L'Iliade Scène 12 : La bataille des dieux

Tandis que les Troyens s'armaient dans la plaine, attendant l'attaque d'Achille et des Grecs, Zeus convia tous les dieux à venir dans l'Olympe, et pas un fleuve, pas une nymphe n'y manqua. Quand tous se furent assis sous les portiques du palais de Zeus, Poséidon, l'Ébranleur du sol, se leva et parla en leur nom.

« Pourquoi donc, dieu de la foudre, nous as-tu convoqués ici ? As-tu quelque souci à propos des Troyens et des Grecs qui vont reprendre le combat ? »

« Tu as compris, Ébranleur du sol, répondit Zeus. C'est d'eux que je me préoccupe. Néanmoins, je resterai assis pour les observer dans un pli de l'Olympe. Vous autres, vous pourrez aller porter secours à celui des deux partis que vous voudrez. Car si Achille est laissé à lui-même, il est capable de prendre la ville avant le temps fixé. »

Tous les dieux partirent aussitôt pour le champ de bataille. Héra, Athéna, Poséidon, Hermès, le messager, et Héphaïstos se dirigèrent vers le camp grec. Arès, Apollon, Artémis, sa sœur chasseresse, Latone, leur mère, le fleuve Xanthe et la belle et souriante Aphrodite allèrent auprès des Troyens.

Tant que les dieux étaient absents, les Grecs triomphaient parce qu'Achille avait reparu. Mais à présent, quand Athéna poussa son cri de guerre, Arès se mit lui aussi à crier pour encourager les Troyens.

Zeus tonna du haut des airs ; Poséidon ébranla la terre et les cimes des monts. La ville des Troyens et les vaisseaux des Grecs tremblèrent pareillement. Le roi de ceux qui sont sous terre prit peur et sauta de son trône. Maintenant Artémis se dressait en face d'Héra, Hermès en face de Latone, et Xanthe en face d'Héphaïstos. C'est ainsi que les dieux affrontaient les dieux.

Achille cependant bondissait à travers les rangs, en encourageant chacun des guerriers. Hector, de son côté, exhortait les Troyens, en leur disant de marcher contre Achille.

Apollon s'approcha alors et lui dit : « Ne t'avance pas pour affronter Achille sans quoi il te frappera de sa lance ou de son épée. »

Là-dessus, Hector se replongea dans la foule, jusqu'au moment où il vit Polydore abattu par Achille. Polydore était le plus jeune fils de Priam et celui qu'il aimait le plus. Il triomphait de tous à la course. Son père lui avait défendu de se battre, parce qu'il était trop jeune. Mais ce jour-là, poussé par une puérile vanité, il se précipita à travers les rangs des combattants, jusqu'à ce qu'il perdît la vie.

Hector, dès qu'il vit que son frère Polydore s'effondrait au sol, les mains crispées sur sa blessure, sentit ses yeux s'embrumer. Il n'eut pas le cœur de rester plus longtemps à l'écart. Pareil à la flamme, il s'élança sur Achille en brandissant sa lance.

Achille bondit au-devant de lui, en criant : « Voici l'homme qui a tué mon plus cher ami ! Nous avons fini de nous terrer l'un devant l'autre sur tout le champ du combat. Viens donc plus près, pour arriver plus vite au terme de la mort ! »

Hector lui répondit calmement : « Ne crois pas m'effrayer par des mots, Achille. Je sais que tu es le plus brave et le plus fort. Mais tout ceci repose sur les genoux des dieux. Ils peuvent me laisser t'arracher la vie d'un coup de lance, car mon trait aussi est perçant. »

À ces mots, il brandit sa pique et la lança. Mais Athéna, d'un souffle, la détourna du glorieux Achille. Elle perdit toute sa force et tomba aux pieds d'Hector.

Achille s'élança avec sa pique, mais Apollon déroba Hector sous une brume épaisse. Trois fois Achille s'élança contre lui, et trois fois il frappa la brume profonde.

« Une fois de plus, chien, tu viens d'échapper à la mort, cria Achille en s'élançant à nouveau. Mais je t'exécuterai à un autre moment, pourvu qu'un dieu me vienne en aide. Pour l'instant, je vais m'en prendre à d'autres. »

Et Achille s'élança à travers les rangs, pareil à l'incendie qui ravage la forêt, lorsque le vent chasse les flammes en les faisant tournoyer. Il allait en tous sens, pareil à un dieu, jusqu'à ce que la terre fût inondée de sang.

À ce moment la querelle entre les dieux éclata avec violence. Ils se jetèrent les uns sur les autres avec un grand fracas. La terre et le ciel retentirent. Zeus entendit le bruit dans son Olympe. Il rit de voir Athéna frapper Arès d'une pierre au cou, pour se venger de ses insultes : le voilà étendu, les cheveux dans la poussière. Comme Aphrodite essayait de l'emmener loin du combat, Athéna la frappa en pleine poitrine, de sa forte main, et la fit tomber par terre.

Héra, la déesse aux bras blancs, sourit. Mais quand elle entendit Artémis reprocher à Apollon de ne pas se battre contre le vieux Poséidon, elle lui enleva son arc et, avec cette arme, elle se mit à la frapper tout auprès des oreilles. La pauvre Artémis s'enfuit, toute en larmes, et alla se réfugier dans les bras de Zeus, son père. Sa mère Latone ramassa l'arc et les flèches pour les lui rapporter.

Alors les dieux retournèrent dans l'Olympe, fatigués du combat. Seul Apollon resta. Il pénétra dans Troie, craignant qu'en dépit du destin, Achille ne prît la ville le jour même.

Le vieux Priam, du haut du rempart, regardait le grand Achille qui mettait les Troyens en déroute. Il descendit en gémissant vers les portes. Il ordonna aux sentinelles de les ouvrir toutes grandes jusqu'au moment où les troupes en fuite seraient rentrées à l'abri.

Les portes ouvertes offraient aux fuyards leur seule chance de salut. Apollon s'élança à leur rencontre, tandis qu'épuisés, ils fuyaient vers la ville, toujours suivis par Achille.

Alors Apollon détourna Achille de la ville, en prenant les traits d'un Troyen et en courant devant lui à très peu de distance, en direction du Xanthe.

Pendant ce temps, les Troyens, apeurés comme des faons, faisaient irruption dans la ville. Ils n'avaient même pas osé s'attendre les uns les autres hors de la ville et du rempart, pour savoir qui avait échappé et qui était mort au combat.

Seul, Hector restait, par la volonté du destin, en dehors de la ville, devant les portes Scées.

Share on Twitter Share on Facebook