. »

Achille accepta, bien à regret, cette proposition.

D'abord Ulysse envoya des hommes à la baraque d'Agamemnon, pour rapporter à l'assemblée les présents qui avaient été promis, et ramener Briséis. Celle-ci pleura en voyant le corps de Patrocle, ce héros qui avait toujours été un ami pour elle. Puis Agamemnon immola un porc en sacrifice à Zeus. Les Grecs prirent ensuite leur repas. Seul Achille ne voulut pas manger, ni être consolé dans son chagrin.

Mais il revêtit les armes d’Héphaïstos. Elles semblaient le soulever comme des ailes. Quand il eut pris la pique de son père, qu'aucun des Grecs ne pouvait manier, il monta sur son char, resplendissant sous ses armes comme le soleil.

Share on Twitter Share on Facebook